Chapitre 36
Il faisait encore nuit noire lorsqu'Ozanor se réveilla de son coma. La reine n'occupait plus ses appartements aussi décida-t-il d'explorer les lieux.
À mesure qu'il arpentait les murs marbrés, une boule d'amertume se formait dans son cœur. La frustration d'être continuellement rejeté commençait à saper les fondements de sa patience. Mais telle une malédiction, il savait que Luinil l'emporterait toujours sur lui et qu'il n'était pas près de remplacer l'elfe par un jeu de séduction lambda.
Malheureusement pour lui, son obsession pour elle persistait. D'autres hommes avaient connu cette même inclinaison déraisonnée et avaient péri, soit par le suicide, soient par les conséquences d'un comportement déplacé auprès de la reine.
Les pensées chargées de sombres sentiments, il ouvrit les placards et les armoires du boudoirs. Il inspecta les tiroirs, non sans apprécier la qualité de la lingerie qui s'y trouvait. Certains seraient prêts à dépenser des sommes astronomiques pour posséder ne serait-ce qu'un bas ou une culotte de la reine. Mais Ozanor ne comptait pas profiter d'un tel trafic même s'il ne s'empêcha pas d'imaginer de tels dessous sur le corps parfait de Luinil.
En fouillant l'armoire principale, il inspecta machinalement les poches des manteaux. Le parfum royal se glissait pernicieusement à ses narines et il dut se concentrer avant que ses doigts ne frôlent un parchemin soigneusement plié dans une doublure. Intrigué, il s'en saisit et l'ouvrit.
Un dessin assez grotesque se dévoila entre les plis du papier. Jamais Ozanor n'avait observé une réalisation de ce style avec un jeté de couleurs aussi approximatif. Dans les personnages qui figuraient, il reconnut la reine et son premier conseiller. Le reste demeurait très nébuleux pour lui. Comme pour trouver une explication à ce mystère, il jeta un œil dans la poche et y trouva des fleurs, fanées par le temps. Elles s'apparentaient à des bleuets, quelques campanules, des coquelicots et des boutons d'or.
Toujours intrigué, il n'entendit pas la démarche lente de Kovitch. Le médecin se racla la gorge pour l'arrêter dans sa fouille.
— Excusez-moi, se justifia le mercenaire, je cherchais des vêtements à me mettre sur le dos.
Le mage jeta un bref regard sur le corps musclé de l'intru puis lui tendit un paquet d'habits soigneusement plié.
— La reine m'envoie vous raccompagner, seigneur Ozanor, il serait malvenu que les femmes de chambre tombent sur vous.
— Je suppose aussi...
Machinalement, il s'empara de sa nouvelle tenue et l'enfila sous le regard analytique du médecin. Ce dernier ne savait que penser de cette présence très masculine dans la chambre.
— Je me souviens encore de vous avoir soigné lorsque vous avez perdu vos yeux et vos mains, souligna-t-il, j'ignore ce que Luinil et vous avez fait cette nuit mais vous courez à votre perte.
L'astre brun haussa les épaules :
— Cela me regarde.
Déjà, il repensait à son rendez-vous avec Rovenna au pavillon de musique. Peut-être que l'étrange rédactrice saurait l'aider à mettre la main sur un sombre secret. Il n'aurait pas Luinil sans un chantage musclé.
Une fois décemment vêtu, il concéda à quitter les lieux, non sans avoir enfoui le papier et les fleurs dans sa poche.
Des couloirs dérobés le menèrent jusqu'à la sortie des appartements royaux et bientôt, il replongea dans le magma bruyant de la cour. Sans attendre, il se rendit dans les jardins du palais, là où devait l'attendre la journaliste.
La brise matinale rafraîchit son air devenu maussade par les derniers événements. Cette nouvelle journée méritait de laver tous ces affronts.
Après un coup d'œil circulaire, il déduisit que Rovenna n'avait pas encore rejoint le pavillon. C'est du moins ce qu'il croyait avant qu'un bref appel lui fasse tourner la tête. Derrière une imposante statue d'un couple enlacé, Rovenna se cachait, appuyée contre le marbre blanc.
— Pourquoi ne te montres-tu pas ? grogna le Berserk, tu es toujours ensevelie sous des couches de fripes affreuses.
La petite femme croisa les bras dans une position de défiance. Une capuche verte retombait sur son front
— Tu sais être aimable dès le matin, toi ! Sache que beaucoup de courtisans veulent ma peau. J'ai dénoncé bon nombre de leurs exactions et ils ne digèrent pas tous bien les scandales exposés dans la presse.
— Je vois... Tu sais que je ne sais même pas à quoi tu ressembles sous ton foulard.
— Quelle importance ? Nous sommes là pour parler des voyages de notre souveraine bien-aimée.
— Bien-aimée pour toi... Luinil m'a jeté un sort de pétrification cette nuit.
— Tu passes tes nuits avec la reine ?
— C'était prévu pour être plus amusant que ça. Mais elle continue de jouer la fière.
— Les hommes qui s'aventurent dans les appartements royaux en ressortent rarement vivants...
— À ce propos...
Il sortit le parchemin de sa veste et le présenta à la journaliste.
— J'ai trouvé ça dans un de ses manteaux. Et il y avait ces fleurs, aussi.
Intriguée, Rovenna inspecta les fleurs et en renifla la fragrance :
— Supposons que la reine ait ramené ces petites pousses de sa mystérieuse virée, cela nous permettrait de connaître l'emplacement de sa retraite.
— Vraiment ?
— Je dois vérifier mais la terre présente en infime quantité sur les fleurs vient de Fanyarë. Beaucoup d'indices me font pencher vers le nord-ouest du royaume.
— Tu es... Précise.
Elle hocha simplement la tête et rangea les plantes avant de déplier le dessin :
— Intéressant, murmura-t-elle, tu es sûr que le manteau appartenait à la reine ?
— Certain. Un vêtement simple mais d'une qualité indéniable.
— Mmh... Elle côtoie des humains.
Le visage d'Ozanor se chiffonna d'incrédulité :
— Vraiment ?
— Oui, cette œuvre d'art discutable a été réalisée par un enfant, huit ans, je dirais, tout dépend du talent.
— Ce sont des enfants présents sur la feuille ?
— Il faut croire. L'un d'entre eux aurait colorié cette horreur pour Luinil, sûrement par admiration pour elle.
— Qu'est-ce que la reine fait chez des humains ? Et aussi régulièrement ?
— Aucune idée. Les tracés qui dessinent la maison sont assez précis. C'est un manoir important, il sera facile de le localiser.
Ozanor garda le silence, tentant d'éclaircir ce mystère. Il se frotta passivement le menton avant d'ajouter :
— C'est peut-être idiot, mais... Je crois que la reine apprécie d'être aux contacts de ces enfants.
— Pourquoi ? Ne me dis pas qu'elle a des travers ignobles dans le domaine.
— Absolument pas. Mais j'ai croisé plusieurs femmes dans son cas, lors de mes activités antérieures. Elle cherche peut-être l'enfant qu'elle n'a pu avoir parmi ceux des humains.
— Ça n'a aucun sens...
— Pas quand on sait qu'elle a déjà été enceinte.
Rovenna écarquilla ses grands yeux noirs :
— Quoi ?
— Elle m'a avoué qu'elle l'avait tué et sa meilleure amie a corroboré l'idée.
— Mais... Qui est le père ?
— Le prince Morgal.
— C'est incroyable... Tu te rends compte de l'impact sur le royaume si la presse s'empare de cette histoire ?
— Personne ne le croira, il faudrait des preuves.
— Je n'arrive pas à me convaincre que l'elfe et elle aient entretenu une telle relation. Tu penses qu'il l'a forcée ?
— Certainement pas ; elle le voulait. Le prince a profité de ses sentiments pour l'empoisonner et s'enfuir.
— Cela ne ressemble guère à la version officielle... Elle regretterait le meurtre de son enfant ? Mais pourquoi s'absenter si régulièrement alors qu'elle vient d'instaurer une véritable dictature ?
— C'est ce qu'il nous reste à comprendre...
Un bref silence leur permit de réfléchir à quelques suppositions. Rovenna enfouit ses petites mains dans son épaisse jupe et demanda :
— Tu es sûr que l'enfant est mort ?
Il fronça les sourcils.
— Comment serait-ce autrement ? La reine a toujours gardé une taille fine. Les sorts de dissimulation de grossesse existent mais pourquoi aurait-elle débourser de telles sommes alors qu'il lui suffisait d'avorter ?
— Nous en saurons mieux après une visite dans son repaire...
— As-tu noté une récurrence dans ses départs ?
— Non, j'ai l'impression qu'elle quitte Arminassë dès qu'elle le peut... Mais elle sait se faire discrète. On n'est pas les premiers à vouloir la prendre en filature.
— Tu as raison, nous devrions retrouver le château présent sur le dessin, c'est une piste non négligeable.
— Il me faudrait accéder aux bibliothèques royales du palais ; nous trouverons notre fameux édifice.
— Tu as un laisser passer ?
Ozanor ne se donna pas la peine de répondre et songea plutôt à rentrer chez lui pour trouver quelque chose à se mettre sous la dent.
— Continuons à parler dans mes appartements, je t'offre le repas.
— Trop aimable, je ne m'attendais pas à tant de sollicitude de ta part.
L'astre grimaça ; sa nouvelle compagne d'investigation semblait se complaire dans le sarcasme. Pourquoi ne traitait-il pas avec une jolie femme aux tenues légères ?
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