Chapitre 22
Quelques années étaient désormais passées depuis l'ambassade. Si les lumbars avaient été repoussés en Fanyarë, les conflits explosaient sur la presqu'île d'Olmor. Dans quelques semaines, les Gemmes Blanches disparaîtraient.
Ainsi, les combats se précipitaient dans une boucherie accrue. Malheureusement, personne ne pouvait mettre la main sur les pierres si précieuses : les forages étaient impossibles en situation de conflit.
Bref, le centre de la dimension tremblait, agonisant sous le poids des batailles. Tous les royaumes périclitaient avec une telle dépense d'énergie.
— Quelle triste comédie que de voir l'Histoire se répéter indéfiniment, soupira Nahôm.
Enveloppée dans sa lourde cape de fourrure noire, l'Entité du Passé ressemblait à un corbeau porteur de sombres augures. Son visage basané était sillonné de tatouages tortueux alors que ses mèches sombres se rougissaient aux extrémités, comme pour rappeler la couleur vermillon de ses prunelles étroites.
Du haut de la falaise, il avait une vue imprenable sur une partie des affrontements. Djinévix tourna le regard vers lui sans se départir de son sourire tordu :
— En effet, Majesté, toute cette boucherie me rappelle la fin de notre ère.
— Quelle ironie... Et dire qu'aucune race ne parviendra à s'emparer des Gemmes Blanches.
— Nous, les Réceptacles, nous y parviendrons.
— C'est sans doute la meilleure solution pour apporter un semblant de paix sur ces terres.
La sorcière s'accroupit et commença à tracer des signes étranges dans la terre :
— J'aime voir ces nouvelles races s'entretuer. Elles sont si pathétiques.
Nahôm haussa les sourcils :
— Tu sembles pourtant apprécier certains de ces individus.
Le regard de la sorcière s'évada un instant.
— Disons... Qu'ils me sont utiles.
— Tes plans sordides m'échappent, Djinévix. Tu devrais te concentrer sur le Cercle.
Elle grimaça avec le désintérêt le plus total sans lâcher ses formes creusées dans le sol. Le roi des Réceptacles soupira et referma ses doigts sur le pieu qui lui servait de sceptre. Depuis longtemps il espérait cet instant : profiter de tous ce chaos pour mettre la main sur le plus grand trésor de cet âge. C'était comme une vengeance faite à cette ère qui avait supplanté la sienne.
— Toi aussi tu as des idées qui te trottent dans la tête, murmura Djinévix, je sais que tu prévois quelques mauvais coups.
— Et toi ? Pourquoi toute cette attention pour le prince Morgal ?
— N'est-il pas un Réceptacle comme nous ? Et puis, mon Faucheur chéri m'est indispensable.
— Il a liquidé ta sœur.
— Oui, c'est vrai. Mais Locea me gênait alors... Il m'a finalement rendu service.
— Quelle étrange créature es-tu !
Les deux Entités du Passé se turent, contemplant l'horizon ; derrière la ligne droite de la mer, l'Île Bénite apparaissait. Tous deux savaient que les plus grands gisements se trouvaient sous la citadelle nurvarse. L'apogée de la guerre se déroulerait là-bas, ils le devinaient bien.
En dehors de toutes les institutions de cet âge, le Cercle des Réceptacles évoluait. Cette assemblée n'était que tolérée par les dieux qui voyaient d'un très mauvais œil une alliance entre Réceptacles. Cela risquait de bouleverser l'ordre établi par les races. Toutes dépendaient de ces êtres mystérieux, gardiens de la magie des peuples.
Djinévix connaissait l'autre raison... Il était écrit depuis bien longtemps dans les arcanes du futur que l'engeance de deux Réceptacles entraînerait la chute des cités divines.
La sorcière repensa à la Reine Vierge. Pour la première fois, deux membres de l'espèce s'étaient accouplés et avaient donné naissance à une créature au destin si particulier. Jamais Djinévix n'aurait empêché que cela se produise ; après tout, n'avait-elle pas planifié la chose ? Elle avait provoqué la rencontre entre l'elfe et l'astre et comptait bien à ce que l'enfant remplisse son rôle à l'avenir.
Avec cette histoire, Luinil devait lui en vouloir. Mais la mère s'était déjà attachée à sa progéniture indésirée. Peu de risques qu'elle lui en veuille encore sérieusement.
Dans tous les cas, les rancunes de la jolie astre lui importaient peu. Les dieux devaient payer pour leurs crimes et connaître la même apocalypse que les Entités du Passé.
— Nous allons devoir intervenir, lâcha Nahôm.
Le roi des Réceptacles était bien loin d'imaginer les machinations de sa semblable.
— Laissons le carnage continuer quelques heures... Il ne s'agirait pas de mettre un terme à la fête.
— Dommage... J'aurais souhaité préserver l'île. Le peuple nurvars en avait fait un vrai bijou.
— Quelle importance ? Cette race aura disparu d'ici quelques jours.
— Quel pragmatisme, ma chère. Je compte sur toi pour appeler tous nos semblables pour le combat.
— Ce sera un jeu aisé d'écarter ces créatures, argua Djinévix, elles n'ont rien de la puissance des races passées.
— Tu as raison. Et leurs meilleurs éléments sont parmi nous.
Elle hocha ses épaules squelettiques et grimaça :
— Mon adorable Faucheur ne pourra plus nous aider aujourd'hui. Quant à la plus puissante de cet âge, elle préfère malheureusement privilégier son royaume au Cercle.
— Luinil ? Nous avons toujours fait sans elle, il est vrai. Elle s'en mordra les doigts ; aucune Gemme Blanche n'entrera dans les caisses de son trésor royal. Un jour, je m'occuperai de son cas.
Djinévix acheva ses tracés énigmatiques et releva la tête dans une réflexion contenue. Nahôm n'apprécierait pas la nouvelle concernant la naissance de l'enfant. Même s'il voulait se libérer du contrôle des dieux et du dévouement forcé à ces races décadentes, jamais il n'autoriserait une telle désobéissance qui entraînerait probablement de nouveaux cataclysmes. Le roi sans royaume avait connu trop de déclins de civilisations et la chute des cités divines risquait bien de briser la boucle pour de bon.
La femme rachitique l'espérait.
De son passé glorieux, il ne restait que quelques vestiges épars. De sa beauté, plus qu'une ombre effrayante. Mais sa puissance était restée et elle comptait s'en servir pour se venger, quitte à entraîner la fin de ces terres avec elle.
Un bref regard vers la plaine lui indiqua que les bâtiments s'effondraient, que les sortilèges d'éradication se multipliaient sans qu'aucune race ne prenne l'ascendant sur les autres. Dans le ciel, les silhouettes allongées des dragons menaçaient le champ de bataille de leurs torrents incandescents.
Où était sa petite protégée dans la mêlée ? Luinil n'hésitait jamais lorsqu'il s'agissait de tuer. Ainsi avait-elle été conçue par le créateur. Pour inspirer la crainte et l'admiration, le mystère et le désir.
En cela, l'union avec son amant des Falaises Sanglantes ne pouvait que donner un bâtard aux aptitudes uniques. Avant même sa conception, son destin s'était tracé.
Djinévix fit abstraction des échos militaires pour se rappeler de la vision de sa défunte sœur Locea. Elle y voyait les cités divines en feu, embrasant le ciel de leurs palais enflammés. Les enfants de Réceptacles se tenaient face à ce spectacle dramatique.
Malheureusement pour les projets de Djinévix, un seul rejeton avait vu le jour et la conception des autres semblaient compromise.
Se pouvait-il que Locea se soit trompée ? Le garçon parviendrait-il à remplir son rôle ? Elle devrait le surveiller de près.
Quant au reste, elle réfléchissait à un moyen de parvenir à ses fins.
L'échiquier avait été mis en place et elle avançait désormais ses pions.
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