Chapitre 20

— Finalement, la situation se calme, soupira Alma, pour être honnête, j'ai bien cru que ta folie allait nous emporter.

Luinil sourit amèrement. Au moins, les voix traumatisantes dans sa tête avaient cessé et Morgal ne la visitait plus la nuit.

Assises dans le salon d'hiver, les deux femmes profitaient de la chaleur du lieu pour se changer les idées.

— Je ne t'ai guère croisée, ces derniers temps, se plaignit la courtisane en glissant oisivement les mains dans ses cheveux.

— J'avais à faire...

— Tu n'es trop triste d'avoir écourté ta virée sur le front ?

— Si... Mais le gouvernement a besoin de moi.

Alma fronça les sourcils et réajusta sa fourrure sur les épaules.

— J'ai cru comprendre que c'est ta santé qui t'a joué des tours.

— Je vais mieux.

— Ozanor aussi va mieux, d'ailleurs. Tu pourrais t'excuser pour ce que tu lui as infligé, non ?

Luinil baissa la tête, préférant oublier son comportement discutable pendant ces orgies. Elle avait honte de la débauche dans laquelle elle s'était vautrée, bien plus que la terrible sentence accordée au pauvre homme. Elle aurait même souhaité qu'il meure après ce qu'il avait vu d'elle.

— Je le dédommagerai si besoin, soupira-t-elle.

— Tu vas aller le consoler par quelques caresses ? gloussa son amie.

— Non, pas vraiment.

— Oh allez, tu lui dois bien ça. Je suis certain qu'il sera ravi de te voir.

— J'en doute fort... Il doit désormais comploter pour se venger de moi.

— Tu n'auras qu'à porter un beau décolleté. Et je ne parle pas de celui que tu arbores en ce moment.

Cette réflexion vexa la reine mais elle devait bien reconnaitre qu'il n'y avait pas d'autres moyens pour elle de cacher son corps métamorphosé sous un surcot extrêmement gainant. Dans de telles circonstances, elle s'abstenait de toute échancrure trop prononcée, craignant éveiller les soupçons dès la première montée de lait.

D'ailleurs Féathor ne tarderait pas à se réveiller pour réclamer son repas. Cette petite créature était un véritable tyran ! Tout devait se plier à ses moindres volontés.

— C'est dommage que tu te vêtisses comme une prêtresse, continua Alma dans son raisonnement, tu devrais en profiter pour remplacer l'elfe. Si Ozanor te semble hors d'usage, tu peux te tourner vers Caraks ou Fendrell.

Luinil secoua la tête, lasse d'entendre toujours les discours décadents de sa compagne. Inutile de songer au sexe pour l'instant : son retour de couche tardait encore et ses fonds de culottes ne se détachaient pas de cette couleur carmin.

— Je n'ai peut-être pas envie de tout ça, Alma.

— Tu es trop sérieuse. Je commence à croire que tu ne veux pas oublier ton premier amant.

— C'est ridicule. Tu sais à quel point je le détestais.

— Tu as jeté son cadeau ? Non. J'en étais certaine.

— Ça n'a rien à voir, je n'y pense même pas.

— Bien ! Je vais m'en débarrasser de ce pas !

Ces mots étant dits, elle se leva du sofa et prit la direction de la chambre. Le son claquant des talons ramena Luinil à une évidence urgente : Alma allait faire une belle découverte en entrant !

D'un bond, elle courut à la suite de son amie et se colla in extremis aux battants de porte, juste devant la courtisane :

— Attends, tu ne peux pas passer.

— Et pourquoi ?

— Parce que... Hyola n'a pas rangé la chambre.

Alma croisa les bras, les yeux plissés de méfiance :

— Que me caches-tu ?

La reine n'eût pas le temps de répondre. La porte s'ouvrit soudain dans son dos et sans appui, elle tomba à la renverse.

— Majesté ! s'écria la camériste éberluée, je suis confuse... Vous allez bien ?

Elle se pencha pour relever sa maîtresse qui s'était violemment amochée le coccyx.

— Que me vaut ton intervention ? gronda-t-elle à la petite blonde.

— Filie est partie chercher du linge et je me retrouve seule à m'occuper de Féathor ; je n'arrive pas à m'en occuper.

Luinil écarquilla les yeux et se pinça les lèvres pour intimer à sa servante d'en faire de même. Elle jeta un bref regard vers la courtisane et Hyola poussa un petit cri d'effroi :

— Madame ! Je ne vous avais pas vue...

— Qui est Féathor ?

La reine serra les poings :

— Hyola... Tu vas m'entendre.

Piquée par sa curiosité habituelle, Alma entra dans la chambre royale. Il ne fallut pas attendre longtemps avant qu'un hurlement secoue les tympans de la reine. Elle leva les yeux au ciel avec fatalité. Voilà un nouveau bourbier duquel il faudrait se sortir.

— Luinil ! Qu'est-ce que c'est que cette horrible chose !

Hyola grinça les dents sans répondre, comme si l'ignorance de la requête changerait la situation. Devant les interrogations aussi incessantes que bruyantes, la reine se résolut à rejoindre son ami au-dessus du berceau.

— Tu m'expliques ? lâcha Alma.

La concernée se racla la gorge :

— Je te présente Féathor. Il a quelques semaines maintenant.

— Tu es au courant que je peux facilement faire le rapprochement en comptant les mois ?

— Il y a eu un imprévu.

— Je vois ça. Donc tu as pondu le chiard de l'autre psychopathe ?

— Alma... J'ai la patience sensible en ce moment.

Sentant la présence de sa mère, le bébé s'agita avec un sourire béat.

Elle l'attrapa dans ses bras et le montra à son amie, appréhendant sa réaction.

— Il est mignon au moins, remarqua cette dernière, il sera sans doute un amant intéressant quand il sera adulte.

— Alma !

— Quoi ? Sa mère est la plus belle femme du Cosmos et son père est un elfe ! Ce n'est pas n'importe quel mélange ! Enfin... Je comprends que tu ne veuilles pas forniquer en ce moment, avec un enfant sur les bras.

Indignée par ces paroles, Luinil resserra son fils contre elle.

— Au moins, il ne ressemble pas à un Fëalocen, conclut la courtisane.

— Épargne-moi tes considérations.

Elle s'assit sur un divan et dégrafa son corset en assassinant Alma du regard :

— Tu peux retourner voir tes admirateurs : je dois nourrir cet enfant.

— Je ne pensais pas que tu te prendrais d'affection pour ta progéniture.

— C'est mon fils, il est normal que je développe de l'amour pour lui.

— Ce n'était pas gagné, releva Alam, tu as quand même essayé de le tuer, rappelle-toi.

Un mélange de culpabilité et d'horreur retourna le cœur de la jeune mère :

— Je ne veux plus entendre parler de cet épisode. Féathor est né et je tiens à lui, fin de la discussion.

— Bien...

— Et je compte sur toi pour ne pas ébruiter son existence.

— Oui, tu ne veux pas que tout Arminassë sache tes déboires avec le prince des Falaises Sanglantes. Tous les hommes te lâcheront en apprenant qu'ils auraient été doublés par un elfe.

Luinil roula des yeux mais ne se donna pas la peine d'arrêter son amie :

— D'ailleurs, je serais curieuse de savoir comment réagirait le roi Elaglar en apprenant que son sang s'est mêlé avec le tien...

— Féathor ne mettra jamais un seul pied en Calca.

— Il se posera des questions quand ses oreilles pousseront et que sa magie différa des autres. Sans parler qu'il est impossible que son père soit un astre ; il devinera rapidement la vérité.

— Je travaillerai à ce qu'il ne sache jamais. Il se construira sans l'influence néfaste de son géniteur. Pour rien au monde je ne souhaite qu'il lui ressemble.

Alma haussa les épaules ; elle était perturbée par cette situation improbable.

— Je me demandais pourquoi tu avais autant repris du poids, ajouta-t-elle avec un sourire cruel.

— Tais-toi. Cela fait presque un mois que je tente de perdre mon ventre.

Alma gloussa, fort satisfaite que sa rivale soit dans ce cas de figure :

— Ne t'en fais pas, Luinil, ta nouvelle taille de poitrine n'a pas échappé aux courtisans.

Instinctivement, elle remonta son corset au maximum tout en laissant la possibilité à son enfant de boire.

Son amie continua :

— Je comprends pourquoi ton bébé est aussi gras avec de pareilles mamelles.

Luinil la foudroya du regard. Non seulement la courtisane se permettait de commenter vulgairement son physique mais en plus, elle critiquait son fils.

— Alma, tu ferais mieux de te taire, je suis à fleur de peau.

— Je peux les toucher ?

— Tu essaies et je t'arrache les ongles. Depuis quand mes seins t'intéressent ?

Elle maugréa en croisant les bras :

— Pourquoi il n'y en a que pour l'elfe ? Il a bien eu le droit, lui.

— Alma !

— Arrête de t'offusquer de tout, très chère. Entre nous deux, c'est toi la plus sulfureuse. Je suis certaine que tu n'as pas hésité un instant avant d'exhiber tes deux gros arguments sous son nez.

Luinil écarquilla les yeux, se demandant si elle devait réduire son homologue en cendres ou s'il elle pouvait repenser aux moments d'intimité fort plaisants qu'elle avait partagés avec le prince. Si sa raison l'avait toujours exécré, son corps gardait le souvenir agréable de sa présence.

— Ma relation avec mon agresseur ne te concerne pas, conclut-elle sèchement, et si tu cherches ce genre de choses, va voir Fairÿ, elle est plus ouverte que moi sur le domaine.

— Mmh, toi, tu es intéressée que lorsque ton interlocuteur à un passif lamentable.

— Alma... Je ne suis pas portée sur de pareils plaisirs, en ce moment. Au cas où tu ne le remarquerais pas, j'allaite, je n'essaie pas de séduire.

L'astre grimaça, vexée, et se leva :

— L'expérience doit être étrange. Peut-être que j'essaierai d'être enceinte aussi, un jour ou l'autre.

— Tu n'as pas fini de me singer ?

— Je plaisante ! Je n'ai pas envie d'être esclave de cet asticot baveux qui ne fait que manger et chier.

Luinil plissa les yeux, Féathor toujours dans ses bras. Elle avait comme la soudaine envie d'envoyer son amie faire un séjour aux cachots. Et elle ne s'en priva pas.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top