Chapitre 19

Quelques jours étaient passés et Luinil résidait toujours à Doulam. Ce séjour ne s'apparentait pas vraiment à des vacances : Féathor pleurait la nuit et ne supportait pas le moindre éloignement avec sa mère.

— Vous avez tenté de le rejeter plusieurs fois, expliqua Filie, et vous n'êtes même pas encore sûre de le garder. Il sent qu'il n'est pas désiré.

Le cœur de la reine se serra. Elle ressentit alors la détresse de son enfant ; le pauvre n'avait rien demandé et pâtissait de la situation.

— Au moins, continua la gnome, il a rapidement repris du poids, c'est très positif. J'ai rarement vu un nourrisson en si bonne santé.

— Tu peux parler, il mange à longueur de temps !

— C'est vrai. Mais c'est bon signe. Toutes les femmes ne peuvent pas allaiter. Et votre lait aurait pu ne pas convenir, surtout si le père n'est pas un astre.

— Je ne veux pas entendre parler de lui.

— Vous avez dû beaucoup l'aimer pour que votre enfant soit si réussi.

— Pas du tout. Ce type était juste beau. Un peu trop pour que je me méfie assez de lui.

Filie sourit :

— J'en déduis qu'il n'est pas au courant.

— Les morts ne s'intéressent pas aux affaires des vivants.

— Je vois...

Un silence gênant se répandit dans la chambre. Heureusement, Kovitch débarqua pour briser le malaise. Inutile de préciser qu'il n'avait guère apprécié la découverte du bébé. Il avait sermonné la reine pendant vingt minutes en lui rappelant que si elle avait accepté sa proposition des mois précédents, elle ne serait pas avec un chiard en cet instant.

Hyola non plus ne cautionnait pas la présence de l'enfant. Elle proposait de l'abandonner dans un orphelinat de Doulam.

Si Luinil était restée silencieuse, Handelë s'était rapidement indigné, déclarant qu'on ne pouvait pas tenir de tels propos devant le pauvre bébé qui restait la première victime de tous ces déboires.

— Regardez un peu dans quel état vous êtes, Majesté, soupira Kovitch.

— Inutile de me rappeler que je suis énorme.

Instinctivement, elle appuya sur son ventre qui peinait à dégonfler. Ignorant superbement les angoisses de sa mère, Féathor se tortillait dans ses bras.

— Il n'y a pas de quoi être fier, râla-t-elle, tu ne te rends pas compte tout ce que je subis pour toi.

Elle n'eût qu'un petit couinement en réponse. Comment arrivait-elle à supporter ce ventre sur pattes malgré tout ce qu'il lui avait infligé ?

Étrangement, Luinil remarquait bien qu'elle ne voulait pas s'en séparer. Elle devait reconnaître que son fils l'attendrissait.

Sans réfléchir, elle se pencha au-dessus de lui et commença à embrasser ses joues dodues. Un bonheur nouveau irradia son cœur : elle était heureuse de tenir son enfant, de pouvoir le câliner et lui témoigner son amour maternel.

Enfin, elle brisait la distance qu'elle s'imposait. Féathor sembla le sentir car il se mit à sourire, ce qui fit encore plus craquer la reine.

À cet instant, Luinil sut qu'elle pourrait mourir et tuer pour son fils.




Handelë se sentait embêté : maintenant que la reine avait été rapatriée au palais sous prétexte d'une grave blessure, il avait de nombreux soucis à régler avec elle. Mais comme d'habitude, elle n'écoutait pas son conseiller. Féathor représentait une lourde menace pour elle et son autorité. Si jamais un courtisan remarquait sa présence, ce serait la fin.

En attendant, le nourrisson se cachait dans la chambre de sa mère, sous la garde attentive de Filie.

Luinil refusait catégoriquement d'abandonner sa charge royale, de son côté. Après une grossesse chaotique où elle avait inspiré l'aversion et la méfiance à tous ses sujets, elle se devait de rectifier le tir. Elle passait donc ses journées et ses nuits à l'hémicycle pour présider la moindre séance.

Ceci-dit, elle n'abandonna pas ses bonnes vieilles méthodes d'intimidation si bien que certains politiciens finissaient parfois désintégrés ou au fond d'une fausse. Handelë soupirait, incapable de raisonner la reine.

Entre chaque rendez-vous diplomatique, Luinil filait rejoindre ses appartements où l'attendait son enfant. La séparation se vivait très mal pour Féathor et il pleurait sans arrêt en l'absence de sa mère. Si Filie gardait une patience absolue et parvenait à le calmer, Hyola quittait la suite royale, exaspérée par la présence de ce petit monstre indésirable.

— Vous devriez envisager d'engager une nourrice, Majesté, proposa-t-elle en habillant sa maîtresse, vous perdriez moins de temps et cela vous reposerait.

— J'y ai pensé, Hyola. Mais je ne vois pas qui pourrait me remplacer.

— Une humaine ?

— Non, Kovitch a confirmé que cela risquerait d'empoisonner Féathor.

La camériste roula des yeux, se moquant bien de si le bébé y passerait. Les choses seraient bien plus simples sans cet être brailleur. Elle resserra les lacets du corset sur la poitrine enflée, manquant d'étouffer Luinil.

— Et une elfe ?

— Aucune n'accepterait et je ne veux pas d'elfes chez moi, grinça-t-elle.

— Mmh... Je vous rappelle que votre fils en est un.

Le visage de la reine s'assombrit hostilement.

— Féathor est un astre.

— Les astres n'ont pas d'enfance, Majesté, nous apparaissons dans les Lacs Valiques sous notre forme adulte.

— Peu importe, il sera comme moi.

— Oui, jusqu'au jour où il aura des oreilles pointues et des idées sordides en tête !

— Hyola, tu ferais mieux de te taire !

— Je suis simplement lucide, Majesté : cet enfant ne vous apportera que des préjudices. Il n'est pas encore trop tard pour vous en débarrasser !

L'astre blonde se prit une violente gifle et tomba sur les fesses :

— Je ne demande pas ton avis, stupide servante.

Elle baissa la tête et s'inclina difficilement :

— Je suis désolée, Majesté, articula-t-elle avec rancœur, je ne souhaite pas le mal de votre fils.

— Bien sûr que tu le souhaites.

— Je ne peux m'empêcher de penser que le sang du prince Morgal coule dans ses veines.

— Il sera différent. Tente la moindre chose contre lui et je laisse Fimou régler ton cas.

— Oui, Majesté...

Luinil serra la mâchoire et renvoya la domestique, énervée par ses propos alarmistes. Elle finit d'attacher sa robe, toujours trop à l'étroit au niveau de la taille et de la poitrine. Mais après tout, cela ne durerait pas longtemps. Elle jeta un œil dans le berceau de Féathor pour s'assurer que ce dernier dormait bien. Pourvu qu'il ne se réveille pas avant son retour. Elle savait au fond de son cœur qu'elle ne faisait que repousser les limites du temps : la présence de l'enfant finirait par se savoir et mieux valait qu'elle s'en détache avant qu'il ne soit trop tard.

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