Chapitre 17

Lorsqu'elle se réveilla, Luinil ne parvenait à coordonner ses pensées. Elle se sentait tellement fatiguée. Elle poussa les couvertures qui s'accumulaient au-dessus d'elle et observa son corps.

Handelë lui avait confectionné une étrange culotte de linge pour absorber les saignements. Quant à son ventre, il était toujours aussi proéminent. C'était un véritable cauchemar.

D'ailleurs, où était son conseiller ? Apparemment, il lui avait laissé une assiette de victuailles sur la table de nuit ainsi qu'un gobelet d'eau.

— Handelë... appela-t-elle faiblement.

Les tentures du lit avaient été tirées, l'enfermant dans un petit habitacle chaleureux. Les pas de l'homme se firent entendre : il poussa délicatement le tissu épais et salua sa reine.

— Majesté, je ne vous cache pas que j'ai eu peur pour vous.

Elle sourit faiblement :

— Merci de m'avoir aidée... Où sont nos troupes ?

— Ne vous inquiétez pas de ça. J'ai rétabli les contacts télépathiques et une voiture nous sera avancée d'ici une heure.

— C'est parfait...

— N'hésitez pas à reprendre des forces, Majesté, vous avez perdu énormément de sang.

À vrai dire, elle n'avait pas vraiment faim. L'inconfort de l'instant occupait ses pensées :

— Je ressemble à une baleine, soupira-t-elle en appuyant sur son ventre gonflé.

Comme pour accréditer ce propos, un faible vagissement s'ajouta à la conversation. Handelë se pencha aussitôt et attrapa un couffin derrière le coffre :

— Regardez, Majesté, sourit-il, vous avez eu un magnifique petit garçon.

Luinil se raidit et se colla à la tête de lit en grimaçant :

— Qu'est-ce que cette chose ignoble fait encore ici ?

Handelë fronça les sourcils, à moitié peiné et pris au dépourvu :

— Mais... C'est votre enfant, Luinil.

— Débarrassez-vous-en.

— Mais...

— Il a bien failli me tuer ! Je ne veux pas savoir ce que vous en faites mais je ne veux pas le voir.

L'homme referma ses bras sur le tas draps qui enveloppait le nourrisson. Ce dernier continuait à gémir par intermittence.

— Vous voulez que je l'abandonne ? Par ce froid ?

— Mettez-le dans le fleuve ou dans la forêt, je m'en moque.

Il secoua la tête :

— Je n'en ferai rien, Majesté.

— C'est un ordre.

Le vieil astre soupira et déposa son précieux paquet sur le lit :

— Navré, mais cette fois-ci, si vous tenez à le laisser mourir, occupez-vous-en.

— Handelë !

— Je vais attendre la voiture, essayez de vous reposer.

Sur ce, il abandonna la pièce ; Luinil resta seul avec les petits cris désespérés.

Quelle solution s'offrait-à elle ? Le jeter par la fenêtre ? Au moins, il arrêterait de couiner. Mais elle ne se sentait pas de se lever.

— Tais-toi, murmura-t-elle sèchement.

Rien que de voir le tas de linge s'agiter au rythme des pleurs la révulsait. N'en pouvant plus, elle rabattit une partie de la couverture sur le couffin comme si cela le ferait disparaitre. Petit à petit, les gémissements se turent et le silence oppressant de l'hiver retomba dans la chambre.

Luinil poussa un long soupir de soulagement. Cette journée était un véritable désastre. Avaient-ils gagné la bataille ? Elle l'espérait fortement.

Son regard retomba instinctivement vers la bosse du lit. Avait-elle fini par l'étouffer ? La réponse à cette question commença à la tarauder de plus en plus. Il lui devenait impossible de réfléchir sans que ses pensées ne la reconduisent au même endroit.

La curiosité la dévorait tellement qu'elle craqua. Avec précaution, elle se redressa et s'avança vers le repli de la couverture.

Lentement, elle le releva et découvrit la petite créature.

Enveloppé dans des draps, le nourrisson avait été lavé avec soin. Sa peau fripée et rouge étonna la reine. Mais elle haussa davantage les sourcils devant son aspect attendrissant. C'était un beau bébé, petit mais assez rondouillard pour son stade. Des cheveux noirs parsemaient sa tête minuscule. Avec des oreilles rondes et des joues dodues, des grands yeux fermés et une petit bouche cœur, il ne put que surprendre sa mère.

Luinil le souleva délicatement et le porta contre elle. Elle souleva le linge pour vérifier les dires d'Handelë. C'était bien un garçon. Son nombril la dégouta mais elle pensa que cet aspect devait changer après la naissance.

La poitrine du nourrisson se soulevait doucement et en sentant le corps de la femme, il se réveilla pour recommencer ses pleurs.

— Non, non, murmura Luinil, tais-toi.

Elle ne savait clairement pas comment gérer la situation. Que devait-elle faire ? Elle n'avait quasiment jamais vu de bébés et voilà qu'elle devait s'occuper d'un.

Avec hésitation, elle tenta de le bercer mais l'enfant continua à geindre.

— Tu as peut-être faim...

Elle se tourna vers son assiette et prit un morceau de pain avant de le présenter à la bouche du nourrisson. Sans succès. Après tout, il n'avait pas de dents...

En dernier recours, elle jeta un œil à son décolleté. Ses seins douloureux avaient énormément gonflé au point qu'elle ne savait plus quoi en faire.

— Ironiquement, je n'aurais jamais imaginé qu'ils serviraient à ça.

Elle délassa sa chemise et sorti un sein pour le donner à l'enfant. Ce ne fut pas non plus gagné. Ce n'est qu'après maintes tentatives qu'il put enfin téter goulument.

Voilà une situation qui la dépassait totalement. Mais en son cœur, elle commençait à s'intéresser à ce petit bout. C'est vrai qu'il lui ressemblait avec ses cheveux noirs et ses yeux déjà verts. Le sentir contre elle tira une nouvelle corde de sa sensibilité. Elle se rendait compte qu'elle avait donné la vie, qu'elle était mère et que ce nouvel être fragile dépendait entièrement d'elle.

Un sourire timide étira ses lèvres alors qu'elle l'observait boire sereinement.

— Tu es peut-être trop mignon pour que je te laisse...

Pour toute réponse, le concerné posa sa main minuscule sur la poitrine de sa maman sans lâcher le téton de sa petite bouche.

— Mais tu risques d'éclater si tu continues à te remplir le gosier de la sorte.

Elle essaya de se libérer mais c'était peine perdue.

— Parfait, j'ai affaire à un goinfre.

C'est donc sans broncher que la reine nourrit son enfant. C'était tellement irréel, elle avait l'impression de vivre un songe.

— Majesté, la voiture est là.

Luinil sursauta devant Handelë qu'elle n'avait absolument pas remarqué. Elle rougit devant l'étonnement de l'homme et lança :

— Retournez-vous, vous ne voyez pas que je suis dépoitraillée !

— Excusez-moi, Majesté, mais après avoir fait naître votre fils, je crois que votre corps n'a plus beaucoup de secrets pour moi.

Ses joues s'empourprèrent davantage. On ne pouvait pas dire que beaucoup d'hommes avaient zyeuter son intimité.

Handelë s'avança et déposa un chaud manteau de laine sur le lit :

— Il faut y aller, je vais vous aider, Majesté.

Elle hocha la tête et se saisit du par-dessus pour envelopper son bébé à l'intérieur. Une fois debout, elle prit le paquet dans ses bras, prête à partir.

L'astre sourit devant le revirement de situation et dégrafa sa cape pour couvrir la reine.

— Je vois que nous rentrons avec un passager inattendu.

— Aidez-moi à marcher au lieu de raconter des sornettes, je vous rappelle que je me vide encore de mon sang.

Il lui prit le bras avec délicatesse et la conduisit dans la basse-cour où attendait le carrosse, escorté de la milice privée. Luinil s'empressa de monter, dissimulant son bébé contre elle.

Dans l'intérieur capitonné, Handelë la rejoignit et jeta un sort d'isolation au cas où le nourrisson viendrait à pleurer.

La voiture ne tarda pas à démarrer et à conduire la reine loin du front.

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