Chapitre 14
Finalement, Ozanor avait été reconduit à sa suite, ou plus exactement aux appartements du ministre des Relations interraciales.
Abasourdi par l'état de son compagnon, Viroque s'agitait dans tous les sens, manquant de renverser le mobilier luxueux du propriétaire. Il n'y comprenait rien.
Des mages étaient intervenus et envahissaient l'espace pour recourir à des sortilèges de reconstitution, magie extrêmement couteuse en énergie valique. Mais apparemment, la reine avait convoqué les plus grands médecins de la capitale pour le soigner.
Le temps devait désormais effectuer son travail. Le pauvre homme avait retrouvé l'usage d'un œil mais ses poignets demeuraient sectionnés.
— Finalement, je ne regrette pas d'être resté à mon laboratoire, murmura Viroque lorsqu'ils furent enfin seuls.
Ozanor soupira : devait-il dévoiler à son imbécile de colocataire ce qu'il avait découvert durant la soirée ? C'était un pari risqué ; la reine lui trancherait probablement la tête pour avoir divulgué des informations si privées. Une rage féroce lui retournait les tripes : qu'avait-il fait pour susciter le courroux de la souveraine ? Absolument rien mais elle s'était acharnée sur lui au point de l'estropier.
Reine ou pas, elle finirait par payer ses actes.
— Cette Lys a perdu la tête, continua son comparse, sans doute le propre des femmes aussi belles.
— Elle est au courant de mon passé... Elle a deviné mon implication dans les trafics d'esclaves.
— Et alors ? C'est une pute. Elle peut toujours aller se plaindre aux autorités, personne ne l'écoutera, surtout que tu es couvert par notre cher Caraks.
— Justement, elle est bien plus qu'une courtisane. Et maintenant que je suis infirme, je suppose que notre vieux requin ne me gardera plus longtemps sous son aileron : il va m'être difficile de liquider ses ennemis politiques, à présent.
— Ne sois pas si pessimiste. Tu retrouveras bientôt tes capacités.
— Dans quelques années, oui...
— Moi j'y vois mon intérêt ! Avec toi en moins dans la course, bien plus de courtisanes seront à mes pieds !
— Je te déconseille de courtiser Lys. Elle te découpera.
— Je poserai quelques questions à cette chère Alma. C'est bien elle qui a ramené cette folle.
— Elle aurait dû s'abstenir.
Comme si elle se sentait appelée, la concernée apparut justement sur le pas de la porte.
— Ozanor ! Je suis tellement désolée par cette mésaventure.
— Tu as intérêt à me donner une compensation pour cette soirée, Alma ! gronda le mercenaire.
— C'est si fâcheux... Viroque, veux-tu bien sortir ?
— Eh bien...
— Merci !
Le sorcier grommela et laissa les deux astres. Alité, Ozanor ne daigna pas jeter le moindre regard sur la femme.
— Tu étais au courant depuis le début, n'est-ce pas ?
— Tu n'aurais pas dû retirer le masque de la reine, mon cher. Elle est irritable en ce moment.
— J'avais remarqué... Elle a encore moins apprécié ma présence lorsque j'ai deviné qu'elle était enceinte.
Alma soupira et s'assit sur le coin du lit.
— Les expériences que tu as menées sur tes esclaves ont affuté tes connaissances anatomiques féminines.
— Cela remonte à mes années en Narraca.
— Ne te défausse pas. En étant Berserk, tu avais les mains pleines du sang de ces esclaves.
— En attendant, ton amie m'a injustement attaqué.
— Personne n'y peut rien. Luinil vit ses caprices comme elle l'entend.
— Je ne suis pas rassuré de nous savoir gouverner par cette cinglée. J'ai cru comprendre que le prince des Falaises Sanglantes avait sa part de responsabilité dans sa folie.
— Plus que tu ne le penses... Les elfes sont champions pour retourner les esprits et conduire à la démence. Elle s'est débarrassée du chiard et cet avortement n'a pas arrangé son état mental.
— J'imagine qu'elle va vouloir me supprimer maintenant que je suis au courant de ses problèmes.
— Possible... Mais je crois surtout qu'elle regrette de t'avoir mis dans cet état.
Il tapa son crâne contre la tête de lit et lâcha :
— Et dire que j'ai manqué de coucher avec la Reine Vierge...
— Si tu t'étais contenté d'ignorer son identité, tu serais peut-être actuellement en train de la culbuter.
— Pourquoi tiens-tu tant à la dépraver ?
— Parce qu'elle ne mérite pas toutes les dévotions des hommes.
— Tu es bien trop jalouse, Alma.
— Peu importe. Je verrai avec Luinil ce qu'elle compte faire de toi. Avec un peu de chances, elle viendra s'occuper gentiment de toi. Je te rappelle que tu n'as plus de mains, il y a beaucoup d'activités distrayantes qui te sont hors de portée.
— Va-t-en, Alma, tu dégoûtes.
— Tu me remercieras, Ozanor.
Ces mots étant dits, elle se leva et se dirigea vers la porte de sa démarche chaloupée. En sortant, elle croisa Caraks qui revenait d'une séance gouvernementale.
— Alma, c'est un plaisir de te voir. Restes-tu pour le déjeuner ?
— J'ai à faire, mon chéri.
Avant qu'elle ne disparaisse, il la retint fermement par le bras :
— Dis-moi où je peux trouver ton amie.
— Lys ? Tu veux finir comme ton locataire ?
— Cette femme m'intrigue.
— Je lui parlerai de toi. Mais ne t'attends pas à ce que j'en dévoile plus.
La courtisane se dégagea et quitta l'appartement, laissant le ministre à ses réflexions. Lys était aussi folle et indomptable que magnifique. C'était exactement ce qu'il cherchait. Mais Alma ne semblait pas vraiment vouloir collaborer. Tant pis, il se servirait bien de son entourage pour arriver à ses fins ; il l'avait toujours fait, après tout.
Courbaturée, Luinil tentait tant bien que mal de se détendre dans ses bassins privés. Une fumée épaisse s'échappait de l'onde rosée et emplissait la pièce.
— J'ai beaucoup régressé ? demanda-t-elle à son amie qui profitait aussi du bain chaud.
Cette dernière haussa ses larges épaules :
— Si nous continuons les exercices plus régulièrement, tu retrouveras vite ta forme... Mais j'ai remarqué que tu souffrais.
— Je... J'ai des douleurs qui ne partent pas. Et mes pensées sont parasitées par des voix lointaines.
— Tu en as parlé à Kovitch ?
— Non... Je ne veux l'inquiéter et Handelë non plus. Je leur ai causé déjà trop de soucis... Je veux plus qu'ils me pensent inapte pour la guerre.
— J'ai appris que les lumbars avaient débarqué au Nord du royaume...
— Oui, nos armées les repoussent comme elles peuvent. Les elfes leur ont laissé le passage pour nous envahir.
— Vous pensez qu'on parviendra à les battre rapidement ?
— Nous n'avons pas vraiment le choix : les gemmes blanches disparaitront à la prochaine ellipse solaire. Nous n'avons même pas cinq ans devant nous pour nous en procurer.
— Était-ce la bonne idée que de lancer un sortilège d'annihilation ?
— Oui... Sans ça, la guerre durerait éternellement... Et puis l'ordre supérieur interracial a validé cette loi.
— Mmh...
Luinil soupira et s'immergea jusqu'au nez. Sans doute n'était-elle pas prête mais elle devait rejoindre ses légions au front. Tant pis pour ses démons et ses douleurs physiques ; elle les oublierait bien pendant le combat. Plus que tout, il fallait sauver Arminassë du désastre qui menaçait tous les royaumes.
Il était temps de se ressaisir, de compter sur ses conseillers et ses ministres. Elle devait laver l'outrage qu'elle s'était infligée, retrouver la confiance de ses sujets et calmer les révoltes civiles. Tant de desseins à accomplir malgré l'adversité du moment.
Mais Luinil savait qu'elle donnerait jusqu'à sa vie pour sauver son royaume. Ou peut-être sacrifierait-elle tout pour préserver sa couronne et le pouvoir qui l'accompagnait. L'un n'excluait pas l'autre, aussi décida-t-elle de renouveler le serment tacite qui l'animait depuis des siècles : celui de gouverner sur la Dimension.
Caraks, ministre des Affaires interraciales, astre d'Arminassë.
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