Chapitre 11
Lorsqu'il parvint au boudoir d'Alma, Ozanor sentit ses poils se hérisser : il était bien trop proche des appartements royaux. Mais après tout, personne ne pouvait deviner ses pérégrinations passées ainsi que ses implications illégales. Et une courtisane, aussi jolie soit-elle, ne représenterait pas un grand danger pour lui. Jamais elle ne s'intéresserait à une dénonciation. La politique n'avait jamais été le terrain des femmes astres, de toutes façons.
Les pensées encore lourdes d'inquiétude, il passa la porte et se retrouva dans la salle à manger où se dressait une table richement ornée.
Enfin, Lys apparut dans une magnifique robe turquoise. Un masque couvrait toujours mystérieusement ses traits.
Ozanor s'avança vers elle et lui prit la main pour déposer un baiser dessus.
— Tu m'as manqué, Lys, murmura-t-il avec une pointe de rancune dans la voix, ton départ m'a affligé.
— J'en suis sincèrement désolée, Ozanor. Je compte me rattraper ce soir avec ce bon repas.
Il sourit, pensant plutôt à ce qu'il suivrait.
— Je t'en prie, continua-t-elle, assieds-toi.
Sans perdre plus de temps, ils prirent place de chaque côté de la table et commencèrent à manger. Le vétéran de guerre nota qu'il n'y avait aucun domestique pour servir.
— Tu es très attachée à préserver l'anonymat, Lys.
— En effet, sourit-elle, je... Je préfère ne pas être trop aperçue au palais.
— Je sais garder un secret.
Il lui envoya un clin d'œil qu'elle ne considéra pas :
— Là n'est pas la question. Et toi ? Alma n'a guère pu me renseigner sur ton compte. Je sais juste que tu étais un Berserk et que tu t'es reconverti dans le commerce.
Cette conversation prenait la forme d'un interrogatoire. Ozanor préférait oublier son passé dans cette soirée, pas le raconter à une inconnue.
— Ce n'est pas tout à fait exact. J'ai toujours eu une place importante dans certains marchés. Mais à la chute d'Atalantë, les choses ont changé et j'ai dû vivre en tant que Berserk. Malheureusement, l'autorité ne me convenait guère...
Lys fronça les sourcils et arrêta de mâcher :
— Tu es un réfugier d'Atalantë ?
— En quelque sorte...
— Tu as de la chance, beaucoup de chance d'être encore en vie.
La mine de l'homme s'assombrit à ces mots :
— Tu ignores tout de ce qui s'est passé. J'ai perdu des êtres chers pendant la bataille. J'étais parti annoncer le siège à Lombal et Arminassë mais aucun des deux royaumes astraux n'accepta de nous aider. Lorsque je suis revenu... Ce n'était qu'une boucherie, les elfes avaient perpétré un carnage sans nom. Il était trop tard pour mes amis.
Sa compagne garda un instant le silence avant d'ajouter :
— Arminassë n'avait pas à soutenir Atalantë. Le roi Nilcalar avait mérité la chute de son peuple : pendant des siècles, il s'était vautré dans l'oisiveté et la débauche. Il s'était débarrassé des femmes et recourrait à un esclavage immonde.
Les sourcils d'Ozanor se froncèrent à ces mots :
— Tu en sais beaucoup pour une simple courtisane...
— Je ne suis pas une prostituée, je te l'ai déjà dit.
— Mmh... Je n'ai pas envie de parler politique avec toi.
Luinil gloussa avant de se reconcentrer sur sa coupe de vin. Ainsi, son nouvel amant était un rescapé d'Atalantë. Si Morgal n'avait pas fini dévoré, ce bon Ozanor serait probablement mort, découpé par des elfes rancuniers. Mais heureusement pour lui, le prince des Falaises Sanglantes avait disparu avec la liste des survivants d'Atalantë.
Le brun se leva de sa chaise et se planta devant elle :
— Oublions ces propos et allons nous amuser.
Lys sourit et sortit de table pour le conduire dans un salon d'hiver couvert de fourrures et de coussin moelleux. Une inexprimable impression de confort et de cocon se dégageait de cette petite pièce à l'âtre chaleureux.
Avec grâce, la reine s'assit sur un sofa et continua de vider sa coupe. Ozanor ne put qu'oublier les paroles déplacées qu'elle avait eu à l'égard de son pays d'origine. Ainsi, elle absorbait tout le ressentiment et le transformait en admiration. Un simple battement de paupière suffisait à calmer les récriminations.
Et le mercenaire ne pouvait résister à un tel charme. Instinctivement, il rejoignit Lys sur le canapé pour mieux la couver de son regard. Décidemment, même avec un masque, sa splendeur rayonnait pour venir étreindre l'âme de l'homme. Elle suscitait un désir viscéral que jamais le temps ne pourrait assouvir.
Comme pour le faire définitivement perdre pieds, elle vint se lover contre lui et l'embrasser langoureusement. Il fut d'ailleurs étonné qu'elle se révèle si douée en la matière car la soirée précédente lui avait plutôt donnée l'impression d'une femme timide.
— Je crois n'avoir jamais eu de maîtresse aussi belle que toi, avoua-t-il en caressant les lèvres rouges de son pouce.
Elle sourit silencieusement et dégrafa les attaches retenaient les pans de sa robe. Cette fois-ci, elle ne portait ni corset ni autres dessous. Sa taille était si fine, sa peau d'albâtre si douce et ses courbes si harmonieuses. Son partenaire ne put réagir devant une telle perfection. C'était irréel, jamais ses conquêtes n'égalaient ce niveau.
Enfin, il retrouva assez d'esprit pour poser ses mains sur les hanches généreuse de sa compagne. Mais d'un geste, elle balaya cette intention, comme si elle refusait qu'il prenne l'ascendant.
— Ne précipite pas les choses, ordonna-t-elle plus froidement, tu es ici que parce que je l'ai demandé.
Ozanor fronça les sourcils, n'appréciant guère cette remarque. Il n'avait pas de commandement à recevoir, encore moins d'elle. Mais il était déjà trop envouté par cet érotisme qui émanait d'elle pour pouvoir se permettre de la contrarier.
— Remercie le créateur de t'avoir faite ainsi, murmura-t-il en enlevant sa chemise.
Luinil se contenta de hocher la tête candidement. En tout cas, elle appréciait grandement le torse musclé de son compagnon. Une force brute se dégageait de cette massivité, sa peau halée par le soleil dénotait avec une vie de courtisan. Cette rudesse et cet air hostile lui conférait une virilité accompagnée d'un côté sombre. C'était tout ce qu'elle demandait pour un coup d'un soir, pour oublier le précédent.
Une fois qu'il fut débarrassé de ses vêtements, elle passa la main sur ses muscles saillants et exerça une plus forte pression sur ses épaules pour l'allonger.
— Tu apprécieras davantage que je te domine, rétorqua Ozanor.
— Aucun homme ne me domine, mon cher.
— Vraiment ?
Il la saisit brutalement entre ses bras et la fit basculer sous lui. Il en profita pour s'installer entre ses cuisses et se saisir de la poitrine opulente qui s'offrait si délicieusement à lui. Quelques gémissements s'échappèrent malgré elle de ses lèvres pulpeuses avant qu'elle ne se débatte. Pas question de contenter si aisément cet homme, d'être sa proie.
— Ozanor, supplia-t-elle, attends...
— Laisse-moi faire, Lys, lui murmura-t-il à l'oreille, tu apprécieras être prise sauvagement.
Luinil rougit sous son masque, soudain angoissée par l'idée d'une pénétration.
Mais son partenaire s'arrêta soudain.
— C'est normal que tu saignes ?
— Comment ça ?
Elle se redressa pour découvrir les tâches qui étaient soudain apparues au niveau de son sexe. Cette vision la glaça, lui rappelant de très désagréables souvenirs. De son côté, Ozanor tirait une tête effarée :
— Tu... tu menstrues ? Tu n'es pas une astre ?
— Si, bien sûr, je ne comprends pas...
Enervé par tout ce mystère, il arracha violemment le masque de sa congénère :
— Si tu es une elfe ou une humaine, je vais rapidement le savoir.
Luinil poussa un cri aigu avant de se couvrir le visage des mains. Sa coiffure fut défaite par le geste et quelques mèches folles vinrent dévaler sur son visage et ses épaules nues.
Le cœur d'Ozanor s'arrêta. Il ne croyait pas ce que ses yeux lui confirmaient. Ces traits si délicats et séduisants ne pouvaient appartenir qu'à une personne.
— Ma... Majesté ?
Une gêne monstrueuse s'empara du pauvre homme. Depuis tout ce temps, il flirtait avec la Reine Vierge ! Il naviguait en plein délire ! Comment était-ce possible ! Allait-il signer son arrêt de mort ? La souveraine n'était pas réputée pour son sang froid ou sa gentillesse.
Recroquevillée dans un coin du canapé, Luinil se couvrait désormais le corps, accablée par la honte. Oui, maintenant qu'elle avait été découverte, son honneur en pâtissait lourdement. Elle se sentait totalement ridicule et sale.
Mais bientôt, la colère remplaça la première émotion. Elle se leva d'un bon et retrouvant une assurance exigée à son rang, elle foudroya le mercenaire du regard :
— Je t'avais demandé de ne pas toucher à mon masque ! Tu as accepté de me voir sans connaitre mon identité !
Ozanor resta bouche bée, incapable de sortir le moindre mot. La reine se tenait nue devant lui, enragée et prête à en découdre. La chevelure en bataille, le regard dément et les cuisses sanglantes, elle déploya son Vala dans une optique toute définie.
Cela faisait bien longtemps que le tueur à gage, pourtant si habitué à l'adversité, n'avait pas connu une telle sensation de peur. Mais cette image apocalyptique n'était pas dépourvue d'attrait et une brusque étincelle d'excitation lui enflamma le bas-ventre sans qu'il ne puisse le cacher.
— Tu vas regretter ton impertinence, cracha-t-elle en se précipitant sur lui.
Cette fois-ci, il retrouva ses esprits pour l'arrêter :
— Majesté, je...
Il dût lever un bouclier valique pour éviter de finir en combustion complète. La soirée dégénérait complètement et il avait laissé sa rapière dans son fourreau. Face à la souveraine, sa magie ne faisait clairement pas le poids.
— Majesté ! Je ne dirai rien, vous avez ma parole !
Ces mots calmèrent partiellement Luinil qui éteignit son sortilège pour assassiner son compagnon de ses iris de jade.
— Imbécile, murmura-t-elle.
Elle ramassa sa robe et la rattacha sommairement avant de se laisser tomber sur le canapé.
— Rhabille-toi, ordonna-t-elle en se détournant de lui.
Il s'exécuta :
— Dans quoi me suis-je embarqué ? murmura-t-il.
Luinil s'était déjà désintéressée de lui pour se pencher sur ses saignements inattendus. Que pouvait-il bien lui arriver ?
— C'est pour ça que vous êtes vierge ? osa l'astre, c'est parce que vous saignez en permanence ?
Elle plissa froidement les yeux :
— Non. Garde tes questions ridicules pour toi. Ton instinct de survie ne me semble pas très développé.
Ozanor se pinça les lèvres et se rhabilla sommairement :
— Vous êtes enceinte ?
Luinil tourna brusquement la tête à s'en faire craquer les cervicales. Qu'elle était cette question ?
— Que peux-tu savoir de ce genre de choses ? Tu es un homme astre.
Il haussa les épaules :
— J'ai eu l'occasion de traiter ce sujet à de nombreuses reprises...
La reine réfléchit un instant avant de comprendre où il voulait en venir :
— Tu interviens dans les trafics d'esclaves ?
Les battements de cœurs s'accélérèrent dans la poitrine du concernée : il était probablement trop tard pour lui de s'en sortir.
— J'ai mes commerces, Majesté... Et j'ai vécu à Atalantë pendant mes premiers siècles, c'était chose courante là-bas...
Luinil éclata de rire :
— J'en connais un qui vous aurait liquider sans hésiter !
À moitié rassuré, il continua :
— Vous parlez du prince Morgal ? C'est lui qui vous a mis dans cet état.
Les yeux de la reine s'écarquillèrent de haine et elle attrapa la mâchoire de l'homme entre ses doigts pour lui cracher sèchement :
— Regarde-moi bien, petit esclavagiste. Tu as dépassé les bornes. Dis-moi ce qui me retiendras de te condamner alors que j'ai tué mon propre enfant ?
Il blanchit de terreur. Qu'est-ce qu'elle racontait ? La reine avait-elle donc bel et bien subi un abus de la part de l'ambassadeur pour qu'elle en vienne à une telle situation. La raison l'avait d'ailleurs quittée depuis la disparition de l'elfe.
Luinil s'écarta brusquement de sa victime et fit les cent pas dans le salon, les mains agrippées à ses cheveux.
— Qu'est-ce que j'ai fait ? Mon corps ne supporte plus cette sensation de vide. Tout s'est effondré autour de moi, ils m'ont tous quittée. Seule ma folie est restée.
Comme pour accentuer son désespoir, des ricanements retentirent une nouvelle fois dans sa tête, enflant de plus en plus comme les vagues mugissantes d'une marrée infernale.
— Majesté, murmura Ozanor en lui prenant délicatement les épaules, allez vous allonger, je vais appeler Alma. Elle fera venir un mage.
Elle s'arracha à lui, toujours en proie à son délire :
— Non, je ne veux pas d'elle. Elle ne veut que me souiller ! Et toi, comment as-tu osé vouloir me déshonorer ? Je vais t'arracher les yeux et te trancher les mains.
Voyant que la situation dégénérait complètement, l'astre quitta son fauteuil en trombe, pressé de quitter les lieux. Mais il fut vite rattrapé par un violent coup dans la nuque. À moitié sonné, il s'effondra sur le tapis ; sa vision floue parvenait à peine à saisir la silhouette serpentine de la reine. Elle se pencha alors au-dessus de lui, armée d'une longue dague acérée.
Ozanor, astre d'Atalantë et d'Arminassë, ancien Berserk, marchand d'esclaves.
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