Chapitre 1

Au cours des siècles, Arminassë avait su garder cette aura ensorcelante qui la portait au premier rang de capitale des délices et des plaisirs. Depuis son commencement, résonnaient en ses murs les échos d'une joie perpétuelle.

Et pourtant, tel le lourd tribut de cette insouciance, les contagions avaient fini par se propager pour sonner le glas de la fête. Les maladies sévissaient sans pitié, altérant cette image si poétique de ville frivole. Un rideau de velours noir tombait sur le soir d'un jour heureux.

Comme pour écraser d'avantage cette renommée agonisante, la guerre interraciale s'était imposée avec la construction de remparts imprenables. De puissantes balistes menaçaient le ciel sur leurs donjons obscurs et leurs ombres étendaient le deuil dans les rues délaissées.

Les impôts se levèrent. Les révoltes suivirent.

L'instabilité politique se fraya un chemin dans le gouvernement et un sang fratricide coula. Les trahisons comme les exécutions se succédèrent en chaines.

Et en chantre de toute cette déchéance, la Reine Vierge précipitait la chute de son propre royaume.

Les courtisans ne savaient plus comment se comporter. Ces derniers temps, les têtes tombaient, les écartèlements se suivaient les uns après les autres. Une véritable terreur imprégnait la capitale, du plus puissant ministre au plus simple serviteur.

Pour ne rien arranger, la reine avait renversé la monarchie constitutionnelle pour mettre en place une monarchie absolue. Elle dissolut l'assemblée et ne garda que le Conseil. Une fois qu'elle eut la main mise sur le budget du royaume, elle concentra l'argent sur une économie de guerre.

Plus que jamais, elle souhaitait écraser ses ennemis, dût-elle briser son propre trône. Sa soif de vengeance s'était déclarée et elle ne parvenait plus qu'à la calmer dans la terreur de son pouvoir.

Assise à la tribune, elle observait les condamnés se déchirer par les machines rotatives. Un sourire figé étirait ses lèvres écarlates alors que son regard vide ne quittait plus la terrible scène. Elle appuyait le menton sur sa paume comme pour trouver la position adéquate face à ce triste spectacle.

Dans les gradins, la cour retenait une nausée mêlée d'effroi.

Voilà plus de trois mois que leur reine se complaisait dans les bains de sang, plus de trois mois qu'elle avait perdu l'esprit.

Plus de trois mois que le prince Morgal était mort.

Handelë n'en pouvait plus. Le premier conseiller supportait la bipolarité de sa souveraine depuis des semaines et le cas ne faisait qu'empirer.

Ne pouvant plus apercevoir une goutte de sang, il quitta sa maîtresse et regagna le cabinet médical où Kovitch s'affairait comme à son habitude.

Le médecin personnel de la reine travaillait d'arrache-pied pour la guérir et surtout pour déceler la nature du poison. Avec son équipe de mages, il s'attelait sérieusement à la tâche mais malheureusement sans résultat.

— Des nouvelles ? demanda Handelë d'une voix lasse.

Le médecin soupira avant de renvoyer ses subordonnés. Il saisit sa tisane et s'affala dans un fauteuil. À cause des expérimentations, une fumée verdâtre envahissait le cabinet et s'accompagnait d'une étrange odeur de soufre.

— J'ai bien peur que ma réponse soit la même que les jours précédents, souffla-t-il machinalement.

— Excusez mon empressement... Mais vous n'êtes pas sans savoir que sa santé empire.

— Je sais, je sais. Si ça continue, ce sera le gouvernement lui-même qui se soulèvera contre elle. Elle rejoindra le duc Ilvanar derrière les barreaux.

— Luinil rêve de l'exécuter, celui-là.

— Elle est encore assez maligne pour penser qu'il lui sera utile.

— C'est vrai...

— Mais pour en revenir à la santé de notre belle souveraine, je peux affirmer presque avec certitude que ses délires ne se reproduiront plus. Il me semble que le poison ait bien été dissout avec le temps et nos soins.

Le vieil astre rentra nerveusement ses mains sous son scapulaire blanc :

— Mais les conséquences ?

— Je n'en sais rien... Je ne reconnais plus l'aura de notre reine bien-aimée. Ni son comportement excessif, d'ailleurs.

— Elle doit à tout prix recouvrer la raison !

L'impatience et l'exaspération du conseiller fit sourire le médecin :

— Proposez-lui des vacances, ou au moins quelques loisirs pour qu'elles puissent se changer les idées.

Handelë demeura sceptique :

— Elle rêve de partir en guerre. Je doute qu'une chasse ou une dégustation ne soit bien reçue...

— Luinil sait bien qu'elle est incapable de se battre dans cet état. Elle a perdu des forces et son Vala a été violemment atteint. Il lui faudra encore cinq mois avant de retrouver sa santé initiale.

— Cela ne nous laisse guère de temps pour la remettre d'aplomb.

— C'est pour ça que je suis là !

Le vieil astre secoua la tête devant l'optimisme permanent de son interlocuteur. En attendant, la Reine Vierge se complaisait dans les écartèlements et les exécutions de fosse.

Les aratayas n'avaient jamais autant dévoré de sujets en l'espace de si peu de temps. Sans doute tous ces carnages calmaient la haine accablante du nouveau tyran. Comme si reproduire le sort de son agresseur sur d'autres pouvait la conforter et lui faire oublier sa faiblesse.

Cependant, une question persistait dans la tête d'Handelë : pourquoi le prince Morgal n'avait-il pas profité de l'instant pour égorger Luinil ? La plonger dans la folie lui avait-il paru plus judicieux et cruel qu'une mort subite ?

Avec le recul, les conséquences demeuraient sans doute bien plus terribles à présent. Arminassë perdrait de sa crédibilité et les mauvais choix de la reine conduiraient à la chute du royaume.

Handelë soupira : comment pouvait-il regretter la survie de la femme qui lui était la plus chère ? Malheureusement, il peinait à la reconnaitre. Marquée par la perfidie de l'elfe, elle semblait trainer avec elle une terrible malédiction qui la conduisait droit vers un gouffre sans fin.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top