ㅤ📃 CHAPITRE 65

« Encore une signature ici, s'il vous plaît. »

Penché sur une énième feuille au contenu de plus en plus flou, le père de Kris inscrivait son nom dans la hâte, faisait la rature qui lui servait de signature. Un grognement mécontent s'échappa de ses lèvres, tandis qu'il poussait la feuille vers le notaire, se redressait sur sa chaise.

« Bientôt fini ? »

S'il avait pu, il serait parti dès le premier papier. Il n'aurait, en réalité, pas eu besoin de tout ça et aurait réglé toute l'histoire d'un serrage de main direct. Mais on n'était pas chez lui et il aurait dû comprendre bien plus vite qu'on ne traitait pas avec ces gens-là comme ceux de son village.

« C'est tout bon, monsieur. Je vous donne cet exemplaire et nous en aurons fini. »

Il était temps. Tout en attrapant le tas tendu, Vince Lecourt se tourna légèrement vers son fils. L'ingrat, il ne daignait toujours pas le regarder, restait presque collé à... Comment pourrait-il la qualifier ?

L'homme avait très peu de fois rencontré Céleste. Juste suffisamment pour la considérer comme une sale gamine de Sina. Le propos était aujourd'hui quelque peu faible pour traiter cette voleuse d'enfants.

« Vous pouvez y aller, monsieur, j'ai encore à traiter avec les Fosten. »

Bien évidemment, le notaire s'en moquait bien que cette stupide famille lui prenne son fils ; ils avaient dû le payer grassement pour qu'il accepte sans broncher, ne cherche même pas un père ou quoi que ce soit. Pis ça devait bien l'amuser de le voir perdre son dernier enfant et-

Qu'importe.

Il se leva, regarda une dernière fois Kris.

Jusqu'au bout, il ne le regardait pas. Jusqu'au bout, il était une déception.

Lorsque Vince quitta enfin la pièce, l'adolescent détendit enfin ses épaules. Il le savait, rien ne serait arrivé, il y avait Céleste et Cassandre, mais il était resté malgré tout anxieux. Même si ses parents avaient accepté sans vraiment broncher la demande, il avait craint un revirement soudain de situation, une explosion qui aurait aussitôt rebuté les Fosten. Mais non, rien de tel n'était arrivé et tout allait bien pour eux.

Désormais seuls face au notaire, ce dernier sortait une nouvelle pile de documents, commençait à les montrer aux adelphes sans prêter plus d'attention au nouveau membre de la famille.

Comprenant que ça ne le regardait absolument pas mais préférant rester ici au cas où il ne tombe nez à nez face à son père, Kris regarda la scène d'un œil distrait, ne prêta pas réelle attention à ce qu'il se disait.

Lorsque les mots « succession » et « problème » vint à lui, il fronça légèrement ses sourcils, osa jeter un regard vers Céleste ; elle avait les poings serrés sur ses cuisses, fixait les diverses feuilles comme si elle pouvait soudainement les embraser.

Qu'est-ce qu'il se passait ?

Et comme si elle sentait qu'elle était observée, la noiraude se tourna vers lui, détendit aussitôt son visage. Un petit sourire vint orner ses lèvres et un « ne t'en fais pas, tout va bien » fut murmuré. Oh, Kris n'était pas idiot, il ne croyait absolument pas à cette « rassurance » soudaine mais il hocha malgré tout sa tête, laissa les choses se faire.

Si elle voulait lui en parler, elle l'aurait fait depuis longtemps.

Il espérait simplement que la chose ne la pèse pas trop ; l'expédition de reconquête était dans quatre minuscules jours, ce n'était pas le moment de perdre la tête sur des soudaines affaires administratives.

Néanmoins, il était bien content que son « adoption » ait eu lieu maintenant. Céleste avait tout fait pour qu'elle se fasse avant leur grand départ, pour qu'il n'ait plus aucune attache à sa famille avant de partir la fleur au fusil. Lui qui pensait qu'il faudrait faire des pieds et des mains pour convaincre tout ce beau monde, les adelphes Fosten avaient été d'une rapidité effroyable.

Et maintenant, il devait se compter dans les rouages de cette machine.

Kris Fosten.

Ça sonnait étonnement bien, tout aussi que Kris Lecourt à vrai dire.

Mais ça sonnait bien. Il aimait le mouvement que ça procurait dans son cœur. Comme une certaine noblesse qu'on lui avait officiellement offerte. Est-ce qu'il la méritait ? Il n'en savait absolument rien ; mais au moins, elle était aujourd'hui à lui et c'était ça le plus important.

Céleste et Cassandre passèrent une bonne heure à traiter avec leur notaire. Et si Kris ne comprit toujours pas ce qu'il se passait, il voyait bien sur leur visage une tension de plus en plus grandissante. Quoi que ça soit, il valait mieux que ça se règle vite avant qu'ils n'explosent.

Finalement, ils eurent l'air de trouver un arrangement. L'aîné avait sifflé un « ça fera l'affaire le temps de » mais il voyait bien que ça ne ferait pas l'affaire un millénaire. Plutôt le « temps de » rentrer de l'expédition.

Lorsque les documents furent rangés et les mains serrées, Kris su qu'il était l'heure de rentrer. Il salua lui aussi le notaire, le remercia grandement pour sa participation dans l'affaire, s'enfuit avec les adelphes.

Ils sortirent du cabinet en vitesse, se retrouvèrent dans la rue plus vite qu'il ne le fallait ; comme s'ils voulaient soudainement s'enfuir, ils commençaient déjà à se séparer. Mais Cassandre s'arrêta tout de même face à l'adolescent, posa ses deux mains sur ses épaules et le regarda dans le blanc des yeux.

« Félicitations ! Tu es un Fosten, maintenant ! Sois fier de ton nouveau nom, il faut du cran pour le porter !

— J'y compte bien.

— Tu as l'esprit, c'est parfait. »

Presque aussitôt, un sourire rayonnant éclaira le visage de l'adulte, rassura un peu Kris. Lui qui s'était imaginé un homme un peu plus austère, un peu à l'image de sa sœur... Il avait fait fausse route.

Finalement, il le lâcha, pris Céleste dans ses bras, embrassa sa joue. Cette dernière en fit de même, le remercia pour toute son aide une fois encore.

Cassandre fut le premier à partir ; sa voiture l'attendait déjà au bout de la rue et il valait mieux éviter de faire attendre son cocher. Désormais seuls, Kris n'osait se tourner vers la noiraude, inspecter son visage. Mais lorsqu'elle lui prit la main, le guida jusqu'aux écuries où ils avaient installé leurs chevaux, il se détendit.

Malgré tout ce qu'il s'était passé, et pouvait se passer, rien ne pouvait défaire ce qui avait été fait aujourd'hui.

« Heureux ?

— Quoi ?

— Est-ce que tu es heureux ? »

La question de Céleste avait été posée avec le plus profond naturel. Venant de quelqu'un d'autre, il aurait cru à une ironie triste, une moquerie, mais il sentait que ce n'était pas le cas pour elle.

Elle était sincère.

« Oui. Merci infiniment...

— Merci à toi de vouloir être ma famille. »

Kris serra sa main pour toute réponse. Qu'elle sache que c'était réciproque, qu'il était aussi content qu'elle soit sa famille. Qu'il n'échangerait ça pour rien au monde.

« Je pense que tu as dû l'entendre mais Lahssen prendra ta charge s'il se passe quoi que ce soit. Notamment durant l'expédition de reconquête. Rien n'a été officialisé mais il est d'accord, au cas où je disparaisse.

— Tu ne disparaîtras pas.

— C'est ce qu'il m'a dit. Mais nous ne sommes jamais sûrs et je ne veux pas que tu te retrouves sans rien ou personne. Alors tant que je serai seule, c'est-à-dire officiellement célibataire, tu seras aussi relié à lui.

— Et si tu te maries ?

— Alors la décision te reviendra entièrement. Tout comme elle te revient, en réalité, entièrement aujourd'hui.

— Tu veux dire ?

— Si tu ne veux pas vivre avec Lahssen, il y a toujours Cassandre ou même Becca...

— Moi je ne veux que toi. »

Tout en marchant, il posa sa tête sur son épaule, avança en rythme avec elle.

« Et il ne t'arrivera rien. Parce qu'on sera ensemble durant cette expédition, durant toutes les suivantes et parce qu'on sait tous les deux que tu ne peux pas mourir. »

Comment dire non ? Céleste était incapable de le repousser, c'était au-dessus de ses forces.

« Tu as raison, je ne mourrai pas. »

Cette déclaration hanta la noiraude pendant les jours qui restèrent. Plus le « grand moment » approchait, plus elle sentait la fébrilité prendre le quartier général. Et c'était une impression de déjà vu qu'elle détestait ressentir au fond d'elle-même. Car plus les soldats s'agitaient, plus elle avait l'impression de revenir à sa propre opération de reconquête à elle.

Plus les images de Caius et Zeyn s'imposaient à elle à chaque croisement.

Qu'importe qu'elle retrouve du confort auprès des autres, ça ne l'aidait pas à dormir.

Ça ne l'aidait pas à apaiser la boule dans sa gorge, l'angoisse qui montait en elle.

Est-ce qu'elle avait bien fait de prendre la responsabilité de Kris ? Malgré toutes les promesses qu'elle avait faites, elle avait l'horrible impression qu'elle allait s'éteindre bientôt. Que tout allait se conclure dans une explosion soudaine, dans un souffle brûlant qu'elle ne saurait mesurer. Dans un nouvel incendie.

Sa cicatrice lui tirait de plus en plus à mesure que sa tête lui lançait et elle savait, elle le savait, ce n'était clairement pas bon. Car plus elle s'épuisait, moins elle serait performante sur le terrain. Et plus elle risquait de se faire tuer.

Et maintenant qu'elle était à table avec les vétérans, regardait les jeunes se battre autour d'un morceau de viande, elle se demandait s'il ne valait pas mieux qu'elle demande à quelqu'un de l'assommer pour qu'elle puisse dormir correctement au moins ce soir.

Levi serait d'accord pour le faire, tiens, il lui avait déjà fait remarquer la tête affreuse qu'elle avait. Lui avait fait subtilement comprendre qu'il s'inquiétait de son état.

Non, il ne valait mieux pas lui demander ça, il avait déjà l'esprit trop pris par ses propres soucis. Et bien qu'il ne les avait pas directement abordés avec elle, elle ne le faisait elle-même pas, Céleste savait que ça concernait très certainement la venue d'Erwin à l'expédition. Malgré son bras manquant, le Major avait décidé d'y aller malgré tout, de se battre aux côtés des autres soldats.

Et ce qui aurait pu être un acte de pure bravoure était aussi aux yeux de la noiraude un risque qu'il aurait fallu éviter.

« Et les voilà en train de se battre.

— Sérieux, ils sont pas crevés ? »

Les soupirs un peu trop amusés près d'elle attira son attention. En levant sa tête, l'instructrice vit Eren et Jean s'échanger des coups, s'insulter allègrement aussi, et elle ne put que pincer l'arrête de son nez pour toute « réponse ».

« Laissez-les, ils sont comme ça depuis qu'ils se connaissent.

— C'est vrai que tu les as eus comme élèves. Ça ne te dépayse pas trop, au moins.

— Franchement, si ce n'est pas eux, c'étaient d'autres. Enfin, laissez les s'époumoner encore un moment, au moins ils dormiront bien ce soir. »

Qu'ils se fatiguent suffisamment pour ne pense ensuite qu'à s'écrouler dans leur lit, se reposer assez pour être en forme le lendemain...

Lorsqu'elle sentit sur son épaule la main de Becca se poser, elle sursauta, se tourna vers la jeune femme qui la fixait avec un léger sourire.

« Tu viens ? J'ai besoin de prendre l'air. »

Et bien qu'elle n'était aucunement d'humeur à « prendre l'air », Céleste se leva sans poser plus de question, laissa son assiette vide à ceux qui étaient de corvée de nettoyage.

la bonne nouvelle, c'est que céleste est officiellement la daronne de kris ;

la mauvaise nouvelle, c'est que dans deux chapitres, c'est la merde

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