ㅤ📃 CHAPITRE 38

Puisque l'entraînement était proscrit et la balade une mauvaise idée, Céleste passa sa journée dans la fraîcheur du Quartier Général. Assise sur l'une des causeuses disséminées un petit partout, elle écoutait Zeyn parler de ce qu'il voulait, allongé sur ses cuisses. Becca les avait abandonnés depuis un moment, elle avait eu envie de se promener en ville, de voir les alentours. L'aînée du trio étant trop épuisée, elle avait décidé de rester sur place et le blond avait alors choisi de tenir compagnie à la mamie.

Au moins, elle le laissait faire ce qu'il voulait.

D'abord, il avait joué avec ses cheveux, s'était amusé à les tresser un peu maladroitement. Mais ça l'avait amusé de le faire, il disait que ça lui rappelait sa mère lorsqu'elle se coiffait quand il y avait une fête au village. Puis, il avait tenté de lire un livre, s'était vite lassé, commençait à battre des pieds sur le sol. Finalement, il avait fini par s'écrouler sur sa coéquipière, par lui raconter sa vie à la campagne alors qu'elle entamait une nouvelle broderie.

Elle avait souvent entendu l'adolescent parler de son ancien quotidien, des fois où il devait surveiller le bétail, où c'était lui le chargé des soins de son petit-frère, où il n'avait rien à faire de sa journée à part regarder le temps passer lentement.

Parfois, ça lui manquait un petit peu, cette paisibilité. Mais Zeyn avait toujours voulu découvrir le monde, l'extérieur, l'inconnu. Il voulait savoir ce qu'il se cachait au-delà des murs, satisfaire cette soif. Cette fois n'avait pas été la bonne mais il voulait croire que les prochaines finiraient par l'être, qu'il trouverait une réponse à toutes ses questions.

« Toi, tu ne parles jamais de ta maison.

- Parce que ce n'est pas très intéressant, tu sais.

- Comme si mon enfance l'était ! Tu me diras, je suis encore jeune donc je n'ai pas encore eu le temps de vivre beaucoup de choses... »

Céleste regarda le blond, un léger sourire aux lèvres. C'était vrai, qu'est-ce que le soldat avait vécu ? Il n'avait que seize ans, s'était enrôlé dès qu'il avait pu, malgré les réticences de ses parents. C'était d'ailleurs amusant de voir qu'il s'était lié d'amitié avec les deux plus âgées de la promotion, n'était au final pas resté proche des autres de son âge.

« Becca me raconte parfois. Enfin... Quand elle le veut bien.

- Et qu'est-ce qu'elle t'a dit ?

- Que tu ne regrettes pas grand-chose de là-bas, peut-être ton frère. Mais même lui, je ne le connais pas. Toi, tu sais tout de Kris maintenant mais moi... Tu ne me dis rien !

- C'est bas, tu as quitté ton frère avant même qu'il ne sache comment tu t'appelles et tu oses comparer nos situations.

- Peut-être mais je ne sais même pas son nom ! Pourquoi est-ce que tu ne veux jamais parler de lui ? »

La question aussi honnête et innocente soit-elle, transperça le cœur de la noiraude. Elle n'aurait jamais cru, un jour, être incapable de parler de Cassandre. Elle ne l'avait même pas fait avec Levi, avait soigneusement évité le sujet, alors qu'elle n'avait eu aucuns problèmes à mentionner Claude. Pourquoi cette gêne ? La jeune femme pinça ses lèvres, réfléchit quelques secondes qui lui parurent minutes.

Elle faisait confiance à Zeyn, suffisamment pour lui parler de ce pan de sa vie qui s'effaçait malgré elle. Curieusement, elle avait de plus en plus de mal à se souvenir de leurs moments ensemble, de cette enfance tumultueuse et pourtant enveloppée dans du coton.

« Mon frère, Cassandre Fosten, est la personne qui compte le plus dans ma vie. Et même si nous n'avons pas toujours été en accord, lui et moi, nous avons toujours fait en sorte de rester soudés. Ou de nous retrouver. Pendant longtemps, j'ai été en colère contre lui, parce qu'il avait mal agi, mais je n'ai jamais cessé de l'aimer et de le considérer. C'est peut-être aussi pour ça que je suis restée fâchée pendant un moment. La dernière fois que je l'ai vu, je n'avais même pas dix-huit ans... C'était il y a trois ans, le jour de mon entrée aux Brigades d'entraînement. Aujourd'hui, je n'ose même plus parler de lui parce que je ne fais déjà que penser à lui. Tout le temps. Et si ça me ferait immensément plaisir de te le faire rencontrer, je crains que si je le fais, je serai incapable de le laisser après. »

Car n'était-ce pas là son but final ? Rentrer un jour à la maison ? Quand le moment sera venu, quand il aura tout fait pour qu'elle devienne reine de leur demeure familiale, à ses côtés. Pour qu'elle n'ait plus jamais à souffrir de rien.

Céleste ne regrettait aucun de ses choix mais elle savait que tout s'envolerait en fumée au moment même où elle reverrait son aîné.

« Pourquoi tu es partie, alors ?

- Parce que c'était mon rêve. Je voulais vivre une vie libre, loin de chez-moi. Même si ça faisait que je devais souffrir de cette distance. J'ai longtemps hésité mais le destin a fini par choisir pour moi. »

Elle n'avait jamais mentionné l'ancien soldat au blond. Déjà que parler de Cassandre lui faisait bizarre, elle n'osait même pas imaginer commencer à prononcer le nom de Claude. Oh, Zeyn avait peut-être fini par se douter de quelque chose quand des soldats, après leur arrivée au Bataillon, avaient salué la noiraude et lui avaient parlé du défunt. Après tout, il n'était pas difficile de comprendre que les deux étaient de la même fratrie ; qui d'autre qu'une sœur pouvait avoir les mêmes yeux que cet effronté de Claude ?

« Et Becca sait tout ça ?

- Penses-tu, on se connaît depuis que nous sommes enfants. Bien sûr, elle n'est pas au courant de plusieurs choses, tout comme je ne sais pas tout sur elle. Parfois, c'est mieux de ne pas trop fouiller dans le passé des autres.

- Je vois... Mais, ce Levi, du coup, il en sait autant ? Ou plus ?

- Je ne sais pas. Peut-être qu'il est au courant de choses qui ne sont pas parvenues à mon oreille, tout comme ça pourrait être le cas pour moi. Je n'ai pas envie de le savoir ; si on me laisse ignorante, alors je le resterai jusqu'à ce qu'on me dévoile la vérité. Je n'ai pas envie d'être impatiente, ça finira toujours par se retourner contre moi. »

Zeyn était au final heureux que la troisième membre du groupe s'en soit allée en ville. Car, pour une rare fois, il pouvait discuter tranquillement avec Céleste, découvrir un petit peu plus ce qu'il se cachait dans sa tête. Et elle était peut-être trop remplie.

Et certes, il était con, il le savait parfaitement, mais il se doutait bien du tourbillon qui prenait l'esprit de sa mamie. Ce n'était pas qu'elle allait mal, plutôt qu'elle gardait ce qu'elle ressentait au fond de sa poitrine, ne donnait que quelques miettes à des proches.

« Je peux te poser une question ?

-Dis moi tout.

- Si c'est trop indiscret, tu peux me le dire. »

Doucement, le blond se redressa, se mit à la hauteur de son aînée, la fixa quelques secondes. Comment formuler ça ? Il avait peur de la brusquer et ce n'était pas son but.

« Je pense que tu t'en doutes mais j'ai déjà vu des soldats t'aborder pour te présenter des condoléances. Au départ, je n'ai pas trop compris parce que tu ne nous avais jamais dit que tu avais un proche ici ou quoi. Mais j'ai vu à la tête de Becca qu'elle était au courant de quelque chose, que je n'étais juste pas dans la confidence. Il y a un moment, j'ai entendu une conversation entre deux vétérans. Ils parlaient de toi, du fait qu'un autre Fosten avait fini par s'engager. Je n'ai pas voulu m'en mêler, ça ne me regardait pas, mais je demande, du coup...

- Claude. Son nom est Claude. Deuxième de la famille. Il partageait mon rêve de partir ici, il l'a fait en premier quand j'avais quoi... treize ans ? Il est mort l'hiver de mes dix-sept. »

Le calcul fut rapide pour Zeyn qui comprit rapidement ce que Céleste avait voulu dire lorsqu'elle avait mentionné le destin. La noiraude souffla du nez en voyant le visage perdu de son cadet. Il ne méritait peut-être pas autant de révélations d'un coup, surtout pour un jour de repos. Doucement, elle se mit à sourire, avant d'ébouriffer sa grande tête.

« Je suis encore en deuil, tu l'imagines bien. Je ne sais pas si la douleur disparaîtra un jour, je laisse le temps le décider. Parler de Claude, et même de Cassandre, est difficile pour moi, j'espère que tu comprendras que je ne veuille plus les mentionner pour le moment. Tu es intelligent, je sais que tu respecteras ce choix. Merci, malgré tout, d'avoir été une oreille attentive. Et de continuer à me raconter ton enfance, tes vaches et poules. On ne dirait pas mais j'aime t'entendre parler de tout ça.

- C'est vrai ?

- Tu sais, si ça m'agaçait, je te l'aurai dit depuis bien longtemps. Alors ne te tracasse pas et profite. »

Un sourire rayonnant apparu sur les lèvres du blond. Il ne demandait pas plus, peut-être qu'elle lui dise qu'elle le préférait à Becca. Non, ça, c'était impossible. Il se contentait de la deuxième place, alors, n'en déplaise à Levi.

Le garçon décida de se poser cette fois-ci sur l'épaule de Céleste, désireux de regarder sa broderie. Ce n'était rien de compliqué, juste trois pivoines en plusieurs nuances de violet, avec des touches de blanc. Vu la discussion qu'ils avaient eue plus tôt, Zeyn associa sans mal ce travail à la fratrie Fosten. Combien de mouchoirs comme celui-ci avait-elle faits ?

La question brûlait les lèvres de l'adolescent mais il savait qu'il n'obtiendrait aucune réponse.

« Et... Du coup... Tu avais dit que tu avais rencontré Levi il y a des années... C'est grâce à ton frère ?

- Oui. »

Un coup d'œil vers l'adolescent suffit à la noiraude pour comprendre ce qu'il voulait lui demander. Un simple hochement de tête de gauche à droite lui fit comprendre qu'il devait s'arrêter là.

Zeyn n'avait pas encore le droit de poser cette question sérieusement. Ni lui, ni Becca. Céleste voulait garder encore un moment rien que pour elle cette réponse, peut-être toujours.

la relation entre zeyn et céleste est définitivement adorable et rien ne peut m'empêcher de penser ça <33 ;

beaucoup d'informations pour ce chapitre, mais on pardonne aha ;

j'espère que ce chapitre vous a plu ! ; je vous dis à mercredi ;)

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