ㅤ📃 CHAPITRE 22

Céleste pleura longtemps, cette soirée-là.

Bercée par son frère, elle passa un moment à sangloter contre lui, à répéter en boucle qu’elle ne pouvait pas, qu’elle avait besoin de lui. Non, elle n’avait pas la force de se battre.

« Céleste. »

Mais Cassandre n’en démordait pas. Claude le lui avait dit, il ne devait plus se mêler de la vie de la noiraude. Cependant, à cet instant, il savait qu’il devait intervenir.

« Il faut qu’on agisse.
— Et faire quoi ? On n’a pas vraiment le choix, que je sache.
— Si. »

Fuir ? Courir là où on pouvait ? Disparaître du monde ? C’était une proposition alléchante, qui ne manquait pas de les faire rêver. Ils en avaient envie, de tout quitter, de devenir quelqu’un d’autre et de n’exister pour personne sinon eux. 

Mais ils étaient faits de remords, remplis d’une amertume qui ne s’en allait pas. Et puis, à quoi cela servait de partir, au fond, si on pouvait le retrouver, si on ne pouvait tout détruire après. Ils avaient envie d’aspirer à autre chose qu’à une image de couard, qu’à ça.

Après tout, on viendrait les chercher, quoi qu’il arrive, quoi qu’il advienne. Et rien, pas même la forêt, ne pouvait les cacher de ce qui allait leur arriver s’ils venaient à se faire débusquer.

Fallait-il alors rester ici ? Faire semblant que tout allait bien ? Alors, la haine qui grondait dans leur ventre devait se taire ? Le désespoir de se voir devenir ainsi ne devait plus les toucher ? C’était un peu trop, ils le savaient.

« Je ne peux pas le faire, Sandre. Je n’ai pas la force.
— Si, tu l’as. Tu as simplement peur, c’est normal, il le faut. Je resterai avec toi, tu ne m’abandonneras pas.
— Est-ce que j’ai vraiment le choix, au final… »

Elle lui demandait la permission. Avait-elle droit de le quitter, elle aussi ? Lui, au fond, il n’avait pas tant envie de courir dans la nature, de s’évanouir dans le lointain. On l’attendait encore à la maison, on avait encore besoin de lui. Mais elle, si personne d’autre ne l’accompagnait, elle ne devenait qu’une simple perte. Et elle lui épargnerait mille soucis et inquiétudes. 

Une main frottant son dos, Cassandre réfléchissait à vive allure. ils ne méritaient pas cette vie, devaient se battre pour avoir quelque chose d’acceptable.

Et pour cela, elle devait s’en aller. Elle rentrera à la maison quand il en sera devenu le roi. Pour l’instant, elle allait devoir survivre loin du monde qu’elle avait toujours connu. C’était effrayant, grisant, idiot. Ils pouvaient rester là, à se tourner les pouces, mais s’ils le faisaient, jamais elle ne rentrera. Et ils préféraient agir ainsi, se donner encore un semblant de liberté.

« Tu survivras, sans moi ?
— C’est plutôt à toi que je devrai poser cette question. »

Oui, ils allaient s’en sortir, ils le faisaient toujours. C’était ce qu’il fallait. 

La peur tordait toujours le ventre de Céleste. Et si c’était une erreur fatale ? Et si ça lui coûtait définitivement la vie, et si c’était le pire choix possible ? Elle avait envie d’en faire part à son frère mais seuls des hoquets dépassaient ses lèvres. Elle avait trop parlé, devait se reposer.
 
« Écoute moi, Cæl. Dans trois jours, les brigades d’entrainement vont ouvrir leurs inscriptions. Tu as tout ce temps pour faire ton choix, tu as autant le droit de rester ici comme de t’en aller. Je peux t’y accompagner si tu le souhaites, tu peux aussi disparaître dans la nature, c’est toi qui prends ce choix. Sache juste que quoi que tu fasses, je respecterai ta décision, je te soutiendrai et je ferai tout, tout !, pour que tu puisses rentrer définitivement à la maison, être débarrassée de ces histoires de mariage et tout ce qui en découle. »

Est-ce que Céleste allait vraiment prendre une telle décision comme ça, sur un coup de tête ? Cassandre avait beau dire qu’elle pouvait s’en aller, était-ce vraiment quelque chose qu’elle avait le droit de faire ? Et si cela signait leur arrêt de mort à tous les deux ? Ou en tout cas le sien.

Car si la noiraude savait quelque chose, c’était qu’elle ne voulait pas mourir.

« Sandre…
— Je sais. Je l’ai senti aussi.
— Mais s’il m’arrive la même chose…
— Ça n’arrivera pas. »

La certitude dans la voix de Cassandre rassura quelques secondes la demoiselle. Si son frère était aussi sûr de lui, alors ça voulait dire qu’ils avaient une chance, non ? Elle n’en savait trop rien, ne voulait pas se donner trop de faux espoirs. 

Il fallait qu’elle réfléchisse à ce qu’elle devait faire, prenne une décision. Mais Céleste n’était ni courageuse, ni déterminée. La solution de facilité s’offrait toute cuite dans son bec, lui ouvrait ses bras gelés et elle s’y jetait sans réfléchir. C’était beaucoup plus simple, plus sûr.

« Je… Je vais te laisser. Et je te dirai demain, d’accord ? »

Elle ne voulait pas laisser son frère, se retrouver seule. Mais le besoin de se poser quelques minutes, d’hurler en silence toute sa peine lui tordait le ventre. Cassandre la regarda en silence, hocha sa tête rapidement, lui murmura que sa porte restait ouverte pour elle.

Dans les couloirs plongés dans le noir, Céleste repassait en boucle la douleur qui avait explosé entre ses côtes, essuyait en vain les larmes qui ne faisaient que couler. Et si elle arrêta de pleurer en rentrant dans sa chambre, elle sut qu’elle finirait tôt ou tard par s’effondrer une nouvelle fois.

Debout comme une idiote au milieu de la pièce seulement illuminée d’une petite bougie, elle essayait de savoir quoi faire. Le paquet qu’elle avait déballé le matin même, abandonné à son sort sur sa coiffeuse alors qu’il fallait partir avec Cassandre saluer les invités, attira son attention. 

Lorsque Claude lui avait offert ce cadeau, elle était encore trop en colère pour le regarder. Mais elle s’était décidé à l’ouvrir avant leurs retrouvailles, qu’elle le remercie en retard. Finalement, elle aurait dû mettre de côté sa fierté…

D’un pas lent, Céleste se saisit du paquet, enleva les derniers papiers et inspecta l’objet avec attention. Ce n’était qu’une petite boîte, tout ce qui a de plus simple, un peu grande mais sans décorations. En silence, elle souleva le couvercle et un petit sourire s’échappa de ses lèvres mouillées.

La première chose qu’elle vit fut la lettre puis elle remarqua le tissu au fond de la boîte. Avec toute la douceur du monde, elle souleva le mouchoir et vit ses broderies. Elle reconnut aisément l’incapacité de son frère à faire ne serait-ce que des points de croix et sourit de plus belle en voyant ce qu’il avait essayé d’y dessiner. Les trois C mal-entrelacés autour de bois de cerfs à peine compréhensibles émurent la noiraude alors qu’elle comprenait pourquoi il s’était donné tant de mal à faire cet objet.

Il n’y avait pas de tradition, chez les Fosten, qui disait qu'il fallait offrir un mouchoir à un être aimé mais la fratrie avait été friande des récits chevaleresques à l’époque où ils jouaient tous les trois. Et si Céleste était à chaque fois la princesse, Cassandre et Claude devenaient ses héros. En tant que bonne dame, la demoiselle leur offrait toujours un mouchoir blanc, les désignait ses champions. Et si le plus âgé faisait toujours attention à ne pas salir le tissu, le second était bien moins regardant. Alors, lorsqu’il transforma le mouchoir blanc en chiffon brun pour la septième fois, il promit à sa petite sœur de lui offrir un jour, peut-être, de quoi remplacer tout ce qui avait été gâché par sa maladresse.

Et il l’avait fait.

En retard, certes, mais il avait tenu sa promesse.

Tenant fermement ce mouchoir mal brodé dans sa main, Céleste mis plusieurs secondes à ouvrir correctement l’enveloppe que son frère avait glissé dans la boîte. Que racontait-il ? S’excusait-il pour ses erreurs d’enfants, ces sacrifices de tissus ?

« À la dame qui vit dans ces murs, 
Puisse-t-elle brandir ce mouchoir vers son nouveau champion, 
Crier au monde que tous viendront se battre en son nom,
Montrer à tous qu’elle est celle que l’on doit vénérer.

Puisses-tu rappeler aux vilains quelle est ta maison, ton nom,
Qui tu es, qui tu seras toujours.

Quelqu’un de supérieur aux malheureux qui osent te défier.

Je crois, Céleste, que tu devines bien que je suis meilleur en « poésie » qu’en couture. Loin de moi l’idée de te surpasser dans ce domaine, j’ai tout de même essayé de faire le maximum pour que tu comprennes ce que j’ai voulu représenter. Si tu y es parvenue, je t’en remercie et m’excuse à nouveau pour ce piètre dessin. Sinon, il s’agit d’un âne violet, tu le sais très bien.

Un âne très moche mais un âne quand même.

Je sais que je n’ai pas toujours été un grand frère exemplaire. Une personne exemplaire tout court. Je suis bien plus égoïste que vous, je t’ai même volé tes rêves, et je ne peux qu'être totalement désolé d’avoir constamment agi en ne pensant qu’à moi. Pour ma sécurité, pour m’éviter une vie de malheur, j’ai décidé de trahir mes deux meilleurs amis et j’ose espérer qu’un jour, vous accepterez, toi et Cassandre, de me considérer à nouveau comme un frère.

Peut-être que c’est encore le cas mais j’aimerai tant l’entendre, que tu me le dises. Après tout, ce cadeau t’est adressé.

Et ce cadeau n’en est pas qu’un ; il est aussi une main tendue.

Céleste, chère Céleste, rappelle toi que je ne suis pas le seul qui peut être égoïste. Nous savons tous les deux que Cassandre ne quittera jamais la maison, ne serait-ce que pour sa fiancée. Mais qui peut t’empêcher de t’enfuir, toi aussi ? Notre stupide aîné est bien trop robuste pour que notre géniteur le frappe sans se faire mal et il aurait bien trop à perdre s’il venait à quitter cette maison.

Mais qu’en est-il de toi ? Qu’en est-il de ta position ?

Te convient-elle ? Ou as-tu décidé de subir pour que Cassandre ne se sente pas trop seul ? Et si je te disais que moi, je me sens seul, viendrais-tu avec moi te réfugier près de la mort ? Jouerais-tu avec ta vie chaque jour juste pour éviter notre père ?

Aurais-tu oublié tes rêves de liberté, de devenir quelqu’un, d’avoir une importance autre que celle de pouvoir donner la vie un jour ou l’autre ?

Peu importe ta décision, je la respecterai mais sache que si tu décides de me rejoindre, tu seras accueillie par ton ancien champion, peut-être un nouveau, que tu seras aidée et soutenue, que tu seras cachée et sauvée. Pour un instant, plus ou moins court selon ta capacité à survivre.

À la dame qui vit dans ces murs,
Qui devrait s’enfuir un jour,
Sauter du balcon,
Courir dans la forêt.

À celle qui a le choix entre ses doigts, la possibilité de changer de chemin, de le rebrousser, de s’arrêter quelques minutes,

Puisse-t-elle avoir une vie simple et paisible, là où le monde s’écoule lentement et où elle peut encore réclamer ses chevaliers qui accourront pour l’aider, quoi qu’il arrive.

Signé, Claude. »


le coup du cadeau de claude ouvert après sa mort, je ne le regrette pas ; surtout quand on lit la lettre qu'il a écrit ;

même si le choix qu'allait prendre céleste était évident, j'espère que vous avez aimé voir ce qui l'a définitivement convaincue de sauter le pas ;

le prochain chapitre est le dernier de la partie I et je pense que ce sera un beau final pour ce début d'histoire ;

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