Vers le chapitre 8, 6 ou 7

Attention contient une scène érotique, certes pas trop graphique et largement ellipsée, mais attention à vos mirettes ^^
Si jamais vous préférez l'éviter, arrêtez-vous après le dialogue sur "je t'aime" et ne lisez que le dernier paragraphe.

[...]

« À chacun son matcha » nous enveloppe de ses odeurs subtiles. À peine assis, Jérémy vient nous donner la carte. Nous le remercions avant d'indiquer que nous avons déjà choisi. Il s'esclaffe en nous disant qu'il espère toujours que nous changerons de thé. En attendant, il garde une boîte de chaque pour nous, au cas où. Nous rions avec lui et commandons effectivement un thé noir de Ceylan et un thé vert de sencha. Nous sommes des habitués, je me suis habitué à ce lieu, son ambiance, ses particularités qui me déplaisent définitivement et celles que j'apprécie ou fini par aimer, voire rechercher. C'est notre havre de quiétude, à Syrine et moi.

Aujourd'hui, ses cheveux en bataille m'évoquent une forêt d'algues ondulant au gré des courants. Son regard noir est perdu dans le voile de ses pensées et sa bouche affiche une moue rêveuse. Autour de son cou, un pendentif argenté représente une chouette stylisée avec une pierre en forme d'œuf écarlate à la place de son ventre. Elle tape un rythme lent sur la table de son index. Le pull noir ample qu'elle porte semble déborder de partout avec ses manches très longues et son col roulé. Il descend jusqu'à ses cuisses, couvertes par un jean simple bleu marine et me donne l'impression d'un animal qu'il faudrait apprivoiser avant de pouvoir l'enfiler.

« Tu penses quoi de la distinction homme-nature ou homme-animal ?
– Euh, pas grand-chose. J'vois une distinction, mais je saurais pas trop où la mettre.
– Tu savais que certains chimpanzés font des tas de pierre près d'arbres creux ? Parfois ils en prennent une et l'emportent. Parfois ils en lancent une dans le tronc. Ils utilisent aussi des pierres pour ouvrir des noix ou comme pour se défendre. Certains grands singes ont aussi des pierres, branches et autres qu'ils amassent dans un coin, prennent de temps en temps pour les regarder avant de les reposer. Ils montrent aussi un comportement qui s'apparente au deuil. »
Syrine avait dit ça sur un ton tranquille.
« C'est religieux ? Ils sont en train d'évoluer pour devenir comme nous ? »
Elle me regarde enfin, l'air un peu agacée.
« Il vaut mieux prendre des pincettes avec ce genre de sujets, tant qu'on ne peut pas communiquer avec eux. Et surtout, éviter d'appliquer nos critères et cadres sur eux. L'anthropocentrisme, c'est pas terrible. Mais oui, on peut penser à une forme de spiritualité. Ou de jeu. Par contre, l'utilisation d'outils est très stimulante, de même qu'une potentielle conscience de la mort.
– J'avoue !
– Je repose donc ma question, dit-elle avec un air amusé et intéressé.
– Bon. »

Je me creuse la cervelle quelques secondes.
« Déjà, on peut construire plus de choses, commencé-je en désignant le salon de thé.
– Oui, on maîtrise mieux notre environnement. Ce qui n'est pas nécessairement un mieux, soupire-t-elle.
– On a développé des technologies assez avancées.
– Je sais pas si « avancées » est le bon terme, mais je vois ce que tu veux dire. On a de très bons outils.
– Oui, et internet.
– C'est un outil. Principalement utilisé par des bots et pour du porno, mais eh.
– Hem. Sinon, je sais pas, on a le rire ?
– Les grands singes ont quelque chose qui s'apparente à du rire, ainsi que les rats, les dauphins, les chiens.
– Euh...
– Tu n'as pas pensé au langage ?
– Ben je sais pas, on dit toujours que les dauphins peuvent communiquer, et puis les baleines, les éléphants...
– C'est juste. Là encore, il faut faire usage de prudence. Ne possédant pas les clefs de compréhension et d'interprétation du langage des animaux, on ne connaît pas sa complexité et son abstraction. A priori, on est certain que les espèces sociales possèdent un langage au moins rudimentaire pour exprimer le danger, indiquer les sources de nourriture etc. Mais, a priori, nous sommes les seuls à avoir un langage aussi développé et complexe. Pour le moment. Raconter une histoire est peut-être le propre de l'humain, pour l'instant.
– Raconter des histoires ou se dire « je t'aime ».
– Très juste. »

Elle m'illumine de son sourire. Je pose ma main sur la sienne et la caresse doucement. Jérémy nous apporte le thé et nous le dégustons en silence. C'est toujours pas terrible comme boisson, mais on s'y fait. Bien obligé. Derrière la vapeur, nous nous observons en silence, sourire de connivence aux lèvres. Syrine finit par reposer son bol – tac – et se rencogne, un air de contentement sur le visage, paupières à moitié fermées.
« J'aime cet endroit. J'aime y être avec toi. Je t'aime.
– Je t'aime aussi.
– J'ai noté le sous-entendu, s'amuse-t-elle.
– Eh, c'est pas ma faute si le thé, ça a un goût de...
– Chut, ne gâche pas le moment. »
Sa jambe effleure la mienne.
« On rentre ? souffle-t-elle avec un sourire flottant alors qu'on pince agréablement mon ventre de l'intérieur. »

Elle se débarrasse de son sac d'un geste, telle une judoka, pendant que je dépose le mien à côté de la porte. J'ai à peine le temps de me redresser qu'elle me tombe dans les bras, main sur le front, complètement délassée. Son odeur de jasmin couvert de rosée chatouille mes narines, et ses cheveux mon visage.
« Ah, mon chevalier servant, auriez-vous l'obligeaaance de me servir un verre d'eau pendant que j'expulse de la matière organique ?
– Mais avec plaisir – et volupté !
– Vous êtes bien bon ! »
Et, après s'être arquée un peu plus, fluide comme un ruisseau, elle se redresse d'un coup et, dans le même mouvement, ouvre la porte de la salle de bain et y pénètre. J'entends ses vêtements glisser dans la seconde et ne m'attarde pas.

La surface de l'eau vibre légèrement devant les ondes sonores de la musique d'ambiance que j'ai lancée en attendant Syrine. J'aurais bien ouvert une bière, mais elle n'aime pas le goût que ça donne à nos baisers. Je tape donc du pied en attendant la délivrance de la chasse d'eau. Le verrou claque, la porte s'ouvre, l'interrupteur s'enclenche, la porte cogne et Syrine apparaît, légère, aérienne et probablement délestée de quelques centaines de grammes. Et surtout souriante.

Mon ventre est en ébullition, je l'aime trop fort et cet excédent d'amour fait se tendre mes bras qui l'accueillent et l'entourent complètement grâce à leur longueur, boule de poil, matou ronronnant contre ma poitrine, odeur de jasmin et sa bouche sur mon cou, mes mains qui peinent à sentir son corps sous le tissu épais du pull qui me frustre, côte de mailles qui la protège, me la dérobe, me la cache, me la rend désirable et elle glousse contre ma carotide, me mordille, s'amuse de mon désarroi qu'elle ne comprend que trop bien, peut-être même le désire aussi, veut me faire patienter et bouillir, respirer plus fort pour évacuer toute la pression qui s'accumule et me fait trembler : je la veux toujours plus proche, toujours plus intensément, je veux la sentir une partie de moi – elle se dérobe et m'entraîne à sa suite « j'ai envie de danser, on danse ? », devient feu follet, rideau de pluie, liane qui s'enroule autour de moi et puis partenaire enfin alors que nos doigts s'emmêlent et que nos mains se nouent, que nos pieds glissent si proches sans se toucher et que notre regard devient si intense, presque une ligne entre nous, « je t'aime », « je t'aime aussi » et ma gorge se noue, les larmes me viennent tant je suis heureux, « tu pleures ? », « non, ton sourire m'éblouit », et nous dansons parfois en rythme, parfois en s'en fichant tant ce qui compte est l'énergie et pas la précision, l'action et l'intention, pas la structure ou la méthode, et nos souffles s'accélèrent toujours plus alors que le rouge nous monte aux joues et que des larmes glissent sur notre front, j'ai les mains moites (ou elle, qu'importe) et glissantes et je m'en fous : c'est mon corps, c'est son corps, je les aime et qu'importe si mes bras sont trop longs par moments ; le tempo s'alanguit progressivement, jusqu'à s'approcher du rythme qu'elle tapait plus tôt, et avec lui nos corps se rapprochent jusqu'à se s'unir presque (toujours les vêtements qui marquent la frontière avec la suite) et nous nous balançons de gauche à droite de plus en plus imperceptiblement, alors que nos respirations passent de la tempête à la brise, que nos cœurs cessent leur solo de caisse claire pour revenir à un pas nonchalant, puis nous nous figeons pour ne plus qu'onduler lentement, voile ferlée, pour ne plus que balloter, très légèrement, et, enfin, nous stopper.

Silence.

Soupir de contentement et de la joie qui cesse d'être un bloc brut pour se diffuser.
« Tu as envie ? »
Je prends le temps de réfléchir.
« Oui. Mais pas tout de suite.
– Aucun souci, répond Syrine en m'embrassant sur le menton. »
Nous restons enlacés, et c'est bien suffisant. Je n'ai pas encore la tête à aller plus loin. Sa présence toute proche me calme et en même temps m'électrise très lentement. La tête dans ses cheveux, yeux fermés, mon monde se compose de son parfum floral, maintenant accompagné d'une senteur légèrement salée, et du tissu un peu rêche de son pull. Sa chaleur m'enveloppe et c'est comme si j'étais retourné dans ma matrice originelle. Presque comateux. En tout cas, onctueux, délicat, apaisant.

« On s'allonge pour continuer les câlins ? Je commence à avoir mal au dos.
– Oui, faisons comme ça, souris-je. »
Nous nous installons donc en cuillère, moi dans son dos, elle serrant fort mes mains.
« Ton souffle me chatouille la nuque !
– Navré, tu es pourtant à couper le souffle.
– Tss, joue pas au séducteur avec moi, tu sais très bien que ça marche pas, rétorque-t-elle en murmurant.
– Hm hm, la nargué-je, faut bien que je te stimule un peu, ou tu vas t'endormir.
– Et ça te déplairait ?
– Je crois pas, à la réflexion. »
Un temps flou, dilué, s'écoule.

Nos deux respirations sont synchronisées. J'inspire alors qu'elle expire, et vice-versa. Nous créons une boucle de souffle entre nous deux.
« C'est terrible qu'il y ait si peu de mots pour dire « je t'aime », finit-elle par remarquer.
– Oh quand même. Il y a « je t'adore ».
– Trop religieux. »
Je ne peux pas le voir, mais je sais qu'elle a tordu le nez.
« Et « tu me plais » ?
– Trop fade, limité.
– « Je brûle pour vous » ?
– Théâtral.
– « J'ai envie de toi » alors ?
– Trop charnel.
– « Je suis épris de toi » est pas mal !
– C'est bien. Pas mal, oui, pas mal.
– Content de te satisfaire enfin !
– J'apprécie tes efforts.
– Et que penses-tu de « je te chéris » ?
– Hm. Difficile, celui-là. J'aime sa signification, pas le son qu'il fait.
– Et « j'en pince pour toi » ? m'esclaffé-je.
– Trop crabe !
– Tu vas voir si je suis un crabe ! m'exclamé-je en pinçant doucement ses joues.
– À l'aide ! On m'agresse ! »
Et elle roule sur elle-même pour m'échapper. Je me redresse et en lançant des « kak kak kak », essaie d'atteindre son visage, qu'elle protège de ses mains en riant.

Soudain, elle agrippe ma main et la dépose sur sa joue, le regard soudain sérieux. Mon ventre se réveille immédiatement. Ses yeux sont plantés dans les miens. Je caresse doucement sa peau.
« Je veux bien, maintenant.
– Moi aussi. »
Je me penche pour l'embrasser. Sa main libre rejoint ma joue.
« Enlève ton haut. »
De ma main libre, sous ses pupilles enflammées, je défais atrocement lentement les boutons de ma chemise – presque sans galérer. Elle pose sa main sur mon cou, serpente le long de mon torse, concentrée, dessinant des arabesques dont elle seule a la signification. J'ai l'impression qu'elle tatoue son amour. Elle pose le point final de son œuvre sur mon nombril et je finis de retirer ma chemise, que je laisse glisser à côté du lit. Sa main retrouve ma joue et nous nous embrassons encore.

Elle finit par appuyer légèrement et je comprends la demande. Je roule sur le dos et elle s'agenouille sur ma poitrine, les yeux fermés.
« Tu me fais penser aux tableaux sur la paralysie du sommeil. En plus agréable. »
Un sourire étire ses lèvres.
« Veux-tu te réveiller ?
– Oh non. À moins que ce ne soit à tes côtés. »
Elle répond en prenant mes mains et en les posant sur ses hanches. J'expire longuement.

Pendant un instant, elle ne bouge plus. Statue. Et puis elle dodeline de la tête, du tronc, serpent charmé. Mystique. Je sais à quel point elle a du mal à se dévoiler, lui laisse le temps. Lorsqu'elle ouvre les yeux, elle est prête. Elle guide mes mains sur son ventre et les y laisse. Je commence simplement par appuyer doucement, puis entame des cercles de plus en plus étendus, jusqu'à ce que le tissu du fichu pull nous gêne et que, d'un geste simple, elle le retire. Elle n'a pu s'empêcher de refermer les yeux. Je n'explore pas plus son corps.

Ce n'est que lorsque qu'elle prend mes mains pour les poser sur ses seins que je reprends mes caresses, guidée cette fois par sa respiration, visant le crescendo. Sa peau est douce, un peu élastique ; j'ai parfois l'impression qu'elle pourrait fondre et que je découvrirais ses muscles. En les massant doucement des doigts, je pourrais les écarter délicatement, atteindre les os blancs et lisses. Connaître qui elle est en-dessous de tout le reste. Mais je n'ai accès qu'à sa peau, au grain qui m'émeut, à sa gorge qui déglutit, à sa peau diaphane qui dévoile ses veines bleues, à son ventre qui se creuse sous mes doigts, à la rondeur de ses jambes et à l'îlot de ses genoux, à son odeur qui se fait acidulée.

Nus, emmaillotés dans l'odeur de l'autre, nous somnolons, mains liées. Peau contre peau.
« Je t'aime, tu es magnifique, et si... intense. Intelligente. Je t'aime, et ça me fait suffoquer. »
Elle me serre la main à me faire mal.
« Moi aussi, si tu savais. »
Le silence s'envole et plane un instant, se dépose sur mes lèvres et j'ose.
« Tu... ne trouves pas mes bras un peu longs ? »
Elle se retourne, très sérieuse, pour me regarder en face. Je n'en mène pas large. Elle le voit.
« Non.
– Non ?
– Non, tu es très bien comme tu es. Je t'aime comme tu es.
– Ça ne répond pas...
– Si. On s'en fout de la réponse, ce qui compte c'est que tu te sentes bien. Et moi, je t'aime comme ça. Tu peux faire de même.
– Je... Oui, tu as raison. Merci. »
Elle m'embrasse.
« Mais merci à toi. »

[...]

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