Vers le chapitre 6
[...]
« Prends-moi la main. »
Une après-midi ordinaire, à sinuer dans la ville, à zigzaguer entre poteaux et passants, à s'arrêter devant des tags drôles, jolis ou engagés (« nous sommes bordés de brume » en rouge tremblant, « freestyler de l'antique » avec un romain sur skate, « délivrons-nous du mâle » d'un noir sobre). Parfois nos épaules se frôlent, d'autres nos doigts. J'ai essayé de la prendre par la taille, mais nos pas s'accordent mal : grande enjambée, comme si je passais au-dessus de ruisseaux, contre démarche nonchalante, avec une lente déroulée du pied. Je n'ose pas emmêler nos mains. Je ne sais pas si j'en ai envie. Trop peur de m'afficher avec elle. D'être mièvre. Qu'elle remarque la longueur de mes bras. De suer des paumes. Qu'elle retire sa main au bout d'un moment, sans que je sache si elle n'a plus envie, si je l'ai agacée, si elle veut simplement replacer une mèche qui la gêne.
« Prends-moi la main, siffle-t-elle entre ses dents avec un regard noir. »
Comme je tarde à m'exécuter, elle demande :
« Qu'est-ce que t'attends ?
– Rien rien ! réponds-je en prenant précipitamment sa main. Mais pourquoi ? »
Elle attend un peu avant de répondre. Nous tournons à la rue d'après et elle reprend la parole :
« T'as remarqué les gars sur le banc ?
– Euh, non ?
– Évidemment. Ils me mataient.
– Ah.
– T'as pas l'habitude, le même rapport à la rue, mais... Dehors, c'est pas safe. Si j'avais été seule, ils m'auraient sans doute abordée et tout. Tu vois ?
– Je leur aurai pété la gueule et... »
Elle se stoppe net, poings sur les hanches – j'ai encore l'impression de sa main dans la mienne – et me regarde droit dans les yeux.
« Écoute, la violence, ça mènera nulle part. Tu peux pas refaire le portrait de tous les gens chiants. Et puis même si tu le faisais, il se passerait quoi, tu crois ? Ils deviendront pas tout gentil d'un coup.
– Mais...
– Je n'ai pas besoin que tu me protèges. Surtout pas avec tes gros bras. »
Même si la pique n'était probablement qu'une expression, je ne peux m'empêcher de les croiser pour les cacher un peu.
« J'ai juste besoin... Je sais pas. Que tu me comprennes. Que tu me soutiennes. Je me débrouille pour le reste, ok ?
– Je crois, ok.
– Merci. »
Elle se penche vers moi et dépose un baiser sur mes lèvres avant de me sourire.
« Et surtout, te gêne pas pour me tenir plus souvent la main, c'est chouette ! »
[...]
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