Chapitre 3
Chapitre 3 : Rentre-dedans
C'est la rentrée, tout a changé et pourtant je reconnais la situation. Avec les autres première année, nous sommes entassés dans un couloir, près de la porte d'un amphithéâtre. Il y a des grands groupes de gens sociables et prêts à s'entraider, des groupes de quelques connaissances du lycée, des groupes d'une personne face à leur portable et des groupes d'une personne seule face à la foule. Je m'ennuie ferme. Je voudrais rejoindre des gens, aborder quelqu'un, même au hasard, mais je suis paralysé. Pourtant, on se lance tous des regards aguicheurs, entre solitaires : « viens me voir, je vais pas te bouffer, j'te jure chuis sympa ! ». Rien n'y fait, on se contentera d'un sourire mi-désolé, mi-gêné lorsqu'on remarquera qu'on nous regarde avec trop d'insistance.
Et puis mon sauveur arrive. Un grand type aux longs cheveux de jais fonce à grands pas dans la foule, tel un Jésus à la falaise mais tout vêtu de noir, au manteau long et dont les clous ne transpercent pas les poignets mais sortent plutôt de bracelets en cuir. Il penche l'épaule et, d'un mouvement fluide, admirable de précision et de classe – son manteau volette en suivant le geste –, balance son sac au pied du pilier contre lequel je m'appuie ; il l'y rejoint, s'asseyant directement sur le sol poussiéreux.
Il pousse un soupir de contentement avant de lever les yeux au ciel et vers moi.
« Salut !, lance-t-il d'un ton enjoué et sa voix est chaude, envoutante. Moi c'est Matis ! »
J'enlève mes écouteurs et enroule soigneusement le fil en répondant :
« Maxence. »
Après un temps, il penche la tête sur le côté et un sourire amusé courbe ses lèvres, fait pétiller ses yeux bruns.
« T'es laconique, toi !
– Je préfère pas dire de conneries. Ou le moins possible.
– Haha ! On va bien s'entendre, toi et moi !, s'exclame-t-il en se relevant pour me serrer la main. »
Sa poigne est ferme. Il a des cals aux doigts. Il ne semble pas avoir remarqué la taille de mes bras.
« Et du coup, qu'est-ce que tu fais en bio ?
– Chaipas, j'aime bien. Et toi ?
– Ah moi c'est parce que j'aime trifouiller de la chair pas très fraîche ! largue-t-il très fort. »
Et de s'esclaffer devant les regards atterrés ou amusés des personnes alentours.
« Et sinon, ça te dit de venir au bar après la réunion ?
– Ouais, pourquoi pas. »
C'est ainsi que je me fis mon premier ami.
Dans l'amphithéâtre, je me sens une goutte d'eau dans une mare. Au dernier rang, le prof est minuscule. Je me crois au théâtre, face à un long monologue. Des tags couvrent les dossiers des chaises en bois. La plupart des élèves ont un PC et le son des touches fait comme une légère pluie. On nous parle d'avenir, de responsabilités, de taux de réussite, de comportement d'adulte, d'un système de cours complexe et puis ça se finit et soudain deux rivières d'étudiants se forment.
Matis n'a pas pris une note et j'ai gribouillé dans un coin.
Au bar (le grand café de l'université, étonnamment rempli d'étudiants), Matis salue le barman et échange quelques mots avec lui. Beaucoup de miroirs, les murs sont peints en vert avec quelques dorures et fleurs pour varier. Une mezzanine comporte de grandes tables nanties de longs bancs couverts de jeunes adultes pas si responsables, à boire à 10h 30. Nous les rejoignons.
« Salut la compagnie ! projette Matis. »
Les conversations s'arrêtent un instant, canon de « bonjour ! » sur tous les tons, puis reprennent alors que nous trouvons une place.
« C'est le lieu de rendez-vous des étudiants...
– J'avais cru remarquer !
– ... Si tu veux une vie sociale, c'est ici que tu te la feras. »
Et, sans plus d'introduction, il se mêle avec un grand naturel – et un certain sans gêne sans doute donné par l'habitude – à la conversation de ses voisins. Et soudain, je me trouve tout endimanché au milieu de ces inconnus. Ma bière tourne dans mon verre, s'y reflète mon visage déformé, tout en longueur, comme mes bras. Le bout de mes doigts est froid, légèrement humide. Je le frotte sur mon jean rêche, en allant à contre-sens des fibres. Sous la table en bois massif, les nervures alternent avec la douceur des chewing-gums séchés.
« Qu'est-ce que tu tritures ? »
Avant même de me tourner vers la voix curieuse mais un peu accusatrice, je commence à rougir ; lève les yeux en tournant la tête et déjà un sourire gêné éclate mon visage. Je marque un temps d'arrêt pour trouver une réplique.
« Je me demandais combien de chewing-gums au mètre carré je pouvais trouver. »
Elle rit et mes épaules se détendent ; je retrouve ma blancheur habituelle.
Face à moi, une mèche blanche est perdue dans une auréole de cheveux noirs légèrement ondulés ; des yeux tout aussi sombres me transpercent et semblent pénétrer jusque mon cerveau, y voir clair et lire mes faiblesses, mes pulsions, mes envies et ses lèvres écarlates tranchent avec son eyeliner qui soulignent son regard, oh dieux, son regard de néant qui m'emprisonnent et dans lequel je m'oublie et qui soudain devient agacé.
« Ça va, je te dérange pas ?
– Désolé, tu me rappelles quelqu'un. »
Elle hausse un sourcil.
« On a fait mieux comme technique de drague.
– J'ai abandonné l'idée de m'améliorer quand j'ai entendu celle-ci : eh mademoiselle, tes jambes elles sont trop belles, on dirait une sirène !
– C'est désastreux, assène-t-elle. »
Un silence s'installe entre nous. Mes yeux cherchent un repère quelque part et papillonnent.
« Wow, finit-elle par dire, t'as vraiment aucun second degré ?
– Euh si, si, mais qu'avec les gens que je connais.
– Eh ben moi c'est Syrine.
– Ah, Maxence.
– Et je te rappelais qui ?
– Euh, une ex. Enfin pas vraiment. C'est compliqué.
– Oula, tu t'enfonces. Bientôt tu vas me dire qu'on sortait ensemble, c'est ça ?
– Non non ! Ça serait trop dommage parce que j'en ai aucun souvenir.
– Ah donc ça t'intéresserait ?
– Je ne répondrai à cette question que lorsqu'on se connaîtra assez.
– C'est quand même fou qu'on arrive à produire un son cohérent sans y penser et qu'on le comprenne.
– Quoi ?
– Ah oui désolée, je pensais à autre chose.
– À autre chose que moi ? me rengorgé-je.
– N'en fais pas trop non plus, dit-elle très sérieusement. »
Elle semble attendre quelque chose. Je la questionne du regard.
« Tu as jamais réfléchis à comment fonctionne la voix ?
– Oh ! Si, mais anatomiquement. Enfin. Voilà, pas plus.
– Je vois. J'imagine que ça explique tes soucis de communication. »
J'avale ma gorgée de travers et tousse.
« Outch ! Comme tu y vas !
– J'aime dire ce que je pense directement.
– J'entends ça !
– Justement ! Tu l'entends et le comprends, c'est fou, non ? Moi je pense même pas à ce que je vais dire, ma pensée sort toute seule déjà formée par mes cordes vocales. C'est presque magique.
– Hum dit comme ça...
– Tu vois, c'est pour ça que je comprends pas les adeptes de théorie du complot ou de magie : pourquoi chercher loin ce qu'on a sous les yeux ? L'univers est merveilleux.
– Et bientôt tu vas me dire de communier avec Mère Nature ? ironisé-je.
– Roh, exagère pas, fait-elle en roulant des yeux. »
Et d'un simple geste, elle se ferme à moi : elle remonte l'emmanchure de son haut et croise les bras. Ses yeux me passent à travers et se perdent quelque part, loin de nous.
Je passe le reste du temps à essayer de m'intégrer au reste du groupe, avec un succès modéré.
*****
C'est la valse des cours, un ballet ultracontemporain d'étudiants cherchant à rallier leur salle en passant par la case cigarette ou café ; les journées s'enchaînent, et les soirs en bonne compagnie et les soirs seul face à mon assiette de pâtes. Je fais mes travaux de groupe avec Matis, parfois avec d'autres avec qui je me lie de loin. Souvent, nous nous retrouvons le midi à déjeuner avec Syrine. Elle a un côté rêveur, ou une partie d'elle-même a toujours un pas de côté. Parfois, assis sur les marches d'un escalier, nous nous taisons de longues minutes et puis elle me sourit. D'autres fois, elle se lève sans prévenir et part. Elle a un côté évanescent, je suis presque sûre qu'elle s'effriterait entre mes mains.
Un jour elle me dit que nous sommes faits de poussière d'étoile morte il y a des éons, un autre elle me conseille d'apprendre à jouer d'un instrument (« genre du saxophone ») ; un moment elle me demande ce que je pense de l'écologie, l'instant d'après elle se penche pour ramasser un caillou et l'observer. Je suis constamment sur le qui-vive, prêt à sauter d'un sujet à l'autre, à raccrocher les wagons avec un sujet évoqué en passant plus tôt. C'est épuisant, c'est stimulant. Nos conversations prennent la forme d'une étoile : une branche par déviation du sujet principal.
Nous nous promenons souvent au hasard. Si, au départ, je croyais qu'elle savait où elle nous emmenait, je suis un jour tombé des nues :
« On va à gauche ou à droite ? demanda-t-elle.
– Qu'importe, je te suis.
– Je te suis aussi.
– Ah ! Ben euh, qu'importe. »
Nous partîmes à gauche.
J'ai fini par découvrir, petit à petit, qu'en infléchissant ma course, je pouvais infléchir notre itinéraire.
Aujourd'hui, je cherche donc à nouveau le parc de mon enfance obscure. Elle regarde avec intérêt les coulures de la pierre tandis que je caresse la face de la Marie voilée, tâchant de lui reconstituer un visage. Et puis nous marchons, toujours un peu au petit bonheur la chance, toujours un peu en essayant de nous diriger vers quelque part. Évidemment, je ne retrouve pas le parc, alors nous échouons dans un salon de thé.
Au milieu des nappes cirées à carreaux rouges et verts (je déteste leur viscosité), de l'ambiance feutrée (quelques bougies sont allumées, des haut-parleurs diffusent une musique de velours, presque voluptueuse), je me sens particulièrement pas à ma place. Comme un Charlie, je détone de l'image d'ensemble. En plus, je n'aime pas le thé. Syrine ne m'aide pas : en un coup d'œil de connaisseur, elle a analysé la carte et sélectionné un thé, puis s'est rencognée dans son gros fauteuil en cuir.
« Ya pas de bière, chuchoté-je.
– C'est pas marqué « salon de bière ».
– Oui mais bon. On sait jamais.
– Ya des jus de fruits, si besoin.
– Pfff, la honte. »
Sourcil interrogateur.
« Comment ça ?
– Non mais ça fait pas sérieux, quoi. Chuis plus un gamin. Ils ont pas des vraies boissons ? »
Soupir.
« Tu veux que je choisisse à ta place ?
– Nan nan, ça ira. »
Après quelques secondes à me perdre entre le thé vert et le chai :
« Ouais vas-y. »
Respiration amusée, œil pétillant puis très sérieux.
« Je suppose que tu n'as pas trop l'habitude du thé...
– Bien deviné. »
Je m'agite sur ma chaise, je voudrais partir, qu'est-ce que je fiche ici ?
« Donc un thé un peu fort ira mieux. Plutôt acide ou amer ?
– J'en sais rien. »
Ça m'agace, je ne sais pas pourquoi. Quelque chose dans cette situation me frustre.
« On va partir sur amer, vu ton goût pour la bière.
– Comme tu sens. »
En tailleur sur son fauteuil, elle est l'image parfaite du client de ce genre d'endroit. Le contraste entre sa mèche cendrée, ses boucles charbon et ses lèvres écarlates est saisissant. En plus, avec sa robe simple mais juste assez échancrée, elle a une certaine classe et présence. Il suffirait de la prendre en photo, et paf, elle pourrait être utilisée pour de la promo.
Y n'empêche que, la prochaine fois, on ira au bar.
« Avec ça, une pâtisserie comme un crumble ou... hésite-t-elle en levant la tête pour regarder la vitrine, une tartelette au chocolat noir irait bien, si tu as envie.
– Va pour la tartelette.
– Bon, je crois que c'est bon. »
Un coup d'œil au tenant et il s'approche, calepin en main et crayon de papier prêt à griffonner. Il a de grandes lunettes rondes et la voix trop aiguë.
« Vous avez fait votre choix ?
– Tout à fait ! Je prendrai un thé vert sencha et mon ami un thé noir de Ceylan avec une tartelette au chocolat.
– C'est noté. Autre chose ?
– Non merci ! »
Grand sourire.
Enfin elle me regarde.
« Qu'est-ce qui va pas ?
– Rien. Tu prends pas de pâtisserie ?
– J'ai pas les moyens.
– Si tu veux, je t'en paie une.
– Ça ira, merci. »
Silence cette fois embarrassé jusqu'à l'arrivée du serveur, qui dispose théières, bols et tartelette en prodiguant les conseils d'infusion avant de retourner se cacher derrière son comptoir, loin de moi. Il porte un parfum capiteux, sucré.
« Tu sais, on a pas tous la chance d'avoir des parents qui peuvent nous payer nos études.
– Ouais, je sais.
– Ça te pose pas de problème que certains d'entre nous soient obligés, en plus des cours, des devoirs et de la vie sociale, d'avoir un boulot pour survivre ?
– Qu'est-ce que j'y peux ? lancé-je en jetant un coup d'œil à ma montre pour savoir quand retirer la boule à thé.
– Oh toi, pas grand-chose, à part nous prendre en pitié, bien sûr.
– Où tu veux en venir ?
– Pour toi, aller à l'université est normal, tu ne t'es pas posé la question. Pour moi, c'était devoir soudain gérer mon existence seule. Devoir expliquer à ma famille que j'allais pas pouvoir les aider pendant quelques années. Savoir que je ne peux pas vraiment tomber malade ou me rater. Ma situation est pas non plus horrible, mais c'est chaud. Et je sais pas, tu sembles pas saisir ta chance. Tiens, tu sais ce que tu feras après ta licence ?
– Euh non ?
– Voilà. J'espère atteindre un master. Mais vu le temps que ça prendra, je dois économiser. Et après, ben je continuerai mon job jusqu'à trouver un vrai boulot.
– Je vois.
– Non je crois pas. On ira chez moi après avoir bu ce délicieux thé ! »
À ces mots, mon ventre bout un peu. Ne se rendant pas compte de son effet, elle enlève le capuchon de sa théière, le pose retourné sur la table (je viens de remarquer qu'elle est branlante : ne pas remplir mon bol à fond) et y dépose sa boule à thé. Elle se sert et les volutes de vapeur me rappellent mon enfance à regarder ma mère boire son thé (et y tremper plein de trucs pour tester). Je finis par faire de même.
« Si tu veux, je peux payer ta note.
– C'est très galant, mais ça ira.
– T'es sûre ?
– Sinon, je ne serai pas venue ici en premier lieu.
– C'est sensé. »
Le thé est amer, mais pas comme la bière. Le goût reste longtemps en bouche. Il se combine bien avec le chocolat en effet.
« Raconte-moi un souvenir de ton enfance. »
Elle a les yeux fermés, son bol entre les mains, un sourire presque béat.
« Euh, tu as des demandes plus précises ?
– Non, juste un moment qui t'a marqué. »
Et elle attend, comme si le monde avait cessé de tourner. Je me creuse la tête, regarde autour de moi à la recherche de l'inspiration. Par la fenêtre, un érable rouge me donne la clef de mon passé.
« C'était un soir d'automne. On rentrait de la bibliothèque avec mon père et la nuit commençait à tomber. En passant par un parc, on vit que le sol était couvert de feuilles mortes. Il se tourna vers nous et nous dit « ça vous dirait de faire un gros tas de feuilles et de sauter dedans ? » Ni une ni deux, on a commencé à pousser de feuilles au pied, comme pour faire un gros bonhomme de neige. Bientôt, yen a plus eu sur une vingtaine de mètres carré.
« On a fait un tas de quoi... ? Bien un mètre cinquante de haut ? C'était assez cool. Et là, mon père a révélé son plan ! Le tas de feuilles était pile sous une branche d'arbre à à peu près deux mètres. Il nous a proposé de sauter de là. Évidemment, j'étais mort de peur. Ma sœur avait pas trop envie non plus. Alors mon père a grimpé à l'arbre et s'est assis sur la branche. « Si vous sautez bien à plat, vous vous ferez pas mal ! » Et il a sauté, bidou en avant. Ça a fait un gros « pschaf ! » et il s'est relevé, hilare, plus gamin que nous. « T'y vas mon grand ? » qu'il m'a interpellé. Il a bien vu que j'hésitais, que j'étais mort de trouille, alors il a grimpé avec moi. Et m'a poussé dans le vide, aussi. C'était super flippant, mais vraiment fun, au final. »
Je rajuste ma vision sur le présent et sur Syrine, qui n'a pas bougé.
« Euh, tu dors ?
– T'as une grande sœur ?
– Euh, ouais, elle a trois ans de plus que moi. On s'entend... pas très bien.
– Tu m'étonnes... J'aurais bien aimé être ta grande sœur. »
Pourquoi mon cœur se serre ?
« Ah ? Pourquoi ?
– Pour t'inculquer un peu de féminisme, grand nigaud ! »
Et, fait rare, elle m'ébouriffe gentiment en riant.
La barre du Crous m'écrase. Dans ma ville natale, on n'a pas ce genre d'immeubles. Gris, avec des coulées noires, monolithique. Tout en lui hurle « je suis une cage à lapins pas chère ! » Dans la même résidence, de plus petits bâtiments arborent des jaunes fluos, des pourpres oppressants, des verts jeune feuille et des bleus mer fatiguée. Une volée de marches mène à l'entrée – fschhh font les portes automatiques. Un grand hall arbore une sculpture en métal massive, les murs sont couverts d'affiches.
« Par là, c'est le restaurant universitaire. C'est comestible et assez équilibré. J'y vais parfois. Et par là, les ascenseurs. J'ai la flemme d'attendre, alors on va monter à pieds.
– Quel étage ?
– Sixième.
– Ah.
– Me dis pas que ça fait peur à tes gros muscles !
– Non non, j'habite au septième sans ascenseur.
– Eh ben allons-y. »
Je suis fier de réussir à assez bien cacher mon essoufflement. Un couloir trop long absorbe la perspective : il continue jusqu'à une fenêtre, carré lumineux, et semble la dévorer. Nous passons devant maintes portes jusqu'à ce que Syrine s'arrête, sorte une petite clef et l'insère dans une porte en tous points semblables aux autres – d'un gris terne – sauf pour le numéro : 652.
À droite, un lavabo avec un miroir et une trousse de toilette, à gauche : un placard. Au fond, un bureau avec un petit PC et une assiette. Je m'avance tandis qu'elle ferme derrière moi. Au-dessus d'un petit réfrigérateur, une étagère remplie de nourriture couvre une partie du mur de gauche ; un lit, la couette défaite, est placé contre celui de droite. Au bout, un étendage carré est disposé, couvert de vêtements. Une fenêtre en partie occultée par un rideau bleu par endroits déchirés ouvre le mur du fond sur l'extérieur.
« C'est là que je vis et vivrais pour les cinq prochaines années. Ya pire, mais c'est pas fou. Oh et, évidemment, on a pas le droit d'accrocher des posters.
– La vache...
– Comme tu dis.
– Et pour les douches... ?
– Tout commun ; la cuisine et les toilettes aussi. Le loyer est pas cher, mais tu sais pourquoi. »
Je m'assois sur le lit et m'imprègne de l'endroit. Le sol en lino fait sale. Je frotte le mur du bout des doigts et ses aspérités m'agressent.
« Ouais, une fois je me suis râpée dessus, complémente Syrine en s'asseyant à mes côtés.
– Les voisins sont pas trop chiants ? demandé-je en grimaçant après avoir toqué au mur et constaté sa finesse.
– Ça dépend des soirs. Heureusement, ya pas trop de couples. Bon, ya un type qui joue de la clarinette pas loin et un gamer un peu excité – et toxique – en dessous, mais ça va. De toute façon, je rentre souvent trop tard ou trop crevée pour en avoir quelque chose à foutre.
– Si un moment t'en as marre, tu peux passer chez moi, s'tu veux.
– Je suis pas sûre que je dormirai mieux, se moque-t-elle gentiment. »
Elle a l'air épuisée. Ou déprimée. Comme si elle ne se forçait plus à arborer son persona. Elle se frotte les yeux et j'hésite à l'entourer de mes bras.
« Enfin bon, c'est pas tout ça, mais j'ai du boulot. C'était sympa de ta part de me raccompagner chez moi ! »
Toute sourire et mutine à nouveau, comme si j'avais rêvé.
« Je te pousse pas dehors, mais comme tu peux remarquer, l'espace est une denrée rare par ici, et tu en prends un peu trop !
– À plus alors, fais-je en me relevant.
– Ouais, à bientôt ! »
Elle ferme la porte derrière moi. Le verrou claque et, dans le couloir vide, j'ai froid.
*****
Je continuerai bien le handball, mais Matis m'a proposé de le rejoindre pour de la course, et comme je ne connais personne au club, j'ai préféré cette option. Nous nous retrouvons donc sur la piste d'athlétisme du campus. J'ai un peu d'avance et m'échauffe tranquillement en l'attendant. Je me demande comment il viendra. Ça existe, les tenues gothiques de sport ? Il finit par arriver, tout de noir vêtu, forcément, avec un t-shirt de groupe, juste ce qu'il faut de pics et des chaussures à semelle compensée qui semblent vaguement adaptées pour l'activité physique. Pour une fois, ses cheveux sont attachés en une longue queue de cheval. Nous nous serrons la main avec vigueur et un grand sourire.
« Je m'attendais pas à ce que tu viennes en survêt' et sweat, mais j'avoue être impressionné !
– C'est la galère, mais avec des recherches, j'ai trouvé des fringues potables.
– Et je suppose que la nuit, tu portes un pyjama à pics ?
– Non, juste un caleçon avec un seul gros pic.
Je ris et nous nous commençons à nous échauffer. Pour un type qui semble être tout frêle, il s'avère qu'il est sec comme du bois mort et s'en sort plutôt bien niveau cardio. Quand je lui demande pourquoi, il répond simplement « quand tu baises une nuit sur deux, tu finis par te muscler, mine de rien ! »
Aucun mot n'est échangé, mais quand nous nous préparons pour un 100 mètres en sprint, le regard qu'on se lance en dit long. Oui c'est pour le fun et il n'y a pas vraiment de compétition, mais le gagnant aura quand même battu l'autre. Nous donnons le départ et fonçons vers la ligne d'arrivée. Il prend de l'avance au début, mais je finis par le rattraper vers les 75 mètres alors qu'il faiblit pour finalement le dépasser.
« Et merde ! s'exclame-t-il.
– Je n'ai aucun mérite, j'ai beaucoup fait de handball, dis-je humblement alors que mon sourire hurle que j'ai gagné.
– Ouais et moi j'ai pas mal perdu cet été, avec toutes les bières. »
Son air agacé ne rend ma victoire que plus douce.
Plus tard, nous nous reposons au bar.
« Au fait, commence-t-il, tu penses être dispo vendredi pour une soirée ? Yaura pas mal de monde.
– Ouais, ouais j'pense.
– Ce sera chez moi, donc mon lit est réservé, si tu vois ce que je veux dire, dit-il en clignant de l'œil.
– Bien reçu, je compte pas pécho de toute façon.
– Ah bon ?
– Ben ouais, pas envie.
– On dit ça, on dit ça... M'enfin avec tout le choix qu'il y aura, ce serait con de se priver.
– Hm hm.
– Quoi ? T'as une copine ?
– Non !
– Ah ? Tu t'es fait larguer ya pas longtemps ?
– Oui, fin non. C'est compliqué.
– Tu sais mon pote, fit-il en posant sa main sur mon épaule, je connais pas de meilleur remède aux chagrins d'amour qu'une jeune donzelle elle-même éplorée. Elle est un peu fragile, elle pense encore à son ex, toi t'arrives, tu lui rappelles ce qu'elle n'a plus, un peu d'alcool, et paf ! Dans ton lit ! Comme ça, vous vous rendez service en pansant mutuellement vos plaies avec un maximum de salive eheh !
– Chaipas, on verra.
– T'inquiète, laisse-toi porter ! Ça ira ! J'te présenterai Emma, nouvelle célibataire. Tu verras, elle est délicieuse !
– Non, c'est vraiment cool de ta part, mais non. »
Je ne peux m'empêcher de trembler un peu et de resserrer la main autour de mon verre.
En arrivant chez Matis, je dois décrisper ma main à cause du froid et du pack de bières que je porte. À travers la porte, de la musique filtre. Il habite un petit immeuble assez coquet en marge du centre-ville. Je sonne et on m'ouvre quasi aussitôt. Il règne une chaleur mêlée de sueur dans l'appartement, somme toute assez grand. Un long couloir relie l'entrée au salon en passant devant deux chambres et la salle de bain. Le salon, spacieux, occupe la plupart de l'espace et est adjacent à une cuisine où je dépose mon paquetage en prenant soin d'en prendre une pour moi. Je rejoins les invités et lance à la cantonade :
« Bonsoir ! Vous savez où est le décapsuleur ?
– Ici ! me répond Matis en s'approchant, briquet en main et sourire au visage. »
D'un coup sec, il me l'ouvre et en profite pour me glisser « la petite blonde, c'est l'Emma dont je t'ai parlée », assorti d'un clin d'œil et d'un signe de tête dans sa direction. Mon estomac frémit et je le remercie d'un hochement de tête avant d'aller m'asseoir sur une chaise contre un mur.
Trois amies occupent le canapé et discutent entre elles. À leur gauche, un type que j'ai déjà croisé, Félix je crois, tapote sur son téléphone sans lever le regard. Emma est entourée de deux chaises vides et n'a rien à voir avec mon Emma ou Rachel, heureusement ; je me contente de lui sourire poliment en passant. Matis discute avec sa cour, qui picore le saucisson qu'il découpe. Sur le balcon, deux fumeurs échangent mots et nuages. Quelques inconnus forment un groupe près du buffet. La musique est encore assez tranquille et la piste de danse aménagée vide.
Après quelques gorgées, je me décide à partir pour une expédition chips. Je me lève donc et traverse la pièce en tâchant de ne pas avoir l'air d'avoir un balai dans le fondement, avec un succès modéré.
« Aaah ! m'accueille Matis. Voilà notre Maxence ! Du coup, voilà Jérém', Chloé, Phil', Sam', Natacha et Patou ! »
Je les salue en oubliant instantanément leur prénom.
« C'est des potes du lycée, m'explique-t-il en tranchant finement le saucisson. Maxence est dans ma promo, on bosse ensemble. Enfin, on bosse... Il bosse et je profite ahah ! s'exclame-t-il en me tendant la rondelle que j'accepte. Bref, il est cool et pas trop intégré, donc hésitez pas à lui parler ! »
Leur regard me jauge. Je souris, un peu crispé.
« Salut, tenté-je avec en secouant la main. »
Et la conversation reprend. Je parviens à insérer quelques phrases de-ci de-là et bois pour oublier que je m'ennuie.
Après quelques temps, dans un soudain décalage avec le moment présent, prise de conscience ou la tête d'un coup hors de l'eau, je remarque que la musique est plus forte, que je suis suffisamment alcoolisée (mais toujours moins que le type dont les jambes dépassent des WC) pour rejoindre les danseurs et que Syrine est là, à papoter dans un coin. Je louvoie – pour ne pas dire que je tangue – jusqu'à la chaise libre à ses côtés et m'y effondre.
« Salut ! lancé-je très fort. »
Elle se tourne, un peu surprise.
« Ah salut !
– T'es là ?
– Visiblement. Toi aussi, à ce qu'il paraît.
– C'est pas faux. C'est cool de te voir.
– De même, mais c'est moins cool de sentir ton haleine.
– Oh pardon, je m'ennuyais alors j'avais que ça à faire, dis-je en remuant ma canette.
– Je vois.
– Bonsoir ! me lance l'amie de Syrine.
– Ah pardon, bonsoir ! Désolé, je suis un peu pompette !
– Ça s'entend !
– J'vais aller danser un peu, je crois.
– Fais-toi plaisir. »
J'admets avoir un peu forcé le trait sur mon alcoolémie pour m'en sortir sans paraître trop lourd. M'enfin à présent, il faut que je me déhanche, binouze à la main. Et, surprenamment je m'en sors très bien, ce qui achève de me convaincre que je suis bel et bien bourré. Je roule donc jusqu'à la cuisine, esquive tant bien que mal les gens assis par terre formant la contre soirée et me sers un grand verre d'eau que j'avale en prenant soin de renverser en partie sur mon t-shirt pour me rafraîchir. Enfin, ça c'est ce que je dirais si on me fait remarquer la tâche que ça forme.
Je rejoins les autres à même le sol le temps que l'alcool redescende et hoche la tête par moments, perdus dans des pensées abstraites dont je ne garde aucun souvenir. En tout cas, c'était vachement profond et j'ai soudain envie de hurler que je suis heureux. À la place, je renverse la tête en arrière et tente de ralentir les battements de mon cœur. Un léger courant d'air et le son du tissu qui se froisse à mes côtés me font ouvrir l'œil. Qui ose me déranger pendant que je cuve ?
C'est Syrine, un jus de fruit ou un cocktail entre ses doigts fins.
Je gémis « désolé pour tout à l'heure, j'ai été un mufle, hein ?
– Ouais, pas mal.
– Ah merde, j'voulais pas. J'ai bu trop vite, j'aurais dû faire gaffe.
– Non t'inquiète, c'était finalement assez rigolo. Ta danse aussi.
– Aaaaargh ! »
Elle pouffe et mon amour-propre s'en sort à peu près bien.
« C'est pas facile de gérer les soirées où on connait pas grand monde.
– Je confirme. Depuis le début de l'année, j'ai du mal. Trop de gens, partout. On est quoi ? Trois-cents ? J'y arrive pas, moi. Je viens d'un patelin paumé où j'ai eu la même classe pendant deux ans. Les seuls potes que je me suis vraiment faits, c'est Matis et toi.
– Mh.
– Vous êtes cools, mais c'est chaud.
– T'as pas gardé contact avec tes anciens amis ?
– Non, on était pas si proches, je crois.
– Ou alors, c'est toi qui étais pas assez proche d'eux.
– Keuwa ? »
Elle prend le temps de réfléchir à la formulation. Elle ramène ses genoux près de son menton, pose son verre sous ses jambes, qu'elle entoure de ses bras et dit, sans me regarder :
« C'est dur à expliquer. Tu mets une barrière entre toi et les gens. Tu essaies d'être quelqu'un que tu n'es pas. T'as pas l'air de cacher un lourd secret ou autre, hein, mais... »
Et, se tournant vers moi avec un air véritablement préoccupé, elle projette sa lance :
« Pourquoi tu te lâches pas un peu ?
– Parce que j'ai peur.
– Peur de quoi ?
– De... Je sais pas, de me planter, de faire du mal aux gens, de pas être digne de qui je suis et ce qu'on voudrait que je sois, de qui je pourrais être, de qui je voudrais être et...
– Oula du calme !
– J'veux juste être heureux, c'est tout !
– Bon bichette, on va prendre l'air deux minutes, ça va pas du tout, là.
– Oh prendre l'air, c'est rigolo comme expression, prise littéralement.
– Oui oui, aller viens. »
Dehors, l'air frais et pas si pur (cadeau des fumeurs) me fouette le sang et j'ai soudain les idées claires. Je m'ébroue en me tenant fermement à la rambarde glacée, et quand mes yeux arrêtent de surfer sur les vagues que forment les immeubles, je prends quelques secondes pour m'imprégner de la beauté cassante et mélancolique du paysage urbain et de ses quelques lumières allumées, appel à la chaleur humaine. En parlant de chaleur humaine, celle de Syrine tout proche de moi traverse lentement ma chemise et caresse ma peau. Sa peau découverte par son bustier bleue marine a la chair de poule. Un néon rouge semble couper son visage en deux. Elle se tourne vers moi, la moitié droite de son visage baignée de rouge, si proche et mon cerveau, finalement encore noyé dans l'alcool, m'intime l'ordre de me pencher vers elle, ce que je fais avant d'être arrêté par son doigt sur mes lèvres, comme un point d'exclamation.
« Tu penses faire quoi, là ?
– Mhm mhmmhlm !
– Oh pardon ! s'exclame-t-elle en libérant mes lèvres.
– Il me semble que j'allais t'embrasser.
– J'avais cru comprendre.
– J'en déduis que je ne devrais pas réessayer ?
– Exact.
– Flûte.
– Comme tu dis. Tu sais, c'est important de demander l'autorisation pour ce genre de choses.
– Ah. Oh.
– Je te laisse te calmer encore un peu ; si tu penses pouvoir contrôler tes pulsions, tu pourras me retrouver à l'intérieur. Sinon, abstiens-toi. »
Glaciale. Mes ongles grincent contre la peinture de la balustrade tandis que je me maudis.
Après avoir refusé une clope et m'être fait aspergé par la fumée de deux cigarettes, je finis par rentrer. Je serai sage, me promets-je. La musique passe des tubes des années 80 et la piste est remplie de danseurs qui braillent. Dans la pénombre, on dirait une bête énorme qui ondule et se déforme. Matis roule des pelles à Natacha ou Chloé. Syrine est sur le canapé, assise en tailleur, son verre toujours à la main, un peu plus vide. Je la rejoins.
« Désolé.
– Tu l'es souvent, ces temps-ci.
– Je... fais de mon mieux mais je me plante souvent.
– Oui.
– Vraiment, désolé.
– Ma patience a des limites, j'espère que tu ne les atteindras pas.
– J'espère aussi, j't'aime bien.
– C'est ça le problème.
– Quoi ?
– Tu sais pas ce que tu veux. Un jour tu es mon ami, l'autre tu essaies de m'embrasser, puis tu recommences. Faut décider, assumer. C'est ça, être adulte. Tu fais un choix et tu en prends les conséquences. Là, t'es juste un gamin. Un gentil gamin qui démembre des fourmis parce qu'il se rend pas compte de ce qu'il fait. Grandis et on en reparlera.
– Ça fait un peu mal, ce que tu dis.
– Je l'ai fait avec de bonnes intentions.
– Outcheuuuh ! »
Mais son grand sourire amusé me fait sourire aussi. Elle me tapote l'épaule et on est de retour à un endroit plus agréable, plus clair et sain.
Le réveil est douloureux lui aussi. Un pied chatouille mon nez et une migraine pas piquée des hannetons me salue. Je me relève en poussant des « aïe aïe putain aïe » à chaque coup de marteau sur mon front. Le salon figure le radeau de la méduse, avec tous ces gens affalés (parfois ronflants) qui couvre chaque centimètre carré du salon, aux membres souvent superposés. Je navigue dans ce chaos de corps, presque une danse, posant pointe ici, tournant sur moi-même pour caler mon talon, puis trébuche manque d'écraser quelqu'un, marche sur la main d'un autre et finis par arriver dans le couloir. Par une porte entrouverte, j'aperçois deux corps nus vaguement couverts par une couette. J'enfile mes chaussures sans les lacer, galère à trouver mon manteau, fais presque tomber le porte-manteau, l'enfile et sors en claquant la porte par mégarde. Mon portable affiche 11h 30 et je suis explosé. Tout va bien.
La rue a un autre aspect lorsqu'elle est trempée par la pluie (il a plu ?) et qu'on a le cerveau enfumé. Je parcours la ville, me demande si je tomberai par hasard sur le parc, arrive sur une grande avenue, vois la balayeuse qui passe sur les trottoirs et les lave en passant (ceci explique cela). Enfin devant chez moi et la montée d'escaliers s'éternise si bien que je crois être pris dans une anomalie temporelle ou dans une des Twin Towers. Ivre, il se perd dans ses escaliers, titreront les journaux. Et puis les escaliers arrêtent de tourner et je m'effondre presque sur mon palier. Ah ben tiens, je suis arrivé, me dis-je. C'est pas trop tôt. Avec la tête qui tourne, je slalome jusqu'à ma porte quand un éclair violet me passe devant, déverrouille la dernière porte et entre. Évidemment, je me dis que c'est le meilleur moment pour investiguer.
C'est donc armé de ma loupe et de ma pipe figuratives que je toque façon gestapo à la porte de ma voisine. Qui m'ouvre quasi instantanément, ne laissant passer que la moitié de son visage. J'essaie bien de me pencher pour voir l'intérieur, mais il fait trop sombre ou alors son chapeau coupe mon champ de vision.
« Vous voulez ? demande-t-elle en parvenant à le faire sonner comme une exigence.
– Euh, commencé-je, pris de court devant ma démarche pas si maline.
– Oui ? Je n'ai pas votre temps, jeune homme.
– Ah oui !
– Enfin !
– Je m'appelle Maxence, enchanté !
– Verane. C'est tout ?
– Euh non, j'ai, euh, remarqué que cette porte semblait ne donner sur rien, enfin, ya pas de fenêtre, et avant je me disais que ça donnait sur le toit, mais vu que vous semblez y habiter, ben je me posais des questions.
– Vous puez l'alcool, les seules questions que vous devriez vous poser seraient sur votre hygiène de vie. Autre chose ?
– Oui : vous vivez sur le toit ?
– Grands dieux, non. »
Et elle me claque la porte au nez ce qui me rappelle que j'ai un bélier dans le crâne. Je rentre donc chez moi prendre une douche et m'affaler sur mon lit. Ou l'inverse.
*****
« Oh, ya Syrine. C'est pour toi ? demande Matis avec un clin d'œil appuyé.
– Ouep.
– Emma t'a pas plu ?
– C'est pas ça.
– Elle t'a pas suffi alors ?
– J'ai pas osé lui parler.
– Ça t'a pas empêché de faire mouche !
– On est juste amis.
– Ça commence toujours comme ça ! Aller, va, profite, fonce voir ton ''amie'' sur ton gros destrier blanc ! »
J'avance de quelques pas et notre groupe se dissout avant de se recomposer autour de Syrine et moi.
« Hey, m'accueille-t-elle avec un sourire léger et vaporeux comme un nuage.
– Salut ! »
Et nous partons à l'assaut de la ville, armés de nos silences et de nos conversations en arabesque.
Après quelques rues, je nous guide vers la Marie dévoilée. Je m'arrête devant et la fixe pour tenter de faire remonter les souvenirs de la vase. Syrine respecte mon silence.
« Tu avais l'air concentré, commence-t-elle alors que nous partons dans une direction aléatoire.
– Oui, j'essaie de me rappeler le chemin vers un parc pas loin d'ici.
– Avec une esplanade ?
– Oui c'est ça ! »
Mon cœur bat la chamade.
« Je le connais, tu veux qu'on y aille ? »
Je prends le temps de peser ma décision.
« Non. Je ne suis pas prêt, je crois. »
Elle me regarde avec intérêt et hoche la tête avec un air sérieux et appréciateur. C'est comme une caresse sur mon cœur et je me sens plus léger.
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