PROLOGUE
KYLE
Damn. Qu'est-ce que je fous ?
Mes yeux fixent la route droit devant moi à travers la brume qui les obstrue.
J'ai du mal à cogiter, là.
J'agrippe le volant de la voiture de mon oncle comme si ma vie en dépendait. La mâchoire verrouillée, les muscles de mes bras crispés à m'en péter les tendons.
Fuck. Les mots d'Alice au téléphone, tout à l'heure, tournent dans ma tête.
Je ne devrais pas rouler aussi vite. Je ne devrais pas rouler tout court, vu ce que j'ai bu.
Ces mots ou les verres que je me suis enfilés. Je sais pas. Me font mal au crâne.
Ma tête vrille. Mais Alice vient de me raccrocher à la gueule, certainement en entendant Mélanie derrière moi qui gloussait comme une dinde prête pour Thanksgiving, et je dois la rejoindre à tout prix.
Damn Shit. C'est ma dernière chance. C'est notre dernière chance.
Dans deux jours, je prends mon vol pour la Californie. Aller simple. Plus de retour en arrière possible si je n'arrive pas à la retrouver ce soir.
M'excuser. Faire tout ce qu'elle désire. Je ne veux pas la perdre. Je suis prêt à tout.
J'arrive tout près du bar où elle est censée se trouver avec Cara et Axel, tourne à droite, déboule dans une rue sombre. Mon téléphone se met à sonner. Je regarde vite fait qui m'appelle, au cas où ce serait Alice. Et mon coeur s'emballe quand je constate que c'est bien elle. Putain, elle me rappelle ! Sans réfléchir je décroche tout en m'engageant trop rapidement dans une autre ruelle.
Et je la vois.
Là, dans le halo des phares, une silhouette que je reconnaîtrais parmi des milliers. Il est trop tard. J'ai beau freiner, il est trop tard.
Je tire comme un dingue sur le volant, enfonçant mes ongles dans le plastique, mon pied butant sur la pédale de frein déjà enfoncée dans le plancher. Je crie à m'en déchirer la gorge quand la voiture s'immobilise dans une violente secousse.
Le choc.
Je ne peux plus l'empêcher, complètement paniqué, et mes yeux ne clignent pas une seule fois tandis que le véhicule la percute. L'impact n'est pas aussi violent que je ne l'aurais pensé, il est pourtant suffisant pour l'envoyer valser à plusieurs mètres de là. Je reste quelques secondes complètement terrorisé. Je vois son corps frêle, inerte, en plein milieu de la rue. Mon Dieu. Faites que ce soit un cauchemar. Faites que ce ne soit pas quelqu'un. Faites que ce ne soit pas Alice.
Après avoir retrouvé ce que je peux de mon esprit, je sors en vitesse pour courir vers le corps inanimé de celle que j'aime à en crever. Là, devant moi. Putain, qu'est-ce que j'ai fait ! Mon amour.
Je lui ai brisé les os.
Je me baisse, pose mes mains sur ses joues, crie son prénom encore et encore. Affolé je regarde à droite et à gauche, cherchant de l'aide. Quelqu'un pour m'aider, je vous en prie. Je hurle en quémandant, suppliant le néant qui nous entoure. Mais nous sommes seuls, là tous les deux, sa vie ne tenant qu'à un fil écrasée sur le bitume. Je tente de chercher son pouls. Quand je le trouve enfin après quelques secondes insoutenables, j'en éprouve une gratitude sans pareille et respire un bon coup comme si c'était moi qui avait besoin de me sentir vivre. Je hurle de nouveau pour qu'on m'entende, qu'on nous trouve. Mais toujours personne.
Je me décide à retourner en courant vers la voiture, récupère mon portable, tremblant de tous mes membres, et appelle le 15. Quand une voix féminine me répond enfin, on me demande le motif de mon appel :
— Quelqu'un... Quelqu'un s'est fait renverser. Elle est inconsciente. Qu'est-ce que je dois faire ? Venez-vite !
Je bafouille ces quelques mots tout en courant vers Alice.
— Calmez-vous monsieur, et répondez à mes questions. Quelqu'un s'est fait renverser par une voiture, c'est bien ça?
— Oui.
Je repose de nouveau ma main sur elle. La fraîcheur de sa peau me fait flipper encore davantage.
— La victime paraît inconsciente, c'est bien ce que vous me dîtes ?
— Oui ! Oui, dépêchez-vous, je vous en prie...
— Donnez-moi l'adresse du lieu où ça s'est produit.
— Euh... Je ne sais... Attendez...
Je regarde de nouveau dans la rue, et, le téléphone toujours à l'oreille, sprinte au bout de celle-ci pour lire la plaque bleue me donnant l'information qu'on me demande :
— Rue Jomard... Dans le dix-neuvième. A Paris.
Ma voix tremble. Je ne suis pas sûr d'avoir été clair.
— Rue Jomard dans le dix-neuvième arrondissement. C'est bien ça?
— Oui, oui. Please ! faites-vite !
Je cours de nouveau vers Alice.
— J'envoie de suite une équipe de secours. Mais restez en ligne pour l'instant, OK?
Elle me fait patienter. Des minutes interminables où je me rapproche d'Alice, déposant de nouveau mes doigts sur sa peau. J'ai besoin de la sentir, là, puis...
— C'est bon, une équipe est en chemin.
Je remplis mes poumons à fond comme si je revenais enfin à la surface d'une mer déchainée, à deux doigts de me noyer.
— Monsieur, votre nom, numéro de téléphone et adresse.
Je lui donne les infos qu'elle me demande.
— Ecoutez-moi bien Monsieur Myers. Il faut que vous dégagiez le passage pour permettre à l'équipe de secours d'arriver le plus vite possible auprès de la personne en danger. Avez-vous bien compris ?
— Oui, oui, dégager le passage.
— Bon. maintenant je vais vous passer un médecin. Ne quittez surtout pas.
— D'accord.
En attendant, j'aperçois sur le trottoir deux poubelles. J'en fait rouler une en la tirant comme je peux de ma main libre jusqu'à la route pour barrer le passage à d'autres voitures susceptibles de débarquer.
Une voix masculine me reprend au téléphone et me pose des questions par rapport à l'état d'Alice. Si elle est inconsciente. Si je sens son pouls. Ne surtout pas la bouger. Si elle a un traumatisme crânien ça pourrait la tuer. Il finit par me dire lui aussi d'aller dégager le passage pour l'arrivée des secours.
A peine ai-je raccroché que je me précipite vers l'autre poubelle pour la placer devant la voiture de mon oncle. Je me dirige ensuite vers celle-ci, qui est toujours au beau milieu de la rue, pas loin d'Alice, dans l'objectif de la dégager du passage.
L'angoisse me broie les tripes, je ne veux pas laisser Alice, ne serait-ce que quelques minutes, mais je dois faire ce qu'on m'a ordonné. J'ai du mal à la quitter des yeux.
Par chance, il y a une place juste derrière. Je n'ai qu'à reculer de quelques mètres pour m'y garer et permettre au camion des pompiers ou du SAMU d'intervenir.
Une fois mon créneau terminé, j'arrête le moteur et sors en vitesse pour me positionner à l'entrée de la rue, tout en lançant des regard affolés vers Alice. J'ai trop peur qu'une voiture déboule de nouveau.
Je reprends mon téléphone pour appeler Cara. Elle doit être encore dans ce bar, tout près de là. Lorsqu'elle répond, terrifié, je tente de lui expliquer la situation. Qu'elle doit me rejoindre tout de suite rue Jomard.
Après cinq minutes interminables, je la vois rappliquer avec Axel et son pote Hugo.
— What the... bredouille Cara, les yeux affolés. Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Shit Kyle ? Qu'est-ce qu'il s'est passé ?
— Alice !
La voix d'Axel résonne dans la rue comme un cri de détresse. Il semble aussi bouleversé que moi. Les trois nouveaux arrivants courent vers elle, et s'agenouillent à ses côtés. De là où je suis, je leur crie de ne surtout pas la bouger.
— Aidez-moi ! Il faut retirer les poubelles et sécuriser la rue !
Alors Hugo enlève les poubelles du milieu, dont on n'a plus besoin, et se place comme moi, de l'autre côté de la ruelle, pendant qu'Axel et Cara restent auprès d'Alice.
Et l'attente est interminable. C'est là qu'elle gémit.
— Alice ! Alice ! Elle a ouvert les yeux ! Tu m'entends ? crie Axel d'une voix éraillée par son effroi.
Je cours vers elle. Je veux le voir de mes propres yeux.
— Ca va aller honey, stay with us ok* ? tente Cara qui se lève pour aller prendre ma place dans la rue quand j'arrive à ses côtés. [*reste avec nous ok?]
— Alice ! Alice, babe, tu m'entends ? je hurle.
— Mal... est tout ce qui réussit à s'extirper de sa bouche.
Fuck it. Qu'est-ce que j'ai fait... Puis elle recommence à gémir, un geignement qui me lacère le coeur.
— Non ! non, ne la bouge surtout pas ! crié-je encore plus fort alors qu'Axel essaie de l'aider à se positionner autrement. On sait pas... Si elle a un trauma crânien, faut pas la bouger.
— Qu'est-ce qu'ils foutent, les secours ? Ca fait déjà dix minutes !
Axel tremble.
Et puis enfin, une sirène. Enfin ! Les pompiers débarquent. Ils nous expliquent qu'ils sont là pour sécuriser les lieux et apporter les premiers soins. Ils s'affairent autour d'Alice, et moi je n'arrive plus à rien capter.
L'un d'eux nous demande si on a vu ce qu'il s'est passé. Mais je suis incapable de répondre. Incapable de m'avouer, ne serait-ce qu'à moi-même que je viens de briser en morceaux mon amour, qui est là, inerte sur le goudron. Si je le dis, ça deviendra réalité.
Puis le SAMU arrive à son tour. J'entends toujours la voix d'Alice suintant sa douleur, encore et encore. J'ai envie de gerber. Je veux prendre sa place. Je veux prendre sa souffrance.
— On va vous soulager, mademoiselle ! Ca va aller.
On l'installe sur une civière avec précaution, on la perfuse, là, à même le sol. Et au bout de quelques secondes, je n'entends plus ses plaintes. C'est encore pire que quand je les percevais. J'ai tellement peur qu'elle ne se réveille pas. Putain, c'est impossible. Il faut qu'elle se réveille. Que moi je me réveille de ce cauchemar.
Et puis on l'emmène.
Ce sont les pompiers qui nous conduisent à l'hôpital, Axel et moi. Dans la camionnette, nous sommes silencieux. Il n'y a plus rien à dire, juste à prier. N'importe quel Dieu pourvu qu'il entende. Tous s'il le faut.
Mon téléphone vibre dans ma poche. Je l'en extirpe et remarque plusieurs appels en absence d'un numéro inconnu. J'écoute le message qu'on m'a laissé. Les flics sont sur le lieu de l'accident et voudraient avoir mon témoignage. Qu'est-ce que je vais leur dire, putain ?
L'angoisse s'infiltre en moi comme une poche de liquide en intraveineuse, et mon sang, empoisonné par la panique, circule, s'insinue dans la moindre parcelle de ma chair.
Et là, sur le trajet qui nous mène à mes espoirs, à mon amour, je me fais le serment que si on me donne ce que je désire le plus au monde à cet instant, si Alice s'en sort, je promets de me dévouer à elle. Corps et âme.
Si je dois mentir pour ça, je le ferai.
Ce n'est pas la culpabilité qui parle. Même si j'avais été à la place d'Axel, si je n'avais été qu'un simple témoin du désastre échoué à mes pieds, j'aurais fait exactement le même voeu.
Parce que je peux vivre avec ma culpabilité. Mais je crèverai avec Alice si elle ne s'en sort pas.
*****
Voilà ! Vous en savez un peu plus sur le jour où tout a basculé... Et dans la tête de Kyle en plus ! Qu'en dites-vous ? J'ai peur 😁...
En tout cas, je suis trop contente de vous retrouver !!!
Bon été, bisous ensoleillés ❤
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