Chapitre 7
KYLE
J'ouvre la porte de l'immeuble et l'aperçois. Fuck, j'avais oublié à quel point elle était belle. Nos regards ont à peine le temps de se croiser qu'elle esquisse déjà un mouvement de recul.
— Attends, je l'implore presque.
Elle marque une pause sur le trottoir, dos à moi, comme si se retourner lui paraissait presque impossible. À mon grand soulagement, elle le fait pourtant, plantant ses yeux mordorés sur moi. Elle tient la sangle de son gros sac à main accrochée à son épaule comme si c'était une bouée de sauvetage et qu'elle se trouvait au milieu de récifs dangereux infestés de requins. Ses cheveux, que je remarque plus courts, plus sombres peut-être aussi, tombent sur ses épaules et cachent en partie son visage. Son jean lui moule juste comme il faut les jambes et les hanches et elle porte une veste beaucoup trop légère pour un mois de février ici. J'espère qu'elle n'a pas froid. Moi si. Elle ne tremble pas en tout cas.
Je me délecte du peu qu'elle accepte de m'offrir. C'est déjà tellement plus que ce à quoi je devrais avoir droit. Ses yeux, dont l'un que j'entrevois à peine entre les mèches de ses cheveux, brillent d'une pulsion que je lui connais. La rage de vivre ? De rebondir ?
J'expire l'air qui s'était figé dans mes poumons sans même que je m'en rende compte. Pour autant, les mots, eux, se bloquent dans ma gorge. Shit, quel abruti ! Je me sens incapable d'aligner deux mots.
Damn, j'ai imaginé tant de fois la revoir. Par hasard, dans quelques années, dans les rues de Paris alors que je serais venu rendre visite à ma famille, ou tandis que sur un coup de tête je prenais l'avion pour aller à sa rencontre et lui parler. Mais je ne pensais pas que ce serait là, aujourd'hui, maintenant, ici, sur le pas d'une porte. C'est trop tôt pour qu'elle accepte ce que j'ai à lui dire, qu'elle accueille mes paroles. Elle concède déjà à rester là, devant moi, et c'est énorme. Inconcevable.
Peut-être qu'elle cherche juste à se confronter à son pire cauchemar. Voir si elle en est capable. À cette pensée mes épaules frémissent, puis s'affaissent lamentablement. Je détourne le regard, observant le manège des voitures sur le rond-point de la Nation. Elles speedent avec agressivité, laissant transparaître toute la frustration et l'empressement de leurs conducteurs. Moi aussi je suis frustré, damn shit. Mais je prends mon courage à deux mains, regarde de nouveau vers la femme que j'aime comme un damné, pour lui demander simplement :
— Est-ce que... Tu vas bien ?
Elle détourne aussitôt les yeux pour les perdre vaguement sur le goudron du trottoir. Elle hausse les épaules, et un instant je crois bien que ce sera tout ce que j'obtiendrais, jusqu'à ce que j'entende le son de sa voix, un "ça va" aussi murmuré qu'un chatouillement, que je perçois pourtant dans le bordel de la ville.
Et après ? Qu'est-ce que je dois faire ? Qu'est-ce que je dois lui dire ? Je suis désolé d'avoir bousillé ta vie ? C'est peut-être trop tôt.
— Tu seras là demain ? tenté-je plutôt.
Question débile. Elle n'assistera certainement pas au procès de son bourreau. Elle a retiré sa plainte, ce n'est pas pour rien. À quoi bon remuer le couteau dans la plaie ?
Pour seule réponse, j'ai cette fois un simple mouvement de tête négatif et un regard qui s'évade vers la ville.
— Je... Je suis vraiment content si ça va pour toi, préféré-je esquiver son silence. Cara m'a donné quelques nouvelles... Il paraît que t'as changé d'études... Ta coupe de cheveux, ça te va bien.
Mon bras esquisse un mouvement instinctif vers elle, comme si mes doigts brûlaient de se faufiler dans ses mèches plus courtes. Mais j'enfonce aussitôt ma main dans la poche de mon sweat. Je n'en ai pas le droit.
— Merci. Je... je vais y aller, bredouille-t-elle.
Elle regarde la ville comme si celle-ci l'appelait, comme si son corps était aimanté à tout ce qui se trouvait le plus loin possible de ma personne. Je prends alors le temps de l'observer, et ne peux m'empêcher de remarquer, malgré ses couches de vêtements, que sa silhouette a légèrement changé. Elle a pris des hanches, et des épaules, je crois. Son corps ne suit plus les règles que lui imposait la course de haut niveau. Ça lui va bien aussi.
— D'accord... je lui dis. Au fait, Martin m'a demandé de te dire que c'est un combat sanglant.
Je vois qu'elle fronce les sourcils, et moi-même ne comprends absolument pas le message de mon ancien colocataire. Qu'est-ce qui est un combat sanglant ? Nous ?
Et puis je vois ses traits s'illuminer et elle part dans un fou-rire. Ça me torpille le cœur de la voir comme ça. Le visage inondé par son rire. Elle est si belle que ça me cisaille le bide de ne pas avoir le droit de lui dire.
C'est cette image lumineuse que je devrais garder en mémoire lorsque je pense à elle. Elle essuie ses yeux. J'espère que ce n'est qu'à cause du fou-rire. Qu'est-ce que Martin a encore inventé ? C'est quoi ? Une private joke entre eux ?
Elle me regarde, et, s'apercevant que je suis comme un con, totalement dérouté par son attitude elle me demande :
— Comment appelle-t-on des gars dépourvus de testicules qui se battent ? Un combat sans glands.
Elle détourne les yeux vers ses chaussures, les mains enfoncées dans les poches de sa veste, et ne peut s'empêcher de sourire avec une moue à croquer. Ce qui me fait réagir de la même façon.
— Martin, quoi, glousse-t-elle.
Ouais, Martin, quoi. Je lui en dois une. C'est grâce à lui que j'ai pu voir le visage d'Alice autrement que fermé, comme il l'est de nouveau, là, devant moi.
— Tu... Tu reçois mes mails ?
Cette phrase, sortie toute seule de ma gueule, a au moins le mérite de la ramener à moi encore un peu. Ses yeux expriment tant de choses. Je ne dirais pas que j'arrive à lire ce qui y passe, mais je vois qu'elle est traversée par un bouillonnement d'émotions. De la colère ? De l'étonnement ? Fuck it, je n'aurais jamais dû poser cette question. Et si elle me demandait d'arrêter ? C'est la seule chose qui me lie encore à elle. Si elle m'enlevait ce dernier espoir ?
— Tu ne m'en a pas envoyé cette semaine.
Elle s'empresse de rajouter en me regardant droit dans les yeux.
— Je ne les lis pas.
Je cligne plusieurs fois les miens sans trop savoir quoi répondre. Elle a remarqué que je ne lui ai rien envoyé ; elle y fait attention.
— Je suis désolé, comme j'étais en France cette semaine, je... enfin... J'ai préféré ne pas te rappeler le procès.
Elle replace une mèche de cheveux derrière son oreille avant de hocher la tête pensivement, et me dire à nouveau :
— Bon, j'y vais. Tu peux dire à Cara qu'on reporte notre session piscine à demain ? Je l'appellerai.
Elle s'éloigne de quelques pas, mais à ma grande surprise, elle me jette un dernier regard par dessus son épaule.
— Bon courage pour demain... Pour le procès.
Je la contemple un moment, abasourdi par ce qui vient de se passer. Je pensais qu'elle m'aurait craché à la gueule et j'aurais accueilli cette réaction avec bénédiction par rapport à son indifférence. Au lieu de ça, j'ai même droit à un "bon courage".
— Merci.
J'esquisse un petit sourire, pas trop grand histoire de ne pas l'effrayer. De toute manière elle est déjà loin. Elle part pour de bon cette fois, et mon palpitant fait des siennes. Je la regarde s'éloigner et remarque sa démarche légèrement bancale. Rien à voir avec la dernière fois que je l'ai vue, il y a plus de six mois, of course. Ça se voit à peine. Mais moi je la connais par cœur... Elle boite encore. À cause de moi.
Demain, je vais enfin payer pour ce que je lui ai fait. Et après ? Et après je ne sais pas comment je vais gérer. Est-ce qu'elle m'en voudra encore plus si je tombe sur un juge trop clément ? Et si je vais en prison ? Elle en sera peut-être soulagée...
Je l'ai revue, damn shit, je l'ai revue. Mais c'est déjà terminé. C'était peut-être aujourd'hui, cette dernière fois que j'ai imaginé à tant de reprises.
Je reste là, comme un con, sur le pas de cette porte, à me laisser happer par le vacarme ambiant de la ville et le froid qui me lacère la peau, ses griffes aussi coupantes que celles de Freddy. Au bout d'un moment où je sens mon cerveau reprendre un semblant de raison, je me décide enfin à retourner chez mes anciens colocataires. Je monte sans me presser par la cage d'escaliers qui me paraît moins sombre que mon esprit.
Lorsque j'ouvre la porte, je vois les corps de mes amis se figer, leur tronche aussi crispée que celle d'une vieille surliftée. Je retire mes pompes tout en expliquant à Cara :
— Alice reporte votre session de nage à demain.
L'anglaise soupire et porte de nouveau toute son attention vers moi en me suivant à la trace comme un clébard.
— Et ? Comment ça s'est passé ? T'es resté un petit moment en bas...
— Je sais pas trop... éludé-je en me frottant le front, les yeux dans le vague. Plutôt pas trop mal je crois...
— Joder, heureusement qu'elle s'est pas pointée une heure plus tard... embraye Martin.
Je me pince l'arête du nez, tout à coup pris d'un mal de crâne à m'en faire péter les neurones.
— Ouais... Ça aurait été le fiasco total.
— Alice ? Yeah, Honey, I'm so sorry for...
Je vois Cara agrippée à son téléphone et se diriger vers sa chambre pour en claquer la porte derrière elle. Quand elle en ressort, je crois comprendre que ce n'est plus à ma victime qu'elle s'adresse.
— Hmm... So... A tout de suite babe.
Okay, génial. On dirait bien que je vais me retrouver en face de son mec plut tôt que prévu. Celui qui voulait serrer ma meuf, et qui se tape maintenant ma meilleure amie. Celui qui habite avec Alice, et qui va certainement vouloir m'en coller une dès qu'il va se pointer ici. Ça promet...
Et c'est donc super enthousiaste que je vois débarquer Hugo une demi-heure plus tard, alors qu'on glandait sur le canapé avec mes potes. À son entrée dans l'appart', c'est Martin qui l'accueille. Je me lève super gêné, et finit par croiser son regard sombre. Tiens, bizarrement il n'est pas aussi hostile que je m'y attendais. Il me tend même la main, le con. Je la lui serre, tandis qu'il me balance tranquille :
— Salut, tu vas bien ?
— Euh, ouais merci.
Je me frotte la nuque, super emmerdé par la situation, quand Cara me sauve la mise en me passant devant comme une putain de furie. Elle se jette au cou du nouveau venu.
— Hey, tu as fait vite...
Fuck, je l'ai jamais entendue aussi mielleuse. Le gars enlève ses Nike comme s'il était chez lui.
— Tu veux un café ? J'ai fait des cookies comme tu les aimes.
Wow ! Je rêve ou quoi, là ?
La meuf bouledogue et sûre d'elle au tempérament trempé dans une potion au piment rouge que je connais s'est volatilisée sous mes yeux. Soit Hugo a traîné avec David Copperfield pendant un moment, soit Cara en pince sacrément pour lui. Je lève un sourcil ahuri, souris malgré moi, et secoue la tête de dépit avant de suivre Martin et me diriger vers sa chambre. Pas envie d'être témoin des mièvreries dégoulinantes de ma pote. Je préfère encore aider l'espagnol à monter son meuble.
Je m'adosse au chambranle de sa chambre. Ça me fait marrer à tous les coups. Le gars aurait dû naître dix ans plus tôt : avec ses posters de Star Wars et Friends, on croirait une chambre d'ado des années 90.
— Hey man, t'as besoin d'un coup de main ? lui demandé-je les bras croisés sur mon torse, en regardant le bordel de planches et de vils sur le parquet.
— T'es pas plus doué que moi, mais au moins tu me feras la conversation, balance-t-il en se grattant les cheveux, le regard perdu sur son casse-tête grandeur nature.
Mouais... Quand même... Avec ses deux pieds gauches à la place des paluches, à bien y réfléchir, je suis pas à son niveau de balourdise. On se prend la tête sur son armoire pendant un bon moment lorsque la sonnerie de la porte d'entrée retentit. Quelques minutes plus tard, Cara montre sa tête dans la piaule.
— C'est pour toi, Kyle.
Je regarde ma montre en fronçant les sourcils.
— Déjà ? Pour une fois, elle est pas trop à la bourre.
J'abandonne Martin au milieu de son meuble à moitié monté pour me diriger dans le couloir, et aperçois la brune qui m'avait promis de passer, une bouteille à la main, un paquet de Carambar dans l'autre.
— Salut, désolée, tu te rappelles ? Mon deuxième prénom, c'est Late* ? glousse-t-elle avec une moue faussement contrite [*en retard].
— Original dis-moi. Mais ouais, ça me revient maintenant. Je devrais penser à t'appeler comme ça, c'est vachement plus sexy que Morgane, la raillé-je. Quoique t'as fait des progrès, ajouté-je en levant ma montre vers elle.
Elle lève le paquet de bonbons qu'on ne trouve pas ailleurs qu'ici et dont je raffole.
— Je t'ai apporté ça pour me faire pardonner.
— Mes préférés ! T'assures. Et puis ça relèvera le level des blagues de Martin. C'est vraiment sympa d'être venue...
— Bah c'est normal, répond-elle en haussant les épaules.
Elle pose une main sur mon épaule.
— Ce soir, on oublie le reste, okay ? propose-t-elle d'une voix enjouée.
Si c'était aussi simple...
*****
Ouh je suis méchante de vous laisser comme ça XD
Déjà, un super sorry pour le retard : en fait ce sera plus pratique pour moi de publier en semaine. J'espère que ça ne vous embête pas trop ? Comme je n'ai pas assez d'avance pour vous balancer un chapitre plus tôt que prévu, je décale en douceur 😅. Donc la semaine prochaine, je vous poste la suite lundi 😉
Alors cette première rencontre Kylice du tome 2 ? Déçues ? happy ? frustrées ? Je sais que certaines espéraient un bisou, d'autres pensaient à une explosion ou une fuite d'Alice. Mais ces quelques mois de recul ont un peu apaisé les ardeurs, et vu que c'est une rencontre soudaine, elle est un peu prise au dépourvu...
Et l'invité surprise de la fin ? Oups... Peut-être mieux vaut qu'elle reparte direct si elle ne veut pas se prendre un lancer de tomates 😅Enfin... Attendons de voir ce qu'elle fait là, hein...
Pour la musique, vous connaissez Racoon Racoon ? C'est trop beau, et eux aussi sont trop mignons 😍Oui, je suis très pop folk indé en ce moment, je n'écoute presque que ça, j'ai besoin de douceur, on dirait 😋
Sur ce, je vous dis à la semaine prochaine 😊
Bisouilles et prenez bien soin de vous ❤
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