Chapitre 25
KYLE
Fuck it, je ne capte plus rien. Alice... Elle m'en met plein la gueule alors que c'est elle qui m'a demandé explicitement de passer à autre chose. Et putain, j'essaie. J'essaie de toutes mes forces, et voilà qu'elle se fout en rogne. Ses mots me tranchent les artères, me lacèrent les tripes, m'explosent le cœur. Elle détale vers l'arrêt de bus, et je vois ses mains trembler. Sa colère est bien plus forte que ce que je ne pouvais imaginer.
Comment je dois prendre ça ? Qu'est-ce qu'elle cherche ? Elle veut me faire croire qu'elle ne peut pas me blairer après un coup pareil ? Si elle veut que je sacrifie ma vie par amour pour elle, c'est niette ; comportement égoïste qui me fout la rage. Oui, j'essaie de refaire ma vie, et j'en ai le droit.
Je la regarde traverser la route pour aller vers la station de bus, et me barre sans me retourner. J'en ai ras le bol d'être perdu au milieu de ce bordel. Je l'aime. Putain, ouais, je l'aime. Mais je ne peux pas faire plus.
Je retrouve Savannah devant la cafétéria, qui m'attend, seule. Les autres doivent être déjà partis pour leur entraînement. Ma petite amie fait une drôle de tête. J'imagine que mon petit sprint improvisé ne l'a pas vraiment impressionnée.
— C'était quoi, ça ? demande-t-elle les poings sur les hanches.
Damn, c'est partie pour une crise en mode casse couille.
— Hein, de quoi ? je feins d'être plus con que ce que je suis.
— Tu te lèves d'un coup, et tu pars comme un fou sans explication... Qu'est-ce qui t'es arrivé ?
— Rien, dis-je en me passant une main sur le visage. J'avais oublié mon bouquin en cours de traduction.
Pitoyable. Elle observe mes mains vides.
— Et il est où, ton bouquin ?
Il semblerait que Madame la Détective ne veuille pas me lâcher.
— Euh... Il était plus là, j'ai dû le laisser ailleurs.
Elle fronce les sourcils et essaie de me passer au crible de ses yeux sombres.
— Qu'est-ce qui t'arrive ? se radoucit-elle en m'enlaçant. T'as l'air énervé. J'ai fait un truc...
Je soupire. Elle ne peut pas prendre pour Alice.
— Mais non, c'est pas toi. C'est rien. Bon, j'ai cours, là. On se voit ce soir ?
Elle ne cesse de me lorgner, histoire d'être certaine que je suis sincère et ne tente pas de l'esquiver. Si elle savait...
— OK, tu me rejoins chez moi. On a des choses à rattraper...
— Ouais, c'est clair, je réponds en l'embrassant. A plus tard.
— Sois à l'heure, le décalage horaire me tape déjà sur la tête.
Savannah est rentrée hier soir de son voyage en Europe, où elle a fait son stage de deux mois. Je suis allé la chercher à l'aéroport juste après avoir dépanné Alice, que j'aurais peut-être dû laisser dans le noir au final... C'est cet épisode qui m'a retourné le crâne. Je vois bien que les choses ont changé entre nous. On est passé du néant à une amitié naissante. Petit à petit, je sens qu'elle fait un pas de plus vers moi. Que ce soit au Legend, quand j'ai dû jouer le traducteur avec ce pochetron de Chase. Ou hier soir... Elle voulait que je reste. Elle a été déçue que je parte, je l'ai bien vu. Pour moi, ce rapprochement était juste histoire de rendre la situation plus sereine, d'essayer de pardonner autrement. Pourtant, je ne peux m'empêcher de me demander s'il n'y a pas plus que ça.
Après l'avoir laissée, hier soir, en me rendant à l'aéroport, je me suis senti mal. Comme si ce que je faisais n'était pas bien. Sans compter que je n'étais pas rassuré avec cette histoire de panne de courant.
Et puis Savannah est arrivée à la porte de l'aéroport. Quand je l'ai aperçue, j'ai compris que je ne pourrais jamais l'aimer. Mais à voir son visage rayonnant, elle, était là pour moi.
Je l'ai ramenée et me suis oublié en elle. Mais là encore, j'ai eu l'impression de trahir Alice. Quel abruti je fais !
Durant mon heure de cours, je ne peux m'empêcher de retourner dans tous les sens la réaction excessive d'Alice. Ça me fait plaisir, au fond. Elle a beau m'avoir craché ses insultes à la gueule, je compte encore à ses yeux. Mais je ne prendrais certainement pas le risque de revenir vers elle malgré tout. Je ne veux pas souffrir de nouveau. Là, c'est tolérable. Un rejet ou un échec, et ce ne le sera plus.
En sortant de la salle de TD, je me rends compte que j'ai reçu un message de Dante : "mec, ça te dit de passer à la maison pour qu'on avance sur le site ?"
C'est clair que ça fait des semaines qu'on n'a pas bossé sur notre plateforme de cours en ligne. Mais...
"Tu sais bien que je peux pas passer", je lui réponds.
"Alice est pas là", je reçois au taquet.
Je pèse le pour et le contre. Je peux y aller vite fait, après tout. Je doute que ce crétin me berne encore une fois, vu la soufflante que je lui ai passée à ce propos. Mais si elle débarque malgré tout ? Au fond, je crois que j'ai envie de la croiser. J'ai envie qu'on s'explique sur ce qui vient de se passer. On avait fait de gros progrès, je ne veux pas qu'on reparte au level zéro.
Une demi-heure plus tard, je débarque devant mon ancienne colocation. C'est Dante qui m'ouvre.
— On a la maison pour nous. Aucune meuf en vue !
Je rigole, en passant quand même au crible le rez-de-chaussée de la maison.
— C'est pas souvent.
On se met à bosser sur le site, dans le salon, et les qualités de mon pote informaticien sont indéniables. On avance bien, même si ce genre de truc est super chronophage.
— Au fait, on fait une soirée ici, samedi. Tu viens ? me demande-t-il en remontant ses lunettes sur son nez.
— Euh, je sais pas trop... Je pense pas qu'Alice soit OK avec ça.
Je tapote mon stylo sur la table basse, pendant que lui est penché sur son écran à martyriser son clavier.
— Je lui ai demandé, me révèle-t-il, et elle a dit mot pour mot "pas de problème, au contraire".
— Au contraire ? répété-je sceptique.
Il me jauge avant d'avouer :
— Bon... OK, elle a pas dit "au contraire". Mais j'ai bien vu qu'elle le pensait.
— Pfff... T'es con parfois. En tout cas, je veux pas foutre la merde.
— Tu foutras pas la merde. La maison est assez grande pour ne pas vous calculer. Et puis tu vas pas me lâcher pour fêter ce jour mémorable où je suis né !
— T'es grave, mec. Mais bon... Je viendrais sûrement, si t'insistes.
— Amène Savannah.
Je bouge sur le tapis pour essayer de trouver une position plus confortable.
— Là je sais pas, quand même.
— C'est ta meuf, oui ou merde ?
— Ouais, mais...
— Amène-la alors. Bon, l'appel de la nature.
J'avais oublié l'expression pourrie de Dante qu'il me sort à chaque fois qu'il doit aller aux chiottes pour un petit moment. Seul dans le salon, j'ai une subite envie de vérifier qu'Alice n'est réellement pas là. Je monte les escaliers quatre à quatre et me plante devant la porte de mon ancienne chambre. J'hésite un instant, et puis je toque.
Pas de réponse, évidemment. Putain, j'aurais tant à lui dire, et à la fois je ne saurais pas vraiment quoi. Je ferme les yeux et pose mon front sur le bois lisse de la porte qui reste close. Quand celle d'en face s'ouvre. Un bruit de chasse d'eau.
Je tourne la tête, pris en flagrant délit.
— Je t'avais dit qu'elle était pas là. À moins que ta chambre te manque tant que ça ?
— Ouais, ça doit être ça, je ronchonne en redescendant les escaliers, tandis que Dante me suit.
Quand il me reste quelques marches, je stoppe net. Elle vient de refermer la porte d'entrée. Nos regards s'accrochent un quart de seconde, avant qu'elle ne détourne la tête, le visage reflétant la surprise et le stress que je lui fais subir en venant ici.
— Alice, Kyle. Kyle, Alice. balance Dante comme un abruti de machiavélique.
Elle le foudroie de ses yeux couleur feu explosif.
— Ça va, fais pas ta mijaurée, il est pas là pour t'emmerder. On bosse sur notre projet.
Elle hausse les épaules, de façon faussement relax.
— Pas de problème.
Elle me frôle sans un regard lorsqu'elle monte les escaliers. Et je sens son parfum, le même que tout à l'heure, quand je l'ai tirée contre moi pour éviter qu'elle se prenne une bagnole. Dire que je la tenais dans mes bras il y a à peine quelques heures.
Je retourne dans le salon avec mon pote, où nous bossons encore deux bonnes heures, le temps que le soleil décline.
J'entends quelqu'un descendre les escaliers. Me tournant vers l'endroit en question, je croise le regard d'Alice, qui paraît dépitée que je sois encore là.
— Je vais pas tarder, j'informe Dante un peu trop fort, histoire qu'elle entende.
— Attends, t'es pas aux pièces. On finit au moins cette page.
J'observe Alice, tandis que lui est concentré sur ses lignes de codes. Elle attrape un verre dans l'armoire au-dessus de l'évier.
— Tu veux pas rester manger avec nous ? me demande l'abruti qui me sert de pote.
Il est con ou il le fait exprès ?
— Non, je... Je peux pas, ce soir.
— Ah ! C'est vrai que Savannah la bombasse est de retour ! J'imagine que hier, t'as dû bien la baiser !
Un bruit de verre brisé dans la cuisine nous fait tourner la tête en même temps.
— Merde ! j'entends Alice jurer en français.
— Ah ben bravo ! l'emmerde Dante en applaudissant.
Tandis qu'elle se baisse pour ramasser les débris au sol, je me lève comme mu par un réflexe, pour aller lui donner un coup de main. Je récupère la pelle et la balayette entre le frigo et le mur et m'accroupis à côté d'Alice.
— C'est bon, Kyle, merci, mais c'est bon, elle m'envoie poliment chier.
Avant de jurer de nouveau :
— Aïe. Merde...
Je regarde vers les débris de verre et me rends compte que des gouttes de sang tombent sur le sol. Mes pupilles dilatées captent son doigt. Elle s'est coupée, bordel. Et fort, apparemment. Je me relève en même temps qu'elle et lui prends la main sans réfléchir.
— Fais voir !
Damn shit, son pouce pisse le sang. Elle se retire de mon contact, mais sans agressivité aucune.
— C'est rien... Je vais juste le passer sous l'eau, m'assure-t-elle en se dirigeant vers l'évier.
Je n'avais pas remarqué que Dante nous avait rejoints. Mais il est beaucoup trop immobile. Et trop pâle aussi.
— Du sang partout... merde, bafouille-t-il en reculant sur ses jambes fébriles.
Et puis ses yeux roulent et...
— Putain, le con, il va tomber ! je crie tout en me précipitant pour le rattraper. Et il s'affale de tout son poids dans mes bras, genre syncope de princesse. Qu'est-ce que je dois faire de ce boulet ?
— Dépose-le par terre, me conseille Alice dont la main est sous l'évier. Il doit être hématophobe... Faut lui surélever les jambes.
Je fais ce qu'elle me dit, traîne Dante à côté du canapé. Ses talons claquent lourdement le sol lorsqu'on descend la marche entre les deux pièces. Je l'allonge et lui relève les pieds sur le fauteuil. J'observe son visage blanc comme un cadavre, lui tapote la joue assez fort pour qu'elle devienne rouge vif :
— Hé ! Reviens, abruti !
Au bout de trente secondes, ses paupières tremblent.
— Merde, le sang... bredouille-t-il. Enlevez-le, ou je vais mourir.
Je lui tape encore une fois la joue, juste pour le plaisir.
— Abuse pas, gars. Tu vas te transformer en Edward Cullen pendant que t'y es.
— Arrête, dit-il en posant une main tragique sur son front. J'ai jamais pu regarder Twilight jusqu'à la fin, à cause de ça.
Je pouffe. Ce gars est une énigme à lui tout seul.
— Bon, t'as l'air d'aller mieux en tout cas. Reste comme ça, je reviens ! je lui ordonne tout en me dirigeant vers les escaliers, que je monte en speed.
Dans la salle de bain, je trifouille dans l'armoire, pour trouver désinfectant et pansement. Je redescends avec mon attirail que je pose sur le comptoir de la cuisine, puis me cale juste à côté d'Alice pour regarder sa plaie, sans même qu'elle m'y autorise.
Mon frère s'est fait mal plus d'une fois lors de ses crises. Je commence à savoir quand c'est grave ou non.
— Comment ça va ? je demande. Montre-moi.
Elle retire son pouce de sous l'eau, mais aussitôt, le sang se remet à couler. Je vois sa mine anxieuse.
— C'est rien, t'inquiète pas, je la rassure en couvant ses yeux des miens. C'est juste impressionnant mais ça pisse toujours le sang, au niveau des doigts. Laisse-moi regarder s'il reste pas de morceaux de verre.
Je lui attrape la main sans attendre son autorisation, et inspecte de près la plaie.
— Je vais te faire un peu mal... je la préviens
Je lui écarte la peau pour vérifier qu'il n'y a rien à l'intérieur. Elle gémit, me faisant relever les yeux vers son visage inquiet.
— Désolé. C'est bon, t'as rien. On va désinfecter.
Elle retire sa main.
— T'inquiète pas, je vais me débrouiller, répond-elle tout en faisant couler quelques gouttes écarlates par terre. Mince...
J'attrape une compresse que j'imbibe de désinfectant, et lui reprends son poignet. Je lui tamponne la plaie avec, mais par réflexe, elle s'échappe de mon emprise.
— Aïe !
— Ça pique... Désolé.
— Ça veut pas s'arrêter, gémit-elle.
— Faut compresser la plaie. Tiens...
Je prends une autre compresse, la pose sur son pouce, et appuie fort. Je vois bien qu'elle se retient de gémir de nouveau.
— Faut que tu tiennes ça comme ça pendant un moment.
Son autre main prend la place sur sa plaie. Et je fais traîner le moment où sa peau est contre la mienne, nos doigts entrelacés.
— Merci... souffle-t-elle.
Au bout de quelques minutes de malaise, je commence :
— Tu sais, pour tout à l'heure, je...
— Non, non, c'est moi qui...
— De l'eau ! Quelqu'un peut m'apporter un verre d'eau ? crie le malade imaginaire à l'autre bout de la pièce. Je vais retomber dans les pommes, là. Grouillez-vous !
Je détourne la tête vers le salon, et soupire.
— J'arrive.
Je m'éloigne d'Alice avec réticence.
— Ce que veut Monsieur, je l'apporte à Monsieur, dis-je à Dante en déposant le verre sur la table basse.
Je l'aide à s'asseoir, et il ne se prive pas de montrer à quel point c'est une pauvre âme en perdition.
— Allez, bois-ça, je lui tends le verre d'eau.
— Tu veux pas me donner à boire ? Je crois pas que j'aie la force...
Je lève un sourcil. Ce gars va me tuer.
— Tu te fous de moi ? Allez, choppe ce verre et bois. Je vais te montrer que t'as de la force pour esquiver un coup de pied au cul, sinon.
Quand je reviens vers Alice, elle tient toujours fort son pouce, la mine renfrognée. Elle est belle quand elle boude. Je m'approche, elle a un léger sursaut et se tourne vers moi.
— Je... J'ai changé la compresse... m'explique-t-elle en mordant ensuite sa lèvre.
Elle va me faire craquer, là. Je respire un bon coup pour apaiser mes ardeurs.
— T'as bien fait. Je peux regarder ?
Cette fois, je la cherche des yeux pour avoir son approbation. Ses putains de beaux yeux à la couleur si particulière. Elle me tend sa main, que j'attrape comme s'il s'agissait d'un petit oiseau frêle et blessé, et vérifie que le sang ne coule plus aussi fort.
— Bon, c'est beaucoup mieux. Je vais te mettre un pansement, et c'est fini, je t'embête plus.
Pendant que je lui colle le morceau de sparadrap, elle murmure un merci tout doux.
Nos yeux ne se décollent pas l'un de l'autre. Quelque chose se passe. Comme à chaque fois qu'on se voit ces derniers temps.
Et mon téléphone vibre dans ma poche. Je m'écarte d'elle à contrecœur pour prendre l'appel. Ce doit être Savannah, je suis complètement à la bourre avec toute cette histoire. Je n'ose pas répondre devant Alice. A la place, je m'explique juste :
— Je... Je dois y aller.
Je dis au revoir à mon pote, et à Alice. Pour rejoindre une fille qui me rappelle beaucoup trop que j'en aime une autre.
*****
Hey, comment va ?
Encore un chapitre que j'ai adoré écrire. J'espère que ça se ressent et qu'il vous à plu...
Pour une fois, on a le double point de vue sur ce qui s'est passé entre Alice et Kyle à côté de l'arrêt de bus. Je me suis dit que c'était important de connaître son pdv sur cette partie. Vous comprenez mieux sa façon de voir les choses, et pourquoi il reste avec Savannah ?
Je sais, je sais, ils ne parlent toujours pas T-T Mais pas facile d'aborder le sujet, surtout qu'ils savent l'un l'autre, que ça passe... Ou ça casse... A votre avis, ça va passer ou ça va casser ?
La musique, vous connaissez ? Poison and Wine de The Civil War. La fin du clip, est un peu la fin du chapitre...
Le prochain chapitre est écrit depuis trèèèès longtemps ! J'ai hâte de vous le poster :-P
Prenez soin de vous,
xoxo
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