Chapitre 23

ALICE

   Penchée au dessus de ma feuille, installée au bureau de ma chambre, je tente de relire... mes propres notes. Suivre exactement les mêmes cours que les Américains est aussi génial qu'éprouvant. Je dois travailler le double des autres pour être au même niveau.

Mon ventre émet un gargouillis qui résonne comme un râle d'ours mal léché. Cela en dit long sur l'humeur de mon estomac. J'ai travaillé tout l'après-midi, le soleil s'est couché il y a déjà un bon moment, et je n'ai même pas pris le temps de manger. Encore dix minutes et je descends. C'est ce que je me dis depuis deux heures. Je suis sur le point de terminer la réécriture de mon dernier cours quand...

Je ne vois plus rien.

Tout s'éteint. Seul mon ordinateur reste allumé. Je peste contre moi-même de ne pas l'avoir branché ; 10% de batterie ne m'aidera pas bien longtemps.

Je sors dans le couloir. Noir. Je baisse et monte plusieurs fois l'interrupteur, mais ça m'a bien l'air d'être une panne générale. Je retourne à mon bureau en soupirant, attends un peu, me disant que ça va sûrement revenir tout seul. Mais au bout de quelques minutes, je dois me rendre à l'évidence, j'imagine que c'est à moi de remettre le compteur en route.

J'allume la petite lampe de mon téléphone portable, et me dirige vers le rez-de-chaussée, en faisant bien attention où je mets les pieds. Vivement que la lumière revienne, je déteste être dans le noir ; j'ai un peu les chocottes, j'avoue...

Je fouille des yeux la cuisine, l'entrée, mais je ne sais pas où est situé le compteur d'électricité. Si ça se trouve, il est à l'extérieur. Au lieu de chercher pendant des heures, je préfère appeler Jane.

— Hey, je te manque déjà ? me répond-elle aussi enjouée qu'à l'accoutumée.

Elle est partie quelques jours à Portland pour l'anniversaire de sa mère.

— Ouais, surtout quand je suis dans le noir total. Y a plus de lumière à la maison, et je sais pas où est le... le... (comment dire ça en anglais ?), le truc pour remettre la lumière, quoi...

— Houla, je sais pas non plus. C'est arrivé une ou deux fois, mais c'est pas moi qui ai remis le compteur. T'as appelé Dante ?

— Non, mais on dirait bien qu'il va falloir.

Je raccroche et tente alors de joindre mon autre colocataire. Il faut vraiment que je sois désespérée pour faire appel à lui. Ça sonne dans le vide. J'essaie une nouvelle fois, mais il ne répond toujours pas. Il est dans la famille de Cheryl, ce soir ; j'imagine qu'il a mieux à faire que de me parler.

Un craquement me fait sursauter. Ça vient du salon. J'essaie de distinguer l'espace autour de moi, et commence vraiment à flipper. Je recontacte Jane. Mon téléphone à l'oreille, je ne vois presque rien à part le peu de lumière qui s'infiltre par les fenêtres donnant sur la rue mal éclairée.

— Dante répond pas, je geins en serrant les fesses.

Encore un bruit. Mes poils, mes cheveux se hérissent.

— Ben... Tu peux essayer d'appeler Kyle alors.

Sans me prévenir, mon cœur décide d'enclencher son mode alerte rouge, et pas seulement à cause du grincement dans la pièce à côté.

— Kyle ? Pourquoi tu veux que j'appelle Kyle ?

Elle met un moment à me répondre.

— En fait, avant que t'arrives, il était... il était tout le temps fourré chez nous.

Je comprends qu'elle me cache quelque chose. L'espace d'un instant, je me demande si elle est en train d'insinuer que c'était son mec. Déjà qu'ils m'ont caché qu'ils travaillaient ensemble... Sans aucun contrôle sur cette sensation irrationnelle, cela me met en rogne. Elle serait devant moi, je crois bien que je serais capable de la pousser dans les escaliers. Mais la culpabilité décide de malmener ma conscience. D'autant qu'à cause de ma présence ici, Kyle ne peut plus traîner dans le coin et voit moins ses amis.

— Bref. Du coup, je pense que la seule personne susceptible de t'aider, ce sera lui, là, insiste-t-elle.

Je ferme les yeux et me pince l'arrête du nez.

— J'ai pas son numéro, dis-je un peu trop sèchement.

— Je te l'envoie. Bon courage, et tiens moi au courant, d'accord ?

— OK, profite bien de tes vacances.

Une fois qu'elle a raccroché, je préfère d'abord essayer de rappeler Dante. Mais je soupire d'exaspération, quand ce boulet ne répond toujours pas.

Je reçois le sms de Jane, avec le numéro de celui que je ne peux m'empêcher d'aimer. J'hésite quelques minutes de plus. Après tout, je peux rester dans le noir un petit moment. Ou sortir... même si on est en semaine, que je me lève super tôt demain, et qu'il fait un temps pourri. J'écarte le rideau et me penche à la fenêtre de la cuisine. Un des premiers jours où je ne vois pas les étoiles depuis mon arrivée aux Etats-Unis. Les gouttes qui cognent sur le carreau me découragent de passer le pas de la porte.

Je fais un bon en arrière en entendant un craquement au-dessus de ma tête. L'ensemble de ma musculature se contracte. La peur s'engouffre par tous les pores de ma peau, provoquant la chair de poule jusqu'entre mes orteils. Je monte quatre à quatre les escaliers, et m'enferme dans ma chambre à double tour. J'attends ainsi, mais la maison fait encore des siennes. Dans mon lit, il m'arrive de porter attention à ce genre de bruits. Mais je ne suis jamais seule, ici. C'est la première fois que ça arrive.

Je me décide à composer le numéro envoyé par ma colocataire. Une sonnerie, deux sonneries, trois... Il ne répond pas. Je me rends compte qu'il ne connaît pas le mien, de numéro. Je réessaie, et puis...

— Hello ?

Un bond de mon cœur, j'ai un peu le vertige.

Sa voix... Je ne peux m'empêcher de sourire en l'entendant. Il ne sait pas que c'est moi, et a une façon bien à lui d'engager la conversation, à la fois timide et autoritaire, et beaucoup trop sensuelle.

— Kyle... C'est Alice.

Blanc.

— Alice... Est-ce que ça va ? demande-t-il paniqué.

— Oui, oui, rien de grave. Désolée de te déranger... En fait, je... il n'y a plus d'électricité à la maison, euh... Et... Mes colocs sont pas là. C'est Jane qui m'a conseillée de t'appeler... Est-ce que... Est-ce que tu saurais où se trouve le compteur ?

— Ah ouais... Pas de problème. Tu vois la porte de la cave ?

La cave ??? Je vais devoir descendre à la cave... L'an.goi.sse. Je me mets à faire les cent pas dans ma chambre, comme une lionne claustrophobe dans sa cage minuscule.

— Euh, non... J'y suis jamais allée, je balbutie. La porte dans le débarras, au fond de la cuisine, tu veux dire ?

— Ouais, c'est ça.

Il réfléchit un instant, puis reprend :

— Ah... Mais c'est compliqué à trouver, surtout si t'y as jamais mis les pieds, et que t'es dans le noir... Le compteur est un peu caché, et y a tellement de bordel là-dedans.

Mes jambes ne peuvent se contenir et continuent leur marche folle.

— Écoute, c'est pas grave. Je vais me débrouiller, je couine.

— Non, non... Je peux passer, si tu veux. Ce sera plus simple.

Petit affolement de mon palpitant.

— T'embête pas, je t'assure que c'est pas grave, vraiment ; je vais me coucher plus tôt que prévu et voilà.

Pourquoi ma voix semble me trahir en chevrotant comme une brebis égarée sentant la présence toute proche du loup ?

— Tu vas te coucher maintenant ? À... 21h30 ? il rigole. Non, mais t'inquiète, ça me dérange pas. Ça me prend deux minutes. En plus je sais que tu détestes te retrouver dans le noir.

Il me connaît beaucoup trop bien.

— Oui... Mais ...Enfin... T'es sûr ?

— Ouais, sûr, j'ai un truc à faire en ville, de toute façon.

Je ne le crois qu'à moitié, mais finis par accepter. Quand je raccroche, j'essaie de retravailler sur mon ordinateur en l'attendant. Mais le moindre bruit de la maison me fait dresser les oreilles. Quelle froussarde je fais, sérieux...

Et puis ma dernière source de lumière s'éteint. Je stresse trop, et j'ai envie de faire pipi, en plus. Je prends mon courage à deux mains, et entrouvre la porte. Je ne distingue rien, mais me concentre sur ce que je peux entendre. Rien non plus... Je sors doucement, et cours me faufiler dans la salle de bain en face de ma chambre. Uriner dans le noir, quel plaisir ! Après m'être lavé les mains, je ressors de la salle d'eau en tâchant d'être aussi discrète qu'un chat en chasse. Au cas où, quoi... Un pas survient dans les escaliers.

J'ai peur.

Je rebrousse chemin vers ma chambre, mais on toque, en bas. Je me rue vers les marches, et fonce ouvrir la porte en grand avec un peu trop d'énergie, ce qui fait voler mes cheveux dans tous les sens.

— Salut !

Kyle, éclairé par le halo du lampadaire derrière lui, me regarde les sourcils froncés, un sourire en coin.

— Qu'est-ce qui t'arrive ? T'as couru ?

Je baisse les yeux, me replace une mèche indocile derrière l'oreille, un peu honteuse.

— Je... Je suis pas rassurée dans le noir, tu sais bien...

— Ouais, ouais. Je me rappelle bien quand c'est arrivé à l'appart, à Nation...

Oui, moi aussi je m'en souviens bien. C'était une panne générale du quartier. Je me suis blottie dans ses bras, la bonne excuse. Et puis on a bifurqué vers le lit, et il m'a vite fait oublier que la lumière était si essentielle.

— En plus, la maison fait plein de bruits bizarres, je tente de me justifier. J'ai l'impression qu'il y a quelqu'un ; je sais, c'est trop bête.

Il passe la tête dans l'entrée et observe l'intérieur d'un air inquiet.

— T'as entendu quelqu'un ? demande-t-il.

— Non, pas vraiment, je le rassure. Mais tu sais comme je suis. Je me fais vite des films.

Il entre dans le salon, lance un dernier regard circulaire en fourrageant ses cheveux.

— Je... je vais y aller direct, propose-t-il.

Il se dirige vers la cuisine, allumant son chemin de son téléphone.

— Attends ! je crie. Je viens avec toi.

Je le suis à la trace comme un petit caniche qui ne peut faire un pas sans son maître. Quand il ouvre la porte du débarras, qui donne sur des escaliers semblant sombrer dans le néant, je prie pour que la lumière revienne par magie.

— Putain, on se croirait dans le trou du cul d'une poule, comme dirait mon grand-père, lance Kyle.

Je rigole, quand il commence à descendre les marches. Et pour ne pas me casser la figure, et me rassurer un peu aussi, je décide de poser le bout de mes doigts sur son épaule. Dans la pénombre, je l'entrevois tourner la tête de surprise. Il dépose sa main sur la mienne, l'attrape et la retire de son épaule, pour la presser dans sa paume. Elle est chaude. C'est la plus délicieuse des sensations que j'aurais aimé ne jamais oublier.

Il me dirige ainsi dans les escaliers, nos doigts entrelacés.

— Fais attention à cette marche, elle est bancale.

Je sers un peu plus fort sa main, et pose le pied délicatement sur la marche en question, puis nous arrivons enfin en bas. Enfin, "enfin"...

— C'est pas comme ça que tous les films d'horreur commencent ? demandé-je à moitié rassurée.

Il rit en me tirant plus près de lui.

— Si. Mais t'inquiète, y a que des souris, ici.

Toujours ma main agrippée à la sienne, il se fraie un chemin parmi le bazar de la cave, bouge des trucs que je devine à peine, quand je me cogne à son dos.

— Désolée, je vois rien.

Il pivote vers moi, de sorte que nous nous retrouvons l'un contre l'autre. Je sens ma poitrine sur son ventre. Les mouvements de sa respiration, sa chaleur incandescente, s'imbriquent aux miens. Je lève les yeux vers son visage que je ne discerne pas. Si lui pouvait me voir, il se rendrait compte à quel point il m'ébranle toujours autant. Il se racle la gorge.

— C'est rien, répond-il d'une voix rauque.

Il me caresse le bras, pour retrouver le chemin de ma main.

— On y est presque, dit-il en replaçant ses doigts entre les miens.

Et, dans le halo de son téléphone, j'entrevois le sésame.

— Voilà ! Tu vois, t'aurais jamais trouvé toute seule.

— Non, c'est clair.

Il bidouille quelques trucs, et... Enfin ! J'aperçois la lumière tout en haut des escaliers.

— Merci ! Tu me sauves !

Ça me fait bizarre de dire ça. Il m'a sauvée plus d'une fois... Il m'a démolie aussi...

On remonte, et je n'en suis pas mécontente, même si j'aurais aimé prolonger un peu le contact de nos mains.

Une fois en haut, je peux observer son visage autant que je veux. Il regarde un peu partout, comme pour vérifier qu'il n'y a vraiment personne. Je ne peux empêcher mon ventre de se contracter délicieusement, à le voir s'inquiéter ainsi pour moi.

Gênée, je ne sais pas trop quoi dire ou faire, maintenant que le problème est résolu. Mais je n'ai pas envie qu'il parte.

— Tu... Tu veux boire quelque chose ? je propose l'air de rien.

— Euh...

Surpris, il me regarde un moment, comme s'il cherchait la réponse à ma propre question dans mes yeux. Il jette un œil sur l'écran de son téléphone.

— Je peux pas... Je dois y aller, je suis attendu.

— Ah d'accord... Pas de problème, dis-je déçue.

Déçue... ébranlée... J'ai un peu froid tout à coup. Ce n'est plus moi qui tiens les rênes. J'ai voulu mettre un terme à notre relation. Et apparemment, j'ai réussi.

— Encore merci, en tout cas, ajouté-je en le suivant vers la porte d'entrée.

Il se passe une main sur la nuque. J'adore le voir faire ce geste que je connais si bien. Il est tellement sincère, dans ces moments-là.

— C'est rien, t'inquiète. Je m'en serais voulu de t'obliger à te coucher si tôt. À une prochaine.

Il jette un dernier regard à l'intérieur avant de se détourner.

— Oui, à une prochaine, dis-je en refermant bien trop tôt la porte sur un Kyle qui s'est déjà éloigné.

Je me rends compte à quel point je suis allée trop loin. Mais j'en avais besoin, je crois.

J'aurais dû écouter mon cœur. Ou pas... C'est peut-être mieux comme ça... C'est sûrement mieux comme ça, tenté-je de me convaincre en me dirigeant vers la cuisine pour me préparer un sandwich.

Il a tenu sa promesse envers moi. Cette promesse qui ne valait rien... Il a beau être tenace, j'ai compris que plus que cela, c'est le respect de sa parole, et mon bien-être, qui comptent avant tout pour lui.

Peut-être qu'il est temps qu'on en parle. Qu'on sorte tout ce qu'on a sur le cœur, qu'on crève l'abcès... Oui, il est temps qu'on en parle...

Un bruit se fait entendre dans l'escalier. Je me dirige vers la cuisine, et décide de l'ignorer. C'est rien, juste une maison qui s'exprime. Je prépare mon sandwich et tente d'éviter mon imagination débordante de s'emballer, que ce soit à cause de ces craquements, plus forts que d'habitude, ou en me demandant où Kyle est parti...


*****

Hey les loulous, 

Comment allez-vous ?

J'espère que vous avez apprécié ce chapitre autant que j'ai pris plaisir à l'écrire ❤️Je vous avais promis du cute, avouez que ça déborde pas mal de sweetness depuis quelques chapitres 😋

Vous aussi vous avez peur du noir ? Perso, quand je suis toute seule dans une maison ou appart, le moindre bruit me semble suspect xD Bon, forcément, Kyle, lui, pense à autre chose...

Ce n'est pas un chapitre où les choses avancent forcément, quoique... Les pensées d'Alice poursuivent leur chemin vers le pardon et l'acceptation de ses sentiments... Quant à Kyle, pourquoi part-il à votre avis ?

La musique : c'est une vieille chanson qui a peut-être un peu mal vieilli, mais elle représente énormément pour moi. ENORMEMENT ❤️❤️❤️C'est Gabriel de Lamb

"I can shine even in the darkness
But I crave the light that he brings
Revel in the songs that he sings
My angel GabrielI can love
But I need his heart
I am strong even on my own
But from him I never want to part
He's been there since the very start
My angel Gabriel"


Prenez bien soin de vous,

xoxo les chous ^^

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