Chapitre 22
KYLE
J'ai bien entendu, là ? Je crois bien avoir perçu un tout petit OK sortir de la jolie bouche d'Alice. Fuck, je n'en reviens pas, elle accepte que je l'accompagne jusqu'à chez moi. Enfin... Chez elle, quoi.
Je suis comme un con, à la suivre en mode clébard paumé ; je pensais rester sur la touche et me cacher dans ma caisse pour rentrer chialer chez ma mère. A la place, je bafouille en ébouriffant ma tignasse déjà vrac :
— Alors ça va ? Tu te sens bien à Long Beach ?
Le début de conversation pété, sérieux ; cette question, je la lui pose à chaque fois qu'elle daigne m'adresser la parole. Elle pivote vers moi, et merci à l'alcool ou la fraîcheur du dehors qui donne cette teinte rosée à ses joues que j'aurais envie d'embrasser.
— Ouais, j'adore. Je sais pas si je vais réussir à repartir, en fait, réplique-t-elle en marchant à deux à l'heure.
Ça suffit pour me faire vriller la tête. Est-ce que je dois comprendre un message subliminal là-dedans ? Arrête d'analyser tout ce qu'elle dit comme si ça t'était destiné. Je me contente de sourire comme un abruti, jusqu'à ce qu'elle me demande d'un air trop sérieux :
— Avoue que tu l'as fait exprès.
Mon cœur frappe mes côtes à coups de boulet de démolition. De quoi parle-t-elle ? De l'accident ? Faudra bien qu'on en discute un jour, mais pas aujourd'hui, bordel. Pas envie de gâcher cette soirée.
— C'est toi qui as dit à Chase de me renverser de la bière dessus pour venger ton frère, pas vrai ?
J'expire l'air bloqué dans mes poumons en la voyant minauder, ses yeux pétillants de malice. Je me marre à mon tour et lui réponds :
— Damn, tu m'as percé à jour. Adam t'en veut beaucoup d'avoir ruiné son tee-shirt préféré, et il m'a payé pour le venger. Mais j'aurais dû prévoir que Chase allait en pincer pour toi, et ça, ça me plaît moyen, si tu veux mon avis.
Elle regarde ses Converses, mais son sourire ne s'estompe pas. Et puis sans prévenir, elle commence à traverser Second Street n'importe comment.
— Hé ! Damn, pas de jaywalking* ici ! je crie en la suivant comme le bon chienchien que je suis. C'est très mal vu, tu sais ?
Elle relève les sourcils, et sa bouille étonnée me fait craquer quand je la rejoins de l'autre côté de la rue.
— Ici, on est bien éduqué, je la charrie. On traverse sur les clous. Pfff... ces français, j'te jure.
Elle glousse, et hausse les épaules.
— C'est bon, y avait personne, j'ai bien regardé.
Je jette un œil vers la route, et ai une pensée pour ce fameux soir où ça ne nous a pas du tout réussi, le jaywalking. Un petit malaise s'installe, comme un vent porteur de mauvaises vibes.
On rejoint les rues pavillonnaires, et mon téléphone vibre pour la troisième fois dans ma poche. Comme ça commence à me les briser, je le sors en vue de l'éteindre quand je vois que c'est un certain espagnol qui m'a bombardé de messages. Toujours là au bon moment, celui-là.
— Martin me tanne pour prendre ses billets et venir aux prochaines vacances. Il menace même d'emmener Cara si je lui réponds pas assez vite.
Elle pouffe en braquant ses pupilles d'ambre sur moi ; et fuck, impossible de se lasser de ça.
— Ce serait chouette, n'empêche...
Et puis on n'ose plus rien dire, et on entend juste quelques bagnoles au loin. Je me demande si elle flippe autant que moi d'engager la conversation. Elle finit pourtant par prendre les devants.
— Tu... T'as gardé beaucoup de contacts à Paris ?
— Nope. Juste Cara, Martin et Morgane.
Je la vois se contracter dans un frisson. Merde, c'est vrai qu'à quelque chose près, Morgane en est au même stade que moi, avec Alice. Celui de la paria. Mieux vaut ne pas lui dire qu'elle risque de se pointer ici aussi.
— Morgane... répète-t-elle.
Si on était presque deux ans en arrière, j'affirmerais déceler une pointe de jalousie dans cette simple évocation. Mais du temps est passé, et mon imagination fait sûrement des siennes.
— Tu lui reparles souvent ? demande-t-elle comme si on parlait de la petite brise fraîche d'automne qui nous ceint tout à coup.
Je soupire et enfonce mes mains dans mes poches.
— Écoute, désolé, j'avais oublié que tu lui adressais plus la parole. Mais elle a toujours été là pour moi. Elle a sauvé mon échange quand je suis arrivé en France, elle m'a soutenue pour le procès, elle m'a aidé avec toi...
Alice se racle la gorge et replace une mèche de cheveux derrière son oreille.
— Elle a toujours été là pour toi, elle.
Je fronce les sourcils, ne comprenant pas bien où elle veut en venir avec ses mots et son ton acerbes. Je préfère esquiver.
— Et toi alors, tes potes te manquent pas trop ?
— Oui et non... Axel me fait toujours plus ou moins la gueule, alors...
— Ah bon ? Comment ça ?
Elle ralentit.
— Il m'a raconté pour votre... pacte.
Merde, merde, merde, alerte rouge, terrain miné ! Quoi dire ? Quoi faire ? Partir en courant ?
Ses prunelles me fusillent sur place.
— Il était pas vraiment pour que je vienne ici, près de toi.
Je déglutis, tentant de calmer mon pouls qui se croit au bord du précipice, juste avant de sauter à l'élastique.
— Mais tu l'as quand même fait, je murmure comme si je n'avais pas le droit d'évoquer un truc aussi dingue.
— Oui, je l'ai quand même fait...
Plus un mot. On avance et plus un mot. Juste le son de nos chaussures ripant l'asphalte. Le trottoir se rétrécit et nos bras entrent en collision. Je pourrais lui attraper la main, l'air de rien. Je reviens vite à la réalité quand elle se retrouve à deux doigts de se casser la gueule. J'attrape son bras, ouais, mais pas de la façon dont je l'envisageais. Pour la retenir contre moi.
— Aïe, grimace-t-elle en s'éloignant un poil.
— Ça va ? je m'avise sans réussir à la lâcher.
Merde, il n'y avait même pas de graviers par terre. Sa jambe reste fragile.
— C'est rien. En fait, je suis tombée en skate tout à l'heure.
— En skate ? je m'étonne.
Qu'est-ce qu'elle me chante ? Je croyais qu'elle pouvait à peine marcher, et j'apprends qu'elle fait du skate.
Une lanterne s'éclaire dans mon crâne d'abruti. Ça, c'est une idée de...
— Jane... Elle m'apprend à en faire, explique-t-elle.
— Ah bon ? Alors ton genou...
Elle se tourne vers moi, étonnée par ma demande.
— Mon genou, ça va beaucoup mieux. Et puis Jane me met en confiance. Tu savais qu'elle s'était fait une fracture, elle aussi ? Même plusieurs. J'ai même couru, l'autre jour. Enfin... Juste dix minutes, glousse-t-elle. C'est pas le marathon, mais...
Je peux enfin respirer sans avoir l'impression qu'un semi-remorque me compresse la poitrine. Elle s'en remet, bordel. Elle se remet de ce que je lui ai infligé il y a plus d'un an et demi.
— C'est génial, je suis super content pour toi.
Elle hausse les épaules, la tête inclinée vers nos pas synchro.
— Bon... On est arrivé, affirme-t-elle en cassant notre rythmique parfaite et s'arrêtant net.
Je ne me suis même pas aperçu qu'on se trouvait déjà devant la maison que j'ai habitée pendant un an. Je regarde Alice s'approcher du portail. S'éloigner de moi. Et mon palpitant refait des siennes.
Je m'approche sans réfléchir, attrape son visage en coupe et dépose mes lèvres sur les siennes avant même qu'elle ne puisse répliquer quoique ce soit.
Enfin... ça, c'est ce que je crève d'envie de faire. Mais on n'est pas dans un film, alors, en passant d'un pied sur l'autre, je me contente de lui dire :
— On se voit à la fac ?
Elle joue avec ses clés, et me dévisage comme si elle attendait que je dise un truc beaucoup plus intelligent. Je prends le temps de m'imprégner de son image. Elle flotte dans mon tee-shirt, et ça me plaît beaucoup trop de la voir là-dedans. Elle finit par incliner la tête.
— Oui... À une prochaine, alors. Et merci pour le tee-shirt.
— Pas de quoi. À une prochaine.
Elle ouvre le portail et je préfère me barrer avant qu'elle ne le referme.
Direction ma caisse, j'ai besoin d'une douche, là.
Quand je me gare devant chez moi, je ne remarque pas tout de suite la silhouette qui fait le gué dans ma rue. Je claque la portière, et, avançant de quelques pas, je serre la mâchoire en apercevant ce qui m'attend.
— Amber, qu'est-ce que tu fous là ? je demande presque résigné.
Ça faisait un bon moment qu'elle ne m'avait pas cassé les couilles. Il fallait bien que ça recommence un jour. Elle ne me lâche pas du regard, les bras croisés sur son décolleté. Se mordant la lèvre, elle attend visiblement que je m'approche. Chose que je ne fais pas.
— Qu'est-ce que tu fous là, je répète agacé.
Elle penche la tête sur le côté, faisant tomber son carré brun jusqu'à son épaule dénudée, avant de répondre.
— Ça fait un moment que tu m'as pas appelée, alors je viens aux nouvelles. T'as passé une bonne soirée ?
Je me gratte la tête, emmerdé par sa question. Aucune envie de lui raconter ma vie.
— Tu me fais pas entrer ? ajoute-t-elle en battant des cils.
Elle se croit dans un cartoon ou quoi ?
— Non, Amber. Je te ferai pas entrer. Y a mon frère, et j'ai pas envie qu'il te voit, tu le sais.
— Tu rechignais pas à m'emmener dans ta chambre quand tu savais que ma bouche prendrait soin de...
Berk. Comment j'ai fait, déjà ? C'est comme si ce n'était pas la même fille. Pas la même vie.
— C'est qui, la blonde avec qui tu parlais ?
Son ton serait presque autoritaire. Je fronce les sourcils et mon pouls déraille. Il y a un truc qui ne me plaît pas du tout.
— De un, je sais pas de qui tu parles, je dis en cherchant ma clé sur mon trousseau. De deux, j'ai aucun compte à te rendre. Maintenant rentre chez toi, je voudrais aller dormir, là.
— On m'a déposée, je peux pas rentrer.
Manquait plus que ça. Elle s'est débrouillée pour que je la ramène, la garce. Parce qu'évidemment, il est hors de question qu'elle mette ne serait-ce qu'un petit orteil chez moi. Elle sait très bien que je ne lui demanderai pas d'appeler son frère. Plutôt crever que le voir rôder ici, lui aussi. Et si je lui prends un Uber, je vais devoir me la coltiner aussi longtemps que si je la ramène direct. Et puis il faut que je sache ce qu'elle me chante, avec ses questions intrusives.
— Dépêche-toi de monter, dis-je en faisant demi-tour vers la bagnole.
Une fois installée, elle me scrute avec ses yeux de vautour affamé.
— Je t'ai vu avec cette fille, ce soir. La blonde.
Ma tête vrille vers elle. Fuck, elle va provoquer un accident. J'ai donné là dedans, damn it.
— De quoi tu parles ?
Je tente de contenir la colère qui gonfle dans mes poumons.
— Je suis passée au Legend, et je t'ai vu. Tu l'as même raccompagnée, elle aussi. Elle habite dans ton ancienne coloc, alors ?
Je freine d'un coup. Je ne sais pas ce qui me retient de lui en coller une. De quoi elle se mêle, bordel ? Mon sang bout, et je contiens de toutes mes forces ma rage pour ne pas la virer de ma bagnole sur le champ. Elle nous a stalkés. Depuis quand ? Je déglutis, prends le temps d'inspirer, les mains agrippées sur le volant. Il me faut de l'air où je vais devenir un criminel. J'essaie pourtant de garder mon calme.
— Faut que t'arrêtes ça, Amber. De me suivre. Je t'ai dit que je veux bien t'écouter de temps en temps, mais t'as pas le droit d'empiéter sur ma vie privée.
— C'est pas de ma faute si je me baladais au même endroit, glousse-t-elle.
Elle sait très bien que je ne gobe pas un mot de ses conneries. Plus que deux minutes. Deux longues minutes, et elle sera hors de ma vue. Je respire. Je sais très bien que le moindre faux pas peut engendrer des conséquences dramatiques. Ni elle ni son frère n'hésiteront à me faire un beau cadeau empoisonné.
La voiture garée devant chez elle, je prends le temps d'essayer de lui faire entendre raison avant de la faire déguerpir.
— Je veux plus que tu m'adresses la parole. Tu vas trop loin, Amber. Il faut qu'on coupe les ponts.
Elle ouvre ma portière, et sort en ignorant explicitement ce que je viens de lui ordonner.
— Elle est mignonne, la petite blonde. Mais je traînerais pas trop toute seule le soir, si j'étais à sa place. T'as bien fait de la raccompagner. Un vrai gentleman de ces dames, pouffe-t-elle en s'éloignant vers son allée et tortillant du pétard.
Je serre tellement le volant que c'en est douloureux. Je ne sais même pas si je vais réussir à décoller mes doigts du plastique. Vaut mieux pas cela dit, car ils risquent d'atterrir sur sa joue. Ferme-la, Kyle. Dis rien. Et puis merde !
Je sors de ma caisse comme si j'avais le feu au cul.
— T'avise plus de l'approcher !
Elle sourit.
— Moi ? Pourquoi je ferais ça ? ricane-t-elle. On est pareilles toutes les deux, fragiles et sans défense.
Je m'approche à deux centimètres de sa figure. J'ai envie de lui cracher à la gueule, de l'attraper par la gorge et de serrer aussi fort que quand j'empoignais le volant.
— Fais gaffe, Amber. Je crois que je suis sympa avec toi. Mais j'ai mes limites.
Elle hoche la tête pensivement, sans décoller son petit sourire de vipère de ses lèvres visqueuses.
— Je vois ça. Bonne nuit, Kyle.
Elle se barre. Il vaut mieux avant que je commette un meurtre. Je cours presque pour retourner dans ma caisse et démarrer en trombe. Je n'en reviens pas ; cette fille a un sérieux problème. Au fond, je ne sais pas qui est le plus dangereux de son frère ou d'elle.
Je suis paumé. L'asphalte défile devant mes yeux, et je suis incapable de desserrer la mâchoire. Qu'est-ce que je vais pouvoir faire ? Je suis trop con d'avoir réagi à sa provocation, mais je ne pouvais pas rester sans rien dire. J'essaie de me rassurer en me disant que ça n'aurait rien changé. Elle a son plan en tête et elle va s'amuser. Je me sens coincé dans un engrenage, et putain, je flippe.
Ce qui est certain, c'est que c'est terminé, de jouer les gentils Kyle et d'essayer de la ménager. Et pour Alice, il va falloir que je la surveille de près. Damn shit, juste quand on commençait enfin à se comprendre à nouveau...
*****
Hey les loulous, la forme ?
Un chapitre en deux temps today ; j'imagine que le premier vous a plus plu que le deuxième 😆
Qu'avez-vous pensé de la petite balade de Kylice ? Mine de rien, ils évoquent pas mal de trucs...
Au passage, je l'ai mis en commentaire, mais le jaywalking, c'est le fait de traverser hors des passages piétons, et ça ne se fait pas trop aux States. D'ailleurs, je me demande si ce n'est pas bien frenchi, de traverser n'importe comment. Ami·e·s belges, africain·e·s, canadien·ne·s, etc. Dites-moi si j'ai tort ?
Et bon, faut bien évoquer Amber aussi... Ça vous inspire quoi, son petit manège ?
La semaine prochaine, c'est encore un chapitre que j'ai pris beaucoup de plaisir à écrire (autant vous le dire, les premiers chapitres étaient aussi lourds à écrire, que pour vous de les lire... j'avais vraiment hâte de débarquer à Long Beach avec vous. D'ailleurs, dites moi si vous pensez que la première partie, où Alice est à Paris, vous a semblé trop longue. Comme toujours, j'aime être le plus réaliste possible, et pour moi il fallait du temps avant qu'Alice accepte un rapprochement. Mais faut pas que ça en devienne chiant lol 😅Donc, vraiment, je suis ouverte à toute remarque constructive ^^)
Encore merci de vivre cette histoire avec moi, vous ne pouvez pas savoir à quel point vous me boostez ❤️
Prenez soin de vous,
xoxo
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