Chapitre 17
KYLE
— Et... Donc... Elle est déjà allée visiter la fac ?
Une main appuyée sur le comptoir, l'autre sur la hanche, Jane me lorgne d'un air blasé. Elle lève les yeux au ciel avant de retourner à son remplissage de pot de thé et me répondre :
— Pour la millième fois, non, Kyle. Et oui, elle va bien ; oui, elle a l'air d'apprécier Belmont Shore ; et non, on ne la laisse pas tomber.
Ma collègue pivote vers moi, et ses yeux ne laissent aucun doute sur les trois mots qu'elle a dans le crâne en me matant : emmerdeur de première. Je ne vais pas pouvoir pousser mon questionnaire digne de la CIA beaucoup plus longtemps, pour l'instant...
— C'est bon ? T'es satisfait ? grogne-t-elle.
Alice est dans les parages depuis seulement quelques jours, installée dans mon ancienne chambre, entourée de mes anciens colocataires. Je ne l'ai pas encore vue, et c'est bien parti pour durer.
A chaque fois que je sors, je ne peux m'empêcher de chercher du regard une petite blonde perdue dans les rues de Long Beach. Je la laisse tranquille, c'est ce qu'elle veut, mais fuck, c'est difficile de la savoir juste à côté. J'ai l'impression d'être un diabétique devant une assiette de pancakes dégoulinant de sirop d'érable et de marshmallows. Le truc bandant que tu peux pas te taper, au risque de crever.
Au final, le sale coup de Dante m'aura au moins permis de lui parler quelques minutes. Quand je l'ai eue au téléphone à son arrivée, j'ai flippé qu'elle pète un câble. A peine débarquée, que je me foutais sur son chemin. On peut dire que sa réaction m'a surpris. Je ne comprends pas ce qu'elle cherche avec ce voyage. Est-ce qu'elle attend quelque chose de moi ? Arrête d'espérer, pauvre abruti...
Je me rappelle quand Cara m'a appelé pour me prévenir qu'Alice débarquait ici, à Long Beach ; ça m'a foutu les jetons. Merde, qu'est-ce qui lui prend ? Elle veut couper tout contact avec moi, mais décide tranquillou de venir passer un an dans ma ville. C'est quoi, ces signes contradictoires qu'elle me balance, bordel ? J'ai pigé qu'elle n'a pas eu le choix, que son organisme lui a certainement imposé la destination. Mais le fait qu'elle vienne, malgré tout ce qui est arrivé entre nous, n'est pas anodin, non ?
— Et au niveau de sa chambre, tu penses qu'elle s'y sent bien aussi, hein ?
La bouteille de lait cogne sur le plan de travail, et je me reçois une goutte de liquide en pleine gueule. Je l'essuie d'un revers de main quand je m'aperçois que Jane me foudroie de ses prunelles sombres. Aïe. Alerte rouge. Je crois que ça y est, j'ai dépassé la dose maximale sur le dossier "Alice".
— Merde, Kyle. Tu me saoules, là ! T'as qu'à lui demander toi-même, si tu me crois pas !
J'aimerais bien, figure-toi...
C'est aussi Cara qui m'a expliqué qu'Alice galérait à trouver un logement. Et je n'ai pas eu à cogiter bien longtemps pour débloquer la situation. J'ai lâché ma chambre et me suis installé chez ma mère. De toute manière, Alice n'en saura rien. Elle connaît que dalle à ma vie actuelle. Tout ce qu'elle sait, c'est la sentence dont j'ai écopé pour son accident.
— Tu pars quand, au fait ? me demande ma pote en me filant le carton de jus de fruit à placer dans la vitrine.
— Jeudi soir.
— Je me serais bien glissée dans ta valise, histoire de travailler un peu mon français.
— C'est vrai que ça va être chanmé, une vraie partie de plaisir, je réplique un peu trop sèchement.
Elle hausse les épaules.
— Ça va passer vite, t'en fais pas.
Je soupire, je n'ai juste pas envie de partir du tout.
— J'espère que ça va aller, pour Alice... marmonné-je pour moi-même.
Je plisse les yeux. Damn it, je suis trop con, c'est sorti tout seul. Pourtant, quand je les rouvre, Jane n'a pas l'air de vouloir m'égorger avec son couteau à gâteau, plein de crème et de chocolat sur la tranche. Elle pince sa bouche, pose son arme blanche sur le comptoir, puis une main sur mon bras.
— On sera là pour elle, OK ? Et puis c'est pas pour si longtemps que ça, faut pas abuser. T'auras même pas le temps de t'apercevoir que t'es parti, que tu seras déjà revenu.
Je lâche un rire moitié cynique, moitié amusé. Elle encaisse un client avant de me refiler un gobelet sur lequel elle vient d'écrire le nom d'un certain Bill. Je prépare le macchiatto du fameux Bill, et lui file quand la clochette de la porte d'entrée se met à tinter.
Levant les yeux par réflexe, je repère tout de suite sa frêle silhouette et ses cheveux blonds autour d'un visage de poupée. Un visage tourné vers mes anciens colocataires. Alice, Cheryl et Dante sont sur le point de faire leur entrée dans le café.
Je me baisse d'un coup, faisant sursauter Jane au passage. Elle me lance un regard aussi étonné qu'agacé.
— Mais qu'est-ce que tu fiches ?
— Alice est là, ! je chuchote. Putain, je retiens ce con de Dante ! Qu'est-ce qu'il fout ici avec elle ! Couvre-moi, s'il te plaît, murmuré-je sur un ton implorant.
— Tiens, dit-elle devant la caisse. Vous ici ! Comment ça va ? Tu viens voir où je bosse, Alice ?
— Oui, Dante et Cheryl me font faire le tour de Second Street et il a insisté pour qu'on vienne te faire un coucou. Mais je vois que t'es débordée...
Fuck, cette voix, elle m'avait manqué. Et son accent qui défonce tous les "r" et les voyelles, et ses petites fautes quand elle parle anglais, c'est beaucoup trop sexy. Je ferme les yeux pour mieux m'en imprégner.
— Oh que c'est gentil de la part de Dante !
J'entends l'ironie dans les paroles de Jane, et peux discerner au-dessus de moi son sourire railleur. J'espère qu'Alice ne va pas capter, elle.
— Mais tu es toute seule, là ? demande le traître qui me sert de pote. Ton collègue ne bosse pas avec toi aujourd'hui ? j'entends ce petit con insister.
— Eh non ! Il a dû s'absenter pour une demi-heure. Du coup, je gère le café en solo. Je suis vraiment désolée, Alice, si ça ne t'ennuie pas, je te dirais quand venir, et je te ferai une présentation du lieu comme il se doit.
Et quand je serais parti, pensé-je.
— Aucun problème, on te prend juste un café, s'excuse celle que je ne me lasserai jamais d'entendre.
Damn it. J'en ai des frissons. A moins que ce soit la porte du frigo gelée contre mon dos.
— Le canapé vert est dispo, je vais nous garder la place ! j'entends bramer mon ancien coloc.
Qui va devenir aussi mon ancien pote...
— Oh non ! ordonne Cheryl.
— Aïe, eh, ça va pas ? Tu vas arracher ma chemise préférée ! rale son petit ami.
Je relève les yeux vers Jane, qui a une main posée devant les yeux, l'air dépité. Dante, dans son plus grand art. Celui de faire chier le monde.
— On sera bien mieux au bord de la plage, réplique Cheryl. A emporter, s'il te plaît, Jane.
Heureusement que sa chérie a plus d'empathie que lui. J'imagine bien le sourire de pervers qu'il se serait trimballé en s'asseyant juste devant la serveuse et en attendant que je réapparaisse. A quoi il joue, sérieux ? Entre son coup de l'autre jour, et ça ! Je l'appellerai dès ce soir. Tu vas pas t'en remettre, you stupid bastard !
Jane manque de se casser la gueule en m'enjambant pour s'affairer devant la machine à café et préparer les boissons de nos amis. Je vois alors une fine main pâle s'emparer de son gobelet par-dessus le comptoir. Et ses doigts frôler ceux de ma collègue. Je l'envie, cette garce.
— Merci Jane, à tout à l'heure, alors. Bon courage pour ton boulot.
Sa voix... J'aimerais qu'elle me dise tout ce que j'ai envie d'entendre. Et en anglais ; oui, je veux encore l'entendre parler anglais. Mais j'imagine que ce serait plutôt de la déception que j'y décèlerais, si je sortais de ma planque.
La cloche de la porte d'entrée me ramène à la réalité. Parenthèse terminée.
— C'est bon, tu peux sortir de là, me lance Jane, tout en prenant la commande des clients suivants.
Je me relève et jette un œil vers la sortie. Je vois les cheveux d'Alice voltiger quand la porte se referme lourdement sur son passage. Elle pourrait me cramer, de là, si elle se tournait vers la vitrine. Mais elle marche, les yeux rivés sur Dante, le visage concentré, tentant certainement de comprendre ce qu'il chante.
Je ne l'ai pas vue. C'est pour le mieux, je suppose.
— Pourquoi tu te caches ? T'es chez toi, ici, je te rappelle.
Je secoue la tête. Jane ne peut pas comprendre. Elle ne sait quasiment rien de notre histoire.
— Je vais pas lui compliquer la vie, c'est plus simple comme ça.
— Tu parles... marmonne-t-elle.
Je ne relève pas. Ça ne sert à rien d'imaginer comment ça aurait pu se passer si...
Deux heures plus tard, je termine enfin mon service, le moral bien au fond de mes Jordans. Il est temps de rentrer chez moi, mais putain, j'en ai autant envie que de me taper un deuxième service au Polly's. Essayer d'être là pour Adam et ma mère, c'est cool. Mais j'aimerais bien que quelqu'un me soutienne moi, des fois.
Je monte dans ma caisse, et prends tout de même le chemin de la maison. Quand je suis sur le point d'entrer dans ma rue, je décide de faire un U-turn, et me dirige vers Sunset Beach. La route défile, les palmiers se succèdent, hachent le paysage de fin d'après-midi, comme une pellicule photo qui se déroulerait, image après image. La plage est juste à quelques mètres, et de là, je peux apercevoir des surfeurs se vautrer dans l'écume.
Je trouve rapidement une place devant l'immeuble bleu et blanc, bien propret, qui m'intéresse. Je sonne à l'interphone et tends l'oreille, quand un "Oui ?" me répond.
— C'est Kyle.
On m'ouvre. Je monte par les escaliers jusqu'au premier étage pour me retrouver devant la porte déjà entrouverte.
— Salut.
Savannah se dirige vers moi, ses longs cheveux bruns coulant sur ses épaules, son visage parfaitement maquillé. Ses yeux brillent comme des aurores boréales et ses lèvres soulignent ses pommettes roses, lorsqu'elle m'aperçoit. Elle passe ses bras autour de mon cou, et dépose son sourire sur le mien, plus timide.
— Trop mignon, cette petite visite à l'improviste.
Depuis Alice, je n'ai pas beaucoup baisé. Je ne me suis pas abstenu non plus.
— Je passe juste un peu plus tôt que prévu, haussé-je les épaules.
Elle colle sa tête contre mon torse.
— Tu vas tellement me manquer...
— Ça va passer vite. Et puis on s'appellera.
— Tous les jours.
Elle relève la tête pour planter ses yeux charbonneux dans les miens, avec une lueur de défi.
— Je te préviens, je veux qu'on s'appelle tous les jours.
Au lieu de lui répondre, je l'embrasse à mon tour. J'écarte ses lèvres de ma langue pour l'introduire dans sa bouche, et ça suffit pour me donner la trique.
Ce n'est pas Alice. Mais je ne compte pas devenir prêtre. Je suis passé à côté de l'amour. Je ne vais pas passer à côté du plaisir.
Et notre dernier rendez-vous à Paris m'a fait comprendre qu'il fallait que j'essaie moi aussi d'avancer. Quelques semaines après mon voyage en France, j'ai cédé aux avances de Savannah, dont la ténacité rivalise avec la mienne.
La mienne... Je ne l'ai pas perdue, mais j'ai compris que le mieux pour Alice était de se reconstruire sans moi. Même si elle me rend la tâche plus difficile en se pointant ici... Et damn, je lui en veux un peu pour ça.
Cette pensée me tord le bide, mais je refoule la douleur en serrant un peu plus fort le corps de Savannah entre mes bras.
Trois mois que je suis avec elle, et ça va sûrement s'arrêter là. Les relations à distance, ce n'est pas mon truc. Surtout que ce n'est pas comme si c'était l'amour fou, entre nous.
— Tu t'en sors avec tes cartons ? me sort-elle de ma rêverie.
— Bof, pas tellement. J'ai trop la flemme. Je vais finir par tout virer, ce sera plus simple.
— Tu sais que je peux t'aider cet aprèm, si tu veux...
— Non, t'inquiète. Je vais gérer.
Je ne l'ai jamais ramenée chez moi. Ce n'est pas maintenant que je vais commencer.
— Du coup, je peux t'accompagner jusqu'à l'aéroport, jeudi ?
— Ouais, pas de problème.
— Je veux être avec toi jusqu'au dernier moment...
— Et tu seras avec moi jusqu'au dernier moment.
Sur cette promesse, je dépose un baiser sur ses lèvres déjà humides de ma salive, et ai tout à coup une furieuse envie de m'enfouir en elle. Faut dire que son décolleté plongeant ne m'aide pas à garder la tête froide. Je sens qu'elle aussi, me désire. Elle s'éloigne de moi, me regarde comme si j'étais Jamie Dornan ou un mec du genre, attrape ma main et me tire vers sa chambre.
Alors elle me laisse la baiser comme j'en ai besoin. Fort. Je ne suis pas sûr d'être le meilleur coup de sa vie, là, maintenant. J'avoue que je suis beaucoup moins attentif à elle que j'ai pu l'être auparavant. Je ne la laisse pas sur le carreau non plus, mais je cherche surtout à m'oublier.
Pourtant, cette fois, tandis que je suis en elle, j'ai un goût amer qui m'empêche de savourer le sien. Un goût de trahison.
Savoir Alice tout près me perturbe. J'ai du mal à me concentrer... Est-ce qu'elle est dans mon ancienne chambre, en train de lire sur le lit, comme elle aime le faire ? Merde, resaissis-toi, mec. Savannah. Savannah est là, elle. Ou dans le jardin, écoutant poliment les conneries de Dante ? Putain... J'ouvre les yeux et les plante sur les courbes de ma partenaire. Sur ses formes qui détourneraient un prêtre du droit chemin.
Après ça, je ne tarde pas à rentrer chez moi. Je pensais que ça m'aurait détendu, mais le stress et la culpabilité ne veulent pas me lâcher la grappe.
Quand je passe la porte de la maison familiale, je m'aperçois qu'il n'y a personne. Je monte dans ma chambre. La pièce est un vrai foutoir, pire que d'habitude, avec des caisses et valises qui s'entassent sur le plancher. Je peux à peine me faufiler jusqu'à mon lit, où je m'affale. Un sentiment d'oppression m'étrangle alors. Il se planquait certainement là, attendant mon retour dans cette piaule de merde, pour kidnapper le peu de calme qui me reste.
Je me sens tomber, comme dans un putain de puits sans fin. Ça commençait à aller mieux, je m'étais trouvé de nouveaux repères, j'avais presque réussi à enterrer ma relation avec Alice. Ma vie monotone ne me donnait plus l'impression d'être au fond du trou. Et il faut qu'elle débarque pour tout foutre en l'air.
Allongé sur mon lit, je dépose mon bras devant mes yeux, et tente de m'endormir. Mais l'image d'Alice au café se mélange avec celle du sourire de Savannah, manquant de saveur, tout à coup. Et l'idée de m'éloigner d'elle m'enfonce un peu plus dans les abîmes de mon spleen.
Ça va passer vite, ouais... Mais je vais devoir lutter encore longtemps, contre mes démons ?
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Hello à tou·te·s,
Une merveilleuse année à vous, j'espère que vous avez passé de bonnes fêtes et avez pu vous ressourcer avant ce début 2021.
J'espère aussi que ce nouveau chapitre du pdv de notre américain préféré vous a plu, malgré ses choix...
Il se cache, il se cache ! Mais pourtant, elle n'a pas tort, Jane, non ?
Et Savannah, je parie que vous l'adorez 😜
Son départ approche... Qui va faire en sorte qu'ils arrivent à se voir ?
Thanks a lot @DorothePlaquet , pour la découverte musicale. En effet, ça pourrait carrément être Kyle qui chante Alice, au lieu de Jack Curley 😊
Et en ce début d'année, j'en profite pour vous faire plein de gros bisous et vous remercier encore pour votre soutien, vos commentaires, vos likes, vos messages. Je suis trop contente de partager cette expérience avec vous ❤️
Prenez soin de vous,
Cheers ❤️
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