Chapitre 11

ALICE

   Des mains se posent sur moi, je les accueille avec délectation. Leur chaleur, aussi douce que celle d'un bain de soleil, irradie ma peau. Je ne vois pas celui qui m'enlace, debout derrière moi, son torse collé contre mon dos. Son souffle me chatouille la nuque et éveille un frisson qui s'écoule ensuite le long de ma colonne vertébrale, telles des perles de pluies fraîches durant une journée d'été trop chaude.

Les mains s'enroulent, caressent, dessinent une trajectoire très précise sur mon corps : elles esquissent la courbe de mes hanches pour remonter sur ma taille, et passer vers l'avant, encerclant mon nombril. Puis les doigts méticuleux courent vers mon bassin, sans l'entrave de mes sous-vêtements dont je suis déjà dépourvue. Je sais que lui aussi, est nu. Ses bras autour de ma taille, son corps musclé derrière moi, sa virilité appuyée sur le bas de mon dos, sa joue contre mon oreille. Peau contre peau. Corps contre cœur.

Farès, devant, à quelques pas de moi, avance. Son regard est aussi sombre que celui d'un loup prêt à attraper sa proie pour s'en délecter. Lui aussi est dénué de vêtement. Son torse bien dessiné est légèrement dissimulé par une toison brune dans laquelle mes doigts ont l'habitude de se perdre. Et lorsqu'il arrive près de moi, ma main s'empresse de retrouver ce chemin.

Pourtant, ce n'est pas celui que je peux voir, devant moi, celui que je touche à cet instant, qui m'ébranle. Mon autre main s'empresse d'attraper celle, longue, veineuse, puissante, toujours posée sur mon ventre. Je me concentre sur ce corps invisible, qui me rend ivre sans aucune autre substance que la chair et l'amour.

— Oui, c'est ça baby, laisse-toi aller.

Chacun des pans de ma perception s'agrippe aux sensations qu'ils peuvent : le visage et le torse de Farès, le souffle sensuel près de mon oreille, l'odeur musquée qui restera sûrement sur ma peau, le goût acidulé de ce pouce qui caresse mes lèvres, les mots de Kyle.

La main de Farès, comme une clé anglaise, attrape mon menton avec juste ce qu'il faut de brutalité. Lui qui est si délicat d'habitude, me prend de court. Son visage s'avance vers le mien jusqu'à ce qu'il m'embrasse comme s'il ne pouvait plus se contenir, comme pour me punir. Mais ce sont les baisers de Kyle le long de ma nuque, humides, parfois légers, parfois sauvages, accrochant ma peau de ses dents, qui m'emmènent plus loin vers les cimes du désir.

Quand Farès en a terminé avec ma bouche, il descend vers ma poitrine, empoigne un de mes seins, le fait rouler dans sa paume, puis l'embrasse à pleine bouche. Kyle, toujours derrière moi, tourne mon visage vers le sien et ses lèvres trouvent les miennes, aimantées les unes aux autres. Faites les unes pour les autres.

Que c'est bon, de le retrouver ; je n'attendais que ça. Mes pensées sont annihilées par sa présence, mon corps guidé uniquement par les sensations qu'ils me procurent, je m'enivre de tout ce qu'il veut bien me donner. Et le sentiment de satisfaire enfin des besoins aussi vitaux que ceux de respirer ou de boire. Mon corps est sien. Son âme est mienne.

Farès s'occupe de mon autre sein et ma respiration est une tempête sur le point de rugir. Je passe une main en arrière, la dépose sur la joue de Kyle pour le rapprocher encore si cela est possible. Mon cœur semble prêt à exploser et laisser mille éclats s'incruster dans ma poitrine, tant il est empli d'amour, d'excitation, de soulagement, s'entremêlant dans un combo parfaitement dosé pour emporter mon corps au bord d'un délicieux précipice.

Farès descend plus bas, plus bas, écarte une de mes jambes afin que je pose le pied sur le canapé à côté de nous. Puis il s'attaque à mon intimité, sa langue jouant avec mes lèvres déjà trempées.

— Tu me manques, mon amour, me souffle Kyle entre deux baisers.

Les larmes me montent aux yeux tant je suis soulagée, et je soupire à mon tour :

— Moi aussi, tellement.

Je me laisse envoûter par le plaisir que ces deux hommes me procurent. L'un simplement technique, l'autre purement émotif.

Farès se relève et je me retrouve collée à ces deux corps, l'un derrière, l'autre devant. Leur tête de chaque côté de la mienne, enfouie dans le creux de mon cou. Ils me guident tous deux jusqu'au lit tout en déversant une pluie de baisers sur chaque parcelle de ma peau qui leur semble accessible. Nos pas dansent un ballet bancal, sans coordination, juste pressés de nous mener à destination.

Lorsque que je m'assieds, puis m'allonge sur le dos, il n'y a plus personne derrière moi. Seuls le moelleux du matelas et le satiné des draps caressent ma peau. Seul Farès me fait face.

Il s'avance au-dessus de moi dans une grâce féline. Je regarde ce visage que je trouve si beau, ces traits à la fois ténébreux, masculins et délicats. Ces grands yeux en amande comme soulignés de Khôl, cette mâchoire carrée, ces joues recouvertes d'un fin duvet dont je ressens encore le picotement sur ma poitrine.

Lui aussi me regarde, le désir déborde de ses yeux noirs, de sa bouche entrouverte.

Et puis il s'immisce en moi doucement. L'étincelle lascive qui m'envahit alors fait apparaître le visage de Kyle, qui prend la place de celui de Farès. Juste un bref instant. Mais plus le plaisir s'accroît, plus le visage de celui que j'aime s'insinue à la place de celui qui me fait l'amour.

Jusqu'à l'apogée.

Il ne reste que lui et moi.

Kyle. Alice.

A peine atteint l'orgasme que je me réveille en sursaut, les yeux grands ouverts sur le plafond au-dessus de moi, recouvert par la couleur de la nuit.

Dans le canapé-lit du salon de Hugo et Axel.

Seule.

Je me redresse, frotte mon visage de mes paumes de main pour tenter d'effacer ce rêve interdit.

Je ne sais plus quoi faire pour me débarrasser de mes fantasmes et sentiments envers Kyle. Il va peut-être falloir que je les regarde en face. Que je tire un trait définitif, pose le point final de notre histoire, en écrive l'épilogue avec les mots de ma raison, pas ceux que mon cœur suicidaire cherche à me dicter. Je ne vois pas d'autres solutions.

*****

Le procès a eu lieu il y a déjà deux mois. Pourtant, je me sens toujours aussi démunie face à cette déferlante de pensées qui semblent s'être affranchies de ma conscience.

Deux mois que les mails de l'homme que j'ai aimé sont mon repère chaque lundi. Je les lis, et les relis, tout en me convainquant qu'aucun mot ne pourra réécrire notre passé.

Savoir que Kyle va revenir à Paris d'ici quelques mois me perturbe encore davantage. J'ai l'impression de le voir partout. Je pense à lui le jour ; il régente mes fantasmes la nuit.

Cette obsession conforte mon choix...

Quelques jours à peine après ma rencontre avec Kyle, j'ai envoyé ma réponse à l'organisme d'échange pour partir à Seattle, avec le changement de cours adapté à mon nouveau cursus.

Oui, je pars à Seattle.

Je ne peux pas courir le risque de rester ici, avec Kyle juste à côté. C'est beaucoup trop douloureux. Beaucoup trop effrayant, aussi. L'aimer est une chose, l'accepter en est une autre. Quant à lui pardonner, c'est tout simplement une hérésie.

Je pars à Seattle.

Chaque jour qui passe, chaque jour qui me rapproche de la double échéance, à savoir l'arrivée de Kyle et mon départ pour les Etats-Unis, mon sentiment d'instabilité s'accroît.

Je pars à Seattle.

Je n'ai pas parlé de mon départ à Axel. Je ne l'ai dit à personne, en fait. Car je suis à peu près certaine que cette nouvelle ne va pas forcément faire l'unanimité.

Quelqu'un toque à la porte de la chambre de mon meilleur ami, dans laquelle je me suis enfermée pour travailler. Comme je dors dans le salon, il me permet de squatter son antre quand j'en ai besoin.

— Oui ? je crie en refermant rapidement ma boîte mails sur laquelle apparaît mes échanges avec l'organisme américain et les mails de Kyle.

La porte s'entrouvre timidement sur Hugo.

— Hé...

— Qu'est-ce que tu fais là ? lâchons-nous en synchro parfaite.

On pouffe tous les deux, avant que j'explique que mon prof était absent cet après-midi. Puis je m'aperçois de son teint trop blafard pour être bon signe.

— Et toi ? T'as pas bonne mine...

Il se passe une main sur le visage avant de m'expliquer :

— Ouais, je me sens pas super bien, j'ai été malade toute la nuit...

D'un coup, je fais reculer ma chaise dans un grincement disgracieux.

— Vade retro ! M'approche pas, ordonné-je avec mes mains en bouclier, ce qui le fait rigoler.

— T'inquiète, je garde mes distances.

Je me lève tout de même et me dirige vers lui malgré mon petit cinéma précédent.

— J'ai besoin d'une pause... Ça te dit une tisane de mémé ? Ça fera du bien à ton petit ventre, en plus.

Nous sortons de la chambre et nous dirigeons vers la cuisine pour nous préparer nos boissons. Le mois d'avril est bien entamé, mais le froid parisien a décidé de s'installer encore un peu, pour le plus grand bonheur des boissons fumantes. Je mets l'eau à bouillir, tout en demandant à Hugo :

— T'as des nouvelles d'Axel, toi ?

Mon colocataire fait une moue embarrassée.

— Pas plus que toi, je crois.

Depuis que j'ai lu le message de chantage sur le téléphone de mon meilleur ami, le problème semble s'être tassé. J'ai persécuté à mon tour Axel, pour la bonne cause. Il fallait qu'il m'explique ce qu'il se passait. Hors de question que je le laisse se noyer dans une situation de harcèlement. Mais il a su me rassurer, à force de persévérance, en m'affirmant que l'affaire était réglée, et que la personne s'était calmée. Et je dois dire qu'il a l'air d'aller beaucoup mieux. Cependant, je ne peux m'empêcher de m'inquiéter encore pour lui. Je ne connais pas le fin mot de l'histoire, et quelque chose me turlupine là-dedans.

Je soupire, résignée par le mutisme d'Axel envers ses deux meilleurs amis. C'est incroyable à quel point il n'aime pas parler de lui.

— J'espère qu'il va vraiment bien, en tout cas. Je me fais du souci pour lui, avoué-je.

— Ouais, moi aussi. Mais franchement, je pense qu'on devrait pas trop s'en faire. C'est un grand garçon, et il a l'air bien, là. Tu trouves pas ?

— Si, si...

Chacun à ses préparatifs et certainement plongé dans nos pensées convergeant vers Axel, seul le bruit de la vaisselle et de la bouilloire en train de chauffer se fait entendre.

— Sinon, tu sais... J'étais chez Cara hier soir, finit par m'annoncer Hugo, comme si c'était une nouvelle absolument vitale.

— Oui et merci de pas me donner les détails, gloussé-je en lui donnant un coup de coude.

Mais il reste sérieux et paraît tout à coup aussi coincé que s'il allait m'avouer qu'il avait étranglé mon chat.

— En fait, Kyle était là.

Mes mains se bloquent autour des deux tasses que je m'apprêtais à sortir du placard et je n'ose plus regarder vers mon ami. Est-ce une blague ? Non, Hugo a beaucoup de qualités mais n'a pas un humour débordant. Et surtout, il ne se permettrait pas ce genre de cruauté.

— Je savais pas si je devais te le dire, mais vu que la dernière fois...

Oui. La dernière fois, si j'avais été prévenue par les colocs endiablés de la présence de Kyle, ça m'aurait arrangée.

Ou pas.

Je secoue la tête pour rappeler à ma raison qu'elle doit bien se conduire et poursuis ma recherche de sachets de thé.

— Non, non, t'inquiète pas, t'as bien fait, le rassuré-je. Tu sais s'il... Il va rester longtemps ?

Ma tête déborde de questions. Que fait-il de nouveau en France ? Le procès est derrière lui maintenant. Ses travaux d'intérêt général commenceraient-ils déjà ? Cara m'avait pourtant dit que ce ne serait pas avant plusieurs mois...

— Il rendait juste visite à Cara et Martin. Mais d'après ce que j'ai compris, il est chez sa famille, avec sa mère et son frère.

Sa mère et son frère en France ? J'espère que ce n'est rien de grave. Je soupire d'exaspération envers moi-même. Qu'est-ce que j'en ai à faire, sérieusement ? Je hoche la tête machinalement devant ma stupidité, ne trouvant rien à répondre.

Ça ne peut plus continuer comme ça. Je dois stopper cette mécanique qui est en train de me rendre folle. Je veux arrêter de penser à lui. Couper le moindre espoir qui s'immisce trop souvent en moi comme si j'étais capable de lui pardonner, comme si ce qu'il m'avait fait pouvait s'oublier, comme si ma fracture et mes rêves échoués n'étaient pas un obstacle à notre lien brisé.

Il faut que je mette un terme à tout ça. Que je lui redonne son argent qui dort toujours sur mon compte. Celui qu'il m'avait prêté pour le dossier d'échange et qu'il ne m'a jamais laissé lui rendre.

Lui demander de ne plus m'envoyer de message. Ces messages qui me brisent un peu plus le cœur à chaque lecture.

Exiger qu'il me laisse définitivement tranquille.

Une fois cette décision prise, je refoule tout au fond de moi cette chose indéfinissable qui me supplie de ne pas effectuer ce que je m'apprête à faire, cette force qui semble se noyer dans ma conviction de faire le bon choix. Je tape un sms à Cara, les mains tremblantes : 

"Dis à Kyle que je dois le voir."

Après quoi, je propose à Hugo d'aller lui acheter quelques médicaments à la pharmacie, histoire de prendre l'air et rafraîchir mes idées qui s'échauffent beaucoup trop à l'évocation d'un prénom de quatre lettres. Après avoir enfilé mon manteau, je claque la porte de l'appartement. Je suis sur le point d'appuyer sur le bouton pour appeler l'ascenseur quand celui-ci me devance et s'ouvre.

S'ouvre sur un couple qui s'embrasse comme des fous furieux, collés contre la paroi de l'ascenseur. Une image très vite effacée par celle de la femme d'une trentaine d'années, en tailleur jupe crayon, qui s'écarte brusquement.

Et d'Axel qui me regarde effaré.

— Alice ! Qu'est-ce... Qu'est-ce que tu fais là ?!?


****

Pfiouh !! Que de nouvelles dans ce chapitre 😜

Of course, je sais bien que tout le monde avait compris qu'Alice était en plein fantasme ^^J'avais juste envie de montrer à quel point Kyle met le bazar dans sa tête, son cœur, et son corps même ; et ça fait un moment que moi aussi je fantasme d'écrire une scène de ce genre lool. J'espère que ça n'a dérangé personne...

Kyle est déjà de retour ! Ça risque d'être quelque chose, cette rencontre, si elle a lieu, non...? Des pronostics ?

Et la décision d'Alice de partir ? De mettre un terme définitif à leur histoire ? Va-t-elle le faire ? Pas le faire ?

Enfin, bien sûr, Axel... Que se passe-t-il à votre avis de son côté ? J'ai beaucoup d'explications à vous donner le concernant, et promis, au chapitre 13, vous les aurez. Mais j'avais envie de vous laisser encore un peu perdu.e.s 😋

Le son, Arrows de Haux : "if you leave, don't forget, if you love, don't regret, if you leave, don't forget, all the love, that you left" [si tu pars, n'oublie pas, si tu aimes, ne regrette pas, si tu pars, n'oublie pas, tout l'amour, que tu laisses] C'est trop beau 😭

So sorry, mais le prochain chapitre arrivera en retard aussi... Confinement ou pas, je reste dans le rush encore un peu... J'espère que de votre côté, vous le vivez bien...

Bisous à tous

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