Chapitre 9 partie 1

Quelqu'un s'assoit à côté de moi et je n'ai pas besoin de le regarder pour savoir que c'est lui. Je sens son odeur légèrement musquée, et une note d'agrume.

– Comment tu m'as trouvée ? je le questionne.

Ma voix sonne comme un couperet bien aiguisé.

– C'est vrai que tu m'as lancé un véritable jeu de piste. Rayon Art, deuxième étage, vraiment, un casse tête.

Je sens qu'il s'est tourné vers moi pour me faire part de sa plaisanterie, alors que j'arbore un visage fermé, hostile j'espère, depuis son arrivée.

– OK, bon... T'es moins con que t'en a l'air en fait.

Mais, à la vue de son air offusqué, je mets ma main devant la bouche pour retenir un rire trop bruyant.

– J'ai l'air con, hein?

Il paraît à la fois chagriné, amusé et un peu soulagé aussi. Je jette un oeil à l'autre garçon à ma table, qui n'a pas l'air de nous remarquer, complètement absorbé par son bouquin. Tant mieux. J'essaie rapidement de reprendre mon sérieux. Je m'en veux déjà; je dois maintenir le plus de distance possible avec Kyle_le_bad-boy.

– T'as bientôt terminé ? murmure-t-il.

– Non, pas encore. J'en ai pour une bonne demi-heure.

Qu'il patiente un peu, ça lui fera les pieds ! Et puis, il n'avait qu'à venir à la fermeture, s'il n'est pas content. Mais il reste impassible.

– D'accord, je t'attends.

Et je le sens près de moi, calme. Je me concentre de toutes mes forces sur ce que j'ai à fignoler, mais étudie aussi malgré moi, dans le coin de l'oeil, ses faits et gestes. Il reste patient, et attend, en effet. Il finit par se lever, et revient quelques minutes plus tard avec un livre à la main. Il le parcourt un moment, le feuillette distraitement. Puis retourne le reposer. Et l'heure tourne. Et j'avance malgré ma distraction. Et, enfin,

– Voilà, on peut y aller.

– Bon. Tu veux boire un verre ?

– Je croyais que tu avais à me parler ?

Je crois que mon ton reste bien tranchant comme il le faut.

– Ouais, je dois te parler. Mais ça nous empêche pas de le faire autour d'un verre, si ?

– En fait, je préférerais qu'on marche.

Je pourrais m'enfuir plus facilement si besoin.

– D'accord, comme tu veux.

Il sent bien le froid glacial que j'essaie d'instaurer entre nous.

Je range mes affaires, et nous partons, pendant que l'annonce de la fermeture de la bibliothèque se fait entendre pour la troisième fois.

Lorsque nous sortons du bâtiment assombri par la nuit, nous nous dirigeons vers les quais de Seine. On échange des banalités, évitant de se plonger tout de suite dans une discussion trop sérieuse. Au final, c'est surtout lui qui essaie de faire la conversation, comme s'il ne m'avait jamais balancé ses saloperies. Moi, je me contente de répondre par monosyllabes, évitant soigneusement de le regarder. Nous finissons par arriver près de l'eau, longeons la berge pavée, passant devant des péniches-restaurants ou -boîtes de nuit. Au bout d'une bonne demi-heure à esquiver le sujet qui m'intéresse, le silence s'installe et je n'y tiens plus.

– Tu voulais me parler...

– Ah. Hmmm... Ouais... bafouille-t-il.

Changement d'atmosphère. Je l'observe en essayant de me montrer détachée, et attends qu'il prenne la parole. Au bout d'un moment, je l'engage à se lancer.

– Je t'écoute.

Il réfléchit un instant, et puis murmure:

– Je suis désolé.

– Désolé ? je demande d'un ton qui se veut stoïque au possible.

Il a l'air de chercher ses mots.

– Ce week-end, j'ai dû gérer des trucs... qui m'ont pris la tête. Ç'a été très compliqué, des trucs vraiment chiants, tu vois.

Qu'est-ce que c'est que cette excuse bidon? Il a l'air en effet un peu tourmenté, mais plus vague tu meurs ! Et puis quel lien avec ses propos blessants de ce matin ? Ne sachant que dire, je patiente pour qu'il poursuive. Il se tourne vers moi, et attend lui aussi que je parle. Mais comprenant que je n'ouvrirai pas la bouche, il se décide à reprendre la parole.

– Bref, je sais que ça doit te paraître un peu.. con, mais c'était vraiment la merde ces derniers jours. Enfin... depuis samedi. Je peux pas trop t'expliquer, ce sont des histoires de famille. Mais, s'il te plaît, crois-moi quand je te dis que je pouvais pas te donner de nouvelles.

– Et c'est pour ça que ce matin tu as décidé de m'insulter? je lui lance ironiquement.

– Je t'ai pas insultée, Alice. Je suis venu pour te voir, et t'avais l'air tellement furieuse...

– J'étais furieuse parce que j'ai du mal à te suivre, figure-toi. Et si, tu m'as insultée.

Je commence à m'échauffer, ma voix s'emballant au rythme de mon agacement, et je sens mon visage s'empourprer.

– Tu m'embrasses, et puis tu m'esquives, et pour finir tu te mets à m'humilier devant ton pote et... cette fille. Qu'est-ce que je dois penser à ton avis?

– Tu délires, là. Je t'ai dit que j'étais venu te voir pour m'expliquer et...

– Recommence pas à être blessant s'il te plaît.

Il se frotte le visage d'une main.

– Je vais être franc avec toi, Alice.

Il regarde autour de nous. Les petites arènes au bord de la Seine, où les gens viennent danser certains soirs d'été, sont juste à quelques mètres. Avant de reprendre ses explications, il me propose de nous asseoir. Nous nous dirigeons alors vers les gradins vides, et nous asseyons face au fleuve, l'un à côté de l'autre. Je regarde une péniche passer, illuminant l'enclave dans laquelle nous nous trouvons, lorsqu'il reprend la parole.

– J'suis en France pour peu de temps comme tu le sais. Et clairement, je vais pas te mentir, je suis venu pour m'amuser. Et depuis deux mois que je suis à Paris, c'est exactement ce que je fais. Soirées, alcool... Tout ça quoi.

Lorsqu'il surprend mon regard perplexe, il hausse les épaules et ajoute, un peu gêné :

– J'essaie d'être franc, hein...

Il laisse passer quelques instants, et poursuit :

– Bon, et je t'ai rencontrée la semaine dernière. Je sais, on recherche sûrement pas vraiment la même chose tous les deux, et tu vas sans doute pas me croire, mais je suis pas un salaud non plus. T'es une fille bien... Je veux dire, je veux pas profiter de toi, ni te faire miroiter des trucs, tu comprends ? Damn... et en même temps, j'aimerais bien qu'on continue à se voir. Tu.. me plais Alice, mais...

– Donc en clair je suis trop bien pour toi, c'est ça ?

– Eh bien, en quelque sorte, o...

– Le genre d'excuse minable pour faire comprendre à une fille qu'elle t'intéresse pas, je le coupe. Ca va Kyle, j'ai compris, te foule pas, merci pour tes excuses, à plus.

Et je me mets debout dans l'intention de partir. Il se lève à son tour, m'attrape le bras.

– Attends, fuck... arrête.

Sa voix est calme. Et il me surprend complètement en attrapant mon visage de ses grandes mains délicates, déposant ses lèvres sur les miennes. Mon ventre se contracte, mon coeur manque un battement, des frissons me parcourent de la plante des pieds jusqu'au crâne. J'essaie de le repousser, les mains sur sa poitrine, mais il resserre son étreinte tout en douceur, et je finis par lâcher prise et me laisser aller. Et puis il s'écarte un peu, juste assez pour me souffler sur les lèvres:

– Laisse-moi juste... te divertir, sans prise de tête.

L'espace d'un instant, je suis prête à accepter son marché. Je suis prête à tout accepter, tant que cela me permet d'être avec lui. Mais...

– Je saurais pas faire ça, Kyle.

Ma voix tremble. Il m'embrasse de nouveau, tendrement, et me répond :

– Y a rien à faire, juste ne pas réfléchir.

– Justement, impossible, soufflé-je avec ce qui me reste d'air.

Il commence à frôler ma mâchoire de ses lèvres, déposant ça et là de petits baisers jusqu'à mon cou, et termine son tracé juste sous l'oreille, où la peau est si sensible. Je peux sentir à cet endroit précis, sous le derme, mon pouls s'accélérer. Et un frémissement, dont l'épicentre se trouve en ce point, me parcourt à cette sensation exquise. Puis il propose, la bouche toujours sur ma nuque:

– Alors juste ce soir. Passe la soirée avec moi, sans prise de tête. Et puis demain... on s'en fout.

Je me recule brusquement et le regarde, me sentant soudain furieuse, offensée, et lui lance avec un rire nerveux :

– Tu crois sérieusement que je vais accepter de coucher avec toi, comme ça, là, ce soir?

Je vois ses yeux s'écarquiller.

– Non ! non, je parlais pas de ça ! Je sais me tenir, damn ! Une soirée sans prise de tête, ici, dans les rues de Paris.

– Comment tu veux que j'interprète ta proposition autrement ? C'est ce que tu prétends faire tout le temps avec toutes ces filles qui te tournent autour.

Il a l'air un peu froissé par mes mots. Mais il reprend très rapidement contenance et essaie de me convaincre, la paume des mains face à moi.

– Je te promets solennellement que je ne te toucherai pas. Même sous la torture.

J'ai beau résisté, un sourire se dessine sur mes lèvres devant son air mutin. Il ajoute alors :

– Même si tu changes d'avis, même si tu me supplies, je te jure que je te ferai rien.

Ses mots énoncés sur un ton beaucoup trop solennel pour être sérieux me font rire. Mais il sent tout de même mon hésitation persistante.

– Si tu ne me crois pas, rappelle-toi juste vendredi dernier. Je sais être un gentleman Miss.

Il sourit de toutes ses dents, les yeux pétillants, et il me fait craquer complètement. Je fais semblant de réfléchir encore un peu, même si je crois que ma décision est prise. Il plante ses yeux perçants dans les miens.

– Arrête de cogiter. Allez, juste ce soir. Accepte.

Je ne devrais pas, je sais que ça ne peut pas bien se terminer. Demain je m'en voudrai, je me serai attachée un peu plus, et m'enfoncerai encore davantage dans ma peine et ma frustration, dont il est la cause. Et puis, lui, qu'est-ce qu'il cherche exactement? J'hésite encore un instant...

Alors alors, est-ce qu'elle doit accepter à votre avis les loulous?

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