Chapitre 78

   Nous voici, en ce dimanche midi, à La Ferté-Alais. En route vers ma maison familiale.

Ca fait des semaines que je n'ai pas vu mes parents, et ils nous ont invités, Kyle et moi, à passer cette journée ensemble pour fêter la fin de nos examens et mon rétablissement.

Après plus d'une heure de transport en commun, il nous reste encore quelques minutes de marche pour arriver dans le quartier où j'ai passé mon enfance. En ce mois de juin, le temps est doux, les jardins se succédant les uns après les autres le long du trottoir sont verdoyants et les arbres en fleurs. J'ai même piqué quelques cerises qui dépassaient de l'une des clôtures. Un temps qui fait du bien après la grisaille incessante de ces longues semaines passées. C'est Paris.

Tout en poursuivant mon chemin, je jette un oeil inquiet vers Kyle. Depuis quelques jours, c'est loin d'être la grande forme. Le teint blafard, les lourdes cernes accrochées à ses yeux brillants sont autant de signes préoccupants. Ses nuits sont très agitées, tandis qu'il semble fébrile et aphasique le jour. Il a l'air malade.

En fait, cela fait déjà plusieurs semaines que son état se dégrade. Peu après la réponse pour mon échange à Seattle, j'ai commencé à m'apercevoir qu'il paraissait de plus en plus fatigué, perdant l'appétit, et sa bonne humeur aussi. J'ai d'abord mis ça sur le compte des partiels, mais une fois ses examens achevés, j'ai dû me résigner, c'était de pire en pire. Il avait du mal à se lever le matin, s'isolait souvent, prétextant des maux de tête insupportables. J'ai insisté pour qu'il aille consulter un médecin. Mais, évidemment, ce n'est pas la peine selon lui. Tout va bien.

J'essaie d'être présente, comme lui l'est pour moi depuis des mois, sans trop l'étouffer et en évitant de lui montrer le degré de mon inquiétude s'amplifiant chaque jour un peu plus. De toute manière, je ne suis pas certaine qu'il le remarquerait. Son regard paraît vide, centré à l'intérieur de lui, comme s'il ne voyait plus ce qui l'entoure.

J'ai insisté pour annuler ce repas chez mes parents. Il a insisté pour le maintenir. Je n'ai pas voulu le contrarier, mais il semble avoir plus de mal à avancer que moi.

— C'est par là qu'habite Axel, non ?

Je suis le regard de Kyle qui se dirige vers une petite route de campagne bifurquant vers le village.

— Oui, c'est bien ça. Comment tu le sais ?

— Quand on venait te rendre visite, il prenait ce chemin pour aller voir sa mère. Il est ici aussi ce week-end, c'est bien ça ?

— Oui. On pourra toujours lui faire un coucou en repartant si on a le temps.

Je presse un peu le pas, car nous sommes en retard.

Ma maison familiale est à un bon quart d'heure à pied de la gare, mais je suis très fière de pouvoir l'effectuer sans aide. Depuis un petit mois, je ne porte plus les béquilles et marche presque comme avant. Mon genou reste très peu mobile et parfois encore douloureux, mais les progrès sont énormes. Près de cinq mois après l'accident, à me battre pour retrouver mon autonomie et avancer, je peux enfin considérer que j'ai réussi.

D'autant que j'ai pris la décision de partir à Seattle. Je ne suis pas prête à renoncer à ce rêve-là, et suis déterminée à affronter les complications que cela pourrait engendrer. Mais ce sera surtout une expérience inoubliable. Et le fait que je puisse compter sur la présence de Kyle a évidemment pesé dans la balance. Après tout, il n'y a que le soleil californien que je louperai.

J'ai tout de même expliqué ma situation à l'organisme s'occupant de l'échange, au cas où un changement de dernière minute serait susceptible de modifier mes plans, notamment par rapport à l'état de mon genou.

Mais pour l'instant, tout à l'air de fonctionner à peu près comme il faut. J'ai même pu assister à mes partiels. Je suis pratiquement certaine de devoir repasser quelques matières l'an prochain. Mais j'ai tout de même évité les gros dégâts.

Une année se termine. Une année riche en émotions. Et je dois avouer que ça me rend nostalgique, même si la prochaine s'annonce tout aussi remplie. Simplement, ça reste le grand inconnu. Et j'espère tant que mon genou ne va pas m'obliger à mettre encore un rêve de côté.

Nos vacances en Corse dans quelques jours seront déjà un premier test. Il me tarde de me retrouver sur les petites criques désertes et ensoleillées de la méditerranée. J'espère simplement que Kyle va aller mieux.

Mon téléphone sonne, je l'extirpe de mon sac à main pour répondre. Mais lorsque je vois le nom sur l'écran, je le range aussitôt.

— C'est Morgane. Encore ! 

Cela fait plusieurs fois qu'elle m'appelle ces derniers temps pour qu'on se voie, mais elle annule toujours au dernier moment.

Comme je n'entends plus Kyle, je me retourne pour voir s'il est toujours avec moi. Il paraît très essoufflé.

— On peut s'asseoir un peu, s'il te plaît ? articule-t-il entre deux respirations saccadées.

— Oui, oui bien sûr, affirmé-je en le rejoignant sur le muret sur lequel il a pris place.

Sa poitrine se soulève amplement, suivant la cadence arythmique de ses inspirations. Les coudes plantés dans ses genoux, les mains jointes devant lui, ses yeux fixent le sol à ses pieds. Je ne sais pas quoi faire.

— Tu veux que j'appelle mes parents ? Qu'ils viennent nous chercher ?

Il ne reste que deux pâtés de maisons à parcourir, mais Kyle semble vraiment au bord du malaise.

— Non, non. Ca va aller. Laisse-moi juste une minute.

Je patiente, silencieuse à ses côtés, l'anxiété s'emparant de ce qui me reste de calme. Le soleil est caché derrière les grands arbres aux branches épaisses, juste au dessus de nous. A l'ombre, il fait presque un peu trop frais.

— Alice.

Sa voix n'est plus qu'un filet tremblotant. Je m'approche de lui, pose ma main sur son dos voûté. Kyle est blanc comme un linge, complètement immobile.

— Oui ? Je suis là.

Une larme s'écrase sur le goudron abîmé du trottoir entre ses jambes. Je commence à ne plus maîtriser l'angoisse qui se resserre comme un étau autour de ma gorge.

— Je t'aime. Si tu savais combien je t'aime. Je suis prêt à tout pour toi. Tout.

Que lui arrive-t-il ? Après une longue minute atrocement silencieuse, il souffle :

—Alice. C'est moi.

Il passe une main devant ses yeux éteints, érigeant un rempart entre nous.

— Qu'est-ce... bredouillé-je, la poitrine compressée par l'inquiétude.

— Pour... Pour l'accident. Ton accident. C'est moi.

Je fronce les sourcils, tente de déceler sur son visage ce que je ne comprends pas dans ses mots.

— De quoi tu parles ? Oui, tu m'as trouvée, je le sais.

— Non. La voiture... 

Kyle n'ose pas se tourner de mon côté. N'ose plus rien faire, en fait. Je n'assimile plus rien.

— Qu'est-ce que tu racontes ? m'énervé-je.

Il braque enfin ses apatites sur moi, une autre larme roule sur son visage où la peur et la souffrance se reflètent comme jamais. J'essaie d'intégrer ses paroles qui n'ont pourtant aucun sens.

— Arrête Kyle ! C'est vraiment pas drôle !

La colère se reflète dans mes mots. La panique déborde de ma voix. Kyle reste figé. Il tremble.

— Arrête, l'imploré-je d'une voix sourde et suppliante.

Mais il ne dit rien de plus. Il me regarde simplement, au bord de l'agonie. Mes yeux s'écarquillent et rien ne peut en sortir devant le choc. Kyle aura pleuré pour la première fois devant moi lorsque moi je n'en suis plus capable. La terreur et la confusion me congestionnent les poumons, m'empêchent d'expirer l'air saturé par la détresse qui s'est infiltrée dans chacune de mes cellules. Je me lève presque au ralenti, fais quelques pas en arrière, mes jambes flageolantes me guidant d'elles-même, m'éloignant de mon pire cauchemar. Kyle se lève à son tour mais ne tente même pas de s'approcher.

— Alice, j'ai voulu t'en parler tant de fois ! Mais je voulais que tu ailles mieux...

Il approche sa main vers moi, mais la retire aussitôt comme s'il s'était brûlé.

— S'il te plaît Alice, je t'aime, laisse-moi t'expliquer ! Je t'aime plus que tout !

Il hausse la voix graduellement alors que je m'écarte du muret, me sentant prise au piège. Encore une fois.

— Dis-moi... Dis-moi... que tu mens, soufflé-je avec difficulté.

Il ne répond pas, les yeux braqués sur moi telles des flèches empoisonnées à l'arsenic.

— C'est toi, murmuré-je d'une voix étouffée, suintante de douleur.

— C'est toi, putain ! crié-je à m'en écorcher la voix.

Je me retourne, manque de m'étaler de tout mon long sur le trottoir, et pars aussi vite que mes jambes me le permettent. Mes oreilles... J'ai l'impression de ne plus rien entendre, juste ce sifflement à l'intérieur de ma tête.

Kyle est le responsable de mon accident. Il m'a renversée. Il a détruit mes rêves.

Parmi eux, lui était devenu le plus précieux de tous. Il vient de briser mon dernier espoir, celui pour qui j'aurais fait n'importe quoi, qui aurait pu me faire oublier tous les autres. 

Bon... Je vais me faire toute petite et vous mets tout de suite l'épilogue, car vous le connaissez déjà, étant donné que c'est la première chose que vous avez lue de cette histoire...

Please, please, please, avant de me lyncher, rappelez-vous qu'il y a tout un autre tome de Kylice au programme... 

Ce morceau, l'ultime de la playlist Dans tes Rêves, tome 1. Encore du fucking Hip hop bien commercial, pour changer, mais je le kiiiiiffe. Et il est parfait pour Kyle dans ce chapitre. "Je t'aime. A la folie. Passionnément. A l'ammoniaque..." 😍😍😍😭

On se voit sur l'épilogue pour un petit mot de fin ? 

PS : j'ai écrit deux versions de ce chapitre... Celle-ci est la moins... wicked on va dire... Mais peut-être qu'un de ces 4', je vous posterai la version prévue depuis des semaines, jusqu'à il y a 3 jours lol, en bonus ? Comme ça vous pourriez me dire laquelle des deux trahisons vous préférez 😅 
Ou plutôt les 2 façons d'apprendre la trahison...


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