Chapitre 76
Aujourd'hui, j'ai reçu un mail. Un mail des Etats-Unis. Un mail qui va m'obliger à faire des choix. A définir mes priorités.
On décide parfois de mettre le paquet sur l'un de nos rêves, celui nous paraissant aussi précieux que nos espoirs, celui sans quoi nous sommes persuadés être incapables d'avancer, au détriment de tout le reste.
Mais il arrive aussi de poursuivre des chimères.
Et puis il y a ces rêves qui s'infiltrent en nous lorsqu'on s'y attend le moins. Je n'aurais jamais pensé trouver l'amour là, ici, maintenant. Mais Kyle m'est tombé dessus sans même que je n'ose en fantasmer.
Mais il risque de s'évanouir tel un mirage.
Parce qu'enfin, il y a ces cauchemars qui dévastent tout, déracinant les aspirations, emportant les certitudes dans le torrent boueux de débris des rêves perdus.
Mais des cendres de nos illusions éclosent de nouvelles aspirations .
De par mon accident, toute ma façon de voir les choses a été altérée. Une césure dans ma vie, qui m'a laissée au fond du gouffre pendant un moment. Mais j'y ai trouvé d'autres trésors aussi. D'autres possibilités.
Mes rêves évoluent parce que j'évolue moi-même.
Au plus je pense à ce que j'étais avant, au plus je me pose des questions sur mes choix. Ces choix pour l'avenir que finalement je n'ai pas vraiment choisis.
Jusque-là, je me suis laissée guider. Par la course pour panser mes blessures, les études sans risques d'échec pour éviter de retomber. Mais la vérité, c'est que depuis deux ans je me laisse voguer sur les flots de la facilité, jusqu'à me perdre et échouer avec fracas sur les pourtours de mon identité.
Quand j'étais au lycée, j'aurais aimé entrer dans le monde du journalisme. Pas en tant que grand reporter, en me mettant en danger et parcourant le monde. Non, je me voyais davantage tenir une petite rubrique de vulgarisation artistique ou de sport. Fouiner, chercher, écouter, vérifier, retranscrire, écrire.
Mais je n'ai jamais osé y aspirer. Parce que c'est ambitieux et ça me fait peur. Je ne suis pas sûre d'en être capable, d'avoir les épaules pour supporter ce parcours difficile. Il y a peu d'élus. Pourquoi en ferais-je partie ?
Mais maintenant que j'ai perdu mes repères, que les rêves qui représentaient mon équilibre se sont effondrés, ne devrais-je pas tenter ma chance ?
Et si j'échoue ? Si j'échoue, j'aurais au moins essayé. Sans regret.
Je sais tomber, je sais aussi me relever.
Mais tout va dépendre de ce que contient ce mail que je n'ose pas ouvrir.
Alors je commence plutôt à m'imaginer membre d'un petit journal local ou même un magazine pour enfant, pour commencer. Juste pour rêver. Peut-être même aux Etats-Unis ? Est-ce que je travaillerais de chez moi ? Ou dans un grand open space, avec des tas d'autres pigistes ? En pleine conférence de rédaction, Hugo et Cara sont là, tandis que je stresse : c'est bientôt mon tour d'exposer l'article que je pense proposer pour le prochain numéro. Mon thème ? Ces coureurs qui mangent des brunchs pendant leur marathon. Celui-ci a lieu dans mon studio, au cinquième sans ascenseur. Les participants, par centaines, tournent en rond dans ma petite chambre, sans vraiment avancer. Jusqu'à ce qu'ils s'engouffrent eux aussi dans le sommeil, sans jamais arriver au bout de leur course...
Je me réveille en sursaut sur le lit de Kyle, mes fiches de révision étalées devant moi. Je me frotte la joue, cherchant à effacer les marques de papier que j'imagine imprimées sur ma peau. Jetant un regard circulaire vers la chambre, je tente de reprendre mes repères tout en lâchant un bâillement tout ce qu'il y a de moins raffiné : les tas de livres et classeurs qui s'amoncèlent en piles bancales, sur le point de s'écrouler sur le bureau me font culpabiliser un peu. Kyle avait rangé celui-ci avant le début de mes révisions pour que je puisse y travailler. A croire que ma tolérance au désordre s'est développée en sa présence.
Quant à la sienne, de tolérance, elle n'a pas tant évolué que ça : la chaise qui devrait être soigneusement glissée sous la table est encombrée de linge, propre ou sale, un peu des deux je crois, en attente d'être rangé dans l'armoire de l'autre côté de la pièce, dont les battants ouverts révèlent une montagne de vêtements fourrés n'importe comment sur les étagères. Mon hôte a tout de même épargné le coin qu'il m'a laissé investir.
Oui, ce sont mes repères ici. Des repères rassurants. Ceux qui me rappelle que je suis bien chez Kyle.
Il faut que je me reconcentre, il me reste deux partiels. Ce n'est pas le moment de rêvasser. Mais trop de choses tourbillonnent dans ma tête. Entre mes nouveaux rêves, ceux que nous réalisons ensemble avec Kyle et celui que ce mail que je n'ai toujours pas ouvert pourrait contenir, le côté terre à terre de mes cours a du mal à me raccrocher à la réalité.
Allongée sur le ventre, devant un fouilli de feuilles froissées et fiches bristols, je tente de reprendre où j'en étais avant d'avoir divagué sur mon avenir et m'être endormie comme une loque.
Les cheveux encore humides de la douche que j'ai prise il y a peu, je suis restée en débardeur et culotte, et je n'ai pas encore remis mon attelle. Ayant de plus en plus de mal à la supporter, je la délaisse dès que je peux.
Un stylo à la bouche, je tente de poursuivre la synthétisation de mon cours d'art moderne, un des seuls auquel j'ai pu assister régulièrement durant ce semestre. Mais mon regard est accroché par Kobe Bryant* sur le point de marquer, figé dans son élan, le ballon à la main. Je ne sais pas pourquoi, mais chaque fois que je regarde cette affiche à côté de la porte, elle me donne l'impression que je pourrais tout accomplir. Mes pensées s'évadent alors de nouveau, dérivant aussitôt vers Kyle et cette liste de rêves effectuée il y a quelques semaines.
La feuille A4 que nous avons remplie de nos fantasmes est pliée, bien rangée dans mon portefeuille, et nous la ressortons à chaque rêve que nous pouvons cocher comme concrétisé.
Depuis plusieurs semaines, nous arpentons tout Paris, dans la limite de ce qui m'est possible, à la poursuite de nos désirs. Nous avons apprécié ensemble les magnifiques spectacles de l'Opéra Garnier et du Crazy Horse, et chaque semaine nous descendons dans le bar du coin avec Martin et Cara pour faire quelques parties de baby-foot. Je ne suis vraiment pas douée, bien loin de la championne que j'aspire à devenir, mais ma jambe est une très bonne excuse pour qu'on me laisse gagner.
Nous avons même réservé un week-end en juillet pour la Corse, où nous nous imaginons une petite crique prête à accueillir nos rêves d'amour et de bain de minuit. Ce serait la récompense après cette fin d'année. Cette fin d'année...
J'arrive finalement à me focaliser sur mes fiches. Avant la Corse, il va falloir cravacher encore un peu.
Au bout d'une heure, je suis dérangée par le bruit de la porte s'entrouvrant, laissant passer un Kyle tout propre, habillé seulement d'un jean. Il revient de sa douche, indispensable après sa séance de basket.
Depuis que j'habite avec lui, il joue de moins en moins et je m'en veux de l'accaparer un peu trop. Même si je ne lui impose rien, évidemment. J'ai beau lui dire de poursuivre ses entraînements au risque de perdre son niveau, il n'en fait qu'à sa tête, préférant rester à mes côtés.
Je fais à peine attention à lui lorsqu'il s'assied près de moi. Après un moment sans broncher, tandis que je reste concentrée sur mon travail, je sens une caresse remonter le long de mon mollet nu, puis de ma cuisse, jusqu'à se faufiler vers ma culotte. Une chaleur sensuelle se répand aussitôt en moi, et ma respiration se fait plus lourde. Une petite pause me ferait le plus grand bien, je ne suis plus à ça près...
Tout en tentant de poursuivre mon travail, je me laisse enivrer par les caresses langoureuses que me prodigue mon basketteur tout frais de sa douche.
Je sens finalement ses doigts s'infiltrer sous l'élastique de ma culotte, pour faire glisser doucement le morceau de dentelle le long de mes fesses jusqu'à mes cuisses, celles-ci maintenant emprisonnées par le bout de tissu.
— Ne bouge pas, me susurre Kyle à l'oreille tandis que j'amorce un mouvement de tête vers ses mains baladeuses.
Je replonge le nez dans mes fiches. Cette idée m'excite. Ne pas savoir ce qui m'attend, me laisser manipuler par ces doigts experts, sans avoir la moindre idée de leurs intentions.
Je suis surprise par la sensation de sa bouche, juste là où était disposé mon sous-vêtement il y a quelques secondes : je sens ses baisers se déposer sur chaque parcelle de mes fesses, mélangés à la chaleur de ses mains empoignant toujours ma chair.
C'est plus fort que moi, je finis par rompre ma promesse tacite et diriger mon regard vers lui tandis qu'il s'approche tendancieusement de la fente séparant mes deux parties rebondies. Je me retrouve alors perdue dans le bleu limpide de ses yeux me scrutant avec l'intensité d'une flamme, plus combustible qu'un morceau de charbon déjà embrasé.
— Continue de travailler, m'ordonne-t-il.
J'esquisse un petit sourire. Comment veut-il que je continue sérieusement à bosser...
— Récite-moi ton cours.
Je me prends au jeu, et commence à lire :
— L'art est le résultat d'un travail de production sociale. Comme toute production, il est situé dans le temps et l'espace de la vie sociale. Il n'a pas toujours existé, il n'a pas existé partout. [...] L'art ne tombe pas du ciel. Les artistes travaillent, ils conçoivent, reprennent, corrigent leurs œuvres**
Alors que sa langue parcourt la peau fine de ma fente, je m'interromps. En conséquence, lui aussi. Je le regarde de nouveau exiger :
— Reprends.
Je tente vainement de me concentrer sur mes notes, retiens ma respiration un instant et recommence du début :
— L'art est le résultat d'un travail de production sociale. Comme toute production, il est situé dans le temps et l'espace de la vie sociale.
Je sens ses doigts se faufiler jusqu'à mon sexe. Mais coute que coute, je poursuis, la voix chevrotante, l'esprit embrumé par le plaisir qu'il me donne :
— Il n'a pas toujours existé, il n'a pas existé partout.
Il écarte mes jambes pour mieux accéder à mon intimité, avec laquelle ses doigts s'amusent délicieusement, provoquant des mouvements de bassin que je ne peux réprimer.
— Tu en as envie, pas vrai ?
— Hmmm...
— Pas tant que tu n'auras pas terminé de me lire ce foutu cours.
Je gémis de frustration, renversant la tête en arrière.
— Tu peux pas me faire ça !
Il retire sa main, déposant de nouveaux baisers sur mes fesses, beaucoup trop chastes cette fois.
— Oh si je peux ! Reprends.
Je grogne avant de faire ce qu'il m'ordonne. Je connais sa ténacité. Si je veux qu'il me soulage au plus vite, il va falloir que j'aille jusqu'au bout de ma feuille. Ma vision se trouble légèrement, mais je recommence à lire :
— L'art ne tombe pas du ciel. Les artistes travaillent, ils conçoivent, reprennent, corrigent leurs œuvres.
Il replonge sa main vers mon entrejambe, excitant mon clitoris en quelques gestes délicats, et je me concentre au maximum pour poursuivre ma lecture. Je ne veux pas échouer. Je veux ma récompense. Je crève d'envie de recevoir ma récompense.
Même lorsqu'un doigt me pénètre, provoquant une nouvelle vague d'excitation à la limite du tolérable, je poursuis ma lecture. Même lorsque sa langue me lèche comme si j'étais le fruit le plus sucré qu'il n'ait jamais goûté, je poursuis ma lecture. Je ne comprends pas ce que je lis. Je ne suis même pas sûre de lire les mots dans le bon ordre. Mais je garde le cap, jusqu'à la dernière ligne.
— Terminé ? bien, bien...
Je crois qu'il est aussi impatient que moi. Je sens qu'il n'aurait pas tenu beaucoup plus longtemps ce petit jeu.
Je ressens ce moment d'exquise appréhension, tandis que je me concentre sur le bruit de sa braguette et celui du petit sachet si significatif. Puis j'aperçois dans mon champ de vision qu'il s'approche et se positionne au dessus de moi. Je suis accoudée tel un sphinx quand ses bras se placent de part et d'autre de mon corps. Son visage tout près du mien, je sens son souffle chaud sur ma nuque, balayant quelques mèches de cheveux sur mes épaules frissonnantes.
De ses genoux, il écarte les miens davantage pour se faufiler encore plus près de moi.
C'est notre position préférée du moment. Parce que quand il me prend ainsi, par derrière, mon genou se fait oublier, et son sexe peut s'infiltrer en moi jusqu'à la garde.
Il impose son rythme, avec force, et j'aime ça, ne rien maîtriser, laisser totalement ma confiance entre ses mains. Je me laisse envahir docilement par les sensations de cette allégeance que je lui offre.
Je me relève davantage sur les coudes, le dos cambré, pour amplifier encore davantage l'ampleur de ses va-et-vient et le sentir tout contre moi. Kyle se soutient d'un bras, tandis que l'autre me serre et me maintient en arrière au niveau de la poitrine. Mon dos est plaqué contre son torse, et je sens son coeur tambouriner sur ma peau fiévreuse.
Je rejette la tête en arrière, laissant échapper des geignements à chaque souffle, tandis que le sien se perd dans ma nuque, engendrant des frissons sur mon épiderme à vif, avide de ses stimulations, de la plus subtile à la plus brutale.
Et puis finalement, afin que j'arrive à jouir, il change petit à petit son rythme, attentif aux moindres de mes signes évoquant la montée de mon plaisir, des coups de rein que je lui donne en retour aux gémissements que je ne peux réfréner. Ainsi, il arrive en quelques instants à me faire atteindre le climax tant attendu.
Alors que les derniers ricochets de mon orgasme s'emparent de moi, Kyle jouit à son tour sans retenue, poussant un grognement guttural dans son relâchement.
A peine quelques minutes après cela, il est encore sur moi, en moi, et son poids commence à se faire sentir quand il m'annonce :
— Je t'emmène au resto.
Quoi ? Là ? Maintenant ? Tout de suite ? Je n'ai qu'une envie, me laisser aller passivement dans le plaisir de l'endorphine.
— Prépare-toi, ajoute-t-il en se retirant et me claquant la fesse.
Je me retourne dans une complainte démontrant le niveau zéro de ma motivation. Encore à mes côtés, il pose alors un regard tourmenté sur mon genou. Comme à chaque fois qu'il est sous ses yeux, il place une main délicate sur l'articulation meurtrie, fait parcourir ses doigts autour des cicatrices creusées dans la peau pour y dessiner des formes aléatoires, ses prunelles azur toujours rivées sur ma chair abîmée.
Il finit par plier légèrement ma jambe et avancer ses lèvres jusqu'à ma blessure, pour y apposer l'empreinte de baisers tendres. Comme s'il voulait guérir mes plaies, me transmettre son empathie, son amour, sa force à travers ce geste, qu'il fait presque quotidiennement maintenant.
Pendant qu'il poursuit son petit rituel, je lui demande :
— Où est-ce que tu veux aller ?
Il s'interrompt, la bouche encore tout près de mon genou, et me regarde par dessous ses longs cils.
— C'est une surprise.
Encore un de nos rêves peut-être ? Je ne crois pas me souvenir d'un restaurant dans notre liste...
Je suppose que je n'ai plus qu'à me laisser guider, encore une fois aujourd'hui.
Et demain... Demain je lui dirai pour le mail que j'ai reçu des Etats-Unis... Ce mail que je n'ai pas réussi à ouvrir car il représente tellement de choses. Tellement d'espoir, tellement de décisions, tellement de nous.
* Kobe Bryant: feu star du basket, champion des Lakers, équipe mythique de Los Angeles.
**[Péquignot, Bruno. Sociologie des arts : Domaines et approches. Paris, Armand Colin Éditeur, 2009, p. 7.]
Voilou, les coquines, chose promise, chose due avec ce p'tit lemon ^^
Alooooors, vos pronostics pour le mail tant attendu ?
Pour les fans de la Passe Miroir, je suppose que vous avez pu voir mon petit clin d'oeil de la fin aux fameuses "56" 😜
Au fait, j'ai oublié de vous demander au chapitre précédent : Cara et Hugo, vous pensez que ça match 😋?
Je n'ai pas mis beaucoup de rock dans la playslist... Donc je tente de me rattraper un peu avec un p'tit morceau qui date mais que je kiffe. C'est avec le chanteur de Perfect Circle pour ceux qui connaissent...
Bisous bisous et à la semaine prochaine (j'espère que je serai à l'heure car j'ai un peu de mal à peaufiner cet avant dernier chapitre... sûrement parce que ça sent la fin de ce tome et que ça me fait tout bizarre ^^)
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