Chapitre 61

Pendue au cou d'un homme grand, les yeux brillants.

Ma vision se trouble. Des voix. Morgane. Un timbre masculin. Je rêve ou je suis consciente ?

Où est Kyle ?

- Alice, reste avec moi !

Des mains sur mes hanches. Sous mon bras, une pression. Ma tête chavire.

- Laisse tomber, je la ramène.

Une étreinte. Bancale. Un mal de chien.

Je me sens bercée par le roulement d'une voiture.

Je rêve.

S'éveiller avec un mal de crâne horrible est la meilleure façon de se rappeler que boire a ses désavantages. Mes yeux tentent de s'entrouvrir mais la lumière piquante du matin entrave leur mouvement. Je sens un corps chaud tout contre le mien, un souffle effleurer ma nuque. J'aperçois une mèche brune sur mon oreiller. L'espace d'une microseconde, j'ai peur de ce que je vais trouver derrière moi, n'ayant plus aucun souvenir de ma fin de soirée. Je me retourne brusquement pour m'apercevoir avec soulagement que c'est juste Morgane. Comme un air de déjà vu... Sauf que cette fois, c'est moi qui ai beaucoup trop bu.

Une semaine que je suis à la trace l'étudiante délurée partout où elle veut bien m'emmener. Le pire, c'est que je ne suis même pas sûre d'aimer ça. C'est simplement une manière de me prouver quelque chose. Moi aussi je suis capable de profiter, de faire semblant de me laisser aller dans la profusion d'alcool et de fausses relations. Je survole les soirées, les subis parfois, mais je persiste dans ce nouveau chemin. Je suis trop bien. Personne ne me sortira de nouveau une excuse pareille.

Mon mouvement empressé vers ma voisine la réveille. Elle gigote sur mon petit lit, ronchonne un peu, avant d'ouvrir les yeux.

- Comment on est rentrés ? m'inquiété-je.

- Tu veux savoir si un beau garçon t'a portée jusqu'ici ? La réponse est non. Moi et mes petits bras, on a fait tout le boulot !

- Mais je veux dire, avant ça, comment on est rentrés jusqu'à chez moi ?

- A ton avis ? Avec ma voiture.

- Quoi ? Avec tout ce que t'as bu ?

- Eh ! T'es gonflée ! Tu voulais que je fasse comment au juste ? Les autres n'ont pas voulu m'aider. Je me suis retrouvée toute seule à devoir te gérer. T'étais complètement faite, ma vieille !

- Tu pouvais pas appeler un taxi ? Putain, Morgane ! C'est n'importe quoi !

- Ca va, j'ai embouti personne, que je sache. Et de rien, hein ?

- Non mais merci. Mais franchement, tu peux plus conduire bourrée. Tu te rends compte à quel point c'est inconscient ?

- Allez ! Sujet clos. Je vais prendre une douche.

Elle m'enjambe maladroitement pour filer dans la salle de bain.

Lorsqu'elle en sort un peu plus tard, je suis sur le point d'écouter mes messages. Tandis que la voix enregistrée du répondeur m'avertit que j'en ai deux, Morgane s'assied à côté de moi, ma brosse à cheveux à la main, tentant de dompter sa tignasse brune.

D'abord ma mère me demande des nouvelles et souhaiterait que je la rappelle quand je pourrai. Pas maintenant en tout cas. Je passe alors au message suivant : "Salut, c'est Valentin. Visiblement, tu es bien décidée à ne plus vouloir me parler." Je me lève rapidement et m'éloigne de ma fouineuse de copine pour écouter la suite : "Mais j'ai un truc vraiment important à t'annoncer. Rappelle-moi s'il te plaît". Alors que je raccroche, je vois Morgane et son regard insistant accouplé à une moue coquine.

- Encore Valentin, hein ?

- Eh ! T'as pas à écouter mes messages, curieuse !

- Dis donc, t'étais assise juste à côté de moi et le gars parle super fort. C'est pas ma faute ! Et puis rassure-toi, malheureusement j'ai juste entendu "Salut, c'est Valentin"...

Sa tentative d'imitation d'une voix masculine me fait sourire.

- Alors, c'est qui ce Valentin ?

- Je te l'ai dit ! m'énervé-je, un gars qui me harcèle.

Au moins, ce n'est pas un mensonge cette fois-ci. J'ajoute rapidement :

- S'il te plaît, n'insiste pas, OK ? J'ai vraiment pas envie d'en parler.

- D'accord, d'accord, je te laisse tranquille.... Pour l'instant.

Pour couper court à la conversation, je vais à mon tour m'enfermer dans la salle de bain, avant de partir en cours.

A la fac, Morgane et moi traînons dans le hall, un peu en avance. Je l'écoute me raconter la fin de soirée qui me revient par bribes grâce à son récit. Quelques cocktails, des rencontres sans intérêt. Je l'observe alors qu'elle s'évertue pourtant à me donner tous les détails. Malgré la douche, elle n'a pas l'air beaucoup plus fraîche que moi. Ses cheveux détachés et ternes ainsi que son teint livide sont les traces les plus évidentes de cette courte nuit.

- C'était chouette quand même, hier, hein ? conclut-elle avant que nous nous dirigions vers les escaliers.

- Ouais, c'était sympa, tenté-je de me convaincre.

Mais c'était juste une soirée de plus, dans un bar de plus, avec des étudiants de plus. Rien de profond. Que du mensonge. Alors que ce que moi je veux, c'est retrouver la sincérité, la richesse, la passion de cet amour qui m'a laissé tomber.

Comme pour enfoncer un couteau dans ma plaie béante, j'aperçois Kyle à l'autre bout du hall. Il est entouré de quelques potes, dont sa copine la brunette. Toujours là pour ramasser ce qui reste, charognarde. Je prends alors conscience qu'il m'observe lui aussi. Il finit même par s'approcher de nous. Que dois-je faire ? L'ignorer ? Partir ? Rester ? Bien sûr que je vais rester. Parce que les quelques mots qu'il m'offrira, peu importe leur but ou leur portée, je les veux, je les prends.

Je le considère tandis qu'il avance, comme obnubilée par sa silhouette élancée, son visage à la fois doux et masculin, ses yeux aux lueurs d'acier. Il me manque et je me sens prisonnière, enclavée entre la souffrance qu'il me procure et l'euphorie à l'idée de l'avoir devant moi.

Je l'observe plus attentivement. Il est toujours aussi beau malgré les traits tirés de son visage. Il ne va pas bien, je le sens. Est-ce réellement le cas ou seulement le fruit de mon imagination qui souhaiterais, crèverais d'envie même, qu'il aille mal sans moi ? Arrivé face à nous, il nous salue et me demande :

- Est-ce que... ça va ?

- Oui, je suppose, je réponds froidement.

- Qu'est-ce que tu crois ? Qu'elle se morfond en attendant que tu reviennes ? Détrompe-toi, elle s'amuse comme une petite folle, lance ma voisine.

- Morgane, s'il te plait.

Je vois bien qu'elle fait cela pour moi, parce qu'elle sait à quel point j'ai mal. Et parce qu'elle, se défendrait ainsi, en attaquant, montrant à celui qui l'a blessée qu'elle est plus forte que ce qu'il croit.

- Non, regarde-le ! Il te jette comme une merde et il croit quoi ? Que tu vas le supplier de revenir ? Eh bien sache qu'elle se débrouille bien mieux sans toi.

- Stop ! ordonné-je à mon amie.

- Je cherche pas à lui nuire Morgane, déclare Kyle. Donc si ce que tu dis est vrai, tant mieux.

Il se tourne alors vers moi :

- C'est vrai ? Tu vas bien ?

Ma copine ne me laisse pas le temps d'en placer une, sachant très bien que je risque de laisser percer la sincérité dans mes mots et la détresse que je ressens depuis qu'il est loin de moi.

- Bien sûr que c'est vrai ! Elle m'accompagne dans toutes mes soirées et elle s'éclate. Ne t'inquiète pas pour elle, elle a trouvé de quoi se consoler. Pas vrai, ma chérie ? Le beau gosse d'hier, il embrasse plutôt bi...

- Morgane ! crié-je. Arrête ça putain !

Kyle me regarde, l'air heurté.

- Oh. Alors tant mieux.

Puis comme à chaque fois que j'ai pu apercevoir sa vulnérabilité, celle-ci s'éclipse aussitôt derrière une forteresse. Aujourd'hui c'est le masque du mépris qui dépeint son visage.

- En fait. Ca tombe bien, moi qui avait peur d'aller trop vite... ajoute-t-il.

Je l'observe sans comprendre où il veut en venir.

- J'y vais, je te laisse. Je voulais juste savoir si tout allait bien.

Il part comme ça, pour retrouver ses potes et attraper par la taille la brunette qui le suit à la trace depuis que je le connais. Putain, ça fait mal. Une semaine qu'il m'a quittée et il est dans les bras d'une autre. Il m'a d'ailleurs peut-être larguée pour elle. Mon ventre se contracte, empli par l'amertume et la jalousie. J'ai envie de pleurer, hurler, de le frapper, l'insulter.

Prise d'une colère foudroyante, je me dirige droit sur lui. Je traverse le hall, bouscule au passage un étudiant qui m'invective. Je ne quitte pas des yeux le dos de Kyle. Son bras autour de la taille parfaite de la fille qui se pavane à ses côtés. Son omoplate roulant à chaque fois qu'il lui caresse le dos. Sa tête incliné vers elle pour lui lancer son sourire carnassier. Je la déteste. Je le déteste.

Arrivée à son niveau, j'agrippe fermement le bras libre de Kyle afin qu'il se retourne.

- A quoi tu joues ?

Mon ton abrupt trahit la fureur qui s'est emparée de moi. Je n'arrive pas à lire dans ses yeux, son expression ne reflétant qu'arrogance et détachement.

- Je joue pas, Alice. Pas avec toi en tout cas.

Il cherche à m'atteindre. Pourquoi ? Je jette un oeil vers la fille qui se délecte de ma défaite. Le regard meurtrier que je lui lance n'a pas l'air de l'atteindre, mais je ne lâche pas, tout en balançant à Kyle :

- Bah dis donc, tu te contentes de ramasser la première venue. Elle devrait pourtant se méfier, parce que tu vas la virer comme une merde dans les trois jours, tel que je te connais.

La fille bondit sur moi :

- Mais pour qui tu te prends ?

- Wow wow wow !

Kyle tente de nous séparer en ajoutant à mon égard :

- Damn shit, Alice, calme-toi !

Je le fusille du regard, ignorant le regard menaçant de la brune.

- Je peux te parler ?

- J'ai cours, là. C'est pas possible.

- Pourquoi tu fais ça ?

Je voulais lui lâcher toute la colère que je lui porte. Au lieu de ça, c'est la détresse qui recouvre toutes les autres émotions qui me bombardent. C'est elle qu'il peut lire sur mon visage. Et je m'en veux pour ça. Il ne mérite pas cela. Il ne mérite pas mon chagrin. Pourtant, je le vois changer lui aussi. Ses traits s'emplissent d'une certaine empathie, je crois. Il lâche la fille, et les yeux arrimés aux miens lui annonce :

- Mélanie, on se rejoint après les cours.

Elle me lance une oeillade hostile avant de revenir vers lui. Au bout d'un instant qui me paraît durer des heures, elle finit par accepter et s'en aller. Elle a failli s'avancer pour l'embrasser. Je redoute d'assister à cela. Mais la position de Kyle, centrée sur moi, ne l'a pas incitée à tenter le coup. Une fois partie, je ne perds pas de temps.

- Pourquoi tu me fais ça ? répété-je.

- Je te fais quoi, Alice ? On n'est plus ensemble, tu es passée à autre chose, moi aussi. C'est tout.

- Tu sais que c'est faux. Et quand bien même, Kyle, c'est toi qui m'a quittée. Toi qui ne veux plus de moi. Tu m'as déjà fait du mal, et tu cherches encore à m'en faire. Pourquoi ?

Il me regarde, et je vois bien que mes mots le touchent. Alors qu'il ne trouve rien à répondre, j'enchaîne.

- Tu cherches quoi ? A ce que je me mette à genoux ? Que je te supplie de me reprendre ? Que j'attende sagement qu'un jour, peut-être, toi aussi tu te rendes compte que je te manque à en crever ?

- Alice...

Il s'avance vers moi, mais je le repousse violemment.

- Non, va te faire voir !

La colère me submerge et je ne la maîtrise plus.

- T'as raison, je suis bien mieux sans toi. Et si le fait que je rattrape le temps perdu en sortant et m'amusant avec d'autres personnes que toi t'emmerde, c'est à toi de régler ton problème. Les gens ne t'appartiennent pas, Kyle. Surtout quand tu ne veux plus d'eux.

Sur ces paroles, je tourne les talons et monte en cours rejoindre Morgane. Voilà, je l'ai trouvé finalement, le lâcher prise que je recherche depuis des jours.

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