Chapitre 56

KYLE

Deux semaines plus tôt


   A peine arrivé à LAX Airport [aéroport de Los Angeles], je frissonne un peu en me dirigeant vers la sortie. J'avais oublié qu'ils mettaient la clim à fond hiver comme été, ici. Je ne suis pas mécontent d'être enfin descendu de ce putain d'avion après douze heures de vol, coincé entre un gars qui puait la transpiration et une bonne femme qui a tenté de me tenir la jambe durant tout le trajet. Damn, j'avais juste envie de mater des films tranquillou et roupiller pour que ça passe plus vite.

Je discerne ma mère devant la porte des arrivées. Elle m'aperçoit à son tour, me prend tendrement dans ses bras, et je lui rends son étreinte avec plaisir.

Elle et moi avons toujours été très proches. Et l'accident d'Adam ne change rien à ça. Ma famille s'est disloquée, mes parents ont divorcé à force de se battre pour réparer un équilibre foutu à jamais. Mais ma mère et moi, on a réussi à garder une relation complice. Et ce malgré mon refus d'accepter toute cette merde de réalité. C'est la seule qui ne me pense pas responsable de ce qui est arrivé à Adam. Même moi je le crois. Et je ne peux pas considérer ce qui reste de mon frère comme si rien n'avait changé. Il n'existe plus.

Deux ans de différence, ce n'est pas grand chose pour deux petit gars plein d'imagination et d'énergie. Il était mon modèle, je l'admirais, tous ses faits et gestes, je les imitais. Damn, je voulais être aussi fort et intelligent que lui. Et lui aimait ce rôle de frangin idolâtré. Et puis en grandissant, les choses se sont équilibrées petit à petit et Adam est devenu mon meilleur pote, partageant avec moi une complicité sans égal.

Durant quelques années où lui entrait dans l'adolescence tandis que j'étais encore un gamin, nos centres d'intérêt ont trop divergé pour ne pas nous éloigner. Mais une fois au lycée tous les deux, on est devenus plus proches que jamais. J'avais quinze ans, lui dix-sept. Il m'emmenait en soirée. Et j'étais parfois son alibi auprès des parents pour ses plans filles, et vice versa.

Cette année-là a été une des meilleures de ma vie. Nous avons fait des tas de conneries ensemble et je le suivais dans tout ce qu'il me proposait. Parce que j'avais une confiance aveugle en lui. Nous avons deux ans de différence et pourtant, je le considérais pratiquement comme mon jumeau.

Et puis Adam est parti à la fac alors que je suis resté au lycée. Il habitait toujours chez nos parents puisque la maison familiale était à proximité du campus. Je suppose que c'est le côté chiant d'avoir une mère prof à l'université où on est inscrit et qui vit juste à côté. Pas de colocations ou fraternités pour être libre de s'amuser autant qu'on veut. On est donc restés assez soudés, bien que ne partageant plus les mêmes amis et soirées.

Lorsque je l'ai rejoint à la fac deux ans plus tard, on a naturellement recommencé à traîner ensemble. Mais les choses avaient changé. Il avait changé. Il traînait avec ce gars, Devin, que je ne sentais pas. Je le trouvais plutôt cool, mais je ne sais pas, un truc me dérangeait chez lui. Comme je ne savais pas l'expliquer, j'ai essayé de le connaître davantage. On passait pas mal de temps avec lui. Et sa petit soeur Amber, qui a mon âge, a fini par se greffer à notre trio. Tous les quatre, on rigolait bien. On sortait beaucoup, on chillait [on traînait ensemble].

Au bout de quelques mois, Amber et moi sommes sortis ensemble. Mais je voyais davantage cette liaison comme un genre de sexfriend. Très proches malgré tout, on apprenait l'un de l'autre, notamment niveau cul. Plus d'une fois j'ai éjaculé comme un puceau avec elle. J'avais déjà eu quelques autres copines, mais ça restait mes premières années de sexe. Et elle aussi.

Ce que je n'ai pas vu venir, c'est que Amber ne considérait pas notre relation de la même façon que moi. Mais je l'ai compris trop tard.

Quant à Adam, j'ai pris conscience petit à petit que quelque chose ne tournait pas rond. Mais j'ai fermé les yeux.

Jusqu'au soir de l'accident.

A l'aéroport, c'est tout ça qui me revient à la gueule, alors que ma mère me prend le visage entre ses deux mains douces et me demande si j'ai fait bon voyage. Je réponds par l'affirmative et nous nous dirigeons vers le parking. A peine sorti sur le parvis bétonné, je me prends un shot de soleil en pleine figure, aveuglé par la luminosité de ce début d'après-midi. Après quatre mois de grisaille parisienne, ça fait un choc. Nous nous installons dans la voiture et je prends le temps de regarder ma mère, qui a l'air fatiguée.

Le trajet jusqu'à chez nous se fait dans le silence, mis à part quelques bribes de discussions futiles où je lui raconte de petites anecdotes sur mon séjour à Paris. Ca devrait lui plaire, lui rappeler des souvenirs, elle qui a fait une grande partie de ses études là-bas. Mais je vois bien qu'elle est inquiète et qu'elle repousse le moment où il va falloir discuter des problèmes. De mon frère. Des nouvelles accusations qu'on me porte.

Plutôt que de parler, je préfère me concentrer sur la route. On file sur la 405 [énorme autoroute] direction Long Beach, tandis que Atlas Genius passe à la radio. Je me fais la réflexion que ce son n'est pas connu en France, pourtant il défonce. C'est plutôt cool que je sois arrivé à cette heure-ci, on évite les embouteillages qui sont fréquents ici. Le truc sympa après douze heures de vol.

Arrivés à la maison, à Naples, un des quartiers prisés de Long Beach regroupant trois petites îles autour de canaux, je suis tout de même content de retrouver mes repères. Good to be back. Cette maison connaît tout de notre vie à tous les quatre : des moments géniaux aux plus douloureux. Je remonte le petit chemin dallé au milieu de la pelouse parfaitement tondue et jette un oeil à notre salon que j'aperçois par la baie vitrée, avant d'entrer après ma mère. Dans ce quartier, j'ai l'impression que c'est tout le contraire des maisons françaises. On s'en fout pas mal du vis-à-vis. Pas de barrière, d'immenses fenêtres où n'importe qui peut voir ce qui se passe à l'intérieur depuis l'allée piétonne juste devant la maison. C'en est même presque ostentatoire.

Nous nous asseyons ma mère et moi sur les sièges de bar de la cuisine, une tasse de café entre les mains. Et je dois dire que j'en ai bien besoin avec le décalage horaire qui commence déjà à me décalquer.

— Tu ne veux pas des nouvelles de ton frère ?

Non, j'en veux pas. Mais je me force à incliner la tête affirmativement. Pour lui faire plaisir à elle.

— Il va un peu mieux cette semaine.

Sa voix paraît presque enjouée. Elle essaie d'y croire. Mais combien de fois j'ai entendu ça. Bullshit.

— Tu veux bien qu'on aille lui rendre visite demain ?

Je ne réponds pas. Je n'en ai aucune envie. Je l'évite depuis des mois. C'est trop difficile de me retrouver devant lui, ses erreurs, les miennes, sa vie en l'air. Il n'existe plus.

— S'il te plait Kyle. C'est la veille de Noël. Il a bien le droit d'être avec sa famille lui aussi. Et puis ça lui ferait tellement plaisir de te voir.

Après un long moment d'hésitation, je me sens obligé d'accepter. Pour ma mère. Parce qu'elle a tant perdu. Un fils, un mari parti avec une autre pour éviter de gérer les problèmes, et son autre fils qui refuse la situation.

— OK.

Elle paraît soulagée de ne pas avoir à insister davantage. Et puis je vois qu'elle hésite à me parler du sujet pour lequel je suis revenu en urgence ici. Il y a l'état de mon frère, oui. Mais pas seulement.

— Kyle, pourquoi cette fille... t'accuse-t-elle ?

— A ton avis maman ? Il y a mille raisons qui expliquent son geste.

Entre autre parce que la dernière fois que je l'ai vue, tout est parti en couille. Mais aussi parce que j'ai tabassé son frère jusqu'à l'envoyer à l'hôpital. La liste est longue.

S'il n'a pas porté plainte, c'est parce que mes parents ont tout fait pour étouffer l'affaire. Mon père a proposé une grosse somme à Devin et ses parents, ma mère a fait des pieds et des mains avec les autorités de l'université pour ne pas me renvoyer et garder cette histoire sous silence. C'est pour ça que nous avons décidé que je devais partir un moment en France.

L'année de merde qui a suivi nous a servi à préparer mon départ. J'allais à la fac juste pour les cours et parce que mes parents me mettaient la pression pour que j'aie une conduite exemplaire et que tout se passe comme prévu. Mais j'avais en moi une colère, une haine qui me rongeait. Je n'allais jamais voir mon frère, et le peu de fois où il rentrait à la maison, je faisais en sorte de l'esquiver. Dormir chez des potes, chez des meufs. Peu importe, mais le plus loin possible de lui. Car il n'existe plus.

Mes parents n'ont pas supporté tout ce merdier et ont fini par se séparer. Ou plutôt, mon père s'est barré, laissant en plan ma mère à Long Beach. Aujourd'hui, il est installé à Santa Monica avec celle qui était sa maîtresse à cette époque. Une fille quinze ans plus jeune que lui. Une ingénieure dans la boîte où il bosse lui aussi. Il a fait le bon seigneur en laissant la maison à maman. De toute manière lui et mes grands-parents n'ont pas à se plaindre niveau fric. Et c'est sa façon à lui de penser qu'il est un bon père. Notamment en achetant le silence du gars que j'ai frappé.

Quant à Amber, il était hors de question que je la revoie. Avant mon départ en France, pendant cette année compliquée, nous nous sommes quand même recroisés plusieurs fois, mais je ne pouvais pas m'imaginer ressortir avec elle. Et ce malgré son pardon et ses avances plus qu'insistantes. Je ne la veux plus. Je ne l'aime pas. Fuck, je n'arrive même plus à l'apprécier, voyant dans ses yeux la même lueur perverse que dans ceux de son frère. Et puis cette dernière fois où on s'est vus, rien ne s'est passé comme prévu.

Ma mère boit une gorgée de café sans un mot, et l'espace d'un instant, je comprends que je l'ai déçue. Pas elle... Elle était pourtant la dernière personne à croire en moi. Si ce n'est Alice... Et il me serait insupportable d'entrevoir les mêmes doutes, les mêmes peurs que porte le regard de ma mère aujourd'hui dans les yeux de celle que j'aime beaucoup trop.

Je termine mon café en vitesse, préviens ma mère que je sors prendre l'air. Une fois la porte d'entrée franchie, le soleil m'éblouit, la chaleur toute sweet de ce mois de décembre me revigorant un peu. Fuck, ça m'avait manqué! Je marche le long des canaux, reprenant contact avec toutes ces choses qui me sont si familières. Les palmiers aux troncs immenses à en toucher le ciel bordant chaque rue de ce quartier huppé, le canal où toutes sortes de bateaux de plaisance sont attelés devant des maisons luxueuses, le bleu au dessus de moi, sans un seul nuage pour faire faiblir cette lumière rendant les couleurs si vives. J'inspire un bon coup, sentant que la mer est tout près. Je n'ai pas encore décidé de ma destination.

Je sors mon téléphone, relis le message d'Amber. Elle sait que je suis de retour. Evidemment, elle sait. C'est pour elle que je suis là. Elle veut qu'on se voie au plus vite. Mais est-ce une bonne idée ? Je peux peut-être régler la situation par moi-même.

J'avance, on verra bien...



Vous l'avez voulu? Vous l'avez eu! 😜 

Je ne sais pas si vous connaissez ce morceau et ce groupe? Très connus aux States. Je kife 😍

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