Chapitre 53
Le froid me paraît toujours plus intense à l'orée des bois, où se trouve la maison de mes parents, qu'au milieu des immeubles de la ville, lorsque je suis à Paris. Et j'ai cette impression qu'il n'a jamais été aussi irradiant qu'aujourd'hui. Pourtant, je suis prête pour un nouvel entraînement. Je me suis déjà bien échauffée dans ma chambre, histoire de vaincre mon adversaire du jour. Ce temps glacial. Habillée en conséquence, je n'ai plus que mes baskets à lacer, et je partirai sur les routes de ma campagne, certainement encore recouvertes par le gel matinal.
Hier soir, nous avons terminé la soirée avec mes parents à discuter encore et encore de mon projet "fou", comme ils l'appellent. Je me suis excusée des insultes que je leur ai jetées à la figure, et je crois que ce moment marque une étape importante entre nous. Je me sens enfin soutenue. Et je suis impatiente de pouvoir raconter tout cela à Kyle.
A cette pensée mon téléphone vibre. Je l'attrape expressément, priant pour un coup du destin. Mais je suis prise de panique lorsque je vois le nom s'afficher sur mon téléphone. Valentin. Je ne réponds pas et attends, à regarder ce prénom que j'ai en aversion ne jamais disparaître.
Finalement, après quelques secondes bien trop longues, mon téléphone redevient silencieux. Et puis une nouvelle vibration. Un message. Je décide de l'écouter sans attendre : "Salut Alice, c'est Valentin. Comme promis, je te rappelle. J'ai failli passer chez toi hier, mais bon... j'ai préféré t'appeler d'abord. Donc, voilà, je voulais juste savoir si au final tu serais d'accord de boire un café. S'il te plaît. J'ai tellement de choses à te dire. Bon... j'essaierai de te rappeler tout à l'heure."
Que faire ? Je ne veux pas le voir. Mais si jamais il décidait réellement de passer chez mes parents à l'improviste ? Je vais attendre et prendrai une décision après mon entraînement. J'inspire une dernière fois l'air chaleureux de la maison, et pars vaincre ma flemme, le froid et ma limite contre moi-même.
A peine revenue, en jetant un oeil sur mon téléphone pour être sûre de ne pas avoir loupé Kyle, je m'aperçois que Valentin a de nouveau essayé de me joindre. Je m'affole de plus en plus à l'idée qu'il passe me voir chez mes parents. Rien que d'y penser, j'en frémis plus que durant cette dernière heure où tout mon corps a pourtant été enveloppé par l'air glacial de décembre.
Si je dois l'affronter, ce sera sur un terrain neutre. Et peut-être que ce serait l'occasion de vider mon sac. De lui dire à quel point il a bousillé mes dernières années. Peut-être qu'au final, le destin y était pour quelque chose, ce matin, lorsque mon téléphone a sonné. Sur un coup de tête je le rappelle :
— Hé Alice ! Merci de me rappeler ! Je t'avoue que je n'y croyais pas trop.
— Je peux raccrocher si tu préfères.
Un bref silence répond d'abord à ma pique sèche. Et puis :
— Non, non... Bien sûr, non. Alors... Est-ce que tu veux bien qu'on prenne un café ensemble ?
Je soupire, ferme les yeux, avant de me décider une bonne fois pour toute.
— Euh... rapidement alors.
— Oh, OK ! Merci Alice, merci d'accepter ! Tu es libre quand ? Tu veux qu'on se voie où ? Chez toi?
— Non ! Non, on n'a qu'à se donner rendez-vous au bar Le Relais, sur la place du marché. Cet aprèm, à quinze heures.
— D'accord, c'est parfait, merci, à tout à l'heure alors.
Ne crois pas que je le fais pour toi, salopard. J'en ai juste besoin pour te cracher au visage la haine que j'ai reçue pendant des années par ta faute, et passer enfin à autre chose. Je raccroche avant de l'insulter. Parce que clairement, ce n'est pas merci, moi, que je vais lui dire.
Je suis en avance pour ce maudit rendez-vous. Dans l'une des seules brasseries animant le centre de notre petit patelin, j'attends avec angoisse l'arrivée de celui que j'ai tenté d'oublier ces dernières années. Installée tout près de la baie vitrée afin de ne pas être surprise par son arrivée, j'ai déjà commandé un chocolat chaud pour me réchauffer dans ce bar presque aussi gelé que l'extérieur. Mon anxiété ne cesse de s'accroître lorsque j'aperçois Valentin sortir d'une grosse voiture sombre et pimpante. C'est étrange de le voir ici, dans cette ville où tout à commencé, pour espérer entendre des excuses que je ne pensais jamais recevoir. La boucle est bouclée. Je l'espère, du moins.
Il entre dans le bar, et ça me fait tout drôle de pouvoir le considérer en chair et en os, alors que mes souvenirs ont ressassé tant de fois ce visage que je souhaitais pourtant effacer. Il a changé bien sûr. Quatre ans de plus, ce n'est pas rien lorsque l'on en a dix-huit et que l'on sort à peine de l'adolescence. Un manteau sombre enveloppe sa silhouette, mais je peux très bien observer sa gueule de premier de la classe crispée par le froid. Et ce qui me frappe surtout, c'est l'oeil au beurre noir qui lui colore sombrement la joue gauche, malgré les dix jours qui se sont écoulés depuis notre rencontre à la poste. J'ai presque envie de sourire. Kyle ne l'a pas raté. Et j'espère de tout coeur que ce n'est pas la raison de cet entretien.
Un peu perdu, il scrute les différentes tables, pour enfin m'apercevoir et se diriger dans ma direction. Je me lève pour ne pas lui laisser la possibilité de me dominer de sa taille. Lorsqu'il arrive tout près de moi, je crois qu'il hésite à me faire la bise. Le regard de tueuse que je lui décoche réussit à l'en dissuader. Puis je ne peux m'empêcher de me focaliser de nouveau sur son oeil amoché. La couleur de ses yeux n'en paraît que plus terne.
— Salut, dit-il simplement.
— Salut, répondis-je froidement.
Nous nous asseyons l'un en face de l'autre, séparés par une gêne excessive. Si celle-ci se matérialisait, il ne suffirait pas d'une terre entière pour nous distancer.
— Ca fait longtemps, tente-t-il timidement.
— Ouais.
— Ca va, toi ?
Je suis soulagée qu'il n'essaie pas de me faire le coup des grandes retrouvailles de super potes.
— Oui, merci, je réponds cordialement.
Il remarque mon chocolat chaud déjà entamé, regarde sa montre hors de prix, fronce les sourcils et me demande :
— Je suis en retard ?
— Non, non, je suis arrivée en avance.
Il a l'air soulagé par cette simple déclaration. Tandis qu'il retire sa veste, je suis attentive au moindre de ses mouvements, me sentant prête à dégainer mes réflexes de fuite. Je m'attarde sur le reste de son apparence, ses cheveux bruns parfaitement taillés, sa mâchoire recouverte d'un duvet très léger. Mais ça n'entache en rien cet air propret qu'il se trimbale. Après un silence trop long, il tente une nouvelle approche.
— Alors, ces vacances en famille, ça se passe bien ?
— Oui merci.
— Tu reviens souvent ici ?
Depuis que tu as bousillé ma vie, tu veux dire ? Et réduit en cendres tous les bons souvenirs liés à ce patelin ?
— Non, rarement.
— Moi non plus en fait. Sauf depuis quelques mois, où mes visites sont plus régulières.
S'il croit que je vais lui demander pour quelle raison, il peut se fourrer le doigt où il veut. Je ne suis pas là pour taper la causette. Il a l'air plutôt mal à l'aise devant mon silence. Il faut dire que mon but n'est clairement pas de l'aider.
Un serveur vient interrompre ce moment d'embarras. Je suis presque tentée de lui demander de s'installer à mes côtés. Tout pour éviter de me retrouver de nouveau en tête à tête avec le démon. Valentin commande un café. Tant mieux, ça se boit vite, un café. Moi je reste avec mon chocolat à moitié consommé.
— Et tu as gardé contact avec des gens du lycée ?
Tu parles de tous ces gens qui se sont fichus de moi pendant trois ans par ta faute ? Je ne crois pas que ce soit nécessaire de garder contact avec eux, non.
— Juste une ou deux. Comme Axel, mon ami d'enfance.
S'il pouvait être là... Mais il y a des choses que, visiblement, je dois vivre seule. Valentin fronce les sourcils, sûrement enfoncé dans ses souvenirs.
— Axel... Ca me dit rien... Ah si ! Tu traînais tout le temps avec lui, c'est ça ?
Perspicace Sherlock !
— Plutôt mince, pas très grand, châtain. Ca me revient, maintenant.
— C'est bien lui, dis-je stoïque.
Une pause presque oppressante nous écrase de nouveau. Il attend sûrement de moi que je lui pose les mêmes questions en retour, mais je n'en ai absolument rien à faire de savoir qui il côtoie ou ce qu'il fait de sa vie. Alors il fait la conversation pour deux et répond à mes questions fantômes.
— Moi non plus je n'ai plus trop de contacts, ici. A part deux ou trois potes.
Tu ne mériterais même pas ça. Il reprend en me regardant de façon insistante :
— Ca fait combien de temps qu'on est sortis ensemble ? Quatre ? Cinq ans ?
— Quatre ans.
— Ah ouais, ça passe !
C'est quoi ces phrases toutes faites qu'il me sort depuis le début ? C'est pour ça qu'il m'a fait venir ?
— Et pourtant, tu vois, je m'en souviens comme si c'était hier.
Oui, moi aussi et bien malgré moi. Il continue lorsqu'il comprend que visiblement je ne suis toujours pas décidée à ressasser les moments du passé. Il émet un petit rire entre ses dents.
— Tu sais, je crois que t'es la fille avec qui je suis sorti le plus longtemps jusqu'à présent.
Sans rire ? Si tu les traites toutes de la même façon que moi, j'imagine qu'elles partent en courant.
Il se racle la gorge. Je crois que mon silence commence à peser très lourdement sur sa conscience.
— Ca fait longtemps que t'es avec ton copain ? Tu sais, celui qui m'a cassé le nez, il essaie de plaisanter.
Il rit alors nerveusement. Tout seul.
— Quelques mois.
— C'est du sérieux alors ?
— Jusqu'au jour où il me détruira, oui, je suppose.
Ces paroles sont-elles vraiment sortie de ma bouche ? Je vois le visage de Valentin marqué à la fois par l'incompréhension et l'embarras.
— Pardon ?
— Tu sais, comme avec toi.
Ses joues se teintent tout à coup, et le froid n'y est pour rien. Il ne sait plus où se mettre, me semble-t-il.
— Tu penses vraiment que je t'ai détruite ?
Je ris amèrement.
— Tu te fiches de moi, c'est ça ?
Ca y est, on entre enfin dans le vif du sujet.
— Ecoute, je sais que je me suis comporté comme un idiot, et je te demande pardon pour ça. Mais tu...
— Comme un idiot ?
Un silence glacial s'infiltre entre nous. Je sens mes joues s'empourprer à mon tour, mais ce n'est certainement pas dû à l'embarras.
— Comme un idiot ? je répète d'une voix empreinte de colère. C'est tout ? Tu crois vraiment que ça suffit pour te décrire ? Tu te souviens au moins de ce qui s'est passé, je suppose ?
Valentin répond par l'affirmative d'une toute petite voix, me regardant comme un enfant effrayé par un parent trop violent. Je me penche un peu en avant, les mains plaquées sur le bois rugueux de la table qui nous sépare.
— Alors tu te souviens comment tu m'as laissée choir comme une merde dans cette chambre d'hôtel ?
— Alice, je suis désolé, je t'assure. Je sais que j'ai vraiment été un salaud ce jour-là. Et c'est pour ça que je voulais te voir aujourd'hui. Pour te demander pardon.
Je prends une mine caricaturée de la fille en pleine réflexion, le regard en l'air, l'index posé sur la bouche.
— Hmmm... Salaud, c'est déjà mieux oui. Mais c'est pas encore ça. Tu peux trouver mieux. Je te rappelle juste les faits quand même. Tu m'as déshabillée de force, et t'étais prêt à m'obliger à me...
— Arrête ! crie-t-il.
Il regarde autour de nous pour être sûr de ne pas avoir trop tourné l'attention vers notre table avant de répéter plus calmement :
— Arrête, s'il te plaît.
Il accompagne cette dernière requête d'un geste des mains, paume en avant, comme pour stopper la furie qui vient de s'éveiller devant lui.
— T'as raison, je suis le pire des salauds d'avoir fait ça. Et je repense souvent à mes conneries, je t'assure que si je pouvais revenir en arrière...
— Ben tu peux pas.
— Qu'est-ce que je peux faire pour me faire pardonner ? Dis-le moi, je le ferai. Je ferai tout ce que tu veux.
Une image de lui au bord d'un précipice, ma petite main entre ses omoplates, une légère pression contre son dos, me vient tout à coup à l'esprit. Je secoue la tête imperceptiblement devant cette demande inutile.
— Valentin, c'est trop facile. Qu'est-ce que tu crois ? Comment penses-tu que je puisse effacer cette première expérience que tu m'as gracieusement offerte ?
Je sens une larme rouler sur ma joue. Je l'essuie furieusement. Il manquait plus que ça, que je pleure devant cette ordure. Il aura tout gagné. Encore une fois.
— Sans parler des rumeurs... continué-je.
Il se crispe à ces mots.
— Les rumeurs... ?
— Ces rumeurs que tu as fait circuler à mon sujet.
— Attends, qu'est-ce que tu dis, là ?
— Je dis que grâce à toi j'ai passé trois ans à me faire insulter. Et je peux te dire que trois ans, c'est très long, dans ces cas-là.
Il a l'air déconcerté, la mâchoire lourde. Après un silence, comme pour assimiler mes mots, il souffle d'une voix rocailleuse :
— Je ne savais pas Alice, je t'assure. Je suis parti du lycée juste après tout ça. Je te jure que je pensais pas que ça irait aussi loin.
— Hmmm... Ca a dû être cool pour toi ces dernières années. Alors que pendant ce temps, moi, je m'en prenais plein la figure grâce à tes talents de narrateur.
Je me rends compte que mes joues sont trempées. Tant pis. Le mal est fait. Il ne répond qu'au bout de plusieurs minutes.
— Alice, je te demande pardon.
Il essaie de me prendre la main, toujours posée sur la petite table en bois, à côté de mon chocolat auquel je n'ai plus touché depuis l'arrivée du bourreau. Je la retire immédiatement, dégoutée par ce geste qu'il se permet de faire sans y être autorisé. Une nouvelle fois. J'ai tout de même eu le temps de sentir le contact de ses doigts glacés, libérant un frisson parcourant ma colonne vertébrale de bas en haut. Après une longue pause, il murmure :
— Ne pleure pas s'il te plait.
Rien à dire de plus. Pourtant il ajoute encore :
— Ecoute, quand je t'ai vue dans cette file d'attente la semaine dernière, j'étais vraiment content. Je... J'ai souvent pensé à toi.
Il baisse les yeux avant de m'avouer la chose la plus incongrue à ce moment T.
— Tu as été mon premier amour.
— Quoi ? est le seul mot que j'arrive à extirper de ma gorge nouée.
— T'es la première fille que j'ai aimée.
Je ris malgré moi.
— Ah ouais ? Et tu l'as bousillée, cette fille.
— Alice, arrête. Putain, j'étais accro et toi tu mettais tout le temps tes distances, et tu... tu voulais pas qu'on aille plus loin. J'avais l'impression que... tu voulais pas faire ça avec moi, que tu te fichais de moi. Et ça m'a rendu complètement dingue. Mes potes n'arrêtaient pas de me chambrer et me dire que c'était pas normal, que je devrais insister. Je n'ai aucune excuse, je sais. Mais j'ai réagi comme un ado vexé, c'est tout. J'étais vraiment en colère contre toi après ce qui s'est passé. Alors j'ai parlé à mes potes, juste une ou deux fois, pas plus, je te jure. Je leur ai raconté des conneries parce que je ne voulais pas passer pour le mec qui a pas assuré, pour un nul qui se fait rembarrer par sa copine, qui n'était qu'en seconde en plus.
— Eh bien, à croire que t'étais plus doué et populaire que ce que tu pensais.
Parce que tes "une ou deux" petites réflexions se sont répandues comme une traînée de poudre. Il se frotte le visage de la main, tellement fort qu'il s'en fait des traces rouges sur le front et les joues.
— J'aurais jamais pensé que ça finirait comme ça.
— Ben justement, tu vois ? C'est ça le problème. C'est que ça s'est jamais terminé.
Je m'avance de nouveau au dessus de la table, le regarde droit dans les yeux pour lui expliquer :
— J'ai failli changer de lycée, Valentin. Par ta faute.
J'ai eu des pensées suicidaires aussi.
— Pardonne-moi.
Ses yeux me supplient eux aussi, c'en est presque comique. Tu m'as fait vivre l'enfer pendant trois ans et tu arrives la bouche en coeur comme si j'allais accepter tes excuses, et peut-être même te laisser me prendre cette fois, pendant que tu y es.
— Tu es toujours comme ça avec les filles ? Je veux dire... brutal, c'est ton truc ?
— Non ! non, pas du tout !
Il hausse la voix, offusqué par mes paroles. Il accompagne ses mots du même geste de la main que tout à l'heure, paume en avant comme pour me demander de garder ces mots en moi. Comment peut-il être aussi prude ?
— Non, il se radoucit. Je t'ai dit que je m'en suis voulu tout de suite après. Jamais je ferais un truc pareil, tu me prends pour qui ?
J'ai un fou rire intérieur, là. Il reprend la parole :
— Et tant de fois, j'ai regretté de ne pas m'être excusé. Je pensais pas que ça t'aurait affectée autant... vu qu'on n'a rien fait.
J'ai envie de le gifler à cet instant plus qu'à tous les autres.
— Tu m'as laissée à moitié nue et totalement humiliée dans cette chambre sordide! je crie.
— Calme-toi, s'il te plaît.
Il regarde de nouveau autour de nous. Mais c'est la vérité qu'il souhaite dissimuler.
— Je sais, je suis vraiment une ordure, OK ? Mais je t'assure que je suis pas comme ça. Je sais pas ce qui m'a pris ce jour-là. Je me suis laissé emporter par ma colère.
On reste un moment dans le silence. J'en profite pour m'essuyer le visage couvert de larmes, et me moucher bruyamment.
— Pardonne-moi, Alice.
— Je crois pas que ce soit possible, en fait. Je vais y aller maintenant.
Alors que je range mes affaires dans mon sac et m'apprête à me lever, il me demande :
— Attends... Est-ce qu'on peut se revoir ?
Je ris amèrement.
— Non, non. Certainement pas.
— S'il te plaît. J'ai fichu en l'air trois années de ta vie, et je sais que je ne pourrai pas effacer ça, mais laisse-moi au moins essayer de réparer mes erreurs.
— Je m'en fous que tu veuilles soulager ta conscience Valentin ! J'ai juste accepté de te rencontrer aujourd'hui pour m'aider à passer à autre chose et enfin tourner la page de ce merdier qui m'handicape encore aujourd'hui.
— Non, non, c'est pas ça. Je t'assure, je veux juste t'aider. Tu as dit que tu voulais passer à autre chose, alors laisse-moi t'aider, s'il te plaît.
Ma langue claque sur mon palet.
— Je vois pas comment tu pourrais m'aider, réfléchis un peu, lancé-je agacée par son manque de discernement.
— En te montrant que je suis un mec bien maintenant, et en t'écoutant.
— Je m'en balance que tu sois devenu un mec bien. Qu'est-ce que tu veux que ça me fasse, sérieusement ? Pas besoin, mais merci quand même. J'y vais maintenant.
Je commence à sortir mon porte-monnaies de mon sac.
— Non, laisse, c'est pour moi.
Quel bon prince ! Mais j'ai ma fierté, qu'est-ce qu'il croit ?
— Non ! j'aboie.
Ce qu'il me doit n'a pas de prix.
— OK, OK, dit-il en levant ses mains en signe de capitulation.
Je balance sur la table ce qu'il faut pour payer mon chocolat et rien d'autre.
— Allez Salut ! craché-je en me levant pour prendre la direction de la sortie.
En ouvrant la porte vitrée, je m'aperçois que la chance n'a toujours pas tourné en ma faveur : il pleut de cette neige fondue qui vous glace à chaque point de contact entre la peau et le flocon.
— Je peux te raccompagner chez tes parents si tu veux.
Un frisson me parcourt l'échine. Valentin est juste derrière moi. Plutôt crever sous cette neige !
— Non, je préfère marcher. J'ai l'habitude, je mens.
Et voilà que je suis coincée sous ce porche, à regarder cette ville, ce garçon et tous les mauvais souvenirs qui y sont accrochés.
— Tu peux pas rentrer sous un temps pareil. Laisse-moi te raccompagner. Ou alors je te paie un autre chocolat en attendant que ça se calme, si tu préfères ?
— Non. Ca va aller, rentre chez toi, ça va bientôt se calmer, répliqué-je d'un ton aussi froid que cette neige qui me barre le passage.
— Je ne vais certainement pas te laisser comme ça, sous la pluie, c'est hors de question.
Tu m'a pourtant laissé dans de bien pires circonstances. Mais je ne réponds rien.
— Tu sais, malgré ce que tu peux penser, je ne suis pas un monstre. Et ma plus grosse erreur, je l'ai faite avec toi.
— Pas de bol pour moi alors, hein ? dis-je en m'essuyant une larme retardataire qui s'est échappée et mêlée aux quelques gouttes qui arrivent à se frayer un chemin jusqu'à nous, sous cet abri de fortune. Je regarde les traces que ces dernières laissent au sol quand j'entends Valentin soupirer.
— Je suis prêt à faire n'importe quoi pour réparer mon erreur.
Je ris amèrement.
— Ah oui, t'as raison, t'as qu'à me ramener chez moi, ça effacera tout.
— Tu es bien sarcastique. Mais je te ramène quand même, tu veux bien ?
Pour la première fois, je me laisse le droit d'y réfléchir quelques instants : rentrer à pied et garder le mauvais souvenir de Valentin bien ancré en moi Vs le laisser me ramener et me sentir enfin à l'abri dans le cocon chaud et douillet de la maison de mon enfance en moins de dix minutes. Non. Je me tourne vers lui, le regarde droit dans les yeux pour l'admonester:
— Ecoute-moi bien. Plus jamais tu me contactes. Tu ne parles pas non plus à mes parents. Tu gardes ta rancune pour toi. Si tu veux vraiment m'aider, tu sors de ma vie pour de bon cette fois.
Chacun de mes mots sont imprégnés d'une colère impassible, qui fait pourtant rage à l'intérieur de moi. Il reste silencieux, et ses yeux expriment incertitude, découragement ou offense. Je ne sais pas trop et ne m'en préoccupe pas.
— C'est bon, je n'insiste plus, répond-il enfin, les mains devant lui tel un bouclier. Alors, bonne chance.
— C'est ça, marmonné-je de façon presque inaudible en prenant mon courage à deux mains, balançant ma capuche vigoureusement sur ma tête et prenant le chemin du retour. A pied.
Alors que je marche depuis dix bonnes minutes, à ressasser cet entretien avec le diable, à me sentir plutôt fière d'avoir su exprimer ma colère, je commence à être un peu effrayée par les couleurs du ciel. Il neige de plus en plus, et je ne vois presque rien devant moi. Le problème étant que les conducteurs ne me discerneront pas non plus. Je suis sur le point d'appeler mes parents lorsqu'une voiture s'arrête à mon niveau. La fenêtre passager s'ouvre et j'aperçois le visage amoché de Valentin penché vers moi.
— Allez, monte !
Jamais de la vie!
— Non.
— Alice, sérieux. Je comprends tes réticences, mais là ça devient dangereux.
— Je suis moins en danger sur cette route que dans ta voiture.
— Tu sais très bien que ce n'est pas vrai. Sois sérieuse un peu. S'il te plaît, est-ce que tu peux monter ? Tu n'auras qu'à me supporter juste cinq minute, le temps d'arriver jusqu'à chez toi.
Je regarde devant moi pour ne rien voir, et me sens attaquée de toute part par le froid glacial et la neige qui tombe sans retenue. Mais malgré tout, cela me paraît moins hostile que cette voiture et son conducteur.
— Je ne monterai pas !
A ce rythme, il me reste un bon quart d'heure de marche. Je peux le faire !
— Je ne te laisse pas ici, c'est trop dangereux !
— Tu m'a laissée à moitié violée prête à en crever! crié-je de toutes mes forces !
— Je ne te laisserai pas cette fois-ci !
— Tu. Me. laisseras. Va-t-en! barre-toi !
Je fouille dans ma poche pour sortir mon téléphone et appeler mon père, tandis que le diable roule au pas, à mes côtés.
— Barre-toi ! Je rigole pas Valentin !
Je me mets alors à courir, me focalisant comme je peux vers l'horizon, alors que le passé s'accroche à mes semelles. Je trébuche sur le sol glacé, mes genoux et mes mains cognant contre le goudron gelé, et me relève pour reprendre ma course sans regarder derrière moi. Je sais que la voiture est là, à me suivre de près, j'entends son vrombissement. Mais je poursuis mon chemin du mieux que je peux sans un regard en arrière, jusqu'à enfin apercevoir ma maison. Je puise dans mes dernières forces pour l'atteindre, éreintée par cette confrontation avec mes souvenirs, épuisée par cette course contre l'ennemi.
Je pousse le portail, parcours les dernier mètres jusqu'à la porte d'entrée, pour enfin m'engouffrer dans mon refuge. Un fois montée dans ma chambre, je me permets un coup d'oeil par la fenêtre pour vérifier s'il est bien parti. Sa grosse voiture sombre quitte à peine le petit chemin qui mène à notre portail. Je me laisse alors le droit d'inspirer profondément.
Je sors mon portable. Pour couronner le tout, il a fallu que je loupe ma dose d'amour quotidienne. Deux appels manqués de Kyle. Je tente de le rappeler. En vain. Valentin est la pire des ordures.
Je sais que certaines n'approuvaient pas qu'Alice puisse accepter cette confrontation. Mais j'ai envie qu'elle évolue, s'affirme, se laisse envahir et guider par des émotions fortes.
Et Valentin, il vous surprend? Il est sincère à votre avis? Parfois, on n'a pas conscience de l'impact de nos mots et nos actes.
Pour le prochain chapitre, j'essaie de le terminer pour la semaine prochaine. Et si ce n'est pas le cas, je vous tiendrai au courant via mon profil ;)
Bisous à tous ❤
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top