Chapitre 51
Demain... Déjà demain, mon amoureux et moi seront séparés par tout un océan. Pour deux longues semaines. Je pense de nouveau au fait que Kyle ne pourra pas m'accompagner pour mon marathon. Pas m'encourager. Pas me motiver. Au moins, j'aurais un objectif pour détourner mes pensées.
Hier, dernier jour avant les vacances, nous sommes allés présenter mes résultats de l'examen d'anglais au bureau des relations internationales de la fac. Je stressais tellement, pensant que si ça se trouve, on avait encore oublié un document, omettant de lire la toute petite astérisque cachée tout en bas du papier explicatif pour le dossier. Mais finalement, tout s'est bien passé. Mon dossier est validé, prêt à être envoyé à l'organisme s'occupant de gérer les échanges avec les Etats-Unis.
Aujourd'hui, Kyle est parti chez son oncle. Il devait lui ramener la voiture qu'il a empruntée pour apporter la batterie de mon frère chez mes parents, ainsi que récupérer des cadeaux à emporter à sa famille. Il m'a expliqué qu'il ne préférait pas m'y emmener cette fois-ci. Mais à son retour des States, il souhaiterait me présenter à sa famille. Rencontrer mes parents est déjà bien assez pour cette semaine, de toute manière. Il m'a promis de revenir rapidement cet après-midi, mais je sais qu'il ne sera pas de retour avant deux ou trois bonnes heures, ce qui me laisse l'opportunité d'aller faire mes cadeaux de Noël.
Je suis chez moi, prête à partir faire les magasins lorsque mon téléphone sonne. Je ne connais pas ce numéro. D'habitude, je ne réponds pas, mais étant donné que nous avons déposé mon dossier la veille, je ne veux pas passer à côté d'une information importante.
— Oui allô ?
— Alice... Salut, c'est Valentin.
Je me sens comme percutée de plein fouet par une voiture. Non ! Ce n'est pas possible ! Ca ne va pas recommencer. Je reste sans voix, dans l'incapacité d'agir. Il me demande à toute vitesse, d'une voix suppliante :
— S'il te plaît, ne raccroche pas. Juste si tu pouvais m'écouter deux minutes.
Pourquoi je lui obéis ? Pourquoi je m'entends répondre :
— Ecoute, désolée pour mon copain, si c'est ça le problème.
— Non, enfin, pas vraiment.
Il rit amèrement avant d'ajouter :
— J'ai pas trop compris ce qui m'a valu ça, mais bon...
Tu n'as pas trop compris ? Est-ce qu'il blague ? Ce n'est pas possible autrement. Ou alors il a été victime d'une crise d'amnésie.
— Comment t'as eu mon numéro ?
— Je... J'ai appelé chez tes parents, je suis désolé. Il fallait vraiment que je te parle. Et puis de toute façon, je me suis rendu compte que tu n'as pas changé de numéro depuis le lycée.
Je suis prise de panique. Une image me voile le regard. Celle de mes parents choqués par les paroles de Valentin à propos de notre rencontre il y a quelque jours.
— Qu'est-ce que tu leur as dit?
Il doit sentir l'affolement dans ma voix.
— Rien, rien, ne t'inquiète pas. Je leur ai juste dit bonjour et leur ai expliqué que je souhaitais renouer avec toi.
Bien sûr. Ils connaissent Valentin puisqu'il est déjà venu à la maison lorsque nous sortions ensemble. Il ne savent pas le mal qu'il m'a fait cependant. Ils étaient au courant pour les rumeurs, et le harcèlement que j'ai subi (même s'ils ne considéraient pas cela ainsi). Mais ils n'ont pas su ce qui s'était passé dans cette chambre d'hôtel. J'avais bien trop honte pour leur raconter. Donc ils n'ont aucune raison de se méfier de ce garçon lorsqu'il appelle à la maison en demandant mon numéro avec toute la politesse et les bonnes manières dont il sait faire preuve.
— Pourquoi tu m'appelles ?
Je sais que je devrais couper court à cette conversation, mais ma curiosité est piqué à vif. Et je veux surtout savoir s'il compte porter plainte contre Kyle.
— Ecoute, j'ai beaucoup pensé à toi ces dernières années. Et à ce qui s'est passé entre nous.
Et s'il voulait me faire des excuses ?
— Et putain quand je t'ai vue lundi dernier... Alice, je suis sûr que c'est un signe du destin.
Alors il semblerait que le destin ait une dent contre moi. Les deux minutes sont quasiment écoulées. Le supplice presque terminé. Je vais y mettre fin d'ici quelques secondes.
— Non, je crois pas, craché-je sèchement. Bon. Et alors ?
Il reste un instant silencieux, certainement un peu sonné par ma réponse brusque.
— Je... Je voudrais... m'excuser pour ce que je t'ai fait. Je... Est-ce que tu serais d'accord de... d'en discuter ? Putain ! Ca fait des années que je rêve de ce moment !
— C'est bon Valentin. Je vais raccrocher, maintenant, j'en ai assez entendu.
— Alice ! crie-t-il alors. Attends ! Est-ce qu'on ne pourrait pas juste... boire un verre ? Je te promets, je ne te harcèlerai pas.
Soit il aime les plaisanterie douteuses, soit il est sacrément stupide.
— J'ai vraiment besoin de te parler, c'est important, ajoute-t-il misérablement.
— Non, désolée, je dois vraiment y aller, mon copain m'attend, je mens.
— Une dernière chose alors : voilà ce que je te propose. Je te rappelle la semaine prochaine. Tu seras chez tes parents, je suppose, pour les fêtes ?
Il ne me laisse pas le temps de répliquer pour poursuivre son raisonnement.
— Moi aussi, je serai chez les miens. Ca te laisse le temps d'y réfléchir. Et si tu refuses qu'on se voie, je te promets de ne pas insister. Simplement, réfléchis-y, tu veux bien ?
— Non, Valentin, je peux te dire dès maintenant que je n'accepterai pas.
— Pourquoi ?
Je soupire. Je ne veux pas avoir cette conversation. Je ne veux plus entendre cette voix. Plus jamais.
— Laisse tomber, OK ? Allez salut.
Je suis sur le point de raccrocher une nouvelle fois lorsque je l'entends bafouiller :
— Je voudrais vraiment t'expliquer... Te faire de vraies excuses, face à face.
Et moi j'aimerais ne plus jamais voir ton visage. Pourtant il sera ancré dans ma tête toute ma vie, et pour de mauvaises raisons. Garde tes remords à vie toi aussi, si ça te chante. Mais au moins, il sait qu'il me doit des excuses...
— Valentin, c'est trop tard pour ça. Je préfère qu'on en reste là. Au revoir.
Cette fois-ci, je mets fin à la conversation et enregistre tout de suite son numéro dans mon téléphone. S'il me rappelle comme il l'a suggéré, je veux le savoir. Je pense à le bloquer, mais une idée me vient alors : et s'il décidait d'appeler de nouveau chez mes parents ? Il ne s'est pas gêné une première fois, il sera sûrement capable de réitérer sa méthode intrusive.
Fermant mes paupières fébriles, j'incline la tête, soumise à mes souvenirs amers. Je pince l'arête fine de mon nez tout en extirpant de mes poumons tout l'air qui s'y est accumulé, bloqué, pour éviter de perdre pied durant cette conversation déroutante.
Je ne parlerai pas de cet appel à Kyle. Pas à vingt-quatre heures de son départ. Rien ne doit entraver ce qui me reste de temps à partager avec lui.
Vingt-quatre heures, ça passe vite. Davantage lorsqu'on désire à tout prix qu'elles ne s'arrêtent jamais.
Et pourtant, ça y est. Nous y sommes. A quelques minutes de son départ. A l'aéroport, dans les bras l'un de l'autre, pour la dernière fois avant deux semaines, qui vont certainement nous sembler interminables. Je suis finalement en train de vivre ce moment que je redoute depuis son annonce. C'est déroutant, presque exaspérant, de voir à quel point il a su se rendre indispensable dans ma vie. Je ne peux même plus concevoir deux malheureuses semaines de privation.
Il me reste ces quelques minutes avec lui, et pourtant je suis incapable d'en profiter, pensant déjà au vide qui va se creuser dès que j'aurais quitté la douce chaleur de son corps qui m'enveloppe à cet instant.
Il est tout contre moi, ses bras enlaçant mes épaules tandis que les miens enserrent sa taille, sa tête posée sur la mienne. Alors qu'il s'écarte légèrement pour m'observer, d'un geste délicat il relève les quelques mèches de mes cheveux qui lui dissimulent une partie de mon visage et les fixe derrière mon oreille, pour venir arrimer ses lèvres sur les miennes. Ce baiser, je le savoure, désespérée à l'idée que je n'y goûterai plus avant beaucoup trop longtemps. Je lui encadre le visage de mes mains pour placer dans notre étreinte tout l'amour que je lui porte, alors qu'il murmure :
— Fuck... Tu vas me manquer. J'ai envie de louper cet avion.
Je souris, mais l'idée me plaît beaucoup trop.
— Je pourrais te séquestrer. Comme ça, ce ne sera pas ta faute, proposé-je contre ses lèvres.
— Tu ne connais pas ma mère. Tu dis tout le temps que je suis tenace, mais tu la connais pas, Damn shit ! Elle te retrouvera et tu voudrais pas qu'elle te retrouve dans ces conditions, crois-moi.
Je soupire de déception.
— Bon. Alors il ne nous reste plus qu'à prendre notre mal en patience, on dirait.
— Ouais. On dirait bien.
Je reporte alors mon attention sur ses lèvres, plutôt que de parler. Pas grand chose à dire de plus. Jusqu'au moment où l'annonce tant redoutée se fait entendre. Mon américain doit embarquer.
— Je t'aime, tu le sais hein ? me murmure-t-il alors qu'il me serre un peu trop fort.
— Bien sûr. Je t'aime aussi, tu le sais hein ?
Il rit brièvement.
— Je crois, ouais.
Et puis il me demande, d'un ton presque trop sérieux :
— Tu m'oublieras pas ?
Je rigole spontanément à mon tour.
— Comment veux-tu que je t'oublies ? Et toi non plus, j'espère que tu ne m'oublieras pas.
Entouré de ta famille et tes amis...
Il plaque de nouveau ses lèvres sur les miennes pour me faire taire. Un baiser d'au revoir. Qui semble presque être un adieu. Que l'on doit paraître ridicule ! Les deux tourtereaux qui font tout un mélodrame pour deux malheureuses semaines.
Et puis il faut bien que je le laisse partir. Il se retourne plusieurs fois pour multiplier les derniers regards, jusqu'au dernier moment, où il passe la porte d'embarquement.
KYLE
Damn shit ! Dans dix minutes, je serai dans ce putain d'avion, à m'éloigner d'elle de milliers de kilomètres. Quelques mois à peine qu'on se fréquente et pourtant cette idée me paraît quasi insurmontable.
J'ai de plus en plus cette impression qu'elle est façonnée juste pour moi. Ca me fait penser à ce tableau qu'elle étudiait pour son partiel de je ne sais plus trop quoi, avec ce sculpteur qui enlace cette statue de femme qu'il vient de modeler lui-même, et qui prend vie sous ses mains. Alice m'a expliqué que ça venait d'une de ces légendes de la mythologie grecque. La déesse Aphrodite, qui aurait eu pitié de l'artiste, aurait décidé de donner vie à cette statue dont il est tombé amoureux.
Je n'ai pas du tout la prétention de me prendre pour ce sculpteur, et loin de moi l'idée d'être le créateur de l'Alice d'aujourd'hui. Mais malgré tout, cette peinture correspond complètement à l'image que je me fais de ce petit corps frêle et lumineux que je tiens entre mes bras. Lorsque je ne la connaissais pas, je la voyais aussi rigide que de la pierre, aussi froide que du marbre, aussi façonnable que de l'argile. Pourtant, petit à petit, après chacun de ces moments que l'on a partagés, à chaque avancée dans notre relation, j'avais cette impression qu'elle prenait vie sous mes yeux. Elle pourrait sûrement dire la même chose de moi, d'une certaine façon.
Pfff... Damn, je traîne trop avec cette fille. Voilà que je me mets à sortir du *bullshit métaphorique. [*conneries]
Je la garde auprès de moi, la serrant sûrement un peu trop fort. Elle a réussi à me faire croire que je n'étais pas un enfoiré, comme tout le monde le prétend. M'a aidé à éviter de penser à toute cette merde autour de mon frère, dont je me sens tellement responsable. Grâce à elle, j'ai même osé croire que les conséquences à tout cela étaient enfin terminées. Sauf que les erreurs se paient à long terme apparemment. Si elle savait de quoi on m'accuse... Elle me quitterait certainement. Mais pire, ça lui ferait tant de mal. Parce que ça a beaucoup trop de points communs avec son passé à elle. Je vais devoir revoir ce qui reste de mon frère. Je vais devoir affronter les yeux de mon ex. Et je n'aurais pas Alice auprès de moi. Je dois la garder le plus loin possible de mes failles.
L'annonce de mon embarquement se fait entendre. Fuck it, elle va m'échapper. Et je prie pour la revoir. Parce qu'une fois rentré à Long Beach, rien n'est moins sûr.
Après un dernier regard à son intention, je me décide à passer la porte d'embarquement et me laisse guider dans la masse des autres passagers jusqu'à me retrouver assis sur mon siège, à côté du hublot. Je sors mon téléphone pour un dernier check avant le décollage. Un message sur Whatsapp. D'Amber.
Ah.... Vous vouliez en savoir un peu plus sur Kyle, voici une micro goutte que je vous injecte là. Amber... Vous aimez ce prénom?
Et que nous veut le petit Valentin? Est-il sincère à votre avis?
Pour la musique, je n'avais pas mis de classique encore. Alors je fais d'une pierre de coup: la petite vidéo que je vous mets est une pub pour... Air France... Ouais, je sais... Une pub quoi... Pfff... Mais en vrai c'est surtout un extrait d'une pièce d'un chorégraphe que je vénère, Angelin Preljocaj. J'aurais voulu vous mettre un extrait original de cette chorégraphie, mais vu que ça date, les vidéos sont d'une qualité qui ne lui rend absolument pas justice.
Enfin, le tableau dont parle Kyle: Pygmalion et Galatée, de Gérôme:
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