Chapitre 49

— Ecoute, c'était pas prévu mais... Je vais devoir rentrer à Long Beach pour les vacances.

Kyle est assis sur mon petit lit, les coudes enfoncés dans ses cuisses, se frottant les mains avec agitation et le regard perdu vers le lino gris de mon studio. Je suis si surprise, et déçue par cette nouvelle que je sens mon ventre se contracter d'appréhension. Cependant, je ne veux pas qu'il s'en aperçoive. En l'occurrence, il n'a pas l'air d'apprécier plus que moi cette nouvelle. Je l'observe attentivement.

— Ah ?

— Ouais... Mes parents... Enfin...

Il glousse, mal à l'aise, et se frotte la nuque, la tête légèrement inclinée, les yeux dans le vide.

— Tu sais que c'est pas mon truc de parler de ma vie.

Je ne réponds rien et lui laisse le temps de formuler ce qu'il souhaite me confier. Il finit par souffler :

— J'avais un frère moi aussi... Mais bon...

Quoi ? Je déglutis avec difficulté, sonnée par cette confidence. Il a toujours prétendu être enfant unique. Et il a un frère. Il a eu un frère. Que s'est-il passé ? Assise à ses côtés, je pivote pour rechercher dans ses prunelles d'un bleu pourtant limpide toutes les réponses aux questions qui envahissent tout à coup mes pensées, mais je n'y déchiffre qu'un entrelacs flou d'émotions noires.

— Mais...

Ma voix se brise sous cette simple syllabe. Je ne sais que lui dire. Il vient de me révéler un nouveau pan de sa vie, trop sombre pour être lâché ainsi, mais les mots me manquent devant son visage ébranlé. Il gigote sur le lit donnant l'impression qu'il y est mal assis, et prêt à s'éloigner de moi au moindre faux pas de ma part. Il se frotte vigoureusement le visage des deux mains avant de refermer aussitôt cette faille que je viens à peine d'entrevoir, en bafouillant d'un ton grave :

— Je... J'aurais pas dû... S'il te plaît, je préfère pas en parler.

De profil, je vois son buste se mouvoir au rythme de sa respiration ample et saccadée. Je ne veux pas lui en vouloir. Il n'est pas prêt à en dire davantage, et je ne compte pas le pousser si ce n'est pas le cas. Je repense aux conseils de Cara il y a quelques jours, à propos des secrets de mon intriguant bad boy. Je me rends bien compte que, petit à petit, il ose s'ouvrir à moi. Il faut simplement que je respecte son rythme. Je m'approche discrètement, dépose avec tendresse ma main sur son dos courbé, sans un mot, pour lui signifier implicitement que j'accepte sa demande. Mais ce geste l'éloigne un peu plus de moi. Il se racle la gorge, se redresse un peu trop rapidement, et se frotte de nouveau la nuque, passant d'un pied sur l'autre. Il inspire profondément, comme pour laisser passer un dernier souffle de regret sur cette fêlure avant de la recouvrir de son masque confiant, et finit par m'expliquer sur un ton neutre :

— Mais mes parents, les fêtes... Il vaut mieux que je sois dans les parages.

— Oui, bien sûr, je réponds d'une petite voix. Et... Tu dois partir quand ?

— Je pars dimanche.

Dimanche ! Dans quatre jours ! Il doit remarquer à quel point je le dévisage, la bouche entrouverte, le regard inquiet, abasourdie par cette information supplémentaire, parce qu'il ajoute :

— Noël, c'est mardi prochain, baby. J'avais pas le choix.

— Oui, oui, bien sûr, je comprends. C'est juste que... C'est si tôt... Et tu pars combien de temps ?

— Juste pour les vacances, normalement.

Il me regarde enfin, me passe une main sur la joue avant de déclarer :

— Tu vas me manquer.

Il se recule alors instantanément et passe une main vigoureuse dans ses cheveux tout en soupirant bruyamment.

— Fuck it ! Pour une fois qu'on aurait pu passer plus de temps ensemble !

Je n'ose rien dire, mais c'est exactement ce qui me traverse l'esprit, moi aussi. Sans la fac, et avec mes jours de travail diminués, je rêvais de ces vacances pour qu'on profite l'un de l'autre. Il se tourne de nouveau vers moi :

— Je te prendrais bien dans mes valises si je pouvais...

Je glousse. Que j'aimerais...

— Tu me prendras dans tes valises dans quelques mois de toute façon.

Je crois que cette déclaration parvient à le rassurer. Il me regarde attentivement avant de m'embrasser. Et ce que je ressens dans ce baiser est étrange. Il me semble y déceler une toute petite touche d'empressement, peut-être même une once de désespoir. Viennent-elles de lui ou de moi ? J'espère que je me trompe dans tous les cas. Il se dégage doucement de mes lèvres, colle son front contre le mien, abaissant ses paupières légèrement tremblantes.

— Tu m'en veux toujours pour lundi ?

On a essayé d'éviter le sujet de Valentin ces deux derniers jours. Parce qu'il ne fait plus partie de ma vie, et ce n'est pas cette turbulente parenthèse qui va changer quoique ce soit.

— Bien sûr que non. Je... J'aurais pas dû réagir comme ça. Je sais que tu l'as fait pour moi.

— Non, mais moi aussi je suis désolé. J'ai pas réfléchi aux conséquences.

— On s'en fiche des conséquences. Il l'a bien mérité après tout.

— Il aurait mérité bien plus, ce salopard, siffle mon impulsif.

Il me fait rire.

— C'est déjà pas mal. Je doute qu'il se soit déjà pris une châtaigne pareille.

Alors le sourire de Kyle effleure mes lèvres, et cette fois-ci c'est moi qui vais chercher sa bouche avec empressement. Et cela découle forcément sur une autre parenthèse, bien plus agréable, mais aussi suintante d'appréhension et de mélancolie devant la séparation imminente de nos corps.

   Et puis cette journée, je l'ai passée à profiter de mon amoureux autant que je le pouvais. Nous sommes allés nous entraîner comme tous les mercredis, parce que je ne peux pas me permettre de lésiner. Le marathon auquel je me suis inscrite est dans moins de trois semaines seulement. Marathon auquel Kyle n'assistera finalement probablement pas. Mais surtout, c'était la dernière fois que je pouvais regarder mon basketteur jouer avant un bon moment.

Je ne sais pas pourquoi, mais avec l'annonce de son départ, s'infiltre en moi un mauvais pressentiment. J'ai cette impression que des gouttes d'eau froide et douteuse provenant d'une légère fissure, presque invisible dans la charpente de notre amour, se brisent sur ma peau, éveillant à chaque fois un frisson désagréable. Je le cache cependant, bien au fond de mes pensées.

Parce que je le sais, je suis comme ça, j'ai tendance à dramatiser, et m'en faire pour un rien. De toute manière, je vais profiter de ces deux semaines sans lui pour passer du temps en famille, et avec Axel. Et puis, c'est quoi deux semaines ? Maintenant qu'on a pris la décision de poursuivre notre route ensemble, TOEFL ou pas d'ailleurs, il n'y a aucune raison de s'en faire, je suppose.

En parlant de TOEFL... Il se pourrait bien que les résultats tombent aujourd'hui... Je viens de rentrer du travail et ouvrir la porte de mon petit studio. La journée est passée à toute allure. De ma matinée avec Kyle jusqu'à la course pour arriver à l'heure à la crêperie, le temps semble s'être joué de moi. Je retire à la hâte mes chaussures, et ne prends même pas la peine d'enlever mon manteau, il fait trop froid de toute façon. Je me précipite vers mon ordinateur, l'allume, et angoisse rien qu'à voir le temps qu'il met pour démarrer.

Kyle devrait arriver d'une minute à l'autre puisqu'on s'est donné rendez-vous ici. Lui est sorti avec des potes ce soir, histoire de faire un coucou à tout le monde avant son départ. Sur le point de connaître mon sort, je ne peux l'attendre, bouillonnante d'impatience de prendre connaissance du verdict final, de cette dernière étape de validation de mon dossier d'échange universitaire, ma meilleure chance de passer une année supplémentaire auprès de mon amour et d'accomplir un rêve presque trop beau pour pouvoir se réaliser. Et puis, si j'ai échoué une nouvelle fois, je risque de m'effondrer de honte.

Je recherche le site de résultat. Mais ce n'est pas possible ! Ma connexion choisit toujours le meilleur moment pour me rendre folle.

"Biiiip"

Mon interphone. Mince. Kyle est déjà là. Bon. Je vais l'attendre. Le temps des cinq étages montés par ses grandes jambes. Le temps que je l'accueille et qu'il m'embrasse chastement.

— Shit babe, il faut absolument que j'aille pisser, j'ai bu trop de bière, j'attends que ça depuis que je suis dans le métro.

Le temps d'un pipi, de garçon, très long. Puis l'eau qui coule. Le temps d'un lavage de main, apparemment approfondi. La porte de la salle de bain s'ouvre enfin. Ses yeux se posent sur l'ordinateur. Le temps qu'il capte ce que j'étais sur le point de faire.

— J'allais regarder les résultats, je précise histoire de gagner une nanoseconde sur ce temps qui s'amuse encore avec mes nerfs. Ils sont là, normalement ajouté-je d'une voix chevrotante.

— OK, ben qu'est-ce que t'attends ! ?

Je ris nerveusement, le regarde avec de grands yeux exaspérés, souffle un bon coup et finis par me jeter sur l'ordinateur.

— Tu veux que je regarde pour toi ?

Est-ce que je veux qu'il regarde pour moi... Je tremble comme une feuille.

— Oui, d'accord.

— Pousse-toi.

Bien sûr, je n'aurais peut-être pas dû accepter son aide. Il met un temps infini à trouver la bonne page, à tel point que j'ai envie d'appuyer à sa place sur les touches du clavier. Je l'observe avec appréhension, alors qu'il a les yeux rivés sur l'écran, le visage éclairé par la lumière trop vive qui s'en dégage. Tout à coup, son regard se fige, ses sourcils se rapprochent, il se mord avec agitation la lèvre inférieure. Et puis finalement :

— C'est bon, tu l'as.

Il me regarde ensuite avec le plus grand sourire que je ne lui ai jamais vu jusque-là.

— Pas de blague, hein ?

— Mais non ! Quand même ! Je sais que je suis un connard mais pas à ce point. Regarde toi-même.

Il tourne l'écran vers moi, et je mets quelques instants à voir apparaître sous mes yeux mon nom. Mon nom à moi. J'ai réussi. Putain j'ai réussi ! Mon dossier est complet et n'a plus qu'à être accepté ! Tout ce travail pour quelque chose finalement ! Une étape de plus pour réaliser ce que je n'osais même pas imaginer.

Kyle m'a tant aidée à le rendre presque réel, ce rêve. Et voilà que celui-ci risque de se concrétiser. Moi, par contre, je ne réalise pas encore, je crois. Tous les muscles de mon corps sont si contractés que c'en est presque douloureux. On n'a plus qu'à espérer que ma candidature soit acceptée, et qu'elle le soit pour l'université de Long Beach et pas une autre, si possible.

Après cette semaine aux multiples événements déroutants, entre la rencontre fortuite et explosive avec Valentin, nos derniers partiels, et l'annonce du départ de Kyle ce matin, je suis heureuse d'avoir cette excellente nouvelle pour rattraper un peu le coup.

— Il faut qu'on fête ça, baby.

Je n'ai pas besoin de lui demander de quelle façon il souhaite célébrer cette réussite, et nous récompenser de ces efforts qui n'ont finalement pas été vains. La lueur dans son regard, cette lueur que je connais si bien maintenant, me dit tout. Tout ce que je souhaite qu'il me fasse, je le vois dans ses yeux.

Ahhhh Kodaline!! Ahhhh ce clip... Mes petits yeux sensibles ont piqué... 

Alors ces nouvelles de Kyle? Vous les prenez comment? 

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