Chapitre 44
Mon téléphone n'arrête pas de vibrer. Il fait encore nuit, et ce bruit incessant me sort de mes doux rêves, pour me forcer à m'extirper des bras douillets de mon dormeur invétéré. Je tatonne de mes doigts ankylosés le lino de ma petite chambre pour attraper l'objet dérangeant, et le plante devant mes yeux. Si tôt. Un problème. Je réponds trop rapidement.
– Maman?
– Alice, c'est pas trop tôt.
– Si justement... marmonné-je.
– Pardon?
– Rien... Qu'est-ce qui se passe? Tout va bien?
Je me redresse dans le lit, et sens derrière moi que Kyle est finalement réveillé par mes invectives. Je me retourne vers lui et pose mon index sur la bouche pour lui faire signe de rester tranquille et discret.
– Oui, pourquoi ça n'irait pas? me demande ma mère étonnée.
– Parce que tu m'appelles à...
Je regarde de nouveau l'écran de mon téléphone et poursuis:
– Sept heure du matin.
– Euh oui, je voulais être sûre de t'avoir avant que tu ne partes en cours.
Je souffle un peu trop bruyamment. C'est pas vrai... Qu'est-ce qu'elle va me demander?
– Clément va passer la journée à Paris aujourd'hui. Je le dépose au train de 11h30.
Mon frère a seize ans, il commence à savoir se débrouiller seul, et ma mère le laisse enfin prendre un peu d'autonomie. Son petit dernier.
– Et?
– Et je voulais te demander si tu pouvais t'occuper de lui cet après-midi.
Ah ben non en fait... Faudra repasser pour l'indépendance de mon frangin. Pas moyen de le laisser vivre, finalement... Qu'elle est ultramégaprotectrice avec lui! Est-ce qu'elle l'était autant avec moi? Je ne m'en souviens pas. Je soupire d'incrédulité avant de répondre:
– Maman... C'est un grand garçon maintenant, il peut se débrouiller. Qu'est-ce qu'il vient faire ici?
– Justement. Il veut s'acheter un... synthétiseur pour sa musique, et il veut aller à... à Pigalle.
Silence.
Ah! Je comprends mieux! Pigalle. Le quartier "rouge" de Paris. Mais aussi le quartier des magasins de musique, en effet. Ma mère ne veut pas que mon petit frère traîne seul dans le secteur hot de la capitale. Je rigole intérieurement. Je peux comprendre. A seize ans, entre une enseigne d'instruments de musique et celle de sex toys, clignotant dans tous les sens, aussi passionné soit-il par les premiers, je suppose que ce n'est pas un choix des plus cornéliens. Même si franchement, je ne vois pas vraiment le problème à cela. Après tout, il faut que jeunesse se fasse, non? Mais ma mère est capable de me renier si je lui refuse ce petit service. Laisser son petit poussin partir à l'aventure du sexe toute une journée, c'est le meilleur moyen qu'elle débarque elle-même avant même qu'il n'ait le temps de toucher un... synthétiseur.
J'expire de nouveau un peu trop fort, parce que, franchement, je n'ai que ça à faire en ce moment, de chaperonner mon frère. Je suis en plein partiels, j'en ai d'ailleurs un ce matin, dans moins de deux heures.
– Bon. D'accord.
– Merci Alice, tu es une grande soeur responsable.
Quel compliment! Heureusement que je ne le fais pas pour ça...
– De rien. Je le récupère à gare du Nord? Tu lui mettras bien son brassard jaune fluo pour ne pas qu'il se perde?
– Très drôle. Tu verras quand tu seras maman...
– Euh... C'est pas demain la veille, marmonné-je plus pour moi.
– J'espère bien...
Nous papotons encore quelques minutes, Kyle très attentif et silencieux, sa main chaude posée sur la courbe de mon dos, y inscrivant de petites fresques à la plume légère de ses doigts fins. Je finis par couper court à la conversation, car nous ne devons pas tarder à nous préparer pour partir à la fac. Après avoir raccroché, Je me tourne vers mon américain, dont les yeux bleu glacial sont déjà fixés sur moi, et un soupir empli d'irritation s'échappe encore entre mes lèvres.
– Mon frère débarque cet aprem. Je dois l'accompagner à Pigalle. Je suis dégoutée. Pas d'entraînement pour moi aujourd'hui.
Et pas de matage de basketteur sexy non plus...
– Je peux t'accompagner?
What??
– Euh... non.
– Allez! Pourquoi?
– Mais non Kyle, t'es fou ou quoi? Je veux pas te présenter à mon frère! Pas maintenant.
– Mais pourquoi?
S'il est courant, mes parents sont au courant, et tout mon plan machiavélique pour les amadouer dans mon filet et les pousser à me laisser partir avec lui capotera grandiosement.
– Parce que, c'est tout. Pas maintenant.
Réponse des plus utiles, j'en ai bien conscience.
– Bon. Mais t'es pas obligée de lui dire qui je suis. Je serai juste... ton... pote.
– Il a seize ans, pas six. Il va capter direct.
– Mais non, tu verras, je vais la jouer tout en finesse.
Je rigole. Mais qu'est-ce qui lui prend? Alors ça y est, on essaie de prolonger notre temps imparti et il se sent pousser des liens assez solides entre nous pour que je lui présente ma famille.
Parce qu'il a tout prévu. Même mon échec au TOEFL. Lorsqu'il est arrivé vendredi, après que je lui ai fait part de ma défaite contre le monde anglo-saxon, il m'a serrée très fort dans ses bras. Je l'ai regardé tout la haut, ma joue toujours collée contre sa poitrine pour lui demander fébrilement:
– Comment on va faire? Putain, je suis nulle, j'ai tout fait foirer.
– Damn, Alice, arrête tout de suite de faire ta victime! On se lamente pas, OK? On attaque le plan B!
La vibration de sa poitrine lorsqu'il a énoncé ces mots me donnait l'impression que ses paroles entraient directement sous ma peau, et rien que cela me réconfortait un peu.
– Quel plan B? T'as un plan B?
– Bien sûr, qu'est-ce que tu crois?
J'étais stupéfaite par sa capacité à rebondir quoiqu'il arrive.
– Et ce plan... il consiste en quoi alors?
– A repasser le TOEFL.
Je me suis dégagée de lui, les mains posées sur son tee-shirt blanc, pour mieux l'examiner.
– Quoi? T'es sérieux?
Ma voix me semblait bien haut perchée.
– Mais je peux pas, on a passé les dates, et l'inscription va prendre des jou...
– Je t'ai inscrite à deux sessions en même temps. Il faut juste qu'il y ait douze jours entre les deux. Et mardi ça fera pile poil douze jours.
J'en suis restée coite. Aucun son ne pouvait sortir de ma bouche. Parfois, il me semble que ce mec est un psychopathe.
– Me regarde pas comme ça! Il y avait de fortes chances pour que tu foires ce premier test! C'est pas comme si on avait dix plombes devant nous. Ca fait même pas deux semaines qu'on bosse dessus. Et puis je suis passé par tout ça, moi aussi, l'an dernier. Alors j'anticipe.
– Mais elle ne va jamais accepter l'inscription, la responsable! Elle a dit qu'elle n'autoriserait aucun délai supplémentaire et...
– Alice. Shit! Fais moi confiance, elle va accepter. Je vais la saouler, elle aura pas d'autre solution si elle veut rentrer chez elle à l'heure.
J'ai rigolé, à la fois devant la ténacité littéralement sans borne de mon bad boy, et un peu nerveusement aussi. Parce que je me sentais tellement effrayée de passer à côté de notre opportunité à ce moment-là. Et de tout faire foirer à nouveau malgré les efforts monstres fournis par mon amoureux un peu cinglé.
– On ira la voir mardi, après ton TOEFL. Elle croira que t'as pas encore eu les résultats.
J'ai écarquillé les yeux de stupeur en me rendant compte de la deadline qu'il venait de me rappeler.
— Mardi? Je le repasse mardi? Mais... Qu'est-ce que ça va changer? En trois jours, je ne vais pas progresser, c'est impossible!
– Hey hey hey! Stop! Tu l'as pas loupé à cause de ton niveau, mais à cause du stress. Je commence à te connaître, figure-toi, miss Chapellier. Maintenant que tu sais comment ça se passe, ça va le faire.
J'ai pris le temps de considérer ses affirmations qui ressemblaient à un de ces laïus de coaching. Cependant, il n'avait peut-être pas tort. J'ai échoué à quelques points près, et seulement à cause de l'expression orale. Il faut dire que je tremblais tellement en enregistrant mes réponses à la hâte, qu'ils n'ont sûrement rien compris à ce que je baragouinais. J'ai alors pensé que pour pouvoir gagner quelques points lors de ce second essai, il suffirait que je me présente une heure à l'avance, histoire d'être la première à entrer dans la salle et ne pas être gênée par les autres candidats.
– Mais... Et si je le loupe encore cette fois?
– Mais non! Tu vas l'avoir!
– Et si... S'il te plaît, j'ai besoin de l'envisager.
Il a pris le temps de réfléchir à cette question bien trop complexe pour y répondre en deux minutes. Pourtant il a tout de même essayé:
– Eh ben... on trouvera un plan C, ou D. Tu pourras toujours t'inscrire à Long Beach University directement, sans passer par l'échange.
– Tu délires, c'est beaucoup trop cher. Impossible.
– Alors tu feras une année de pause, et moi aussi, et on pourrait partir... je sais pas moi, en Australie? Un road trip, ça serait cool, non? Les visas sont faciles à obtenir et on peut bosser là-bas pendant un an. Ca limite les dépenses. Qu'est-ce que t'en dis?
Il est parti dans des rêves totalement farfelus. Mais... Pourquoi pas après tout? Il y a tant de possibilités de poursuivre notre chemin ensemble, en définitive.
– J'en dis que t'es un grand malade, mais que je t'aime.
D'une main légère, il a repoussé mes cheveux dorés vers l'arrière et m'a embrassée, mettant toute l'énergie et la foi qu'il a en nous dans ce simple contact délicat.
Et c'est ainsi qu'hier j'ai tenté une seconde fois de décrocher le dernier sésame pour mon dossier d'échange aux Etats-Unis. Je me suis présentée très tôt, j'étais la première à attendre devant le centre d'examen. Et la première à y entrer. Je crois que j'ai bien mieux géré mon stress, mais les textes en anglais m'ont parus plus compliqués.
De toute manière, je ne peux pas revenir en arrière. J'ai utilisé mon dernier joker pour ce rêve si prometteur qu'il m'enflamme le ventre tous les jours un peu plus. Nous n'avons plus qu'à croiser les doigts, encore une fois, pendant une très longue semaine...
– Alors, tu es d'accord?
Je sors de mes rêveries pour revenir à cet instant, là, maintenant, avec Kyle, chez moi, mercredi matin, Sept heure.
– Tu veux bien que je t'accompagne, avec ton frère?
– Ecoute, faisons un compromis proposé-je.
Encore un...
– Tu viens, mais seulement à la fin. Je fais le tour des boutiques de musique avec lui, et puis on ira boire un verre avant qu'il reparte. Et tu peux nous rejoindre, OK?
– Bon. OK. Deal.
Et il me serre la main, pour, comme à l'accoutumée, y déposer ensuite un baiser de pacte dans la paume, puis sur le dos. Un frisson bien trop délicieux à cette heure-ci arpente ma colonne vertébrale. Je vérifie l'heure: sept heures quinze. Quinze minutes avant que mon réveil ne sonne. Quinze minutes, c'est tout ce que je demande. Alors, je lui attrape à mon tour la main, pour sceller moi aussi notre accord, et, peut-être, déclencher la même réaction qu'il a su provoquer en moi.
Vu la vitesse à laquelle ses pupilles s'assombrissent, je crois bien que ça a fonctionné. Je me rapproche à quatre pattes sur le lit, au dessus de lui, les pointes de mes longs cheveux lui chatouillant le visage, mes yeux plein d'espérances charnelles que je tente de déposer dans les siens.
– T'as ton partiel ce matin? me demande-t-il d'une voix légèrement enrouée.
– Toi aussi, non?
– Yep. Il faut qu'on se détende, je suis très stressé et toi aussi, pas vrai?
Bizarrement, pas vraiment...
– En effet.
Je suis sûre que mes yeux brillent de toute la lascivité qui déborde de mon corps.
– Un quicky?
– Pardon?
Il m'attrape par la taille avec agilité pour que je m'allonge entièrement sur lui, puis agrippe fermement mes fesses pour que je remonte les jambes autour de lui. C'est gagné!
– Un quicky. Un petit quelque chose vite fait bien fait, me susurre-t-il à l'oreille.
Je n'ai pas besoin de réfléchir pour donner mon accord. Eh bien, quinze petites minutes peuvent être utilisées à très bon escient...
Profitez, mes Rêveurs, profitez. Encore quelques chapitre OKLM, et puis, bah, va bien falloir que la tempête revienne pour mettre un peu de piment à tout ça... Et celle-ci, je vous préviens, elle va s'installer dans le temps...
N'empêche, je ne vous remercierai jamais assez pour vos encouragements dans cette aventure Kylice (Ca sonne pas trop mal, non? 😋) ❤❤❤.
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