Chapitre 39

– Alors?

Kyle et moi sommes assis l'un en face de l'autre dans un petit bar plutôt calme. Il est venu me chercher après le travail, à la crêperie, et je me suis dit que le mieux serait d'aller boire un verre pour parler tranquillement de la proposition qu'il m'a faite. Un lieu à l'extérieur. Neutre. Ni chez lui, ni chez moi. Afin de discuter en toute objectivité. Enfin... C'est comme ça que je le vois.

Nous sommes donc allés dans la rue Mouffetard, pas très loin de la crêperie, juste à côté de la place Monge, dans le quartier latin. Cette rue au charme très parisien, toute pavée, animée la journée par tous les petits commerces de quartier, s'éveille autrement le soir, grâce aux nombreux restaurants et bars, pleins à craquer de touristes comme d'étudiants. Chaque enseigne ayant son ambiance bien à elle, il y en a pour tous les goûts: du petit café cosy au troquet italien super cliché, en passant par le pub bondé de fêtards, ces derniers s'entassant dans la petite buvette désuète jusqu'à obstruer le trottoir, attirés principalement par le prix dérisoire de la bière. Ou devrais-je plutôt parler de bibine, vu la piètre qualité du liquide bradé. 

Dans certains endroits, il y a des groupes de musique qui animent la soirée. Je suis déjà venue plusieurs fois avec Morgane, parce qu'elle en pinçait pour un guitariste. L'an dernier, durant quelques semaines, on passait tous nos jeudis soirs ici, à écouter des reprises rock acoustiques. C'était plutôt sympa, d'ailleurs. Même si Morgane affirmait toujours avoir perdu son temps, parce qu'au final, le guitariste avait déjà une petite amie... qui était la chanteuse. Eh oui! Pas facile de draguer dans ces conditions.

– Tu as pu réfléchir à... tout ça, ces deux derniers jours? me demande Kyle.

Réfléchir à tout ça... Bien sûr que j'y ai réfléchi. Les pensées se faufilaient en moi dans tous les sens, et j'ai eu un mal fou à me concentrer sur autre chose. Même si j'ai pris ma décision. Depuis qu'il a prononcé cette idée, en fait.

Je ne peux pas me le permettre financièrement. Les billets d'avion, la location d'un appartement, la vie là-bas qui est certainement aussi chère qu'à Paris. Payer tout ça me paraît compliqué alors que je joins difficilement les deux bouts et suis obligée de travailler en plus de la fac.

Sans compter que je n'aurais pas l'appui de mes parents pour un tel projet. Comment pourraient-ils le comprendre, eux qui sont ancrés à leur petite ville depuis des décennies?

Et Axel, loin de moi pendant toute une année? Inconcevable.

Et puis il faudrait que je quitte ma petite chambre. Et recommencer tout le processus bien trop galère pour retrouver un équivalent à mon retour.

Mais surtout, c'est tellement risqué de partir seule. Bien sûr, je serais avec Kyle. Mais puis-je vraiment compter sur lui? Si on décide de se séparer, je vais devoir gérer cela en solo. Sans aucun soutien. Et ça me fait terriblement peur.

– Eh bien...

– Bonsoir, qu'est-ce que je vous sers?

Le serveur m'interrompt alors que je m'apprête à prononcer la sentence. Kyle commande une bière tandis que je préfère un soft ce soir, pour garder la tête froide.

– Un coca pour moi, merci, dis-je avec un léger sourire cordial.

Alors que le serveur vient à peine de tourner les talons, Kyle gémit presque ces mots:

– Damn it! Alice, tu me mets au supplice, là! Dis-moi, s'il te plaît.

– Oui...

– Oui quoi?

– C'est d'accord, je vais faire le dossier.

Parce qu'au delà de tous les inconvénients que je peux trouver à ce plan, le fait de réaliser un de mes rêves, et surtout, de le partager avec Kyle, est un poids sans équivalent pour faire pencher la balance de l'autre côté de l'atlantique.

Il ferme les yeux, expire profondément, les rouvre pour attraper mon visage de ses deux grandes mains par dessus la table, et me souffle:

– Fuck! Alice, je t'aime.

Il m'embrasse, encore, et encore et encore. Et je rigole comme une collégienne, me laissant déborder par son enthousiasme presque excessif. Lorsque nous retrouvons un peu de notre calme, je poursuis:

– Par contre, ne t'emballe pas s'il te plaît. Je vais remplir le dossier, mais je me laisse le choix d'abandonner, si je sens que... ça ne va pas entre nous.

– Bien sûr. Mais pourquoi ça n'irait pas entre nous? 

– Kyle, sérieux. On est ensemble depuis quoi, un mois ou deux, et tu as vu le nombre de fois où on s'est frités, déjà?

– Ouais, mais maintenant que tout est mis à plat, il n'y a pas de raison.

– On verra. Je l'espère aussi, tu sais? Moi aussi je t'aime. Mais, ça fait si peu de temps Je veux pas m'emballer pour perdre à la fin.

– Arrête de dire ça à chaque fois. Tu ne vas pas perdre à la fin.

Je plante mes yeux dans les siens pour lui dire ainsi de nouveau à quel point je l'aime.

– Damn! Je suis trop content!

Je glousse. Moi aussi, je crois. Je ne me rends pas bien compte, à vrai dire...

– Alors il va falloir qu'on regarde un peu tout ce qu'il y a à faire pour ce dossier, lancé-je d'un ton léger.

– Eh ben justement...

Il farfouille dans les poches de son sac à dos, pour en sortir une feuille froissée, qu'il déplie et pose devant moi pour que je puisse en prendre connaissance.

– Hmmm... C'est... la liste de tout ce qu'il faut pour le dossier.

– Quoi? Mais où t'as trouvé ça? Et comment ça se fait que tu as cette liste, là, ici, maintenant? Tu ne savais même pas si j'allais...

– Parce qu'on n'a que quinze jours, me coupe-t-il. Et quinze jours, pour tout ce qu'il y a gérer, c'est très court.

Je fronce les sourcils en le voyant si bien renseigné.

– Mais comment tu sais tout ça?

Il se frotte la nuque, la tête inclinée, un peu gêné.

– Je... en fait, j'ai pensé à cette idée avant notre dispute. Avant que Morgane te dise... tu sais...

– Oui, OK, j'ai compris, le coupé-je un peu trop sèchement.

– Et, à ce moment-là, j'étais vraiment pas sûr. C'est pour ça que je t'en ai pas parlé avant. Comme tu dis, ça fait à peine quelques semaines qu'on est ensemble... Alors se faire miroiter des trucs, je trouvais que c'était pas une bonne idée. Et puis, t'as voulu me quitter après ce que Morgane t'as appris. Et, Fuck! Ca m'a rendu... un peu fou. Et je me suis dit que c'était trop con de passer à côté de ça.

Il fait une pause, le regard perdu sur la table qui nous sépare. Puis reprend:

– Je sais pas si ça va le faire, Alice. Mais ce qui est sûr, c'est que si on ne remplit pas ce foutu dossier, on aura cramé notre seule chance de continuer un peu plus... ensemble.

Je suis toute retournée par cette déclaration. C'est lui qui a pensé à ça. Lui qui est du genre à vivre dans l'instant présent, évitant de se poser mille questions, se fichant de l'avenir. Il a pourtant réfléchi au nôtre. Je ne sais quoi répondre, tellement touchée par tout ce que son geste, ces dernières paroles impliquent. Alors, je considère le papier posé devant moi.

– Bon... Alors, qu'est-ce qu'il faut faire exactement?

Je jette un coup d'oeil à la liste et, au fur et à mesure de ma lecture, lorsque que je prends petit à petit connaissance de la conception du dossier d'inscription, je me liquéfie, sentant le poids de mes épaules peser tout à coup beaucoup trop sur mon petit corps frêle. Le passeport et le visa sont les premiers mots inscrits sur cette fichue feuille. Rien que ça, je ne sais absolument pas comment faire pour obtenir ce sésame. Il faut aussi faire une lettre de motivation et un CV, en anglais bien sûr, et je dois passer un contrat d'étude avec mon université. Je ne sais même pas ce que c'est! Il faut même une preuve de mon compte en banque bien rempli!

Et ce truc là, le TOEFL? Un examen de langue? Oh my God!

– Mais Kyle, dis-je tout bas, soufflée par la masse de choses à effectuer. Je ne vais jamais y arriver! Je ne sais même pas comment me procurer la moitié des documents! Et ce TOEFL, là, comment je dois le passer? Et mon compte en...

– Hé hé hé! Calme-toi, me dit-il en m'attrapant tendrement les mains d'un geste rassurant. J'ai commencé à regarder tout ça. Et je vais t'aider. Je... je t'ai déjà inscrit au TOEFL.

– Quoi? Mais t'es malade Kyle, tu...

– Il faut s'y prendre super tôt! Je me suis dit qu'au pire tu le ferais pas, c'est tout, hausse-t-il la voix.

Je l'observe quelques secondes. Je vois bien que lui aussi est stressé. Mais pas par le dossier. Ce sont mes réactions qui l'oppressent, le stoppent encore et encore dans son élan enthousiaste. Alors qu'il s'est donné tout ce mal. Bon, d'accord, il a quand même outrepassé ses droits, il me semble. Mais après tout, comme il le dit, ça ne m'engage à rien. Juste à ne pas rater cette opportunité fabuleuse.

– OK, OK. Mais je n'ai même pas le niveau, je vais jamais y arriver!

Je recouvre mon visage de mes mains moites et sens la panique m'assaillir de nouveau. Comment vais-je pouvoir réussir une chose pareille? Aligner deux mots en anglais me paraît presque aussi compliqué qu'une équation mathématique ! Peut-être pas quand même...

– Mais si! Tu l'as, le niveau! Je l'ai bien vu quand je t'ai aidée pour ton devoir d'anglais. T'as juste pas confiance en toi, c'est tout. Et puis on va bosser comme des fous pendant dix jours, et ça ira.

Je me tape le front du plat de la main.

– Dix jours! Kyle! Mais c'est impossible!

Je sens déjà l'adrénaline m'envahir jusque dans mes poumons avides d'oxygène à forte dose. C'est bizarre comme tout à coup les choses sont tout de suite plus concrètes, et que la difficulté devant laquelle me met ce petit bout de papier me fait comprendre que je ne veux pas passer à côté de ce rêve-là.

– Arrête baby, arrête! Calme-toi. Tu sais que je vais t'aider, on va y arriver. Par contre, ces quinze prochains jours, si tu veux bien, il va falloir les consacrer à ça entièrement. Peut-être un peu sécher les cours, et tes moments de révision aussi.

– Oui, oui, bien sûr. Je vais m'y mettre à fond. Avec toi, hein?

– Mais bien sûr, babe. Bien sûr avec moi.

Il m'embrasse une nouvelle fois, tendrement, et arrive ainsi à m'apaiser petit à petit.

– On va y arriver, OK?

– Hmmm... bredouillé-je le regard incliné vers le bas.

Il cherche à capter celui-ci.

– Dis-le Alice. On va y arriver.

J'inspire à fond avant de répéter mon nouveau mantra, qui devrait me coller à la peau pour les prochaines semaines.

– D'accord, on... on va y arriver.


I know... Encore une musique chelou 😅😂 Mais j'adore Fauve ❤ Ses textes, sa façon de poser. A chaque fois j'ai l'impression qu'il me parle à moi, juste à moi.

Vous êtes pas mal à m'avoir fait part de votre rêve de voyager, voire d'aller étudier à l'étranger, pour certains même aux Etats-Unis. Sachez que les démarches que je décris dans ce chapitre et les suivants sont vraies de vraies. Et si vous avez des questions par rapport à cette expérience, n'hésitez pas, j'y répondrai avec plaisir 😘

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