Regarder Kyle jouer au basket m'avait terriblement manqué la semaine dernière. J'ai eu de la chance parce que ça a failli être annulé à cause de la pluie aujourd'hui. Mais celle-ci a laissé un petit répit à nos joueurs, et je ne peux que l'en remercier secrètement.

Il y a généralement beaucoup de monde le samedi et les basketteurs s'organisent souvent en tournois. L'ambiance était électrique cet après-midi et on sentait que la plupart des joueurs étaient là pour la gagne.

Toujours avec son débardeur Long Beach California Univesity, érigeant avec fierté les couleurs de son université, Kyle était particulièrement en forme. C'est même la première fois que je l'ai vu marquer pratiquement sans trêve, avec autant d'aisance et de grâce qu'un félin en train de traquer sa proie. Bien sûr, son équipe a gagné.

Malgré cela, je le trouve assez taciturne, et cela depuis quelques jours déjà. Il ne cesse de me répéter que ça n'a rien à voir avec nous, que c'est un souci familial dont il ne souhaite pas parler pour l'instant. Mais je ne peux m'empêcher de me sentir irritée par le fait qu'il ne veuille toujours pas se confier à moi. Enfin... A chacun son rythme je suppose...

Cette semaine, nous nous sommes vus un peu tous les jours. Mais nous n'avons pas dormi l'un chez l'autre une seule fois. C'est moi qui ai préféré maintenir cette distance, parce que j'ai besoin de reprendre confiance. Pleinement confiance. Cependant, aujourd'hui, je n'y tiens plus, et ai décidé d'accepter son invitation.

Nous venons de rentrer chez lui, après une séance au cinéma où il m'a laissé choisir le film. Il n'aurait peut-être pas dû d'ailleurs... J'ai jeté mon dévolu sur une des nouvelles sorties, à cause de cette affiche avec le profil de Robert Pattinson. Parce que... c'est Robert Pattinson quoi... Mais c'était une catastrophe! J'ai failli demander à Kyle de sortir, tellement c'était sordide. On n'a même pas pu se faire une séance coquine, vu l'atmosphère glauque qui pesait dans la salle. J'aurais mieux fait de choisir une comédie... Cependant, au vu de l'ambiance stressante durant le film, j'ai quand même eu droit de me pelotonner contre mon amoureux, que je suis heureuse de pouvoir appeler ainsi de nouveau.

Lorsque nous arrivons chez Kyle, je suis surprise de voir que Cara est sur le canapé, emmitouflée dans un grand plaid, sans une once de maquillage. Elle devrait être au boulot, à cette heure-ci. Mais considérant son apparence, je comprends tout de suite pourquoi elle n'y est pas allée.

– Hey, Alice, ça fait longtemps qu'on ne t'a pas vue ici!

Je m'approche un peu d'elle, mais elle coupe mon élan par un cri strident et lève les mains comme un bouclier devant elle.

– Ne t'approche surtout pas! s'étrangle-t-elle. Je crois que j'ai la grippe.

– Damn! Ca fait trois jours qu'elle nous fait chier avec sa grippe, marmonne Kyle.

Je l'ignore.

– Mince... Est-ce que tu veux que j'aille te chercher quelque chose à la pharmacie?

– Oh non, Honey, thanks, mais Martin vient d'y aller pour moi.

– OK, tant mieux, soufflé-je avec un petit sourire.

Elle a les yeux brillants, le nez rouge en chou-fleur, les cheveux relevés n'importe comment au dessus de la tête, et est toujours en pyjama. Ca me fait de la peine de la voir ainsi.

– C'est bon, ça va aller. Alors, tu étais où? Je voulais t'étrangler cette semaine, you know? Parce qu'on a dû supporter Kyle tous les jours. Déjà que je ne l'aime pas d'habitude, je t'assure, là, il a été infect. Et puis aussi j'aime bien quand il part un peu chez toi de temps en temps.

– Pleeeaase! Shut up, you bitch!* T'es celle qui nous a saoulés toute la semaine avec tes microbes que t'as répandus dans tout l'appart, en plus!      [*Oh s'il te plaît, ferme là, salope!]

L'intéressée ignore les répliques cinglantes de son colocataire.

– Comment tu as fait pour nous le mettre dans cet état? Tu l'as privé de sexe, c'est ça?

Si elle savait...

– Hmmm... Non, il a juste...

Je lève les yeux vers lui avant de poursuivre. Il me regarde si intensément, m'implorant implicitement, je crois, de garder le silence.

– perdu à un jeu.

– Perdu à un jeu?

Oui, un jeu où j'étais la balle, passant malgré moi, entre les mains de Morgane et Kyle pendant un petit moment. Ils se sont bien amusés, j'imagine.

– Oui, un jeu. Il est plutôt mauvais joueur, en fait...

– Bon, ça y est? C'est terminé? s'agace Kyle.

Il peut.

– Ah! ça ne m'étonne pas, poursuit Cara, se fichant totalement des remontrances de mon grincheux d'américain. Et vous jouiez à quoi, alors?

– Au... poker.

Le premier truc qui m'est venu à l'esprit...

– Ah? De ta part je m'attendais plutôt au scrabble.

Elle glousse à sa boutade, et je fais de même, malgré moi. Cara adore me chercher, mais j'ai compris que c'est sans méchanceté aucune, bien au contraire. Il faut juste passer outre sa façade de barbie revêche à la bouche une peu trop grande.

– Très drôle. Eh ben non, tu vois. C'était un poker, je répète comme pour me convaincre de mon histoire farfelue.

Kyle finit par abandonner. Il n'est absolument pas en position de dire quoique ce soit, de toute façon. Il préfère s'installer à la petite table du salon pour zoner sur son téléphone, l'air renfrogné, attendant sûrement que je termine mon petit manège avec Cara, qui elle poursuit ses railleries:

– Strip poker alors?

– Non, non. Poker classique.

– Of course*, soupire-t-elle. Pas de strip pour Madame prout prout. Bon, and so, tu étais dans tous tes états juste pour un poker? s'adresse-t-elle à Kyle.              [*Bien entendu!]

– Mais non, fuck off Cara! Mêle-toi de tes fesses, shit!

Moi ça m'amuse bien, alors je poursuis mon petit jeu. Chacun son tour de jouer un peu avec les sentiments de l'autre. Je vois bien que Cara ne mord pas vraiment à l'hameçon à vrai dire, mais elle joue le jeu encore un peu, m'évitant de lui révéler la vérité.

– En fait, c'est juste qu'il y avait une grosse mise. Et comme il a perdu...

La grosse mise, c'était moi aussi, j'ai envie d'ajouter cette fois-ci. Mais ça pourrait paraître un peu prétentieux.

– Ouah! Tu l'as dépouillé alors! Honey, je suis fière de toi!

Elle assène Kyle d'un regard presque méchant. Des fois, je me dis qu'elle lui veut sincèrement du mal. Lui, commence à perdre patience, je le sens.

– Oh, mais non, je réponds. Je me suis dit qu'on allait rejouer la mise. Je veux dire, tout le monde a droit à une seconde chance, non?

– Damn it! jure-t-elle. Alice, No way! * Tu es vraiment trop gentille! me lance-t-elle.     [*Pas moyen!]

Je regarde Kyle droit dans les yeux. Suis-je trop gentille? J'entends Cara demander:

– Et, est-ce que je peux jouer avec vous cette fois-ci? J'adore le poker! Et s'il y a une grosse mise, I'm in*...                  [*Je joue aussi]

Un ange passe. Elle le fait exprès bien sûr. Comment croire à cette histoire? Et que lui répondre? Mais elle ne m'en laisse pas le temps, de toute façon. Elle se tourne vers Kyle pour lui demander de façon vindicative:

– What kind of bullshit did you do, you idiot* [Quelle connerie tu as faite, espèce d'idiot?]

A ce moment, Martin ouvre la porte d'entrée bruyamment, et crie:

– Joder!* J'ai eu un mal fou à trouver tes trucs, Cara. J'ai dû faire les trois pharmacies du coin.     [*Putain! en espagnol]

Il tend le sachet en papier vert et blanc à sa colocataire allongée sur le canapé, le paquet de mouchoir bien à côté d'elle.

– Hé, Alice! lance Martin en m'apercevant enfin.

J'ai droit à mon accolade routinière.

– Alors, t'étais où? J'ai bien cru que tu avais plaqué Kyle, rigole-t-il.

Les yeux de mon mauvais joueur sont imprégnés, l'espace d'une demi-seconde, d'une colère électrique. Je pense que les miens doivent paraître plus gênés qu'autre chose. Gênés pour lui, en fait. Je glousse faussement pour cacher mon embarras.

– Bon, on va y aller, marmonne Kyle sur un ton plus qu'irrité, afin de couper court à la conversation qui a l'air de prendre une nouvelle tournure à son désavantage.

Je réponds tout de même à Martin en faisant mine de plaisanter:

– Non, pas encore. Je suis juste rentrée chez mes parents quelques jours.

– Please, la prochaine fois, emmène ton copain, ça nous fera des vacances, balance malicieusement Cara. Surtout quand il est dans cet état. Ou alors, tu le laisses gagner. Parce qu'après, lui et sa mauvaise humeur, c'est nous qui devons les garder ici.

L'espace d'un instant, j'imagine Kyle chez mes parents. Et je ris intérieurement...

– Bon alors, qu'est-ce que j'ai loupé cette semaine? demandé-je pour changer de sujet.

– Martin s'est trouvé un copain, me dit Cara.

– Ahhhh... Et il est comment?

– Il est très mignon, explique notre espagnol avec un grand sourire.

– Forcément.

– Allez, dis-en un peu plus quand même, sermonne Cara.

– OK. Bon, je crois que c'est un petit nouveau.

– Comment ça? je demande.

– Eh bien, ça ne fait pas longtemps qu'il s'assume, j'ai l'impression. Genre pas longtemps du tout, même. Alors, ça lui donne encore plus de charme; il est très timide. Il me plait bien, vraiment.

J'ai une pensée pour Axel. Est-ce que lui aussi essaie de retrouver quelqu'un? Lui aussi doit paraître peu sûr de lui.

– Tu nous le présente quand? s'empresse Cara.

– Oh, calma! On vient à peine de se rencontrer.

– Il y a une soirée à thème samedi prochain à L'Oz. Tu pourrais le ramener là propose Cara. Et vous les lovers, ça me ferait plaisir que vous passiez aussi. J'espère bien aller mieux d'ici là...

L'Oz? Ah oui, là où elle travaille.

– Ah mince, dis-je. Je ne peux pas, je bosse.

Kyle me regarde interloqué.

– Tu bosses?

– Oui, à la crêperie. L'autre serveuse a pris une semaine de congé, du coup ils m'ont demandé si je pouvais les dépanner.

L'air dépité, il soupire un peu trop fort.

– OK.

– Oh, ce n'est pas grave, il y en a régulièrement des soirées comme ça. Une prochaine fois alors, suggère Cara.

– Oui, avec plaisir, je lui réponds.

La discussion se poursuit quelques instants, mais je sens sur moi le regard insistant de Kyle qui m'implore silencieusement de partir. J'abrège alors ses souffrances, et nous finissons la soirée dans sa chambre, juste tous les deux.

Je décide qu'il est temps de remettre les choses à plat si je veux oublier cette rancune encore amère, pour repartir sur des bases saines. Alors nous discutons, encore et encore, délayant chaque noeuds coincés en travers de ma gorge, pour apaiser le reste d'aigreur qui me tourmente.

Et puis, bien sûr, plus tard dans la soirée, lorsque ses lèvres m'ont embrassée de mille façons, toutes plus sensuelles les unes aux autres, qu'elles ont ensuite voyagé jusqu'à mes seins pour me laisser à fleur de peau, et poursuivi leur trajet jusqu'à cet endroit si intime que j'aurais pu m'en sentir gênée, j'ai oublié le reste de rancoeur qui me restait envers lui. Du moins pour ce soir...

Que pensez-vous de Cara? Et Martin? 

Et le petit jeu d'Alice? Bon... Je sais, elle reste soft, parce que ça reste Alice hein? Mais au moins elle ne lui pardonne pas non plus la bouche en coeur... 😋

Et sinon, voici la bande annonce du film High Life, avec Robert. Je dois vous avouer que je ne l'ai pas regardé, au vu de la bande annonce et des critiques sur Imdb.. Quelqu'un l'a vu?