Chapitre 32
KYLE
J'ai cours dans dix minutes. Pour une fois, j'arrive assez en avance pour me réveiller avec un café dégueu de la machine du hall de la fac. Lucas nous parle, à Tom et moi, depuis que je suis entré ici, mais je ne suis pas sûr de capter tout ce qu'il me raconte. Il pourrait continuer comme ça pendant des heures, sans nous laisser en placer une. Ca fait presque un mois que je le connais, depuis mon arrivée en France, et c'est toujours la même merde.
Tout en feignant de l'écouter, je regarde autour de moi et aperçois Morgane, près des escaliers. Elle est, comme d'habitude, avec cette fille qui me plairait grave si elle n'avait pas l'air aussi prude.
Petite blonde, frêle, ses cheveux à la couleur dorée comme du miel lui recouvrent les épaules et lui cache une partie du visage. Je me demande si elle sent le miel aussi? Je me vois en train de plonger mon nez dans son cou, tout contre sa peau fine et pâle, sentir les frissons qui pourraient lui échapper alors, et cette odeur sucrée m'envahir tout entier. Voilà que ça recommence!
Ces derniers temps, il m'arrive un peu trop souvent de la regarder à la dérobée, la trouver vraiment belle, et laisser mon imagination débordante me trahir en l'accueillant dans mes fantasmes. Et juste là, je l'imagine alors en train de me chevaucher, les cheveux emmêlés, la bouche humide de plaisir, les yeux brillants qui me supplient de lui en donner encore et encore. Merde! J'ai la trique. Il faut vraiment que j'arrête ça.
J'arrive finalement à esquiver mes potes, et vais à la rencontre des deux filles.
– Eh, salut Kyle, me lance Morgane avec un grand sourire.
Elle a l'air fatigué ce matin. Ou elle est moins maquillé que d'habitude peut-être.
– Salut, comment ça va depuis samedi?
Il y a eu une énorme soirée à la Concrete, un club sur une immense péniche, avec des DJ's qui nous ont mis en trance toute la nuit. On n'en est partis qu'au petit matin.
– M'en parle pas, répond-elle. Je m'en remets à peine. Et dire qu'on se refait ça ce week-end, pour mes vingt ans. Tu seras des nôtres, hein?
– Ouais, comme toujours, t'inquiète.
Sa copine ne prend pas part à la conversation. Je sens qu'elle me reluque. Ca lui arrive souvent d'ailleurs. Perso, je préfère l'ignorer. Pas moyen que je m'encombre d'une gamine attirée par le feu. Je suis sûr que c'est le genre de fille qui, une fois bien baisée, tombe amoureuse direct, et je serai bien dans la merde.
C'est le moment d'aller en cours. Je les salue rapidement et vais comater dans une salle de classe surchauffée.
Après mes deux cours de ce matin, je retombe sur Morgane, seule cette fois.
– Tu l'as posée où ta copine?
– Quoi?
– Non, rien. On dirait le genre de fille que tu peux poser dans un coin et qui bougera pas tant qu'on lui en donnera pas la permission.
Et je trouve ça très excitant tout à coup.
– De qui tu parles, là? Alice?
– Je sais pas, la blonde qui est toujours avec toi.
– Alice. Ouais, elle est plutôt réservée, c'est vrai, et alors? C'est exactement pour ça que c'est pas ton genre.
Je suis un peu vexé. Qui est-elle pour connaître "mon genre"? Même si elle a sûrement raison, vu les filles que je fréquente en ce moment.
– Laisse tomber, je rigolais. Elle m'intéresse pas, t'inquiète pas, va. J'ai bien mieux sous la main, ces derniers temps.
J'ai alors une petite pensée pour Mélanie, brune, pulpeuse, limite vulgaire. Tout l'opposé de la petite prude et protégée de Morgane. On s'est plutôt bien amusés ce week-end, même si elle me gonfle déjà. Deux soirées et j'ai fait le tour de la question.
– Je te paie un café? proposé-je.
– OK, on va où?
Nous sortons alors de la fac pour nous diriger vers un bar lambda, pas trop loin.
Installés à l'intérieur, un café devant nous, je regarde distraitement par la fenêtre. Il pleut aujourd'hui, comme à peu près quatre-vingt pour cent du temps à Paris. En tout cas depuis que je suis ici. Et pourtant, je n'ai connu que l'été parisien pour l'instant. A part quelques poivrots au comptoir, il n'y a pratiquement que nous.
– Merde, j'ai oublié de rendre ça à Alice. Elle va me tuer, putain, râle Morgane.
Et elle range dans son sac les cahiers qu'elle avait gardés à la main.
– Elle sort jamais avec toi ta copine.
– Alice? Oh, non, elle déteste ça, les soirées.
J'approche la tasse de café allongé de ma bouche, et avant d'en boire une gorgée, je lui balance gratuitement:
– Ca m'étonne pas; le genre de meuf qui passe son temps à bosser. Qu'est-ce que tu fous avec elle, toi, d'ailleurs?
Et moi, qu'est-ce que je fous à parler encore d'elle, d'ailleurs?
– Hé! Figure-toi que je ne fréquente pas que les connards dans ton genre!
Elle est sur la défensive. Puis se radoucit un peu, et me confie, en jouant avec le bout de ses cheveux noirs accrochés en queue de cheval.
– C'est une fille géniale, c'est tout. Je l'adore, et ce malgré qu'on soit si différente, c'est vrai. Elle a été là pour moi à chaque fois que j'en ai eu besoin l'an dernier, et puis elle peut être vraiment drôle, en fait.
Je lève un sourcil.
– Si, je t'assure. Elle cache bien son jeu, c'est vrai. Bon... Faut aussi dire qu'elle m'aide bien pour remonter mes notes, vu qu'on bosse souvent en binôme.
Elle me lance un sourire espiègle et redevient aussitôt sérieuse, les sourcils froncés, le regard posé sur la table:
– Et puis, t'es qui pour la juger? Elle a ses raisons d'être timide, alors lâche-la un peu.
Elle tourne machinalement la cuillère dans la tasse toujours remplie devant elle.
– Comment ça?
– Rien, ça te regarde pas. Juste, évite de juger les gens quand tu ne connais pas leur vie. C'est tout ce que je voulais dire.
Elle a l'air agacé. Elle n'a pas tort, mais tout le monde fait ça tout le temps, non?
– Alors dis-moi pourquoi elle est si coincée. Comme ça je la jugerai plus.
– Qu'est-ce que ça peut bien te foutre?
Elle me regarde interloquée, et un peu énervée, je crois.
– Tu m'as rendu curieux, c'est tout. Allez Morgane, damn, t'en as trop dit maintenant. Tu sais que je vais pas te lâcher tant que tu me raconteras pas.
Elle pèse le pour et le contre, je le vois à sa façon de bouger sa mâchoire de droite et de gauche, en continuant à mélanger inutilement son café sans sucre. Mais je sais aussi qu'elle adore les gossips*. Elle va céder. [*ragots]
– Bon... putain, tu le gardes pour toi, d'accord?
– Mais oui. A qui tu veux que je le raconte? Je la connais même pas cette fille.
– OK...
Elle respire, hésite encore un peu, puis finit par lâcher dans un soupire:
– C'est juste qu'elle... elle a eu... comment dire... des problèmes avec un mec. Au lycée.
– Quel genre de problème?
A mon tour de froncer les sourcils.
– Un gars qui n'a pas bien... qui l'a un peu... malmenée.
– Damn Shit... Genre vio...
– Non, non, crie-t-elle pour me faire taire. Pas si violent. Enfin je crois pas. Mais disons que... ça l'a pas aidée. Et puis, elle ne m'a pas raconté dans les détails, mais d'après ce que j'ai compris, elle en a vraiment bavé au lycée, à cause de cette histoire.
On reste tous les deux silencieux. Merde, je me sens con de l'avoir jugée si vite.
– Voilà, j'en sais pas plus. Et depuis que je la connais, depuis qu'on est à la fac, elle évite toute relation ou situation où elle pourrait un peu s'éclater. Bon, vraiment, t'en parles à personne Kyle, promets-le moi.
Elle ferme les yeux, la main plaqué sur le front. Elle a l'air inquiet, parce qu'elle vient de trahir sa copine, ou pour sa copine, je ne sais pas trop. Sûrement un peu des deux.
– Oh non! Je regrette déjà de te l'avoir dit. Je suis trop nulle.
– Mais arrête ça, je soupire. Je vais rien dire, te prends pas la tête. Et t'inquiète pas trop pour ta pote. Quand elle se trouvera un mec, elle se décoincera, ta copine.
Elle me regarde, les sourcils toujours rapprochés.
– Justement, c'est ça le truc. Elle en veut pas de mec. Je peux te dire qu'elle en a envoyé balader plus d'un... J'ai tout essayé! Mais rien à faire, elle...
Elle arrête net de parler, ses yeux s'écarquillent et l'espace d'un instant elle ne bouge plus d'un iota; comme si elle était frappée par une idée nouvelle. Elle me regarde bizarrement, et ça ne me plaît pas trop.
– Attends... Tu voudrais pas... toi...
– Moi, quoi?
– Ben tu sais, toi... elle...
– Oh, non, je te vois venir!
– Allez! Juste la dragouiller un peu, sortir une ou deux fois avec elle, s'il te plaît, me supplie-t-elle.
Sa voix est haut perchée à m'en faire crisser les oreilles, cette fois les sourcils arqués dans une sorte de V à l'envers. Je crois que c'est la partie la plus expressive de son visage. Un vrai personnage de dessin animé parfois, cette fille. Elle a vraiment l'air de croire à ses conneries. Elle ajoute:
– Juste pour lui redonner un peu confiance! Sois sympa! Allez!
– Mais ça va pas? T'es malade ou quoi? Qu'est-ce que tu veux que je m'emmerde avec une fille pareille?
Cependant, étrangement, tout à l'arrière de ma conscience, je sens malgré moi une certaine excitation depuis qu'elle a évoqué son idée tordue.
– S'il te plaît, Kyle. Tu n'as même pas besoin de coucher avec elle.
Je ris jaune. Si j'avais du café dans la bouche, je crois que je l'aurais recraché. Elle est sérieuse .
– Justement! Y a vraiment rien d'attrayant là-dedans.
– Juste un petit flirt pour l'aider à remettre le pied à l'étrier. Et ça t'empêche pas de te taper d'autres filles. Je te dis pas d'en faire ta petite copine. Juste... de la sortir un peu. Et puis, tu vas voir, elle est vraiment géniale, malgré les apparences.
– Shit, no way! * Tu me gonfles, là. Et puis quel genre de pote tu es? A comploter derrière son dos? En plus, c'est le genre de meuf qui va pas me lâcher, et moi je serai comme un con à essayer de m'en dépatouiller. Et toi, t'y penses à ça? Si elle se met à me kiffer, ça va se terminer encore plus mal pour elle. C'est ça que tu veux pour ta copine? Lui enfoncer la tête dans sa merde? [*merde, pas moyen!]
Elle me rit au nez, et se recule sur le dossier de sa chaise, en me regardant dans les yeux.
– T'es bien présomptueux, dis-moi. Je te dis qu'elle est pas du genre à s'attacher. La seule et unique fois qu'elle a accepté de sortir avec un mec depuis que je la connais, elle l'a envoyé valser en moins de deux. Et pourtant, franchement, n'importe quelle fille aurait rêvé d'un gars pareil: charmant, gentil, hyper attentionné, et amoureux d'elle en plus.
Je ne peux m'empêcher de sentir une pointe de jalousie s'immiscer en moi lorsque j'entends ses dernières paroles.
– Laisse tomber Morgane. Y a pas moyen. Et puis qui te dit qu'elle va accepter si elle a refusé tous les autres?
Pourquoi je pose cette question? Sérieusement, qu'est-ce que j'en ai à foutre puisque je ne m'approcherai pas d'elle?
Morgane claque sa langue sur son palet.
– On peut pas savoir sans essayer. Mais je crois bien que tu lui plais. Je l'ai déjà vue te mater plus d'une fois.
Moi aussi je l'ai vue.
– Je m'en fous, Morgane. Arrête ça, fin de la discussion.
– Quoi, elle ne te plaît pas, c'est ça? Elle est plutôt jolie pourtant.
– C'est pas la question. Je suis pas un connard à ce point. Fuck, pour qui tu me prends? Et toi, t'es vraiment dingue. Sérieux, j'en reviens pas à quel point t'es tordue!
Elle ne relève pas, et passe à son dernier argument valable.
– Allez Kyle, après tout ce que j'ai fait pour toi, tu peux bien me rendre ce tout petit service.
Elle fait un "petit" geste de l'index et du pouce pour accompagner ses derniers mots. Putain, elle est gonflée de me sortir ça pour son plan foireux. Oui, elle m'a aidé à régler mes problèmes administratifs, grâce à sa mère qui est secrétaire aux admissions de la fac. Et oui, elle m'a vraiment sorti de la merde, et je serais déjà reparti en Californie bredouille, si elle n'avait pas été là. Mais je ne cèderai pas à son chantage pourri. Je ne comprends pas pourquoi elle prend ça autant à coeur.
– S'il te plait, Kyle! Juste une soirée ou deux gentillettes, en tout bien tout honneur. Rien de méchant. Tu bois un coup avec elle, tu lui dis qu'elle est jolie, à la limite tu lui roules un patin, et puis voilà.
– Pourquoi moi? Demande à un autre de tes potes. T'en as tout un tas, qui seront ravis d'être serviables pour ta jolie blonde.
– Parce que 1. Je crois que tu lui plais un peu, et c'est déjà beaucoup. 2. Tu es assez fort pour draguer même la plus frustrée des meufs.
Elle essaie de me complimenter, là. Si elle croit que je vais tomber dans le panneau.
– Et 3. Tu pars à la fin de l'année, donc elle te zappera rapidement. Loin des yeux, loin du coeur. Juste le pied à l'étrier, comme je t'ai dit.
Elle sourit, l'air très fière d'elle. Ca y est, elle m'énerve.
– T'es complètement folle, je répète. Je t'ai dit que je marcherai pas dans ta combine perverse. Si tu m'en parles encore, je me barre, sérieux. Tu me gonfles vraiment, là. Ca fait deux plombes et tu veux toujours pas lâcher l'affaire.
– Réfléchis-y, OK? Tu verras, en plus, ça se trouve tu l'aimeras vraiment bien.
Une pause. Elle commence à sortir de la monnaie. Finalement, c'est elle qui me paie mon café, malgré mon invitation devant la fac. Elle joue les gentilles pour se racheter de son petit complot. Et elle ajoute:
– Je dois y aller, j'ai cours. Mais, samedi c'est mon anniversaire, tu te souviens? Une grosse soirée au Wanderlust. Et c'est sûr qu'elle y sera. Même si elle déteste ça, elle ne ratera pas mes vingt ans. Ce serait facile de l'aborder là-bas, non? Elle aura un peu bu en plus...
Elle est grave, machiavéliquement et perversement grave. Nous nous levons, récupérons nos affaires.
– Fuck it! Arrête ça, je t'ai dit. T'es vraiment cinglée ma pauvre.
On sort de la brasserie. Il ne pleut plus, tant mieux. Et malgré tout, malgré toute mon opposition à son plan dément et malsain, il me semble pourtant que j'ai très envie de toucher au fruit défendu.
Voilà pour vous mes petits lecteurs adorés 😊Mais ne vous y habituez pas trop les loulous, c'était juste une petite parenthèse 😘Vous entrerez de nouveau dans la tête de Kyle, mais pas tout de suite tout de suite... Bisous ❤
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