Chapitre 31
Je suis encore tout près de la crêperie, et Kyle est là, à quelques pas de moi.
Il me rejoint en deux enjambées, provoquant immédiatement un mouvement de recul de ma part. Il met ses mains devant lui, pour me signaler, je suppose, qu'il comprend mon intention.
– Juste, écoute-moi s'il te plaît.
Je reste silencieuse, à le regarder. A contempler ce garçon, cet amour qui m'a échappé, filé entre les doigts.
– On peut parler?
– Pour me dire quoi, Kyle? Que tu...
– Je t'ai pas menti, Alice, me coupe-t-il.
Surprise par ces mots, mes yeux cherchent la vérité dans les siens.
– Je ne t'ai pas menti, répète-t-il.
– Quoi? Ca veut dire que Morgane m'a raconté des conneries? Pourquoi elle aurait fait ça?
Il se frotte la nuque, la tête penchée sur le côté, comme à chaque fois qu'il est gêné. Il peut, en effet.
– Non, non. Elle t'a dit la vérité. Ca a commencé comme ça.
Sa voix est teintée d'appréhension. J'ai beau la connaître, cette vérité, je ne supporte pas de l'entendre une nouvelle fois.
– Putain, qu'est-ce que tu fais ici, alors? lancé-je hargneuse et désespérée.
– A ton avis? Qu'est-ce que je fous là, Alice? Tu crois vraiment que je me serais fait chier à passer tout ce temps avec toi, juste pour faire plaisir à ta copine?
Je soupire, baisse les yeux.
– Alice, ça va?
Déconcertée par la voix de d'Antoine, derrière moi, je me tourne rapidement vers mon nouvel interlocuteur. Lui et Hélène ferment la boutique.
– Tout va bien? insiste-t-il.
J'essaie de formuler ces mots avec le plus de légèreté possible:
– Euh.. oui, oui, aucun souci.
– Bonsoir, s'écrie froidement Hélène en s'adressant à Kyle.
– Bonsoir, enchanté, répond l'intéressé.
Et voilà qu'il va leur serrer la main. J'hallucine!
Après un moment à se lorgner tous les quatre, un peu mal à l'aise, Antoine finit par nous sortir de cette impasse:
– Bon, si tu as besoin de quoique ce soit, tu nous le dis, Alice, d'accord? Tu veux peut-être qu'on vous ramène quelque part?
– Non, ne vous inquiétez pas. C'est vite fait en métro. Mais merci quand même, je réponds avec un sourire de convenance.
– Très bien, à la semaine prochaine, alors.
– Oui, à la semaine prochaine, lancé-je avec un petit signe de la main et un rictus coincé entre les lèvres. Puis je m'éloigne rapidement je ne sais pas trop vers où, à vrai dire...
– Tu ne veux pas qu'on aille boire quelque chose? Ou chez toi, discuter?
Kyle est déjà tout près de moi, et suit à la perfection ma cadence.
– Non.
J'aperçois un banc à quelques mètres. La solution idéale pour une discussion rapide. Je lui montre du doigt et propose:
– On n'a qu'à s'asseoir là.
– OK. Comme tu veux.
Nous nous installons sur le banc. J'attends que mon traître prenne place avant de faire de même, afin de pouvoir garder mes distances. Je souffle alors un bon coup, et me passe une main sur le front.
– Ecoute Kyle, pas besoin de discuter deux heures, je ne...
– Je suis désolé que tu l'aies appris comme ça, m'interrompt-il. J'ai voulu t'en parler plusieurs fois. Et puis je me suis dit que ça servait à rien. Après tout, ça change quoi?
Je le regarde, éberluée, les yeux exorbités.
– Ca change quoi? Tu es sérieux? Tu me demandes ce que ça change?
Je sens la colère m'envahir telle une vague rouge comme des braises flamboyantes.
– Putain, vous avez manigancé votre petit truc derrière mon dos! Vous vous êtes mis d'accord pour me manipuler, Kyle. Est-ce que tu crois vraiment que ça ne change rien pour moi? Et puis, franchement, je comprends pas pourquoi t'as accepté un truc pareil?
– Exactement, Alice! Pourquoi à ton avis?
Il se met à hausser le ton lui aussi.
– Je sais pas, un peu de piment dans ta vie de dragueur. On ne se refuse jamais à toi, d'habitude. Alors une fille qui repousse tous les hommes sans exception... Ca peut être un bon challenge.
– Fuck it! J'ai que ça à foutre, sérieux! Je t'aime Alice, mais quand tu dis des conneries pareilles...
Il soupire avant d'ajouter:
– Tu me prends vraiment pour un connard, hein?
Je ne suis pas sûre d'avoir entendu entièrement ses propos. Il vient de me dire qu'il m'aimait. Pour la première fois. Et il faut que ce soit maintenant, parmi ces mots abrupts, et dans cette situation gangrénée par le mensonge. Il se tourne vers moi, me dévisage avec insistance, pour ajouter:
– Tu sais ce que j'ai pensé de toi la première fois que je t'ai vue, à la fac?
Je ne réponds pas mais m'autorise à plonger mes yeux dans les siens. Je suis bien trop curieuse d'apprendre comment il me voyait à ce moment-là pour passer à côté de cette information. Et je veux pouvoir lire la vérité dans ses prunelles cristallines.
– Je me suis dit: "Quel gâchis!".
Hmmm... C'est pas vraiment ce que j'attendais...
– Pourquoi une fille aussi jolie se ferme comme une huître au premier coup d'oeil qu'on lui jette? Comme si tu t'étais barricadée de panneaux "No trespassing" dans tous les sens, pour bien faire comprendre que tu voulais qu'on te laisse tranquille. T'étais déjà toute rouge avant même que je te regarde.
Alors c'est comme ça qu'on me voit de l'extérieur? Une fille à ce point renfermée sur elle-même? Je me sens un peu vexée par sa déclaration. Au moins, c'est sincère, je suppose.
– Et malgré ça, tu me plaisais. Ou tu m'intriguais, plutôt. Alors j'ai posé quelques questions à Morgane, et on a discuté de toi, et tu connais la suite.
Je ne dis rien. Que répondre à ça? Il détourne le regard, se frotte le menton pensivement, et, après une longue hésitation, il ajoute:
– Hmmm... Je sais que ça va pas te plaire ce que je vais te dire. Mais si Morgane n'avait pas mis son grain de sel là-dedans, je ne serais jamais venu te parler. Et, damn, ça aurait été un beau gâchis, ça aussi, non?
Je le regarde interloqué.
– Je comprends pas.
Il se rapproche doucement, me prend délicatement la main. Et je me laisse faire. Quelques simples mots suffisent-ils à me laisser charmer?
– Tu me plaisais déjà, Alice, mais j'aurais jamais essayé de passer les panneaux d'interdiction autour de toi. Les filles plus faciles, c'est plus... faciles, quoi.
Je glousse malgré moi.
– Alors oui, Morgane a dépassé les bornes en tant qu'amie, mais finalement, qu'est ce qu'il y a de si différent avec les potes qui arrangent des coups entre d'autres potes? Ca arrive tout le temps, non?
Je retire ma mains de la sienne.
– Ca aurait pu mal tourner, rétorqué-je froidement.
– Oui, mais ça n'a pas été le cas. Et... on est bien, tous les deux, non?
J'inspire profondément.
– Je sais pas Kyle... Il faut que je réfléchisse.
– OK, je comprends.
Il laisse passer quelques instants avant de reprendre:
– Mais réfléchis vite, s'il te plaît. On n'a déjà pas beaucoup de temps, alors... J'ai pas envie d'en perdre plus sans toi. Je sais que c'est ma faute, mais...
Je me tourne discrètement vers lui. Ses sourcils sont légèrement froncés, ses lèvres pincées, le regard sur ses mains entrelacées devant lui. Je crois qu'il est sincère, encore une fois.
– Kyle, c'est pas facile à avaler, tout ça. Franchement, je ne pense pas que je pourrais vous pardonner, tous les deux. Je vois pas comment, en fait.
Je me demande comment je réussis à reprendre mon calme, là, tout près de lui, alors que je ne devrais même pas le laisser parler. Il braque ses yeux sur moi, l'air soucieux.
– Je suis désolé, Alice, vraiment. Je... j'ai besoin de toi, moi.
Malgré moi, ces mots tendres me percutent le ventre, et celui-ci se contracte délicieusement durant un quart de seconde. J'ai tellement envie de m'accrocher à ses paroles, et à son cou un peu aussi. Mais au lieu de ça, je le regarde longuement, troublée par l'intensité que je perçois dans ses yeux. L'espace d'un instant, il a l'air presque vulnérable.
Il se reprend rapidement, et revêt son sourire en coin de charmeur, son visage traversé par une once de malice.
– Petite huître, ne te referme pas, s'il te plaît.
Je lui rends son sourire. Cette réaction de ma part lui suffit pour tenter de tester mon humeur.
– Alors, maintenant? Tu veux que je te raccompagne?
Il y a vraiment cru...
– Non.
C'est fou comme une simple syllabe peut engendrer un froid plus glacial que celui du dehors.
– J'ai besoin que tu me racontes.
– Que je te raconte quoi?
– Comment ça s'est passé exactement quand Morgane t'a demandé son... service.
Une nouvelle fois, il me cherche du regard, essayant sûrement de jauger à quel point il peut se permettre de refuser. Pas moyen. Il soupire.
– D'accord, je vais te raconter...
Petite surprise au prochain chapitre 😋
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