Chapitre 23
Devant moi, une grande enseigne rouge aux lettres blanches lumineuses, et une foule interminable devant laquelle nous nous trouvons enfin. Après une heure de queue. Le Rex Club sur les Grands Boulevards est le lieu que Kyle a choisi de me faire découvrir ce soir. Bien sûr, je connaissais de nom, mais ce n'est absolument pas le genre d'ambiance qui m'attire.
Nous sommes vendredi, je suis vidée de toute énergie, mais il tenait tellement à m'emmener danser que je n'ai pas su lui refuser. Morgane, maquillée juste ce qu'il faut pour être parfaite, ses cheveux bruns tirés en queue de cheval comme à l'accoutumée, est avec nous, ainsi qu'une copine à elle, Charline. Avec sa peau couleur ébène, sa coupe courte décolorée et son rouge à lèvre carminé, elle est si pétillante, tout comme mon amie d'ailleurs, à l'opposé de mon style passe partout.
– Je n'arrive pas à croire qu'il ait réussi à te ramener ici, toi! grogne Morgane.
Moi! Moi qui déteste ce genre de soirée bondée... Je sais... Moi non plus, je ne sais pas comment il a fait, à vrai dire...
Kyle m'enlace, et, blottie tout contre lui, je lève la tête tout là-haut, pour observer son visage. Ses pommettes saillantes, sa mâchoire bien dessinée, et bien sûr, ses yeux bleus limpides sont les parties de son visage que je préfère. Il a l'air très fier de lui à cet instant. J'entends mon amie continuer à râler derrière nous.
– Alors que moi, j'ai tout essayé l'an dernier et tu ne m'as pratiquement jamais fait ce privilège! Sauf les fois où je t'ai eue par ruse, bien sûr.
Elle est tout sourire. Elle aussi paraît satisfaite d'elle-même. Kyle baisse les yeux vers moi et se penche pour m'embrasser. Et, alors que je savoure ce baiser, cette étreinte, je ne peux m'empêcher, malgré moi, de rire intérieurement. Parce que nous sommes dans un lieu public, devant cette foule qui se retrouvera bientôt à nos côtés dans la boîte de nuit.
Ce n'est pas la première fois qu'il se comporte ainsi. Et parfois, comme maintenant, je repense à ce marché qu'il a voulu que nous passions il y a déjà quelques semaines. Avec ses conditions irrévocablement essentielles selon lui. Quelles étaient-elles déjà? Ah oui! Pas de petite amie officielle et sa liberté lorsque nous ne serions pas ensemble.
Elles m'avaient tant effrayée ces exigences. Et pourtant, je n'y suis finalement jamais soumise. Pas quand il m'embrasse devant la salle de classe, ni quand il n'hésite jamais à m'enlacer devant la fac, ni même lorsqu'il me tient la main dans la rue, encore moins quand il me cajole sur son canapé aux yeux de ses colocataires, ou me fait un baise main galant à la bibliothèque.
Sans compter tous ces messages qu'il m'envoie tous les jours, pour savoir où je suis, ce que je fais, ou quand on pourra se retrouver. Il a tout d'un petit ami aux petits soins. Certains même pourraient trouver que c'est trop, qu'il est un poil collant. Moi la première, je pense que je n'apprécierais cela de personne d'autre que lui.
D'ailleurs, d'après Morgane, qui le connaît depuis un peu plus longtemps que moi, c'est la première fois qu'elle le voit ainsi. Il est, normalement, plutôt du genre à mettre une large distance avec les filles qui lui font office de copine pour une soirée, voire deux, pas plus.
Je crois que notre mise au point chez moi, après ma crise de panique chez lui, a bousculé toutes ses exigences. Il a dû prendre conscience que, s'il ne me considère pas comme les autres filles, il ne peut pas non plus me traiter comme telles.
– Tu te rappelles cette fois où j'ai réussi à te traîner au Sanz Sanz à Bastille? me demande Morgane. J'ai dû te promettre qu'on serait juste toutes les deux, alors qu'il y avait tous mes potes de la fac.
– Oui, oui, je m'en rappelle bien, je grogne.
J'avais détesté cette soirée.
– Oh, mais sincèrement, je pensais que ça te ferait du bien de faire de nouvelles connaissances et t'amuser un peu. D'ailleurs, si je me souviens bien, vous y étiez aussi tous les deux, ajoute-t-elle à l'attention de Charline et Kyle avec un petit geste de la main vers les deux intéressés.
– Quoi? demande Kyle perplexe.
– C'était cette soirée où deux nanas sont montées sur le bar, et l'une d'elle a carrément montré ses seins, c'est ça? demande Charline.
– Oui, rhooo, c'était drôle tellement elles étaient bourrées. L'autre a failli se ramasser sur le serveur, s'esclaffe Morgane.
– Ah oui, je m'en souviens, souffle mon américain. Mais...
Il me dévisage alors que je suis toujours dans ses bras, et ajoute:
– Tu y étais aussi?
– Yep.
Il a l'air préoccupé, presque offensé.
– Comment ça se fait que je ne t'y ai pas vue?
Je glousse, et essaie de le rassurer d'une voix légère.
– Kyle, le nombre de fois où tu ne m'as "pas vue" comme tu dis, comme quand j'étais à la fac avec Morgane, ce n'est pas si important, si?
– Non, c'est pas vrai. Je t'ai toujours remarquée à la fac. Je te trouvais très belle d'ailleurs. C'est juste que je savais que tu n'étais pas du genre... qui m'intéressait. Je veux dire, pour une soirée.
Il a l'air tout embarrassé, alors qu'il s'enfonce, malgré lui. Il me fait rire. Je ne comprends pas trop le problème, en réalité. Je m'en fiche qu'il ne m'ait pas remarquée avant. Ce n'était juste pas le moment, c'est tout.
– Eh bien, pour la soirée ça devait sûrement être pareil, je lui affirme.
Après un moment, il me demande:
– Mais toi, tu m'as vu?
Il a l'air inquiet. Bien sûr que je l'ai vu en train de draguer ces filles sur-maquillées et sous-habillées qui lui tournaient autour.
– Oui.
– Bon allez, on va pas en faire tout un plat les gars, là. J'aurais jamais dû parler de cette soirée. Si j'avais su... lance Morgane.
Charline tape des mains frénétiquement.
– Ca y est! Enfin! c'est à nous! Allez, allez, on y va!
Et nous entrons finalement dans le club, nos yeux peinant un peu à s'acclimater à la pénombre du couloir.
Après un mojito, j'entame une petite bière (c'est tout ce que je sais boire, en fait...), et je me sens déjà ivre. Nous dansons avec Morgane, Charline et Kyle, et rigolons, et dansons encore, et buvons. Et, une nouvelle fois, Kyle a su m'emporter dans l'instant présent. Je suis tellement bien, là, avec lui, avec Morgane, envoûtée par cette musique minimale et ces lumières psychédéliques, au milieu de tous ces gens qui sont dans le même état que nous, transportés par le son et l'effervescence que l'on partage et crée ensemble. Enfin... J'espère qu'eux aussi, il n'y a que ça qui les transporte. Et qu'ils ne sont pas aidés par des substances un peu plus fortes que l'alcool... Parce que certains ont l'air d'être partis vraiment loin quand même...
– C'est fou la différence de styles des françaises et des américaines, surtout en soirée, me lance Kyle.
Il est derrière moi, ses bras embrassant mon corps frêle caché sous une chemise ample.
– Ah oui?
J'en profite pour observer ces fameuses françaises dont je fais partie. La plupart, parfois un peu trop maquillées à mon goût, sont en jean, avec un haut sexy et coloré, ou un simple débardeur.
– En Californie, elles sont généralement bien plus extravagantes. Robes très très courtes, talons aiguilles surcompensés, maquillées... trop maquillées, quoi.
– Elles se maquillent aussi pas mal celles-là, non? je lui demande le regard tourné vers deux filles sur notre droite.
Il pouffe de rire.
– Oh, mais rien à voir! Tu verrais ça!
– Et tu préfères quoi?
– Les françaises, bien entendu!
– Bien entendu...
– Si, c'est vrai, je t'assure. Surtout ma petite française à moi.
Il m'enlace un peu plus fort et je me laisse aller dans ses bras.
– Tu veux boire autre chose? me demande Kyle, sa bouche tout près de ma joue.
– Hmmm... je n'ai pas encore terminé celui-ci, dis-je en levant mon verre à moitié plein. Et puis, j'ai déjà épuisé mon quota.
– Ton quota?
– Oui, je me suis fait un quota de verres par semaine, à respecter strictement.
– T'as un quota de verres par semaine?
Et il se met à rire, la tête en arrière. Je suis trop pompette pour m'en offusquer.
– Quoi? Ben oui, c'est pour la course. Si je bois trop, ce n'est pas bon.
– Ah non! T'arrêteras jamais de m'étonner, baby. Damn! T'es tellement studieuse, et déterminée.
– T'as de la chance que je sois bourrée, ou je te frapperais pour oser te moquer de moi comme ça.
Je suis bourrée, en effet...
– Je... Shit! Alice... je peux plus me passer de toi, je crois, me glisse-t-il à l'oreille.
Il me fait fondre, et j'oublie pourquoi je devrais me sentir vexée. Je crois que lui aussi est bien éméché. Qu'est-ce qui lui prend de me dire des trucs pareils?
Alors que nous faisons tous les quatre une petite pause près du bar, éloignés le plus possible des enceintes, je commence à sentir la fièvre due à l'alcool me lâcher petit à petit. J'observe mes amis qui papotent, sans entendre un mot de ce qu'ils racontent, la musique électro recouvrant totalement leurs voix.
Et, tandis que Kyle et Morgane discutent et rient, je les examine tous les deux. Mon esprit divague, essayant d'imaginer leur rencontre. Je ne sais rien de ce moment qui leur appartient, mis à part qu'ils se sont croisés en soirée. Et je me demande, pour la première fois... Pourquoi ne sont-il pas sortis ensemble? Ou plutôt, est-ce qu'ils sont sortis ensemble? Ca ne m'a jamais traversé l'esprit avant aujourd'hui car autant Morgane que Kyle m'ont toujours dit ne pas du tout être attirés l'un vers l'autre. Ce serait presque une ineptie de succomber à Kyle, d'après mon amie. Mais elle me le pardonne, à moi, dit-elle souvent.
Cependant, alors qu'ils se retrouvent si proches ce soir, j'ai du mal à comprendre pourquoi ils sont aussi catégoriques l'un envers l'autre. Je le vois bien, aucune fille ne résiste à Kyle. Alors pour quelle raison Morgane serait l'exception? Quant à elle, elle est belle, intelligente, marrante, avenante. Aussi, pour une soirée, pourquoi Kyle n'aurait-il pas succombé à son charme?
Je me fais surprendre par les deux concernés qui m'observent à leur tour, intrigués. Mon bad boy me fait un clin d'oeil et je décide de les laisser tranquilles et retourne avec Charline sur la piste de danse.
Dans ma bulle, je me laisse aller au son des basses qui vibrent jusque dans mon ventre, et je perd la notion du temps. Dansant sans retenue, les yeux fermés, je laisse mon corps s'exprimer comme il le désire. J'ai beau ne pas être fière de ma silhouette, je n'ai aucun problème à me laisser aller lorsque la musique est là pour m'emporter.
Et puis je sens deux mains se placer sur ma taille, me faisant revenir à la réalité.
– En fin de compte, je ne suis pas certain que je te ramènerai ici... me confie Kyle.
Je suis très étonnée, je me sens tellement bien, il le voit forcément.
– Pourquoi? je crie par dessus les sons minimalistes.
– Est-ce que t'as vu le nombre de gars qui te matent depuis tout à l'heure? Ca me rend fou, vraiment.
Je regarde rapidement autour de moi, et ne m'aperçois de rien de particulier.
– N'importe quoi.
– Je t'assure.
Et d'ajouter après un moment à se balancer en rythme avec moi:
– Je n'en reviens toujours pas de ne pas t'avoir remarquée ce soir-là, au Sanz Sanz. Alors qu'aujourd'hui, je ne vois que toi.
Soit il est complètement bourré, soit il essaie de se faire pardonner de ne pas m'avoir calculé durant cette fameuse soirée. Soit, peut-être, comme moi envers lui, il ressent quelque chose d'inconnu jusque-là.... Ou peut être, je l'espère tant, un peu des trois...
Les p'tits loups, le morceau met 1,40 minutes à démarrer... Oui, c'est long, mais je l'adore :)
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