Chapitre 22


– Pfiou! Enfin débarrassées! s'écrit Morgane lorsque nous sortons de la salle de classe.

Ô Miracle, j'ai réussi à retrouver ma concentration durant notre exposé, et il me semble que nous avons fait bonne impression, malgré un début plutôt chaotique par ma faute. Repenser juste avant de passer à l'oral ce matin au premier orgasme que m'a donné Kyle hier soir, n'était peut-être pas la meilleure idée que j'ai eue, je l'avoue. Mais il y a des choses qui ne se contrôlent pas vraiment, on dirait...

En parlant de Kyle, celui-ci manque à l'appel ce matin. Il ne nous attend pas aujourd'hui, comme il a pris l'habitude de le faire. Ayant un souci administratif à régler avec l'université, il m'a prévenu que ça risquait de lui prendre la matinée.

– Je crois qu'on ne s'en est pas trop mal sorties en fin de compte... affirmé-je penaudement. 

– Ouais, ben tu m'as fait une sacrée frayeur en tout cas! Sérieux, s'il y a un jour, un seul, où il faut être irréprochable, c'est aujourd'hui, et toi, tu trouves le moyen de mettre un gros vent au prof! me réprimande-t-elle avec un coup de coude dans le flanc.

– Je suis désolée, je suis crevée, dis-je l'air contrit et le regard au sol.

Le visage partiellement dissimulé par mes cheveux, je raccroche les mèches capricieuses derrière mon oreille. Je me rend compte alors que mon amie me scrute avec attention.

– Ouais, je vois ça. Faut dormir ma vieille! Qu'est-ce qui t'arrive? C'est Kyle qui t'en empêche, petite coquine?

Ses insinuations suffisent à empourprer mes joues. Cela fait déjà quinze jours que Kyle a débarqué chez moi et que nous nous sommes expliqués. Quinze jours de plaisir, de fatigue, d'une confiance toujours plus solide, de sensations nouvelles au milieu de la routine, et d'un sentiment tout nouveau lui aussi, que j'aurais du mal à décrire, placé là, dans mon ventre telle une chaleur douce et excitante.

Quinze jours où nous profitons le plus possible de ce sursis qui nous est donné. Pas si facile entre nos deux emplois du temps, surtout le mien, si chargé.

– C'est pas ça. Mais j'ai des journées de malade en ce moment, c'est tout, dis-je en me frottant les yeux du pouce et du majeur.

Kyle et moi essayons de partager la plupart de nos nuits tous les deux. Plutôt chez moi lorsque nous avons cours le lendemain, parce qu'habitant près de la fac, cela nous laisse quelques minutes supplémentaires à savourer ensemble. Et puis je crois qu'on aime bien la contrainte de mon lit minuscule. Obligés de dormir enlacés l'un à l'autre. Bon... chez lui, malgré le lit immense, nous en faisons autant... Mais là, c'est encore plus excitant de ne pas avoir le choix.

Les week-ends, je les lui consacre aussi presque entièrement, mis à part lorsque je m'entraîne. J'en voudrais beaucoup plus. Il me manque en permanence, et je n'attends que ça de le rejoindre lorsque je suis loin de lui.

– Sans rire! Tu ne vas jamais tenir comme ça, Alice! Déjà qu'avant que Kyle débarque, c'était chaud. Comment tu gères?

Je soupire.

– Je ne gère pas, justement.

J'ai décidé de ne rien changer à mes activités "avant Kyle". Parce que, si je choisis de profiter un maximum de cette relation éphémère, aussi passionnelle soit-elle, et d'oublier tout le reste (ce que je suis tentée de faire tous les jours), lorsqu'il partira dans quelques mois, il ne me restera plus rien. Plus rien à quoi me raccrocher. C'est tellement difficile de se dire que notre temps ensemble est compté. De plus en plus difficile chaque jour, à vrai dire.

Après deux semaines à ce rythme infernal, qui jongle entre fac, entraînements, boulot, et romance, je sens que je ne pourrais pas tenir longtemps ainsi.

– Tu vas devoir faire un choix, tu peux pas continuer comme ça, tu sais ça? T'as vu ta tête? Je t'ai jamais vu avec des cernes pareilles! Encore quelques jours et je parie que tu te transformes en zombie, en décomposition, et stade avancé, hein? Le même genre que ce qu'on voit dans The Walking Dead*!

Je souffle comme une petite fille qui se fait gronder, et lui réponds comme une ado insolente.

– Je sais, je vais y réfléchir, OK?

– Il doit t'en faire des trucs sympas, pour te priver de sommeil à ce point...

Elle hausse plusieurs fois les sourcils avec un sourire espiègle. Je l'assène alors d'une petite tape.

– Arrête ça!

– Ouais bon, en tout cas, c'est pour toi que je dis ça, Alice. Tu dois faire quelque chose.

Elle rit, et glisse son bras sous le mien.

– Enfin... pour moi aussi, en fait. Comment je vais faire sans mon binôme de choc pour remonter mes notes? Allez, viens on va boire un café.

– Non, je vais rentrer dormir.

– Ah voilà! Kyle n'est pas là, alors je ne t'intéresse plus! Bon, allez, ça va pour cette fois. C'est bien parce que tu fais flipper rien qu'à te regarder. Va dormir, t'en a besoin, petit mort-vivant.

Elle me fait un clin d'oeil et nous nous dirigeons vers la sortie.

Une fois chez moi, je m'effondre sur le lit.


   Je viens d'arriver devant chez Axel. Lorsque je me suis endormie chez moi, ce matin après notre exposé, j'ai ouvert les yeux en catastrophe un quart d'heure avant la reprise des cours. Je suis donc arrivée en retard, sans prendre le temps de manger, me faisant une nouvelle fois remarquer aujourd'hui. Cette semaine commence fort...

Ce matin, j'ai prévenu Kyle qu'on risquait de ne pas se voir ce soir. Mon meilleur ami a besoin de moi. J'ai l'impression que durant ces deux dernières semaines, au mieux je me portais, au plus lui s'enfonçait. Et ce week-end, quand je l'ai croisé, j'ai senti qu'il requérait implicitement mon soutien.

Je toque à sa porte, et j'ai honte, mais très égoïstement, la première pensée qui me vient à l'esprit est d'espérer qu'il aille déjà mieux, parce que cette journée n'en finit plus et je voudrais avoir la chance de rejoindre mon amoureux.

Après un moment, il finit par m'ouvrir, et je peux voir tout de suite que mon dernier souhait ne se réalisera pas ce soir.

– Salut. C'est sympa d'être passée, dit-il en se dirigeant dans l'appartement pour que je le suive.

Je ferme la porte, et remarque que c'est un peu le bazar chez lui. Pas trop. Mais cela suffit pour me signaler à nouveau que ça ne va pas fort.

– J'ai ramené des trucs à manger. Pour trois. Je t'ai pris ton pad thaï préféré, lui annoncé-je gaiement.

– Merci, mais je n'ai pas trop faim. Et puis Hugo n'est pas encore là.

– On n'a qu'à l'attendre, peut-être que tu auras un peu plus d'appétit tout à l'heure.

Nous nous installons sur le canapé.

– Alors c'est pas la forme on dirait, observé-je en le scrutant de la même façon que Morgane l'a fait avec moi ce matin.

– On peut dire ça comme ça.

– Tu veux me raconter?

– Je sais pas. Il va bien falloir je suppose... Et toi alors, tu as l'air de bien aller? Avec ton Kyle?

Est-ce qu'il me le reproche?

– Oui, ça va plutôt bien, je m'excuse presque, les yeux rivés sur mes mains.

– Tant mieux.

Je ne sais pas quoi dire. Dois-je le pousser à m'expliquer ce qui lui arrive? Ou attendre qu'il soit prêt? Alors je lance une discussion banale sur un film que j'ai vu et trouvé super, et lui raconte aussi mon oral de ce matin. J'essaie de le faire sourire, mais je vois bien qu'il y répond par politesse, sans conviction. Alors je finis par m'orienter vers le sujet qui fâche.

– Allez, raconte-moi Axel. Je n'aime vraiment pas te voir comme ça.

C'est tellement rare.

– Ca va avec ta copine?

Je ne l'ai toujours pas rencontrée, et à chaque fois qu'il m'en parle, c'est de façon très sporadique, et encore, je dois lui extirper les vers du nez.

– Bof. Mais c'est pas le problème. Enfin... pas vraiment.

Il inspire profondément avant de poursuivre:

– J'ai un truc important à te dire.

Un truc important. Ca me stresse.

– Que je dois te dire depuis un moment déjà.

Qu'est-ce qui m'attend?

– En fait, ça fait déjà quelques années que je m'en suis rendu compte, mais je n'ai jamais osé t'en parler. Déjà au lycée... Mais c'était pas vraiment le moment de te rajouter des trucs...

Je ne dis rien, reste à l'affût de ce qu'il s'apprête à me dire. Mon dieu, je sens que c'est important. Vraiment important.

– Je me suis voilé la face toutes ces années et...

Un bruit de clé l'interrompt. La porte d'entrée s'ouvre, et Hugo entre.

– Hé, Alice, t'es là? Super!

Mince... pas du tout le bon timing.

– Oui, et j'ai ramené des plats à emporter pour ce soir, si ça te dit.

– Ah, merci, avec plaisir.

Et il nous rejoint dans le salon.

– Mmmmh... Ca sent bon! Tu as pris quoi?

Finies les discussions importantes pour aujourd'hui, on dirait. Je vais cogiter comme une folle sur ce que veut me révéler Axel. Mince! A côté de quoi je suis passée depuis tout ce temps, toutes ces années? Mais malgré tout, ce moment où nous sommes tous les trois fait du bien à mon ami. Il arrive à se détendre, à sourire parfois, pour de vrai cette fois, et même à rire quelquefois. Je surprend de temps à autre ses yeux posés furtivement sur moi, y cherchant je ne sais quoi, mais je préfère ne pas y porter trop d'importance durant cette parenthèse légère.

Finalement, je décide de dormir chez eux, parce que je sais que ça lui fait plaisir, et que j'ai espoir qu'il puisse me parler avant mon départ demain. Il semblerait que de nouveau, mon voeu ne sera pas exaucé...


   Il est six heure trente du matin. Du matin! Ça pique comme à chaque fois. Et je suis déjà dans la cuisine d'Axel et Hugo. Celui-ci me rejoint en tenue de sport alors que je mange un petit biscuit avant de rentrer chez moi.

– Tu te lèves tôt, dis-moi, chuchote-t-il.

Il y en a un qui a de la chance et qui dort encore. Enfin... A-t-il de la chance...?

– Et toi? Qu'est-ce que tu fais déjà debout?

– Oh, je vais courir, s'explique-t-il un peu embarrassé.

– Ah? Tu cours aussi? lui demandé-je étonnée.

Il rit nerveusement, évitant de croiser mon regard, avant de répondre comme une excuse:

– Oh, pas comme toi. Juste un peu pour la forme, tu vois?

– Donc tu vas à la salle de muscu le soir, tu cours le matin, tu ne t'arrêtes jamais?

Il rit plus franchement. Il a de petites fossettes qui se dessinent sur ses joues, je viens seulement de le remarquer.

– Ah non. C'est pas ça. J'aime bien commencer et terminer ma semaine par le sport, histoire de me dire que je gère. Mais au milieu je ne fais pas grand chose, plaisante-t-il.

A mon tour de glousser.

– Bonne stratégie.

– Si ça te dit, on pourrait... courir ensemble un de ces quatre'? me propose-t-il presque en murmurant.

Et il ajoute devant mon air surpris:

– Bon, tu vas me mettre à l'amende et je risque de te retarder, mais ce serait une bonne motivation pour progresser. Pour moi je veux dire...

Il est mignon, il a l'air tout gêné. Son teint mat ressort davantage avec son T-shirt blanc impeccablement repassé. Ainsi que ses yeux sombres.

– Oui, pourquoi pas. Ca pourrait être sympa.

En réalité, je ne suis pas sûre d'en trouver le temps, mais bon... Peut-être... un jour...

Après cela, je me dépêche de me préparer pour partir au devant de cette nouvelle journée qui sera, encore une fois, je le sens, interminablement longue.

Mardi... Mercredi... Jeudi... Mes trois prochaines soirées avalées par le travail. Trois soirées où ma soif d'amour ne pourra être étanchée.


* The Walking Dead: vous préferez la BD ou la série? 

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top