Chapitre 19
Merde! Il faut vraiment que je change cette fichue sonnerie. Elle m'exaspère de plus en plus. Particulièrement ce matin, où mon réveil sonne bien trop tôt. Je l'ai programmé pour me déterrer du lit, enfin, canapé, à six heures.
Je cherche rapidement mon téléphone en tâtonnant sur la table basse du salon d'Axel et Hugo pour l'arrêter le plus vite possible et ne réveiller aucun des deux. Six heures! Ouah! Je déteste ça. Vraiment. C'est tout simplement un supplice. Pour moi, se lever avant sept heures, c'est comme se réveiller en plein milieu de la nuit. Pourtant, il m'arrive souvent de le faire le mardi ou mercredi matin pour aller m'entraîner avant mon premier cours. Mais, vraiment, je ne m'y ferai jamais.
Je passe rapidement dans la salle de bain, histoire de m'aider à me ranimer avec un bon coup d'eau fraîche sur la figure, je range les draps et la couette que je plie et dépose sur le grand accoudoir du canapé couleur taupe, fouille sur la petite table à courrier dans l'entrée pour arracher un morceau d'enveloppe et gribouiller un petit mot de remerciement à mes deux hôtes.
Enfin, je pars en direction de mon studio, habillée comme je l'étais cette nuit, avec sur les épaules une veste d'Axel que j'ai piquée sur le porte-manteau. Je ne le vois pas la porter en ce moment et pourrai lui rendre tout à l'heure à la B.U*.
Après une douche rapide chez moi, et un changement de tenue un peu plus adéquate, je me dépêche de me rendre à mon premier cours de la semaine pour m'installer dans la salle le plus tôt possible, et ainsi éviter à tout prix de me heurter à Kyle. Comment vais-je pouvoir passer à autre chose en le croisant presque tous les jours?
Je soupire de soulagement lorsque j'atteins mon but, légèrement moite de transpiration. Morgane me rejoint dix minutes plus tard. Elle m'observe un moment avant de me demander, l'air inquiet:
– Ca va?
Mince, ça se voit tant que ça que je suis complètement à plat?
– Oui, oui, dis-je le regard vers le bureau.
– T'as vu ta tête? Sans compter que tu n'as pas répondu à mon message, hier. J'étais un peu inquiète, je t'avoue.
– Oh, c'est rien, ça va passer.
Mes paroles contredisent complètement mon attitude abattue.
– Est-ce que... c'est à cause de Kyle?
C'est la première fois que je la regarde depuis qu'elle est arrivée dans la classe, et bien sûr, cet acte spontané me trahit. Je détourne rapidement les yeux qui préfèrent se concentrer sur la vitre sale à côté de moi.
– Oh, je suis désolée Alice.
– Pourquoi? C'est rien, ça va.
Elle met un moment à me répondre.
– Eh bien, c'est que c'est un peu à cause de moi si tu l'as rencontré à la base, vu que c'est un pote.
– Pfff... Comme si ça te rendait fautive de ce qui arrive, dis-je un peu agacée par son allégation bidon. Que je sache, tu m'avais même prévenue, alors... Je suis trop con, c'est tout.
Elle dépose doucement sa main sur mon omoplate, et me regarde navrée.
– Je suis désolée, vraiment. C'est lui le con.
Putain! Ca y est, je vais encore pleurer. J'ai réussi à éviter ça depuis que j'ai quitté les bras d'Axel hier soir, et là, en pleine salle de cours, je vais craquer.
– Arrête, s'il te plaît, où je vais me mettre à chialer, lui imploré-je d'une voix chevrotante. Et puis c'est pas lui le problème. Il n'a rien fait de mal. Au contraire. Je préfère juste plus le voir.
– D'accord. On peut aller boire un café après le cours, si tu veux?
Avant que je puisse répondre, le professeur entre dans la classe et commence sans préambule son speech.
– Bon, je vous prie de m'excuser mais je vais devoir reporter l'exposé d'aujourd'hui. Qui devait passer?
Une fille et un garçon assis l'un à côté de l'autre, au fond de la salle, se manifestent.
– Eh bien, vous avez une semaine de plus pour travailler votre oral. J'ai du retard dans le cours et je souhaiterai prendre un peu de temps pour aborder des notions essentielles avant la deuxième partie du semestre.
Je jette un oeil aux deux étudiants concernés, qui ont l'air plutôt soulagé, je crois. Le professeur poursuit:
– Ce qui veut dire que tous les exposés sont décalés en conséquence. Qui devait passer la semaine prochaine?
– Alice et moi Monsieur, répond mon amie pour nous deux en levant légèrement la main.
– Donc, Alice et... vous (il ne connaît pas nos prénoms évidemment), vous avez également une semaine de plus pour terminer votre travail.
Tout comme mes deux camarades, le soulagement doit se lire sur mon visage, aussi bien que le grand Z tout en bas des tableaux d'acuité visuelle des ophtalmos. Franchement, il nous sauve la mise. On n'a tellement pas travaillé sur ce truc! Sept jours supplémentaires ne seront pas de trop.
A la fin du cours, Morgane revient à la charge:
– Tu viens boire un café avec moi?
Je n'en ai aucune envie. Je veux juste rentrer chez moi et me rouler en boule dans mon lit. Elle insiste alors que nous nous dirigeons vers la sortie.
– S'il te plaît. Je n'aime vraiment pas te voir comme ça. Juste histoire de te changer les idées.
– Bon, d'accord, mais vite fait. Je voudrais rentrer me reposer.
A peine ces mots prononcés que j'aperçois Kyle lorsque nous sommes dans le couloir, comme tous les lundis matins depuis quelques semaines à cette heure-ci. Je ne devrais donc pas être surprise.
– Salut, dit-il les yeux braqués sur moi.
– Salut.
Il cherche mon regard, mais je passe devant lui sans céder au sien.
– Attends Alice. On peut parler s'il te plaît?
J'ose enfin le regarder. Il a l'air fatigué. Des cernes entourent ses deux apatites*. Il a dû bien faire la fête ce week-end.
– Kyle, laisse-la tranquille, répond Morgane à ma place en me prenant par dessous le bras.
– Te mêle pas de ça. Alice, viens. S'il te plaît.
– Lâche l'affaire Kyle, poursuit mon amie, en me conduisant dans les escaliers.
Il attrape le bras de Morgane pour qu'elle se retourne.
– Où vous allez? Qu'est-ce que tu lui as raconté?
– Rien, je lui ai rien raconté. Tu parles sûrement de samedi, c'est ça? demande-t-elle plutôt rhétoriquement, en plantant un regard insistant sur lui.
Quoi?
– De quoi tu parles? Qu'est-ce qui s'est passé samedi? j'interroge les deux intéressés.
– Rien, coupe court Kyle.
Et Morgane de répondre en même temps:
– Il s'est passé que...
– Arrête ça Morgane, fuck! la coupe-t-il, de plus en plus sur les nerfs.
– Bon, je m'en fiche en fait.
Je balance ça un peu trop fort avec un geste de la main, comme si celui-ci pouvait stopper tout mouvement, toute parole à suivre. Je répète:
– Sérieux, je m'en fiche. Kyle, je voudrais juste aller boire un verre tranquillement avec ma copine, chose que je n'ai pas faite depuis un bail. Et, si tu veux, on parlera à un autre moment. Mais s'il te plaît, pas là maintenant.
Je trouverai bien une autre excuse en temps voulu...
– Quand alors?
– Je ne sais pas. Mais pas tout de suite, s'il te plaît.
J'appuie mes mots de mon regard éteint. Il laisse passer un moment avant d'accepter.
– OK.
– On se voit plus tard alors, Bye.
Et on le plante là, au milieu des escaliers.
Une fois installées à notre petite table habituelle, je veux savoir tout de suite.
– Qu'est-ce qui s'est passé samedi soir?
Morgane soupire avant de commencer:
– Ecoute, je suis tellement désolée, Alice.
Un silence, puis elle ajoute:
– On était dans la même soirée tous les deux. Et... Et j'ai vu Kyle partir avec une fille, ajoute-t-elle le visage tendu, incliné vers le bas.
Je n'ai rien à répondre à ça. Je reste abasourdie. Je ne devrais pas être étonnée, je le sais, qu'il est comme ça. Morgane était celle qui m'en avait alertée. Et c'est exactement pour cette raison que j'ai pris la bonne décision samedi matin, en coupant court à cette "non relation".
– Je suis désolée, dit-elle en relevant les yeux vers moi et l'air contrit. Je voulais juste te prévenir.
Elle a l'air tellement gênée. J'essaie de la tranquilliser avec ces mots sans vérité:
– T'as bien fait. T'en fais pas, franchement. Tu sais, il n'y a vraiment rien entre nous. T'inquiète pas, je m'en fiche, en fait.
Je vois bien qu'elle ne gobe pas un seul de mes mots, mais elle fait semblant.
– T'es sûre?
– Oui, vraiment. Tu te méprends au sujet de Kyle et moi. On n'est pas compatibles. Donc il fait ce qu'il veut, non?
Je glousse faussement. Une fois encore, elle fait comme si elle y croyait, et on s'empresse toutes les deux de parler de choses plus légères.
Putain que c'est dur! S'entraîner quand on n'a pas le moral, je connais bien. C'est comme ça que j'ai commencé à courir. Écarter mes pensées noires, envahissantes, et repousser mes limites, autant physiques que mentales. Mais, des fois, c'est vraiment dur! Et, là, alors que je ne me suis même pas donné la peine de choisir un endroit plus éloigné que mon propre quartier pour m'entraîner, alors que j'essaie vraiment de me forcer à terminer cette satanée session, je crache mes poumons. Je décide d'arrêter avant la fin.
J'ai passé une journée si longue. Je me suis traînée en cours, puis à la bibliothèque avec pour seule motivation de retrouver la bonne humeur d'Axel, et enfin, me suis forcée à arriver jusqu'ici. Et là, c'en est trop, je rentre chez moi, au pas. Ca fera office d'étirement, que je n'ai même pas le courage d'effectuer. Je le regretterai demain.
C'est pas vrai! Je viens de tourner à l'angle de ma rue, et, alors que je suis à quelques mètres de ma porte, je vois Kyle assis sur les marches du perron de mon immeuble, en train de pianoter sur son téléphone. Je fais rapidement demi-tour en espérant qu'il ne m'ait pas aperçue, mais à la dernière nanoseconde, je me rends compte qu'il est trop tard.
– Oh, non, non, non! Cette fois, tu vas pas te défiler, j'entends derrière moi.
J'accélère le pas, mais sens une pression sur le bras qui m'oblige à me retourner. Mince, je suis toute transpirante, le visage certainement écarlate, et la moitié de mes cheveux se sont évadés de mon élastique. Je ferme les yeux et tente de ne pas trembler.
– Kyle, je veux juste rentrer chez moi. Laisse-moi tranquille, s'il te plaît.
– Pas avant qu'on se soit expliqués.
– Il n'y en a pas besoin. Tout est très clair, je te le répète. Je préfère simplement qu'on ne se fréquente plus. Maintenant laisse-moi passer.
Je le pousse d'une main pour qu'il m'ouvre le passage, et avance jusqu'à la porte d'entrée de mon immeuble, mais il me suit de près.
– Ca ne s'appelle pas une explication, mais une putain de décision, ça. Donc il va falloir m'expliquer pourquoi vendredi soir, tu étais d'accord pour qu'on essaie quelque chose ensemble, et le lendemain matin, tout à coup tu changes d'avis. Et tu peux me certifier que ça n'a rien à voir avec ce qui s'est passé entre les deux? Que ça n'a rien à voir avec ton moment de panique?
Il place son bras en travers de l'encadrement de la porte pour me bloquer l'entrée.
– Kyle, t'es lourd là. On ne peut pas toujours répondre à tes moindres désirs. Je... je ne suis pas intéressée, c'est tout.
– Alice, t'as plein de qualités, mais je dois te dire que savoir mentir n'en fait pas partie. Et aussi, tu es très belle ce soir.
Mes yeux s'écarquillent de stupeur, ma tête légèrement inclinée montre mon scepticisme.
– Tu te fiches de moi. Laisse-moi entrer. J'ai besoin d'une douche, et j'ai besoin de dormir. S'il te plaît, je finis par l'implorer.
– Je me fous pas de toi. Je te trouve vraiment belle quand tu as couru.
Il écarte du revers des doigts une mèche qui me chatouille le nez, et ajoute:
– On monte, tu prends une douche, je t'attends sagement, et on parle.
Je ne réponds pas et le regarde, hésitante. Bien sûr que je n'ai qu'une envie, être avec lui encore un peu. Mais il faudrait que je ne cède pas, ou je vais m'en mordre les doigts très rapidement. Il insiste:
– Et je te laisse tranquille après ça.
– Tu me laisses tranquille? je répète.
– Si tu arrives à me convaincre qu'en effet, on n'a rien à faire ensemble, je te laisserai tranquille, promis!
Je n'y arriverai pas, bien évidemment. Mais j'abdique tout de même. Un soupir de résignement se faufile entre mes lèvres alors que j'accepte son offre, et lui permets d'entrer à ma suite dans la cage d'escalier.
* B.U.: Bibliothèque universitaire
Je sais, je sais. Des fois, j'ai des goûts musicaux un peu bizarres. Mais voilà, j'adore Saez, et notamment son album portant le nom de Paris 😋 (Dedans, il y a même une chanson qui s'appelle Alice!). Ceci dit, je ne suis pas satisfaite à 100% de mon choix, car le chapitre est bien plus dynamique que le morceau. Donc, si vous avez des suggestions, n'hésitez pas 😉
Bon, et sinon, qu'est-ce qu'elle doit faire Alice, maintenant, avec un Kyle tout prêt à monter chez elle et aussi tenace?
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