Chapitre 16

    Les yeux rivés vers l'écran de l'ordinateur, je ne vois pas les images qui s'y succèdent. Plongée dans mes souvenirs amers, je me décide à révéler mon histoire à ce confident inopiné.

– Je crois... qu'il a voulu se venger... après ça.

Kyle ne dit rien, mais je sens à sa manière de resserrer son étreinte qu'il m'écoute.

– On était ensemble depuis six mois à peu près, et il insistait, insistait pour... aller plus loin. Mais je... me sentais pas prête. Il s'en fichait, il continuait à me pousser, à me faire comprendre qu'il s'impatientait vraiment, et que ça commençait à bien faire. Alors, j'ai fini par dire oui. J'avais trop peur qu'il me quitte. Je.. j'étais amoureuse je crois... 

Je reprends ma respiration, avant de poursuivre:

– Et puis, une fois dans cette chambre d'hôtel sordide qu'il avait louée exprès pour moi, et qu'on a commencé à... enfin bref, je me suis défilée. Mais il a fait comme si de rien n'était. J'avais beau lui dire non, il le prenait comme un jeu. En tout cas, il n'était pas prêt à lâcher l'affaire. Il a commencé à me déshabiller, je lui ai demandé d'arrêter gentiment plusieurs fois, mais il poursuivait comme si de rien n'était. Alors, je lui ai ordonné d'arrêter, mais ça ne lui a pas suffit non plus. Il m'a poussée sur le lit, j'étais prisonnière de son corps et il m'a dit... la même chose que toi tout à l'heure, juste avant que je te demande d'arrêter. 

Ma voix tremble, se coince dans ma gorge à ce souvenir. Elle n'est que le reflet de mon corps crispé, malgré la douce présence de Kyle tout autour de celui-ci. Mais je réussis tout de même à poursuivre :

- Alors je lui ai crié de me laisser, mais il m'a répondu qu'il n'y avait pas moyen que je me débine maintenant, qu'il avait payé cette chambre, etc. Et il a continué à me maintenir de force, et à m'enlever mes sous-vêtements, et me toucher. Je me suis débattue dans tous les sens, j'ai fini par crier comme une cinglée, et enfin, il s'est décidé à stopper tout ce qu'il me faisait. Il m'a traité de tous les noms, m'a dit que j'avais de la chance d'être tombée sur lui, vu sa patience depuis des mois et parce que n'importe qui d'autre m'aurait un peu forcé la main pour aller jusqu'au bout, vu la façon dont je l'avais allumé. Et il a fini par claquer la porte et me laisser sur le lit de cette chambre minable, toute nue. Et j'ai pas pu bouger pendant... des heures je crois.

Asshole!* Si je le croise je t'assure que...

Je sens l'agitation de Kyle lorsqu'il balance ces mots un peu trop fort, et ses muscles autour de moi se contracter.

– Attends, laisse-moi terminer pendant que je peux, s'il te plait, lui soufflé-je, encore tremblante.

Je laisse quelques secondes passer avant de poursuivre. Je lui explique qu'après cela, il a voulu se venger, racontant un tas de choses à mon sujet à tous ses potes. Comme quoi j'étais frigide, et pas "baisable", et des détails de mon intimité... faux. Etant donné qu'il était du genre populaire, les rumeurs ont vite circulé. 

Il était en terminale, et moi en seconde. Alors je pensais qu'après son départ, ça allait se calmer, qu'on allait m'oublier. Mais les gens aiment bien avoir des punching balls à disposition, et mieux vaut quelqu'un d'autre qu'eux-mêmes. 

Bien sûr, ce n'était qu'une petite remarque de temps en temps au travers d'un couloir, ou dans la queue du self. Et seule une minorité de personnes se prêtaient finalement à ces petits jeux. Les autres préféraient esquiver. Mais cela suffisait pour me maintenir dans cette chambre d'hôtel où tout a commencé, et m'empêcher d'avancer.

Je me suis détournée de la plupart de mes amis, m'isolant de tout. Il n'y a qu'Axel que j'ai gardé auprès de moi, qui m'a aidée sans aucune limite, et qui me soutient aujourd'hui encore. Il a tout fait pour me protéger. Et franchement, sans lui, je ne sais pas ce que j'aurais... J'y ai pensé, à mettre fin à tout ça pour de bon. Mais Axel était là.

Même mes parents ne m'ont pas soutenue. Ils travaillent dans des commerces à La Ferté, là où nous habitions, et ne voulaient pas d'histoire. Dans une petite ville comme la nôtre, tout se sait, les gens passent leur temps à colporter les rumeurs, y compris, parfois, les commerçants. Mais, quand il s'agit d'eux-mêmes, quand ils sont au coeur d'un de ces satanés potins, alors là, mieux vaut tout de suite enfouir le problème bien profond sous les cartons de la réserve du magasin. 

Bref, apparemment les affaires de mes parents sont plus importantes que celles de leur fille. J'avais l'impression qu'ils s'en fichaient complètement. Pour eux, c'était certainement l'expression de ma crise d'adolescence.

La seule chose qu'ils m'ont permise, c'est de m'inscrire à un club de course, assez loin de chez nous pour ne connaître personne. J'avais déjà commencé à courir de façon régulière en seconde, mais avec toute cette histoire, je m'y suis mise à fond, et les entraînements ont pris de plus en plus d'importance dans mon quotidien, à tel point que c'en est devenu une addiction.

C'était mon lieu de survie, mon défouloir, mon abri paracyclonique, où j'étais sûre d'être en sécurité. Je pouvais déverser toute mon anxiété dans le flot d'énergie et de transpiration que j'expulsais à chacune de mes foulées. L'émulation et la puissance que provoquaient chaque course, le vide et l'effet de l'adrénaline que je ressentais après, me poussait à recommencer le plus souvent possible. Parfois même, l'apaisement et la confiance arrivaient, en forçant un peu la porte de mon corps, à s'immiscer par gouttelettes microscopiques en moi.

Là-bas, au club, je cherchais à rester dans ma bulle de sensations, cette enveloppe qui me gardait bien à l'écart de toutes ces émotions qui me torturaient le reste du temps. Je ne manquais aucune session, et ne parlais à personne pour éviter tout problème potentiel.

Durant ces trois années de lycée, je me suis enfermée dans les études et ma passion pour la course, me faisant l'effet d'un traitement paliatif, seule solution capable de soulager un peu de mon mal-être. Et avec Axel, c'est tout ce qui m'a permis d'arriver jusque-là.

Après, l'an dernier, quand je suis arrivée à l'université, j'ai espéré que ce serait un nouveau départ, ma vraie vie qui allait commencer, avec toute cette période néfaste que je pourrais oublier. 

Je raconte alors à Kyle comment j'ai essayé de sortir de nouveau avec un garçon, rencontré à la fac, l'an dernier. Mais au bout de quelques semaines, j'ai eu bien trop peur de ce qui pourrait arriver si ça se prolongeait. Il avait beau être vraiment gentil avec moi, je n'ai pas réussi à m'investir dans cette relation. Je ne le voulais pas, plutôt. Alors, j'ai préféré y mettre fin. 

Et, même si je crois qu'il en a été peiné, il n'avait pas la ténacité de mon américain, et tant mieux à vrai dire. Contrairement à ce qui se passe avec celui qui m'enlace à cet instant, dont je ne peux me passer malgré, là encore, ma tentative de freinage des quatre fers, j'ai vite oublié cet échec là.

– Bon.. je suis désolée, j'avais.. besoin de te dire tout ça, je crois, terminé-je enfin.

J'espère que je ne l'ai pas trop ennuyé avec mon monologue. Mais lorsque je vois, et sens les gestes qu'il m'offre, d'une tendresse précieuse, et qu'il me dit simplement:

– Je suis tellement désolé, Alice.

Et qu'il m'embrasse le coin de la paupière comme pour me consoler de mes larmes, puis repousse mes cheveux, et me regarde en ajoutant:

– Personne ne mérite ça. Et t'es une warrior. Tu les emmerdes tous. Fuck! J'ai envie de les retrouver tous un à un et de leur faire la peau.

Et qu'il m'enlace un peu plus, dans un geste qui me paraît si protecteur. Alors je sais qu'il m'a entendue. 

– Tu sais bien qu'on a tous été cruels avec quelqu'un au collège ou au lycée, sans vraiment se rendre compte de l'impact que ça peut avoir. Sans compter toutes les fois où on reste juste indifférent à la détresse d'un de nos voisins de classe. C'est juste que cumulé, quand tout le monde s'y met, même un tout petit peu de temps en temps, ça devient insoutenable pour celui qui les reçoit. Et il se trouve que cette fois, c'est tombé sur moi.

Il soupire.

– C'est un peu vrai... J'ai dû le faire aussi, avoue-t-il. Damn, dire que quelqu'un a sûrement connu la même merde en partie à cause de moi.

On ne dit plus rien, ni l'un ni l'autre. Enfin, au bout d'un long moment dans le silence, il me déclare:

– Je suis vraiment content que tu te sois confiée à moi.

Et il m'enveloppe dans le cocon le plus rassurant qu'il soit.

* Enfoiré

Elle n'est pas trop belle cette chanson?? Elle me donne tout plein de frissons 😊

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top