Chapitre 13
Kyle et Morgane, ici? Je suis complètement perdue. Ni l'un ni l'autre ne devrait se trouver dans ce bar. Je regarde ma meilleure amie et mon bel américain s'installer à notre table avant de pouvoir ouvrir la bouche.
– Qu'est-ce que vous faites là?
Je leur assène ces mots, sourcils froncés, le visage à la fois incrédule et furieux.
– Salut, répète Morgane, avec un sourire simulé. T'es gonflée, tu me demandes de me pointer et tu joues la fille saoulée quand je suis là.
– Non, non, c'est pas toi le problème Morgane, je suis vraiment contente de te voir. Même si, je suis désolée, mais je ne crois pas t'avoir proposé de venir. Ou alors...
Je suis tellement ailleurs en ce moment, je l'ai peut-être fait en fin de compte...
Je vois soudain ma copine dévisager Kyle avec indignation, ses yeux s'écarquillant de plus en plus.
– Putain, tu t'es servi de moi!
Le visage de Kyle revêt un sourire présomptueux et amusé, peut-être un peu gêné aussi. Il se frotte la nuque, tête légèrement inclinée, comme s'il l'était en tout cas.
– Ca va, elle est contente de te voir et tu vas passer une bonne soirée grâce à moi.
Et là, je ne sais pas quoi faire. Alors, je continue de les regarder se chamailler, de loin, sans être capable d'agir moi-même.
– T'es vraiment qu'un con, réplique Morgane en lui assénant une tape sur le bras.
– Hé! arrête ça, putain! Allez, je te paie une bière pour me faire pardonner.
Je devrais partir, ou demander à Kyle de le faire. Mais la vérité c'est que je suis heureuse de le voir, et à l'idée que nous allons passer un bout de cette soirée ensemble, avec mes amis. Et puis je crois que je suis flattée par sa ténacité aussi. Je suis dingue... J'en suis consciente.
– Deux bières! Tu m'en dois au moins deux, sur ce coup!
– OK, deux bières pour la p'tite dame en colère.
Bien entendu, il va falloir que nous ayons une discussion, que nous mettions sérieusement les choses au clair sur ce que nous voulons, ce dont nous avons besoin tous les deux.
– Tu devrais avoir honte, comploter comme ça derrière notre dos, à Alice et moi! en rajoute Morgane, avec beaucoup moins de conviction.
– Damn! Trois bières si tu me lâches!
Il se tourne vers moi, et je vois qu'il scrute avec attention mon visage, y cherchant le moindre signe d'approbation, je suppose. Il a l'air soulagé aussi. Est-ce que cela se voit tant que ça que je le suis, moi, de le voir? Comme si un poids écrasant était arraché à mon ventre, et que je pouvais à nouveau espérer.
Axel me lance des oeillades, complètement perdu, depuis leur arrivée.
– Mmm.. Axel, Hugo, Kyle.
Je fais les présentations express, ajoutant un geste rapide de la main allant et venant devant eux. Je sens mon visage rougir à vue d'oeil face à celui d'Axel qui continue à me dévisager avec insistance.
– Un copain de la fac, dis-je en détournant le regard.
– Salut.
Kyle s'adresse aux deux amis, et ajoute en direction d'Axel:
– J'ai beaucoup entendu parlé de toi. Le meilleur pote, c'est ça?
Il a l'air de bien s'amuser.
– Oui, c'est ça, répond Axel, méfiant. Et tu es?
– Un ami d'Alice et Morgane, de la Sorbone.
– Tu as un accent, non?
– Ouais, je suis américain...
Et les voici partis dans leur discussion, comme s'ils ne venaient pas tout juste de se rencontrer. Je les écoute d'une oreille, bien trop intéressée par ce qui pourrait se dire à ce niveau de la table, alors que je suis moi-même censée être en pleine conversation avec Hugo et Morgane à propos des avantages et inconvénients des nouvelles trottinettes électriques en libre accès dans tout Paris. On en voit tout un tas dans les rues, déposées à même le trottoir, n'importe-où; et n'importe qui peut en louer une. Bref, ça pourrait peut-être m'intéresser en temps normal. Mais là, là...
– Alors, Alice?
– Pardon?
Je crois que j'ai oublié d'écouter depuis un moment le bon côté de la table. Hugo me demande, apparemment pour la seconde fois:
– On se voit toujours demain pour ton devoir d'anglais? Je vais pas tarder à rentrer... donc, juste pour se confirm...
– Pourquoi tu dois le voir?
Kyle le coupe sans s'embarrasser le moins du monde.
– Il doit m'aider pour un devoir.
– Il va t'aider pour un devoir d'anglais? Et tu ne m'as pas demandé à moi?
Il hausse la voix, et paraît sincèrement vexé. Je regarde autour de nous, et plus personne ne parle à notre table, tous mes amis soudain très intéressés par ce qui se passe de ce côté-ci. Sauf Hugo, qui a l'air gêné.
– Arrête ça Kyle, on n'est plus censé se fréquenter je te rappelle, je souffle, le regard baissé.
– Ca, c'est toi qui le veux.
Il se tourne vers Hugo:
– Donc demain, c'est moi qui vais l'aider, ne t'embête pas. Tu comprendras que je suis plus compétent à ce niveau.
Hugo me regarde complètement égaré, ne sachant comment réagir.
– Kyle, calme-toi là. Il n'y est pour rien, OK? On peut parler une minute? lui demandé-je.
Tous les yeux de la table sont braqués sur moi. Bande de curieux.
– Je crois que c'est ce qu'on est en train de faire là, non?
Il me répond avec un sourire en coin, qui, en temps normal, me ferait sûrement tomber de ma chaise.
– Non, enfin... dehors... je lui explique, embarrassée.
Il ne répond pas tout de suite. Il le fait exprès, j'en suis certaine. Il sait que nous sommes le centre de l'attention depuis que j'ai ouvert la bouche, en lui adressant la parole pour la première fois de la soirée. Et il cherche à me faire rougir devant tout le monde.
– Allons-y, finit-il par déclarer, son regard intense toujours accroché au mien.
Il se lève après moi, nous nous dirigeons à l'extérieur du bar maintenant rempli de monde, et nous éloignons un peu de l'entrée où les fumeurs se tassent.
– Pourquoi tu me fais ça? lui lancé-je sans préambule.
Il se balance d'une jambe sur l'autre, et je suis troublée par son apparente nonchalance.
– Pourquoi je te fais quoi?
– Tu débarques ici, alors que je t'ai explicitement demandé de me laisser.
– Je t'ai dit que je voulais te voir.
– Et moi je t'ai dit que je ne le voulais pas.
A chaque fois que ces mots sortent de ma bouche, je suis certaine que le mensonge se lit sur mes lèvres.
– Tu as dit que tu ne pouvais pas, c'est différent. Donc j'ai trouvé un moyen pour que tu puisses.
Il a l'air tellement fier de sa petite mascarade.
– Comment tu t'y es pris?
– Tu veux vraiment le savoir? me demande-t-il, l'air tranquille.
– Tu as suivi Morgane, je l'ai bien compris. Mais elle n'était pas censée me rejoindre. Alors, qu'est-ce que tu lui as dit?
– On s'en fout, non? Alors maintenant, qu'est-ce qu'on fait?
– Crache le morceau Kyle.
Je sens la colère monter en moi.
– Je...ne préfère pas. Tu risque d'être encore plus furieuse, dit-il d'une voix un peu moins assurée, en essayant de m'envelopper. Je recule, bien que j'ai terriblement envie de me retrouver dans ses bras.
– Kyle, s'il te plaît, dis-moi.
– Bon, d'accord!
Il prend le temps de chercher les bons mots.
– Il semblerait que... peut-être, je lui aurais suggéré que tu m'aurais demandé de lui faire passer un message.
– Quel message?
Je suis certaine d'avoir les pupilles complètement dilatées de rage. Je sais déjà où il veut en venir, mais je nous donne un peu de temps, le temps de le laisser avouer, afin de ne pas m'emporter dans les secondes à venir, et me ruer sur lui comme une furie.
– Eh bien, que tu lui aurais demandé, disons... suppliée, de venir te rejoindre. Mais que je ne me souvenais pas de l'endroit où tu sortais.
Je reste silencieuse, ferme les yeux, essayant d'ingérer ses paroles. Vraiment, il ne vaut mieux pas que je parle, ou je risque de lui exploser à la figure.
– Et je lui aurais aussi suggéré de t'envoyer un message pour savoir où tu allais.
Et là, je ne sais pas ce qui m'arrive, mais plutôt que guidée par la fureur, je suis prise d'un fou rire incontrôlable. Je ris, et ris encore, j'en ai des crampes tellement je ris. Impossible de me stopper. Kyle me regarde inquiet. Il doit me prendre pour une folle à cet instant. Et je finis par lâcher en riant de plus belle:
– T'es un grand malade Kyle! Sérieux, faut te faire soigner! Un malade, manipulateur, machiavélique.
– Rien que ça, hein?
Il paraît soulagé, et finalement amusé aussi. Je poursuis:
– Tu ne supportes pas qu'on te dise non. Tu ne peux pas le supporter, pas vrai? Alors tu es prêt à tout pour avoir ce que tu veux.
– C'est possible.
– Et ce que tu veux de moi, c'est que je sois comme toutes les pétasses que tu te tapes, et que je te dise oui, que je dise oui pour une soirée, et une autre, et peut-être même encore une autre, et que je te dise oui dans ton lit plus tard. Tu voudrais que je ne te refuse rien.
Sous prétexte que je suis complètement folle de toi, ai-je envie d'ajouter. Mes yeux sont certainement sombres, braqués sur lui, ma voix grave et basse. Il se rapproche de moi doucement, comme pour attraper un animal sauvage prêt à bondir, un sourire rassurant sur les lèvres, et m'enlace par la taille, son regard incisif planté dans le mien, que j'imagine brillant comme celui d'un chat dans la nuit. Et pour une raison que j'ignore, ou plutôt parce que j'ignore ma raison, je me laisse aller dans cette étreinte trop exquise pour me l'interdire, et sens mes muscles tendus par la colère se relâcher.
– Tu as en partie raison. Je ne peux pas supporter que tu me dises non, c'est vrai. Mais rien à voir avec les "pétasses que je me tape", pour reprendre tes mots.
Il m'envoie un clin d'oeil, et me murmure à l'oreille:
– Sinon, je t'assure que je t'aurais baisé depuis longtemps.
J'inspire brusquement, prises de frissons délicieux à ces mots crus, et mon bas ventre se réveille instantanément. Alors que je devrais me sentir offusquée, je n'ai qu'une envie, là maintenant, c'est d'éliminer toutes ces filles qu'il a touchées, et d'être dorénavant la seule qu'il rendra folle de plaisir, comme dans mes fantasmes.
– Rentre avec moi, me propose-t-il doucement. Pour passer la nuit ensemble, juste comme lundi dernier. Et puis, je t'aiderai pour ton devoir, demain. Tu ne me croiras certainement pas si je te dis que je ne suis pas mauvais en anglais.
Il me lance un de ses sourires malicieux que j'adore. Mais j'essaie de ne pas me laisser déconcentrer.
– Non, Kyle , je préfère pas.
Je ne dois vraiment pas être convaincante. Mes gestes me trahissent en exprimant tout l'opposé de mon propos. Je me rapproche de lui, tend mon cou vers ses lèvres déjà tout près, pour qu'il embrasse ce point si sensible juste en dessous de mon oreille, et engendre de nouveaux frissons si agréables.
– Arrête de réfléchir, murmure-t-il dans mon oreille.
– Je n'y arrive pas.
Je réussis finalement à retrouver un peu de raison, m'extirpe légèrement de son étreinte, et lui assène sans le regarder:
– C'est facile pour toi. Tu changes de fille comme de slip. Une fois utilisée, hop! On passe à autre chose. Mais moi, je ne suis pas comme ça. J'ai voulu essayer, lundi, "sans réfléchir", comme tu me le rabâches, et, c'est vrai, j'ai passé une soirée juste... géniale. Mais après ça, mardi, mercredi, jusqu'à ce soir en fait, je me suis sentie... vraiment mal. Je... tu me plais Kyle, et je sais comment ça va se terminer. Et je suis sûre que toi aussi. Je vais m'attacher encore plus, et toi tu vas...
Je termine ma phrase sur la bouche délicieuse de Kyle, qui réussit à me faire taire ainsi. Il sépare ses lèvres des miennes pour me proposer encore une fois:
– Rentre avec moi. On en parlera à l'appart'.
– Je sais pas... Je vais perdre à la fin.
– Et qu'est-ce que tu as à perdre au juste? Viens avec moi, on va trouver une solution. Je.. j'ai envie de plus moi aussi.
Il souffle ces mots si doucement que je ne suis pas certaine qu'ils les ait prononcés. Je crois bien que si, pourtant.
Je le regarde incrédule. Il en veut plus... Il est prêt à faire des concessions... Je prends en compte sa proposition, fait tourner en boucle les mots qu'il vient de prononcer, et finit par accepter, misérablement malléable, comme toujours, prête à me perdre un peu plus pour avoir droit à des miettes de lui.
Nous rentrons dans le bar et rejoignons les autres. Je m'aperçois que Hugo est déjà parti. J'aurais aimé pouvoir m'excuser de ce qui s'est passé, mais dans un sens, je suis soulagée de ne pas avoir à le faire.
Je suis prête à me rasseoir à la place que j'occupais tout à l'heure, quand Kyle lance en regardant notre assistance:
– On va vous laisser, on y va.
Je jette un oeil dans sa direction, un peu déroutée, puis m'aperçois qu'Axel et Morgane nous observent, l'air encore plus surpris que moi, passant de mon visage à celui de Kyle, et vice versa. Mon meilleur ami finit par me demander:
– Tu veux que je te ramène?
– Mec, tu m'as entendu? On y va, le on signifiant Alice et moi.
Kyle paraît un peu agacé, et ajoute un geste de la main allant de lui à moi pour appuyer ses paroles. Axel l'ignore. Il a l'air inquiet. Et je sais bien pourquoi. Il a suffisamment ramassé les pots cassés il y a quelques années.
– Alice? insiste-t-il.
– Kyle, il me semble que j'ai mon mot à dire là-dedans, je lui souffle, exaspérée par son ton autoritaire.
C'est incroyable! Comment peut-il être si différent, et passer en quelques instants du mec super arrogant et imbuvable, au garçon doux, compréhensif et drôle, qu'il me fait découvrir à chacun de nos moments seule à seul?
Puis je m'adresse à mon meilleur ami:
– Ca va Axel. Merci, mais je vais rentrer avec Kyle.
– Tu es sûre de toi?
Est-ce une pointe de reproche que j'entends dans sa voix? Pour mon comportement? Pour ne lui avoir rien dit à propos de ce garçon à mes côtés?
– Axel, je t'assure, pas d'inquiétude, ça va aller. Et je dois parler à Kyle.
Morgane tente d'attirer mon attention, mais je prends soin de l'éviter. Mon américain, qui n'en perd pas une miette, commence à s'échauffer.
– Qu'est-ce qui se passe là? Sérieux, elle vient de dire que ça va. Vous me prenez pour qui au juste? Un serial killer?
Mes amis n'osent rien dire. J'essaie d'apaiser mon serial killer:
– C'est pas toi, Kyle. C'est ma faute. Ce sont mes chaperons.
Et je glousse, mais ça sonne un peu faux. Je vois que Kyle lance un regard insistant à Morgane, sûrement pour lui demander ce qui se passe, ou son appui. Quant à Axel, il ne se détend pas, et, même s'il me parle d'une voix rassurante et calme, je crois lire sur son visage de la désapprobation face à ce que je m'apprête à faire.
– Tu m'appelles si besoin, OK?
– Oui, papa, promis, lui dis-je avec une petite moue et un sourire.
Il ne me le retourne pas. Je m'avance pour l'embrasser sur la joue, et lui murmure à l'oreille:
– Ca va aller Axel, ne t'inquiète pas, s'il te plait. J'ai confiance en Kyle.
– Tiens moi au courant, d'accord?
– Je t'enverrai des messages.
– Et tu m'expliqueras, après.
– Promis. J'aurais dû le faire avant. Je suis désolée.
Pendant que nous discutons, j'entends Morgane s'adresser à Kyle.
– Fais gaffe, toi. Elle est fragile, tu le sais, hein?
– Arrête ça Morgane, c'est bon.
– Je rigole pas, Kyle. S'il te plait, n'oublie pas.
Je jette un oeil vers eux, et les vois se dévisager comme si une discussion silencieuse se déroulait entre eux.
– T'as terminé ton manège? C'est toi qui me dis ça... je sais, c'est bon, lâche-moi.
Il croise mon regard, paraît gêné un instant, et lance:
– Alice? T'es prête?
Est-ce que je le suis? Et après un bref aurevoir à mes amis, nous sortons hors du bar. Avant que la porte d'entrée ne se referme sur moi, je regarde une dernière fois dans leur direction, leur offrant le sourire le plus rassurant possible.
Mes petits rêveurs, encore et toujours, mille mercis pour vos petites étoiles et vos remarques. C'est super motivant de sentir que vous êtes avec moi dans cette histoire 😘❤😘
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