Chapitre 12

   Deux jours plus tard, je suis sur le chemin de la fac. Mon emploi du temps surchargé a été pire depuis que j'ai dit au revoir, définitivement, à mon prince charmant. J'ai essayé de n'avoir aucun moment de vide, pensant que ces journées tellement remplies m'éviteraient de gamberger à son propos, et me permettraient de m'endormir à l'instant où je me coucherais. Ca se saurait si c'était aussi simple.

Je n'ai, bien entendu, pas pu éloigner les pensées qui tournaient en boucle dans ma tête et me dévoraient le ventre, ni les rêves qui me surprenaient la nuit et me tourmentaient jusqu'à l'insomnie. La technique de Kyle, consistant à "ne pas réfléchir" ne fonctionne absolument pas pour moi. C'est encore pire qu'avantBien sûr que c'est pire! Comment ai-je pu être aussi sotte et crédule? Et imaginer que je pourrais oublier cette obsession qui n'avait pas besoin de cette soirée supplémentaire avec lui pour m'éroder un peu plus?

Bien entendu, je ne lui ai envoyé aucun message, et n'en ai pas reçu non plus de sa part. C'est terminé. Proprement terminé. Et pour le mieux. 

Evidemment, ça ne va pas me dispenser de subir la situation, au vu de ce que j'aperçois devant la faculté. Ou plutôt de qui j'aperçois. Il est avec deux autres étudiants que je ne connais pas. Je passe devant eux en le saluant cordialement. Il me retourne la politesse.

– Ca va?

– Oui, merci. A plus.

Et je m'enfuis, cachée derrière mes cheveux couleur miel, qui tombent lourdement devant mon visage lorsque je détourne la tête. J'accélère ma cadence, et, alors que je suis sur le point d'entrer dans le bâtiment où j'ai cours, j'entends un des garçons demander:

– Tu la connais? C'est pas celle que tu t'es tapée hier soir, celle-là. Elle est plutôt bonne dans son genre.

– Ouais, non, je la connais pas vraiment. Mais lâche l'affaire, rien d'intéressant.

J'avance sans me retourner. Mais mes oreilles bourdonnent, et mon ventre se tord de douleur. Ca me fait tellement mal de l'entendre parler de moi ainsi.

Et il est déjà passé à autre chose lui, alors? Pas très étonnant en fin de compte. Je me suis imaginé mes petits films toute seule, pensant qu'on avait quelque chose de particulier tous les deux, malgré la situation. Rien du tout en fin de compte.

Un instant, j'aurais préféré ne pas les avoir entendus. Mais c'est mieux ainsi. Ca va sûrement m'aider à tourner la page plus rapidement, non? Et je me répète alors ce que je me suis répétée en boucle ces deux derniers jours: c'est terminé.

   Le lendemain midi, je profite d'une courte pause avant mon prochain cours pour grignoter un sandwich, assise à une table sale de la minuscule cafétéria de la fac, quand je reçois un texto de... de Kyle? Encore? Déjà la veille, malgré ses propos blessants devant la fac, il m'en a envoyé un. Juste avant que je parte pour la crêperie, il m'a demandé si je travaillais. Et je ne lui ai pas répondu. Je regarde la petite icône en forme d'enveloppe plusieurs fois avant de me décider à l'ouvrir: "On peut se voir ce soir?"

J'en reste bouche bée. Est-ce que je dois lui répondre? Cette fois, je n'arrive pas à me restreindre, et me décide à écrire: "Tu sais bien que non".

Je reçois après quelques minutes d'attente: "Juste pour ce soir. Sans réfléchir, comme lundi ;)".

Non mais sérieusement, me proposer ça maintenant, il se moque de moi. "Non, je peux pas. Ne m'envoie plus de message stp".

Je reçois illico: "Si, tu peux, il suffit d'arrêter de te prendre la tête".

Il se fiche de moi. Après ses propos devant la fac, ce n'est pas possible autrement. Je vais le faire réfléchir un peu... Alors j'écris: "Je peux vraiment pas, je sors avec quelqu'un d'autre".

Mon téléphone sonne presque immédiatement. Et, comme je suis complètement accro, et idiote, et désespérée, je réponds.

– Tu sors? Avec qui? Avec ton pote Axel?

– Ca ne te regarde pas Kyle. On s'est mis d'accord pour arrêter ce petit jeu. Alors s'il te plaît, laisse-moi, ne m'appelle plus, ne m'envoie plus de message.

– T'as pas perdu de temps dis-moi.

– Je te le répète, ça ne te regarde pas. Et puis qu'est-ce que ça peut te faire? Tu t'es pas gêné à ce que j'ai compris. Et puis merde, je m'en fiche de toute façon. Et je n'ai pas à me justif...

– Où tu vas chercher ces conneries?

Il m'engueulerait presque.

– Je t'ai entendu, avec ton copain, hier matin devant la fac.

– Mais il déconnait, râle-t-il agacé. Il savait que tu pouvais entendre, shit. Il a voulu me faire chier, c'est tout. Et moi j'ai juste voulu lui faire comprendre qu'il avait pas intérêt à s'approcher de toi.

J'inspire et expire à fond, pour calmer ma voix qui tremble, tout autant que mes mains. Comment fait-il pour me mettre dans cet état? Je prends tellement tout à coeur avec lui.

– Bon, de toute manière ça ne me regarde pas.

J'incline la tête légèrement en arrière, et ferme les yeux pour essayer de me calmer, le téléphone toujours à l'oreille. J'ajoute le plus posément possible:

– Je suis sérieuse Kyle. Arrête de m'appeler s'il te plaît. C'est... pas facile quand tu m'appelles...

– Alors sors avec moi ce soir. Si c'est pas facile, on n'a qu'à se voir, c'est aussi simple que ça.

– Tu as entendu ce que je viens de te dire? Je voudrais passer à autre chose! Je t'ai dit que c'était pas possible. Laisse-moi maintenant, ne me contacte plus, OK? Au revoir.

Je raccroche. Je sens la colère m'envahir. Ne pourrait-il pas avoir un minimum de respect pour moi, et arrêter de me tourmenter? Il a l'embarras du choix, avec toutes ces filles qui doivent lui tourner autour. Alors, qu'il me laisse l'oublier, et reprendre tranquillement ma petite vie paisible. Insipide. Il essaie de me rappeler plusieurs fois, mais j'ignore chacun de ses appels.

Il y a comme un air de déjà-vu, non? Il me méprise aux yeux de tous, puis m'appelle pour s'expliquer et me voir. Mais cette fois-ci, j'ai réussi à mettre fin à cette petite ritournelle trop nocive pour moi.

   Je suis bien avec quelqu'un ce soir, mais comme l'a pressenti Kyle, ce n'est autre qu'Axel accompagné de son ami et colocataire Hugo, qui sont installés en face de moi, à une table abîmée du bar où nous nous étions donnés rendez-vous, à Oberkampf.

Dans ce quartier, on peut trouver tout un tas de petits endroits sympas pour boire un verre dans une ambiance décontractée, mais pas trop dépravée. Juste ce qu'il nous faut. Nous sommes installés depuis une bonne heure, et buvons tous les trois une bière hors de prix.

– Je pense que je vais rentrer chez mes parents le week-end prochain, annoncé-je à mes acolytes.

– Ah bon? Dis donc, qu'est-ce qui t'arrive? L'an dernier tu as dû rentrer deux fois; et encore, c'était pour Noël et l'enterrement de ta grand-mère.

Axel a raison, je ne rentre jamais chez nous. J'ai de plus en plus de mal à supporter mes parents plus d'une journée. Quant à mon frère, il est à un âge où me voir n'est pas sa priorité. Je le croise à peine, toujours chez des potes.

– Je sais. J'ai besoin de... changer d'air.

– Je ne sais pas si c'est le meilleur endroit pour "changer d'air".

Je vois bien que mon meilleur ami est préoccupé par mon état depuis plusieurs jours. Je ne lui ai rien dit à propos de Kyle, et par conséquent, je comprends qu'il ne voie pas d'un bon oeil mon retour chez moi. Il ne sait pas ce qui m'arrive. Et notre petite ville natale est trop empreinte de mauvais souvenirs du lycée. Il ajoute:

– En tout cas, je ne pourrai pas t'accompagner. J'ai des rendez-vous.

Lui aussi me cache des choses. Je le sens. C'est sûrement dû à sa copine. Je me demande vraiment s'il compte m'en parler bientôt. Peut-être qu'il veut que je me confie, moi, avant.

– Vous habitez où déjà? demande Hugo.

Je l'aime bien, ce grand timide, même si je le connais peu finalement. Il est plutôt mignon. Métisse, aux yeux noisette, très réservé et gentil au possible.

– Dans un trou pommé, je marmonne. La Ferté, c'est à une heure trente en RER, au sud de Paris.

– Oh, pas cool quand on est ado, ça. Moi qui me plaignais d'être à Versailles.

– T'as tout compris. Bref, je voulais rentrer dès ce week-end, mais j'ai un boulot monstre et deux gros rendus à terminer pour la semaine d'après.

– T'as quoi à faire? me demande Axel.

– Un truc avec Morgane, et un autre en anglais, je suis tellement pas motivée!

Et, là, bien sûr, je pense à Kyle. Il me donnerait sûrement une raison d'être motivée, s'il m'aidait pour ce devoir... Stoppe ça tout de suite, Alice Chapellier! C'est terminé. J'ai oublié de me répéter mon mantra l'espace d'une seconde.

– Je peux t'aider si tu veux.

La surprise doit s'entendre dans ma voix haut perchée lorsque je réponds à Hugo.

– Toi?

– Oui, je suis plutôt bon en anglais.

– Ah ouais? Alors, pourquoi pas... Merci, vraiment.

– On peut se voir demain ou dimanche si tu es pressée.

– OK, super! Vraiment! je répète, essayant de me convaincre que c'est pour le mieux.

   Une demi-heure plus tard, je pose une énième fois mes lèvres sur le bord de mon verre, lorsque je suis à deux doigts de recracher la gorgée que je viens de prendre. Et mon visage se vide de toutes ses couleurs.

– Salut.

Morgane et Kyle viennent de nous rejoindre.

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