Chapitre 2 : Jamais dormir, toujours courir
Il faisait chaud, très chaud. Cependant, il faisait encore plus chaud sous cet équipement de vingt à trente kilos que devaient supporter sans cesse les conscrits appelés à mener la guerre au Vietnam. Les balles fusaient, les oreilles sifflaient et après le bruit, c'était à l'intérieur des esprits que tout se passait. La vraie guerre n'était pas seulement là, sous les yeux terrifiés, sous les visages brûlés, les figures rongées de sang des chevaliers combattant à contre-cœur, elle était dans leurs pensées sombres de réflexions à la profondeur de l'océan. La vraie guerre n'était seulement pas dans les fusils et les balles bouillantes du feu de la haine, mais dans les pieds en pierre des fuyants, dans les bandages des blessés rentrant chez eux le visage rongé par les séquelles, des traumatismes à vie et traînant derrière eux une existence pleine de remords. La guerre était dans ces trois futures générations de Vietnamiens cancéreux, dans ces condamnés à mourir pour la connerie de leurs ancêtres.
Il n'y avait pas de méchantes ni de gentils. Il n'y avait que des victimes.
Un hélicoptère vînt se poser au sain d'un petit village entre une montagne et deux buissons décharnés. L'hélice fouettait l'air humide et le sable. Lorsqu'il fut posé, deux hommes en kaki en sortirent, encombrés d'un gros carton rempli de nombreuses enveloppent. Les deux hommes s'approchèrent du camp de soldats planté au milieu de ces maisons en toit de paille.
Trois autres hommes étaient assis. Parmi eux, notre homme, abordant ses cheveux verts avec fierté, un peu de terre sur sa peau mate. Il tapotait de ses doigts frénétiquement sur la table de bois, celle-ci même sir laquelle un peu plus tôt un de ses camarades avait renversé sa bière. Il grimaça et retira vivement ses mains, puis porta son regard sombre vers les deux hommes qui venaient d'arriver et de jeter leur fardeau sur cette même table souillée. Ils regarda minutieusement ces hommes qui prenaient les lettres et les remettaient dans le carton d'un air désintéressé. Un des deux sortit une pile de lettres, les regarda, regarda Zoro, puis fit en les lui lançant
- Eh ben ! Ta femme s'est pas foulée sur les lettres.
L'homme ricana en jetant un coup d'œil à son coéquipier. Zoro ne répondit pas, il réceptionna les lettres, et les ouvrit une à une. Il passa celles qui ne contenaient que des insultes, le sourire aux lèvres. Il avait l'impression de retrouver sa routine bien aimée, les insultes de son amant à travers un bout de papier, leurs engueulades qui résonnaient dans les couloirs et se répercutaient sur les murs (jusque dans les oreilles des voisins). Dans la pluie lourde il essayait de retrouver ses longues douches prises avec son Sanji (pas souvent dans le but de se laver), dans la terre moite le potager qu'ils avaient en vain essayé de planter, et dans les coups de feu... ah nan, pas les coups de feu.
Il s'empressa de lire d'un air grave les quelques mots à peu près potables de son homme, puis décida de lui répondre, qu'il avait déjà assez attendu à se confier. Dès qu'il voyait quelque chose d'intéressant ou de comique, il se disait "Tiens, voilà encore quelque chose à raconter à Sanji à mon retour". Ou pas, pensait-il ensuite. Les tirs bruyants et les cris de ses coéquipiers le sortaient de ses pensées, de cette bulle qu'il se formait et qu'on lui arrachait à chaque fois. Les choses horribles, il les garderait pour lui, au fond, bien loin de l'encre sur le papier, ou de ces mots doux qu'il réservait à son amant. Tout va bien, pensait-il, alors que son cœur sanglotait.
Il secoua sa tête comme pour croire que ça allait chasser les mauvaises pensées. Il faut bien croire en quelque chose quand tout au monde ou autour de nous ne peut être nié. Il pensa à son Sanji, là-bas, seul. Ça le motiva à lui écrire.
Salut. Sanji.
Je ne sais pas par où commencer. C'est toujours plus facile d'écrire que de parler. Pour n'importe qui. On nait et on meurt avec la parole mais on reste muets comme des tombes toute notre vie, puis la mort nous rattrape. Moi, je ne sais même plus ce qui me rattrape.
Peut-être tout ce temps passé avec toi. Je le regrette. Tu me manques encore plus que je ne l'aurai pensé. J'ai l'impression de courir après quelque chose sans savoir pourquoi. Ça m'essouffle.
Tu me demandes comment ça se passe là-bas ? Disons que ça ne peut se passer bien. Je suis à la guerre, pas au supermarché. Mais des fois je me dis que ça pourrait se passer pire que ça. Et je me tais. On se tait. On fais ça pour... le Vietnam, le petit honneur des Etats Unis. Je ne sais pas si j'ai le droit d'en parler. Par principe.
Tu sais quoi ? Quand j'étais gosse, je voulais devenir un héros, comme tous mômes de mon âge. Je voulais sauver des vies, comme je le voyais dans les journaux, racontant les exploits des policiers du quartier, ou dans les BD s, où le héro fracassait les méchants en un coup de poing. Ce qu'il me plaisait, c'était cette puissance, cette domination. Je voulais devenir de ces gens là qui décident de mettre l'individuel au prix du collectif.
Maintenant que j'ai lieu d'en être un, je me fous la gerbe. Parce que je n'ai pas choisi. Je n'ai pas choisir de devoir enfoncer ces putains de balles dans les têtes des pères de familles, des fils, des frères, de voir crever des enfants au péril de nos frontières à la con, d'entendre, la nuit, d'imaginer, les cris des femmes des bonshommes que j'ai tué parce que l'on me disait de le faire, parce qu'on me disait que je serai un héro. Parce que je n'ai pas choisi de retirer toutes ces vies. l'Homme ne devrait pas avoir ce pouvoir, il ne devrait pas s'en extasier. C'est juste dégueulasse, parce que je dois me faire passer pour ces hommes là.
Si être un héro signifie tuer pour être aimé, je fais un gros doigt à la maison blanche et je pars m'installer je sais pas où en Europe.
Tu sais quoi, il y a quelques minutes, je pensais écrire une carte postale, et voilà que je me lâche. Je n'ai jamais réussi à te mentir, comme si je sentais ton regard peser sur moi d'ici. Quelque part ça me rend poète.
Le premier homme que j'ai tué, je crois que je ne l'oublierai jamais. C'était lors d'un assaut. J'ai entendu mon supérieur me hurler dessus. J'ai senti sa fureur. Je ne sais même pas ce qu'il m'a pris. J'essayais d'éviter soigneusement de faire ça, depuis mon arrivée. Mais j'ai tiré. Quand j'y repense, j'aurai pu continuer à feindre de ne pas savoir viser, il m'auraient peut-être renvoyé chez moi. En fait, j'avais si peu d'espoir que ça arrive que j'ai abandonné. J'ai tiré. A peine avais-je senti le tremblement de l'arme, que je sentais déjà une boule se figer dans ma gorge. En contre-bas, un homme était tombé, et dans sa chute, une famille appauvrie, accablée, les larmes d'une femme, d'une mère, d'un fils ou d'une fille, des années de galère, un brèche dans le cœur d'une génération, une vie en moins sur terre. Tout ça provoqué par Roronoa Zoro. Ce soir là, j'ai du avoir la mine bien sombre, car les hommes de ma troupe ont tout de suite compris : "- te fais pas un sang d'encre pour ça, moi aussi, à ma première fois, je me suis senti un peu coupable. Puis on finit par s'habituer, par nécessité. Et puis, on fais ça pour la bonne cause."
Ce qui me fout la gerbe, c'est qu'il parlait d'humains, d'une vie, sur un ton désintéressé. N'y a t'il pas autre chose à faire pour la bonne cause ? Est-ce que eux aussi, ils pensent comme moi ? est-ce-que eux aussi se voilent la face, se disent que demain sera un jour meilleur, et finissent par s'endormir entre des sanglots étouffés ? Est-ce-que je suis le seul dans ce putain de pays, dans cette putain de guerre débile, à trouver tout ça complètement con !?
Tu me manques foutrement. J'ai envie de sentir encore une fois les effluves de ton parfum lorsque tu sors de la pièce. Nos engueulades me faisaient me sentir vivant. J'ai juste l'impression d'être un meurtrier. Je regrette, j'aurai aimé parler plus, te poser des questions, un travers un morceau de papier, mais ici j'ai l'impression que le temps presse continuellement, même la nuit il peut arriver quelque chose, et, comme le dis mon chef, il faut jamais dormir, toujours courir.
Je n'étais pas essoufflé quand j'ai lu ta lettre. J'avais chaud au cœur. Tout ce qui compte pour moi à cet instant, c'est que tout ce bordel se termine très vite, que je puisse à nouveau avoir le plaisir de te faire la vaisselle, si tu acceptes de la faire avec moi (évite s'empiler trop de trucs sur le plan de travail, par contre).
Je t'aime encore plus que tu ne m'aimes,
Ton homme, Zoro (et pas le voisin, et d'ailleurs, je sais qu'il a des vues sur toi, alors si tu pouvais éviter de sortir de chez toi en mon absence).
~
Pow pow ! Et c'est ce que l'on appelle du One shotage dans le millieu ! Aïe mes mains. J'espère que ce chapitre un peu plus long que le premier vous aura plus ! et en attendant le prochain,
Portez-vous bien !
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