Prologue : Good kisser

La musique se déverse à flots dans les haut-parleurs et la foule saute en rythme, bras levés. Pour ma part, je suis accoudée au bar, attendant que le beau gosse derrière le comptoir me serve. À peine a-t-il déposé le verre dans ma main que je le descends cul-sec et le lui rends, vide, avec un grand sourire. Ses yeux me détaillent un instant, puis il est appelé de l'autre côté et se détourne.

– Viens !, fait une voix dans mon oreille.

Une main encercle mon poignet et me tire sur la piste de danse. Baissant les yeux, je m'aperçois que les doigts posés sur ma peau ont une couleur de chocolat au lait.

– Allez viens, crie Anthony en me tirant un peu plus vers lui. On est pas loin du décompte !

– Où sont Lin, Kris et Jake ?, je hurle en retour.

Pas moyen de faire autrement, le son est tellement fort ! D'un autre côté, ce n'est pas pour rien qu'on aime venir au Senator Jones, mes amis et moi. Avec le temps, c'est devenu notre club favori, celui auquel on se rend bien trop de fois pour les compter. Toute l'équipe nous connaît, à présent – ça tient peut-être aussi au fait que j'ai couché avec l'une de leurs barmaids, une ou deux fois.

Anthony m'entraîne toujours plus loin et enfin, nous rejoignons le reste de la bande. Avec Lindsay, Kristen et Jacob, nous nous connaissons depuis le lycée ; c'est la neuvième fois très exactement que nous fêtons la nouvelle année ensemble.

Soudain, la musique retombe. Si elle reste totalement présente en arrière plan, on pourrait presque entendre une mouche voler. Habituée au vacarme qui rugit depuis au moins trois heures et demi, j'ai l'impression qu'on m'a retiré un organe vital sans prévenir.

Un instant déstabilisée, je lance un regard circulaire sur la pièce. C'est étrange comme, sans la musique à fond, les lieux semblent différents. Pourtant, rien n'a changé.

À quelques mètres de moi, une silhouette se tient immobile, m'observant. Si l'inconnu porte une capuche qui cache ses traits, ses yeux brillent néanmoins à la lumière des néons. Pourquoi reste-t-il à couvert ? A-t-il quelque chose à cacher ?

Avant d'avoir pu m'interroger d'avantage, la voix du DJ, amplifiée, résonne dans la salle :

– Dix... neuf... huit...

Je rejette la tête en arrière, mes longs cheveux roux retombant en cascade dans mon dos. Comme chaque personne présente, je m'apprête à hurler les derniers chiffres du compte à rebours.

– Sept... six... cinq...

Le DJ baisse la musique tandis que les cris augmentent de volume, pulsant sous mon crâne comme le sang dans mes veines. Dans quelques secondes, 2016 sera derrière nous. Dans quelques secondes, je me débarrasserai enfin de cette année merdique.

– Quatre... trois... deux...

N'écoutant que mon instinct, j'attrape le mec à la capuche avec force.

– Un... BONNE ANNÉE !!

Les sourcils du garçon se froncent alors que je capture ses lèvres des miennes. Embrasser des inconnus dans une boîte de nuit ne m'a jamais paru une activité sympathique, mais il s'agit du passage à l'année 2017 : il faut marquer le coup. De plus, si le gars a d'abord pris peur, voilà qu'il répond à mon baiser.

Je tire un peu plus sur le tissu de sa capuche. Putain, il embrasse bien ce con ! Peut-être que l'année va démarrer en beauté, finalement. Peut-être que je vais pouvoir oublier toutes les merdes qui me sont arrivées avant.

Je m'écarte enfin de l'inconnu, dont quelques mèches brun clair s'échappent de la capuche pour lui retomber sur le front. Il me contemple, interdit.

– Qu'est-ce que..., commence-t-il en secouant la tête, l'air sonné.

Le pauvre, ça ne lui est jamais arrivé d'embrasser des gens en boîte de nuit ? Remarquez, moi non plus en général, du moins pas sur un coup de tête comme maintenant. D'habitude, je flirte en premier, et s'il y a un bon feeling, on peut passer aux choses sérieuses. Entre nous, ce n'est pas arrivé aussi souvent que j'aime à le faire croire – mais on a tous nos petits secrets, pas vrai ?

– Bonne année, je dis en souriant au gars en face de moi.

J'aimerais lui expliquer que si je l'ai embrassé, c'est seulement parce que A) j'ai peut-être bu un peu plus que de raison, B) je le trouvais mignon et C) j'avais envie de démarrer l'année de cette manière. Rien de fou non plus, qu'il se rassure !

Cependant, son regard semble me transpercer et ma belle assurance fond aussitôt comme neige au soleil. D'accord, nous sommes en Californie, où il fait chaud la plupart du temps, mais tout de même ! On est en plein hiver, la métaphore est d'actualité.

– Je m'appelle Églantine, je lâche.

– Et moi...

Je n'entends pas la fin de sa phrase, Anthony m'a attrapée par le bras pour me serrer contre lui et me souhaiter une bonne année. Bientôt, les autres nous rejoignent et je suis engloutie sous l'amitié inconditionnelle de quatre imbéciles. L'inconnu sourit et fait demi-tour. Je détourne les yeux ; je sais déjà que je ne le reverrai jamais.

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