Chapitre 5 : Inconsciente
Dessinant distraitement du bout des doigts dans le sable, j'attends que mes amis réagissent. Je viens de raconter l'histoire improbable qui m'est arrivé ce week-end, le coup de Twitter et d'Andrew Garfield ; à leurs sourcils froncés, je devine qu'ils réfléchissent à la situation.
– Dites quelque chose, enfin !, je m'impatiente.
– Qu'est-ce que tu veux qu'on dise ?, demande Jacob avec un haussement d'épaules.
– Si on récapitule, intervient Lindsay, tu as posté un tweet parce qu'on refusait de te croire au sujet d'Andrew Garfield. Andrew Garfield qui a, comme de par hasard, répondu à ton tweet puis avec qui tu as discuté. Enfin, pour terminer, il t'a donné son numéro et tu l'as appelé. J'ai bien résumé la situation ?
Je hoche la tête, l'air grave.
– Tu as téléphoné à un inconnu qui se faisait passer pour Andrew Garfield, donc. Ce qui signifie que maintenant, il a ton numéro de téléphone.
De nouveau, je hoche la tête.
– C'est ça. Au final, c'était bel et bien Andrew Garfield. J'avais raison, c'est lui que j'ai embrassé au Senator Jones pour le Nouvel An. Vous ne m'avez pas crue, mais c'est la vérité.
– Ça reste encore à prouver, marmonne Lindsay. Ce qui m'inquiète plus, c'est que tu as aveuglément balancé ton numéro à un inconnu.
– T'es complètement inconsciente, c'est dingue !, s'écrie Kristen en portant une main à ses lèvres.
– Elle a raison, renchérit Anthony. Iggy, tu te rends compte de ce que tu as fait ? Tu as donné ton numéro à un inconnu qui savait déjà où tu habitais... Ç'aurait pu être catastrophique. Tu sais que je t'adore, mais sur ce coup-là, tu as été très conne.
Je lève les yeux au ciel. Bien sûr, ils ont raison, mais je ne leur ai pas parlé de cette histoire pour qu'ils me sermonnent. Je voulais simplement leur prouver que j'avais raison, pour le Nouvel An. Je m'attendais à des excuses, pas à des remontrances.
– À défaut de l'ignorer, t'aurais au moins pu te mettre en numéro masqué, soupire Lindsay.
En numéro masqué ? Je réprime à grand peine un rire nerveux : ça ne m'a même pas traversé l'esprit ! Comment j'ai pu ne pas y penser ? Je ne suis pas si stupide que ça, d'habitude ! Ou peut-être que si, justement ?
– J'avais pas pensé à ça, j'avoue, un peu honteuse. Mais bon, pour en revenir au véritable sujet principal, j'avais raison et vous aviez tort. J'ai bien embrassé Andrew Garfield au Senator Jones.
« Et en plus il embrassait super bien », je pense sans pour autant l'ajouter. Ce détail ne les concerne pas.
Non, je ne suis pas décidée à lâcher l'affaire ! Je suis têtue comme une mule, et tant que je n'aurai pas eu droit à des excuses, je ne laisserai pas tomber. À leurs regards sceptiques, je sais qu'ils en sont totalement conscients. C'est en partie pour ça qu'ils m'aiment, non ? Par contre, je n'ai pas l'impression qu'ils soient prêts à s'excuser.
– Écoute, Iggy..., commence Jake, l'air sérieux.
Je n'aime pas quand il prend ce ton grave pour parler, ça signifie toujours qu'il va dire quelque chose de risqué.
– Je sais ce que tu as vu, ou cru voir, mais... Ça ne tient pas debout. Que serait venu faire Andrew Garfield en boîte pour le Nouvel An ? Seul ?
Il pousse un long soupir.
–Non, ce que moi je crois, c'est que la personne que tu as eue en FaceTime, tout en étant la même que que celle que tu as embrassée au Senator Jones, te fait marcher.
Jacob jette un rapide coup d'oeil aux autres comme pour demander leur permission avant de poursuivre :
– C'est sûrement un sosie, qui essaie de profiter de ta crédulité...
– Moi, je suis crédule ?, je le coupe avec véhémence. C'est bien ce que tu es en train de dire, là ? Tu me traites de fille naïve ?
– Ce n'est pas ce que j'ai dit, je...
– Oh si tu l'as dit !, je crie, excédée par ses éternels paradoxes. Mais c'est pas tant que tu le dises, le problème c'est que tu le penses sérieusement, je le vois à ta tête !
Je me suis levée en cours de route et, alors que je fais de grands gestes pour appuyer ma tirade, je sens les regards des gens alentour se braquer sur ma personne.
– Et vous ?, j'invective le reste de mes amis. Vous pensez que je suis une pauvre petite idiote, vous aussi ?
Ils ne répondent pas, ce qui en soi constitue une réponse tout à fait claire. Inutile de le stipuler, je suis vexée. Je me suis déjà disputée avec mes amis, plus d'une fois – je suis parfois trop butée, comme fille –, toutefois là c'est autre chose. Qu'ils refusent de me croire malgré toutes les preuves que je leur ai apportées, passe encore. Qu'ils m'infantilisent, qu'ils m'insultent sans aucun état d'âme, ça, ça ne passe pas.
Sans rien dire de plus, je m'éloigne d'un pas rageur, soulevant un nuage de sable fin. Les larmes me montent aux yeux ; je les refoule du mieux que je peux. J'ai toujours détesté pleurer.
Je n'ai pas fait cent mètre qu'une main se pose sur mon épaule. Je me retourne aussitôt.
– Anthony, je lâche calmement.
Je ne suis calme qu'en apparence. À l'intérieur, je bous : la colère et la peine se mélangent en moi dans un cocktail dangereusement explosif.
– Iggy... Écoute, je suis désolé. Je ne veux pas que tu penses que... Iggy, tu pleures ?
D'un violent revers de main, j'essuie les larmes qui roulent sur mes joues.
– Je vous ai donné toutes les preuves et vous ne me croyez quand même pas, je souffle. Pire encore, vous insinuez que je suis une petite fille candide.
– Iggy, essaie de nous comprendre. Tu maintiens que tu as embrassé un acteur célèbre de dix ans ton aîné en boîte, ça n'a aucun sens. Si encore il avait été encadré par des paparazzis, ou des gardes du corps... Mais non. Je suis désolé si ça te fait mal de l'entendre, mais oui, sur le coup, tu as été totalement inconsciente. Tu as donné ton numéro à un gars que tu ne connais pas, alors que lui savait beaucoup de choses à ton sujet.
Il lève une main entre nous pour m'empêcher de l'interrompre.
– Je sais. Ça ne veut pas dire que tu es stupide, Iggy. Simplement qu'on s'inquiète pour toi parce qu'on est tes amis et qu'on ne voudrait pas qu'il t'arrive quelque chose.
Je renifle bruyamment. D'accord, je comprends bien ce qu'il me dit, seulement...
– Vous êtes mes amis mais vous refusez de me croire, je dis avec amertume.
– Iggy, tu nous croirais toi, si on te racontait une telle histoire ? Sincèrement ?
– Vous êtes mes amis !
Ce qui ne répond pas vraiment à sa question, je le sais. Cependant, j'ai une confiance aveugle en mes amis : ils pourraient me raconter qu'ils ont volé la Lune que je me contenterais d'acquiescer. Enfin peut-être pas, mais vous m'avez comprise.
– D'accord, mais avoue que ça n'a aucun sens, Iggy !
La colère revient aussitôt. Aucun sens, et alors ? Comme s'il fallait chercher du sens dans tout ce qui se passe sur cette fichue planète !
– Comme ta relation avec Jonah, c'est ça ?, je crache, venimeuse.
Les mots n'ont pas fini de franchir mes lèvres que déjà je les regrette. Je n'aurais jamais dû dire une telle chose. Toutefois, j'ai trop de fierté, mon égo est trop blessé, pour que je songe à m'excuser.
– Je sais que tu es en colère Églantine, mais ce n'est pas une raison pour être délibérément blessante avec moi.
Si Anthony semble calme, je le connais assez pour savoir qu'il n'en est rien. Il ne m'appelle jamais par mon prénom complet, d'ordinaire.
– Dans ce cas il ne fallait pas commencer, je réplique froidement.
Je vois dans les yeux de mon ami que je l'ai réellement blessé, autant que si je lui avais planté une dague en plein cœur. Cette fois, il ne fait pas mine de me rattraper tandis que je m'éloigne.
Aucune larme ne coule plus sur mon visage ; j'ai le cœur en miettes. Pourtant, je fais comme si tout allait bien le temps de rentrer chez moi.
Lorsque la porte se referme enfin, je m'écroule et pousse un long hurlement qui résonne dans la pièce et brûle mes cordes vocales.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top