Chapitre 4 : Andrew Garfield
– Non mais je rêve !, je m'exclame tandis que, face à moi, un homme me sourit de toutes ses dents.
Ces cheveux bruns ébouriffés, ces yeux marron, cette allure un peu débraillée... Pas de doute, c'est lui que j'ai embrassé au Senator Jones pour le Nouvel An. Mesdames et messieurs, vous ne rêvez pas : j'ai face à moi Andrew Garfield.
– Je dois dire que tu n'es pas très reconnaissante, raille-t-il. Je te dis que je te crois, et toi tu mets en doute ma parole ?
Je sens le rouge me monter aux joues, chose qui ne m'arrive que très rarement, contrairement à Kris ou Lindsay.
– En même temps, je réplique, tu y aurais cru, toi, à ma place ?
Il hausse les épaules avec désinvolture, sans se départir de son rictus narquois.
– Probablement pas, c'est vrai, admet-il.
– Ha, tu vois !, je jubile.
Je n'en reviens pas du ton que j'adopte avec lui. Je devrais trembler, me demander si je rêve, comme toute personne normale le ferait face à une star de cinéma. Pourtant, je ne peux m'empêcher de réagir comme je le ferais avec mes amis. C'est troublant, et en même temps tellement pas.
– D'ailleurs, comment ça se fait que tu sois en incognito ? Les célébrités sont pas censées avoir des comptes avec des millions d'abonnés, genre ?
Andrew pouffe.
– Et pour quoi faire ?, demande-t-il. J'ai pas besoin d'un compte avec des millions d'abonnés, je ne ferais que recevoir des messages privés de fans. Attention, c'est pas que j'aime pas mes fans, hein, mais...
– T'as pas tout à fait tord, je consens. Je n'avais pas pensé à ce détail. Et donc, tu as fait un compte inconnu pour... pour quoi, au juste ? Épier l'activité liée à ton nom ?
– Exactement ! C'est comme ça que j'ai trouvé ton tweet.
Le brun soupire ; la caméra se brouille un instant, pixelisant l'écran, avant de revenir à la normale.
– Je n'aurais jamais pensé te retrouver, en réalité, continue-t-il comme si de rien n'était. À vrai dire, si tu ne m'avais pas donné ton prénom, je ne l'aurais jamais fait.
De nouveau, il pousse un long soupir. Quant à moi, je ne réponds rien. J'ai un peu honte de ma conduite ce soir-là, pour être honnête. Je n'avais jamais agi de la sorte avant, je ne sais pas vraiment ce qui m'a pris. Les évènements de l'année n'étaient pas une excuse pour embrasser un inconnu dans un club.
– Alors ton nom c'est Églantine ?, reprend Andrew. Est-ce que tes potes t'appellent Egg ?
Je n'ai pas besoin de contempler la petite image de moi-même en bas de l'écran pour savoir que je fais automatiquement la moue. Egg, je déteste ce surnom. Comme si j'avais une tête d'oeuf ! (nda : ''egg'' veut dire œuf en anglais)
– Seulement ceux qui veulent me vexer, je réponds. Ou mes frères, bien qu'ils fassent partie de la première catégorie.
Je prends une grande inspiration avant de reprendre :
– Non, en général, moi c'est Iggy.
– Iggy... J'aime bien. C'est plus facile à prononcer qu'Églantine, en tout cas. C'est pas américain comme prénom ça, si ?
Je ris doucement.
– C'est français, j'explique. Ma mère est française, et si elle a aménagé ici avec mon père, elle n'a jamais renoncé à ses origines. Mes frères s'appellent Armand et Flavien.
Cette fois, c'est lui qui rit. Au collège, j'ai connu une fille qui avait un rire tellement communicatif que toute la classe riait avec elle sans jamais savoir pourquoi. Andrew, c'est encore le niveau au-dessus ; je ne peux empêcher un sourire de s'étirer sur mes lèvres.
– Flavien et... Armand ? Comment je suis censé prononcer ça moi ?
Je m'esclaffe bruyamment. Oh, bon sang ! Cette manière qu'ont les américains de prononcer les noms français, c'est tordant ! Comment ça, je suis américaine aussi ? Peut-être, toutefois je suis capable de donner la bonne prononciation des noms français sans hésiter une seule seconde.
– Ar-mand, je dis en détachant les syllabes comme si je parlais à un enfant. Oh, j'ai l'impression d'être au boulot là !
Andrew fronce les sourcils.
– Au boulot ? Tu parles français là où tu bosses ?
Je hausse les épaules avec un hochement de tête.
– Bah, je suis prof de français, donc oui.
– T'es prof de français ?, s'étonne le brun. T'as pas la tête de l'emploi.
Je fais mine d'être vexée.
– Ah parce qu'il faut une tête particulière pour être prof de français, chez toi ?
– Non, c'est vrai, mais... Attends une seconde, si ta mère est française, tu parles français chez toi ?
J'acquiesce, pas certaine de savoir où il veut en venir.
– C'est pas un peu de la triche du coup, d'être prof de français ? T'as pas dû beaucoup galérer pendant tes études.
Je prends mon meilleur air faussement pompeux avant de répondre :
– Autant que ça me serve à quelque chose, non ? J'ai jamais été le genre à beaucoup travailler à l'école, je préférais de loin sortir avec mes amis.
– Je vois..., ricane Andrew. Et donc, tu serais capable de me dire un truc en français, là tout de suite ?
– J'ai un faible pour les bruns et tu ne déroges pas à la règle, je lâche avec un sourire moqueur.
Je ne peux nier que c'est la vérité, je ne l'aurais jamais embrassé en boîte sinon. J'ai beau savoir qu'on évolue pas dans le même monde et qu'on se reverra jamais, je ne peux m'empêcher de le trouver mignon. Après tout, est-ce qu'on ne soupire pas tous après une star ? J'en connais certaines qui vendraient un rein pour rencontrer Tom Hiddleston, par exemple – merci à Kris pour le nom et l'inspiration.
Andrew pouffe.
– Et ça veut dire quoi ?
– Que si ce que j'ai fait c'est tricher, alors je recommencerais sans hésiter.
J'adore quand les gens sont incapables de comprendre ce que je dis dans une autre langue, ça me permet souvent de me défouler tout en passant incognito. Et puis en français, on peut insulter les gens tout en restant courtois dans sa façon de parler, et ça, ça n'a pas de prix !
– Honnêtement, je ne peux pas te blâmer. Je suis pas du genre studieux non plus, sauf quand il s'agit de mes rôles au cinéma.
– C'est ce qui fait un bon acteur, non ?
– Tu trouves que je suis un bon acteur ? Je suis flatté !
Je réprime un gloussement.
– Le seul film que j'aie vu où tu es dedans, c'est The Amazing Spiderman. Le premier, parce que j'ai jamais vu le deuxième.
– Quoi ?, fait-il mine de s'indigner. Tu as combien, vingt-cinq ans ? Et tu n'as vu aucun chef d'oeuvre dans lequel je joue ?
– Comment tu as deviné ?
Andrew secoue la tête pour écarter les quelques mèches qui lui retombent sur le front.
– Que tu n'as vu aucun de mes exploits ? Tu viens de le dire.
Je ris. Est-ce qu'il le fait exprès ? Probablement.
– Mais non ! Comment tu as deviné que j'avais vingt-cinq ans.
Il hausse les épaules avec désinvolture.
– Ton pseudo, répond-il enfin. 1991, je suppose que c'est l'année de ta naissance ? Comme on est en avril, il y avait plus de chance que ton anniversaire tombe après qu'avant, donc vingt-cinq ans.
– Oh !
Je me masse le front comme si j'étais prise d'une migraine soudaine.
– Trop de maths pour moi, là.
Andrew s'esclaffe.
– Ah ouais donc vraiment, à part le français, t'as rien écouté en cours toi !
– Ne te moque pas, je pouffe. Les maths, c'est l'invention du diable, et je pèse mes mots. J'ai arrêté d'essayer quand ils ont mélangé les chiffres et les lettres.
Je pousse un long soupir au souvenir des heures passées à essayer de comprendre les cours, les exercices. Je n'ai jamais été très scientifique, j'ai toujours plutôt préféré les matières littéraires, bien que je sois une quiche en histoire et en géographie. Même comme ça je reste mieux calée que certains de mes confrères, entendons-nous bien.
– Compréhensible, avance Andrew avec un grand sourire. Quand j'étais petit, à l'école, mon prof avait coutume de dire qu'on ne mélange pas les torchons et les serviettes. On avait interdiction de calculer des quantités de patates avec des carottes, par exemple.
Je souris. J'ai connu ça, moi aussi.
– Arrivé au collège, on a mis des lettres dans les chiffres et je me souviens avoir pensé : ''on est pas censés mélanger deux trucs différents''.
– Exactement !, je m'exclame.
Pendant quelques secondes, un blanc s'étend entre nous, presque palpable. C'est rare que je ne sache pas quoi dire, pourtant c'est le cas actuellement ; je déteste ça.
– Alors..., finit par lancer le brun. Ça t'arrive souvent d'embrasser des inconnus dans un club ?
Bien qu'il semble curieux avant tout, je ne peux que remarquer son petit sourire narquois.
– Non, en général je sais me tenir, surtout si je suis modérément bourrée.
– Modérément, hein ?, raille Andrew en retour.
Je lève les yeux au ciel, consciente qu'un sourire en coin s'est étiré sur mes lèvres.
– Oh ça va hein !, je réplique.
Le brun lève les mains dans un signe d'apaisement ; ses yeux n'ont pas perdu leur étincelle d'espièglerie. Il s'amuse à m'asticoter comme le feraient mes amis, et comme j'ai un tempérament plutôt explosif, je ne suis pas décidée à me laisser faire.
Alors que je m'apprête à surenchérir, Andrew se fige et pointe du doigt vers l'écran.
– Attends, deux secondes, c'est quoi sur ton poignet, là ?
Je stoppe mon mouvement et contemple mon bras gauche, que j'ai levé devant moi. Tout autour du poignet s'enroule une chaîne d'épines.
– Quoi, ça ?
Il hoche la tête.
– C'est un tatouage, j'explique, plaçant mon poignet un peu pus au centre de l'écran pour qu'il puisse le voir.
– Un bracelet d'épines ?, s'étonne-t-il. Est-ce que je peux te demander pourquoi ? Si ce n'est pas indiscret, bien sûr.
J'apprécie sa retenue. En général, les gens se permettent simplement de me questionner sur la signification de mon tatouage sans même se demander s'ils n'empiètent pas sur mon espace personnel.
– C'est une couronne, en réalité, bien que l'emplacement laisse penser qu'il s'agit d'un bracelet, effectivement. Ce sont des épines d'églantier, pour être honnête.
Comme il ne semble pas savoir de quoi je parle, je m'empresse de donner les détails :
– L'églantier est un rosier sauvage. C'est de là que vient le prénom Églantine. Ça, plus la racine latine aculeatus, qui signifie épineux. Ce tatouage, c'est une revendication de mon prénom, de qui je suis en général. J'ai tendance à être un peu... piquante, sur les bords.
Je me souviens le jour où je suis allée me faire tatouer. Je n'avais prévenu absolument personne, j'ai débarqué le soir chez mes parents avec cette beauté toute neuve. Au début, s'ils n'ont rien remarqué, l'un de mes frères – Armand ou Flavien, je ne me souviens pas –, s'est étouffé en l'apercevant. Aujourd'hui, ça fait partie de moi-même, depuis près de cinq ans.
– J'aime bien ton explication, on sent que tu es calée sur le sujet et que ça a une réelle signification pour toi. La plupart des gens se font tatouer sans réfléchir, de nos jours, et bien que ça ne me fasse ni chaud ni froid, après tout ils font ce qu'ils veulent, j'aime ton explication.
Je souris, d'un sourire vrai et sincère. Il y a peu de gens qui m'aient complimentée sur le choix judicieux de ce tatouage. La plupart d'entre eux ont plutôt tendance à me dire qu'il est joli, que je le porte bien. Personne ne réfléchit n'a jamais réfléchi à ce qu'il voulait dire, dans le sens profond du terme.
– Est-ce que tu vas t'arrêter là ?, continue Andrew derrière l'écran. On dit souvent que quand on commence, on ne peut plus s'arrêter.
Je ris.
– Ce n'est ni vrai ni faux, dans mon cas. Celui-là, je l'ai depuis presque cinq ans, et je n'en ai pas fait d'autres depuis. Néanmoins, je ne suis pas fermée à l'idée de recommencer, il faut simplement qu'il ait une signification.
Mes yeux se posent un instant sur la petite horloge accrochée au mur de ma chambre et je tressaille.
– Oh, mon dieu ! Il est déjà presque minuit, et je travaille demain !
S'il m'arrive de sortir en semaine quand je n'ai pas de cours le lendemain matin, ce n'est pas le cas aujourd'hui. Demain, je commence à huit heures tapantes, à l'autre bout de la ville. Si je pars super tôt, il faut également que je me lève super tôt.
– Je vais te laisser, dans ce cas ?
Je remarque que son ton est interrogateur, presque comme s'il ne tenait pas à raccrocher. Enfin, je me fais forcément des films ! J'ai appelé pour vérifier qu'il ne mentait pas, ça ne veut rien dire de plus !
– Merci, je...
Il soupire longuement.
– Bonne nuit, Églantine. Ç'a été un plaisir de découvrir un peu qui se cachait derrière l'inconnue du Senator Jones.
– Je... toi aussi, je bredouille juste avant qu'il ne raccroche.
Pendant quelques secondes, l'image reste bloquée sur Andrew Garfield, ses cheveux ébouriffés et son sourire en coin. Enfin, la communication est coupée.
Je reste un instant immobile, contemplant l'écran de mon téléphone qui vient de virer au noir. Est-ce qu'il vient vraiment de se passer ce qu'il s'est passé ?
Cette nuit-là, je mets tellement longtemps à m'endormir que quand j'arrive au boulot le lendemain, mes cernes sont comme des valises sous mes yeux.
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