Chapitre 14 : Just friends

    Je dois bien avouer que j'ai été étonnée de recevoir un appel d'Andrew. Évidemment, je l'aurais appelé moi-même plus tôt, si je n'avais pas été débordée. Honnêtement, je ne pensais pas que reprendre les cours aurait été si compliqué : les trois quarts de mes élèves n'avaient pas fait le devoir maison que je leur avais donné, et nous avions beaucoup de retard dans les cours avec la semaine d'arrêt. J'ai passé dix jours à corriger des copies, à répondre aux mille questions des étudiants. Vous voulez savoir le pire ? Je n'ai même pas eu le temps de voir mes amis depuis presque deux semaines.

    Pour en revenir à Andrew, j'ai d'abord été un peu vexée qu'il me croie capable de chercher des excuses pour ne pas le voir. Je ne suis pas le genre de personne hypocrite : si j'avais voulu ne jamais le revoir, je le lui aurais dit clairement.

    À présent, me voilà assise à ses côtés à l'arrière du véhicule, observant le paysage qui défile. Mon cerveau ne cesse de me hurler que j'ai fait le mauvais choix, que je n'aurais jamais dû accepter d'aller faire du skate. Me connaissant, il a probablement raison : je vais finir avec une jambe dans le plâtre, ça n'aura rien d'amusant. Néanmoins, j'avais réellement envie de revoir Andrew.

    Moi qui m'attendais à un silence gêné, ce n'est pas du tout le cas. Certes nous ne discutons pas vraiment, pourtant je ne me sens pas mal à l'aise.

    Lorsqu'enfin nous arrivons sur la jetée de Santa Monica, je descends précipitamment de la voiture. L'air marin fait claquer ma queue-de-cheval contre ma nuque.

    – Dis-moi qu'on va pas aller là-dedans !, je gémis en désignant le Cove Skatepark. En plus, il y a plein de gens qui regardent !

    Un sourire s'étire sur les lèvres d'Andrew, sourire qui se transforme bien vite en rire.

    – Promis, on n'ira pas sauf si tu me le demandes. De toute façon, je suppose que tu n'as jamais fait de skate ?

    Comme j'acquiesce, il reprend :

    – Hors de question de balancer une débutante là-dedans, comme tu dis. Non, on va se contenter des bases et rouler à plat.

    Il pointe du doigt la piste cyclable qui court le long de la jetée. Des gens à vélo, en rollers ou même à trottinette s'y croisent en riant.

    – Honnêtement, on devrait même commencer juste sur le trottoir, parce que je vais gêner au milieu.

    Il rit de nouveau et enfourche son skate.

    – Comme tu veux ! Le dernier arrivé paye un milkshake à l'autre !

    Avant que j'aie pu comprendre ce qu'il entendait par là, je le vois s'éloigner sur sa planche en gloussant.

    – C'est déloyal !, je crie tout en essayant de le rattraper.

    Non seulement je déteste courir, mais en plus, je n'aurais jamais pu me maintenir à son rythme puisque lui il roule !

    Quand enfin je le rejoins, il s'esclaffe.

    – Tu as perdu, commente-t-il.

    Je lui balance mon poing dans le bras sans faire mine de contenir ma force. Il ne grimace même pas, sûrement à cause de son égo masculin qui serait blessé s'il faisait preuve de faiblesse.

    Je fais preuve d'un naturel presque étonnant avec lui, c'est dingue. Bien que je ne sois pas un modèle de retenue, je n'ai pas pour habitude d'agir comme si j'étais amie de longue date avec des gens que je ne connais pas depuis si longtemps. Remarque, on ne peut pas dire qu'Andrew et moi avons une relation commune : je lui ai quand même roulé une pelle lors de notre première rencontre alors que j'ignorais tout de lui.

    – Tu me devras un milkshake après notre séance, lâche-t-il en désignant les boutiques alimentaires qui bordent la rue.

    Je lève les yeux au ciel, pourtant je souris.

    – Uniquement si je survis à ladite séance, je réplique.

    Il se marre de plus belle et je lui envoie un deuxième coup dans le bras. Cette fois, il fait mine d'avoir mal ; tant mieux.

    – Bon, alors commençons. Ceci, Églantine, est une planche de skateboard.

    Andrew place ladite planche devant mon visage et j'esquisse automatiquement un mouvement de recul.

    – Merci, Einstein, je lâche en français.

    – Donc tu mets le skate comme ça, continue-t-il comme si de rien n'était, et tu poses un pied dessus. Allez vas-y, c'est super simple.

    Mettre un pied, je j'en doute pas. C'est au moment de mettre le deuxième, en général, que les choses se compliquent.

    – On fait ça sans casque, sans protection ?, je lance tout en m'exécutant.

    Le brun fixe aussitôt ses yeux dans les miens ; je sens venir la connerie.

    – Se protéger c'est important, mais pas dans ce genre de situation. Maintenant, si tu veux remédier à la deuxième...

    – Idiot !, je le coupe.

    Qu'est-ce que je disais ! Je dois me maîtriser pour ne pas pouffer, bien que ce ne soit pas un grand succès. Quant à lui, il semble plutôt fier de sa blague. Tu m'étonnes ! Ce n'est pas un mec pour rien, même si nous ne sommes pas en reste pour autant, nous autres les femmes.

    – Tu m'as tendu la perche, se défend Andrew avec un grand sourire.

    Je m'accroche désespérément à son épaule dans l'espoir de mettre le deuxième pied comme il me l'indique. À peine l'ai-je levé du sol que je tangue et le repose avec un juron.

    – Je ne parle peut-être pas français, pourtant je suis presque sûr que ce n'est pas un mot à mettre dans la bouche d'une fille.

    Alors que je lui lance un regard noir, il écarte les mains pour signifier qu'il n'est pas de taille à se battre.

    – J'en ai tout un tas d'autres en attente, j'explique.

    De nouveau, je tente de mettre le deuxième pied sur la planche. De nouveau, c'est un échec.

    Je dois reconnaître qu'Andrew est plutôt patient. Là où beaucoup d'autres se seraient moqués de moi, lui attend que je trouve mon équilibre, me laissant lui compresser l'épaule entre mes doigts.

    Il me faut sept tentatives au total pour arriver à me tenir debout sur le skate. Néanmoins, je sens qu'au moindre mouvement, je pourrais m'étaler au sol ; je n'aime pas beaucoup cette idée.

    – Ne me regarde pas comme ça, je cingle, je ne vais pas avancer toute seule. T'as bien vu que je suis une quiche !

    – En fait, pour quelqu'un qui n'est jamais monté sur un skate auparavant, tu t'en sors pas si mal. Ma première fois, j'ai fini avec les deux genoux en sang parce que mon pied a glissé sans attendre le deuxième.

    Je ris, un peu malgré moi. Mauvaise idée, la planche tremble et je mouline des bras pour récupérer mon équilibre. Avec des gestes précautionneux, Andrew attrape mes mains dans les siennes et me tire. J'ai l'impression d'être une gosse, genoux pliés, penchée en avant et me retenant du mieux que je peux au seul point stable : Andrew lui-même. Il marche à reculons, un pas après l'autre, et le skate roule avec moi dessus.

    Je n'aime vraiment pas la sensation. À tout moment, je peux me retrouver les quatre fers en l'air.

    – Ok, on va essayer de...

    – Me lâche pas !, je hurle alors qu'il retire une main des miennes.

    Déséquilibrée, je tangue en arrière, puis en avant, et sens inévitablement la planche de skate m'échapper. Je me rattrape de justesse à Andrew – dans un autre contexte, j'aurais réalisé que je lui suis tombée directement dans les bras . Le skateboard s'éloigne dans la direction opposée.

    – Je déteste le skate !, je râle en me redressant.

    – Mais non, t'as à peine commencé !, rétorque le brun avec un sourire.

    Il court après son skate et le ramène, puis m'aide à remonter dessus. Cette fois, il me prévient avant de me lâcher une main ; je m'agrippe à son bras restant de toutes mes forces.

    – Je crois que je peux te lâcher complètement, maintenant. Tu as l'air de...

    – Surtout pas !, je l'interromps vivement. J'ai aucun équilibre sur ce truc de l'enfer !

    – Attends, t'es en train de me dire que tu marches sur des talons de genre vingt centimètres, mais que t'es pas capable de tenir debout sur un skate ? T'as un équilibre sélectif ou quoi ?

    Il pouffe, l'air content de sa blague. Quant à moi, je m'accroche de plus belle à son bras, consciente que si je le lâche, je risque de m'étaler au sol. Je n'ai aucune envie de me ridiculiser, merci bien ! En plus, j'ai un corps qui marque tellement vite que la moindre pichenette se termine en hématome ; flemme de ressembler à une vache à lait.

    – Un équilibre sélectif ?, je m'esclaffe. Où t'as trouvé ça ?

    – Ose me dire que c'est faux, raille-t-il en retour.

    Je hausse les épaules en souriant. C'est vrai que je suis capable de courir sur des talons hauts, néanmoins...

    – C'est tenir en équilibre sur un objet en mouvement qui me pose problème, je dis. Mes pieds partent avec le skate, mais le reste de mon corps ne suit pas et garde sa position d'origine.

    Je dirais bien que c'est la faute à mon gros cul qui refuse de bouger, mais en réalité j'ai un cul aussi plat que ma petite poitrine. Eh oui, on peut pas tout avoir dans la vie : je compense le manque de formes par un fort caractère, histoire d'être sûre que les gens ne soient pas capables de m'oublier.





    Finalement, j'ai apprécié cette séance de skate. Je n'ai peut-être aucun équilibre, je suis restée accrochée à Andrew tout du long, néanmoins j'ai kiffé sentir le vent sur mon visage quand j'avançais.

    Au bout d'une heure, j'en avais assez, aussi Andrew a récupéré son skate et s'est permis quelques figures directement dans le skatepark. Ce qui est drôle, c'est que personne n'a semblé le reconnaître. Comme si le fait de faire du skate parmi tous ces gens lambda le rendait commun. Comme si le skate en lui-même était l'unique chose qui comptait ici ; c'est probablement le cas.

    Enfin, vers dix-sept heures, nous décidons de nous accorder une pause goûter. Je lui dois un milkshake, gagné par triche. Cependant, ça me fait plaisir de le lui offrir : ce n'est pas tous les jours qu'on peut acheter quelque chose à quelqu'un qui a assez d'argent pour acheter le local de la boutique s'il le veut.

    La question reste : quel goût ? Pour ma part, je prends un à la vanille, ce qui n'a pas l'air de ravir Andrew.

    – Quoi, tu ne fais jamais rien comme les autres mais tu prends un milkshake aussi basique que ça ?

    – La vanille est la meilleure chose en ce monde, un point c'est tout, je l'informe. Si t'as un problème avec ça, tu peux te mettre ton milkshake gagné par des moyens douteux où je pense !

    Le brun glousse. Il opte pour un milkshake au chocolat – et c'est moi la meuf classique dans l'histoire ? –, et après avoir réglé, nous nous asseyons à une table à l'extérieur. Je sirote tranquillement ma boisson délicieuse quand Andrew pousse la sienne vers moi.

    – Tiens, goûte, c'est super bon au chocolat.

    Je secoue la tête.

    – Non, merci. Je déteste tout ce qui est aromatisé au chocolat.

    – T'aimes pas le chocolat ?, s'indigne-t-il aussitôt.

    Je pousse un long soupir.

    – J'aime le chocolat, ce que je n'aime pas, c'est ce qui est aromatisé au chocolat.

    – C'est pas logique.

    Je lève les yeux au ciel avec un sourire en coin.

    – Ok... T'aimes les yaourts à la banane ?

    Andrew fronce immédiatement les sourcils avec une moue dégoûtée.

    – T'es folle ? Qui aime ces trucs infâmes, déjà ?

    – Mmmh... Tu aimes les bananes ?

    – Je ne suis pas fermé à l'expérience, mais pour le moment je préfère les abricots.

    Je mets quelques secondes à comprendre le sous-entendu et lui jette un regard blasé.

    –Imbécile.

    Il sourit de toutes ses dents.

    – Plus sérieusement, oui, j'aime la banane.

    – Ha !, je jubile. Donc tu aimes la banane, mais pas les yaourts aromatisés à la banane. Eh bien moi, c'est pareil avec le chocolat.

    Il y a un instant de flottement, où il semble prendre conscience que je l'ai eu.

    – D'accord, j'ai compris. Néanmoins, tu devrais vraiment goûter ce milkshake, il est très bon.

    De nouveau, je secoue la tête.

    – Allez, Tina !

    Je lève les yeux vers lui, sourcils froncés.

    – Tina ?

    Andrew hausse les épaules avec un sourire.

    – Je peux t'appeler Tina ? J'aime bien Iggy, mais...

    – Pas de problème, je réponds un peu trop précipitamment.

    C'est idiot, mais en plus de vingt-cinq ans d'existence, personne ne m'a jamais appelée Tina. Egg, oui, trop souvent à mon goût d'ailleurs. Iggy aussi, puisque c'est le surnom qu'ont adopté mes amis quand j'étais gamine. Mais Tina ? Pourquoi personne n'y a pensé avant ?

    Je dois avouer que j'adore ce surnom, en réalité. Il sonne tellement bien, tellement mignon, surtout dans la bouche d'Andrew ! Je n'aurais jamais pensé adopter un patronyme aussi rapidement : moins de dix secondes, un record à ce stade !
       
Et c'est comme ça que, finalement, j'accepte de goûter à son milkshake. J'avais raison : je n'aime pas.

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