Chapitre 1 : The Amazing Spiderman

    – Eh mais c'est quoi ce caleçon qui dépasse ?, je lâche après avoir avalé un popcorn. Non mais vraiment, son caleçon orange là...

    À l'écran, le pauvre petit Peter Parker tente tant bien que mal de se relever, mais son accoutrement laisse clairement à désirer. Assise à côté de moi, Lindsay enfourne une poignée de popcorns tandis que Kristen, sur le fauteuil, pouffe.

    – Non mais c'est quoi cette discrimination des caleçons qui dépassent ?, rétorque Jacob.

    Il baisse les yeux sur son propre pantalon, dont le caleçon au liseré Calvin Klein dépasse. Ses cheveux blonds lui retombent sur le front et il souffle pour les en écarter.

    – Non mais elles ont raison, intervient Anthony en riant. Ton caleçon est stylé, mec, mais celui de Peter... On dirait les vieux trucs de grand-père, là !

    – D'abord, proteste Jacob en relevant les yeux vers Anthony, je suis pas gay alors laisse mon caleçon tranquille, merci bien. Ensuite, c'est vrai qu'il est stylé !

    Je ris bruyamment. Plus paradoxal que Jake, on ne fera pas ! Il est capable d'aligner deux ou trois pensées contradictoires dans la même phrase.

    Anthony hausse les épaules.

    – Je suis peut-être gay, mais tu n'es pas mon genre. J'ai du goût, figure-toi !

    Jake fait mine de bouder, ce qui nous fait rire.

    J'adore passer du temps avec mes amis – comme un peu tout le monde, vous me direz. Aujourd'hui, comme nous sommes vendredi soir, nous avons décidé de visionner The Amazing Spiderman. Je ne suis pas très fan des Marvel en général, mais avec Jacob et Kris dans le groupe, je n'ai pas tant le choix. Et puis, un peu de culture cinématographique ne peut pas faire de mal, au fond.

    Je sais déjà que cet été, ils vont me traîner au cinéma pour aller voir le nouveau Spiderman, celui avec Tom Holland. Également, nous prévoyons d'aller voir les Gardiens de la Galaxie 2, dès qu'il sera sorti. Et probablement tous les autres qui sortiront, comme chaque année depuis que notre amitié a débuté, au lycée.

    À l'époque où on s'est connus, on avait quatorze ans. Aujourd'hui, on s'approche dangereusement des vingt-six – Lindsey les a déjà, tout comme Jake –, pourtant notre amitié est restée la même. On a beau avoir fait des études différentes, travailler chacun dans notre domaine, on n'en est pas moins restés proches. Surtout, depuis qu'on a l'âge légal de boire et d'entrer en boîte, on passe beaucoup de soirées au Senator Jones.

    Si vous vous demandez dans quoi je travaille, sachez que je suis prof de français. Ça vient du fait que ma mère est elle-même française à la base – aucun américain digne de ce nom ne nommerait sa fille Églantine ! –, et que j'ai donc l'habitude de parler cette deuxième langue depuis la naissance. Eh oui, quitte à avoir des facilités, autant que ça me serve !

    Oui, vous avez bien compris : je m'appelle Églantine Charline Roberts. Ma mère, bien que brouillée avec sa famille – enfin plus trop maintenant, mais l'histoire est longue et chiante, je vous la raconterai une autre fois –, a décidé qu'elle voulait des enfants aux prénoms totalement français. Mes frères aînés s'appellent respectivement Armand Florent et Flavien Julien. Et mon père a laissé faire, comme si Églantine était le nom le plus évident à prononcer pour des américains. Vous n'imaginez pas le nombre de fois où les gens écorchent mon prénom, c'est insupportable !

    – Allez !, s'écrie Jacob alors que, dans le film, l'acteur trouve une pochette cachée dans la sacoche de son père. Y a aucun suspense !

    – En même temps c'est un film, je réplique. Un film avec un gars en collants qui a des pouvoirs d'araignée. Tu t'attendais à quoi ?

    – En plus, enchaîne Kris, il y a déjà eu trois autres Spiderman avant celui-là. Bien sûr qu'on connaît l'histoire ! Ils en ont même fait encore un nouveau, qui sort cet été, alors...

    Jake hausse les épaules tout en portant la bouteille d'Ice Tea à ses lèvres. On est arrivés à un tel point dans notre amitié à présent, tous les cinq, qu'on n'en a strictement rien à faire de partager le même verre, la même bouteille. Et puis, si j'ai la grippe, j'aime autant qu'ils l'attrapent avec moi, c'est fait pour ça les amis, non ?

    – Iggy, passe la bouteille de coca, s'il te plaît.

    Je m'exécute aussitôt, tendant ladite bouteille à Lindsay.

    Iggy, c'est plus facile à dire qu'Églantine. Aussi, quand Anthony m'a donné ce surnom en 1ère année, je l'ai immédiatement adopté. À l'époque, Iggy Azalea n'était pas encore d'actualité. Il y avait déjà Iggy Pop, bien sûr, mais peu de monde le connait encore aujourd'hui.

    Je pousse un soupir et tente de reprendre le cour du film. Comme souvent, j'ai décroché ; j'ai la capacité de concentration d'un petit pois, et c'est méchant pour les petits pois.

    – Oh non, pourquoi il a mis les lunettes ?, je geins en tendant un doigt de façon exaspérée vers l'écran. Il est tellement mieux sans !

    – Ça va, il est pas moche quand même, rétorque Jacob en plongeant la main dans le bol de popcorn.

    Je hausse les épaules.

    – Non, c'est juste que... Les lunettes ça tue carrément son style !

    Ce qui n'enlève pas qu'Andrew Garfield est carrément mignon, lunettes ou pas lunettes. Ses cheveux bruns ébouriffés me rappellent vaguement quelqu'un, sauf que je n'arrive pas à me souvenir de qui. Sans doute l'un de mes élèves, j'en vois passer tellement !

    – Arrête de mater comme ça, chuchote Anthony dans mon oreille.

    – Et c'est toi qui parles !, je rétorque sur le même ton.

    Nous échangeons un rapide regard, que nous comprenons tous les deux. L'un comme l'autre, on a faible pour les bruns. Mon ex avait les cheveux d'un brun tellement foncé qu'il était presque noir, de même que le petit ami d'Anthony. Enfin, ils ne sont pas vraiment ensemble, ça dépend des jours et de leurs humeurs, mais je dois avouer que je n'ai pas demandé plus de détails. Si Tony veut nous en parler, il le fera de lui-même, ça ne sert à rien de forcer.

    – Ouais mais bon, Andrew Garfield aussi ! On peut pas s'en empêcher, c'est normal pour tout le monde !

    Cette fois, je ris carrément, et tous les visages se tournent vers moi.

    – Je suppose que c'est pas la scène qui te fait marrer, lâche Jake, alors allez-y, accouchez. De quoi vous parlez ?

    – Du beau p'tit cul de notre cher ami Andrew, répond Anthony avec un immense sourire.

    Lindsay lève les yeux au ciel, elle qui n'aime pas les hommes. Quant à Kristen, elle soupire.

    – D'accord, les accros au sexe sont dans la place. Vous êtes pas obligés de...

    – Regarde-moi dans les yeux et avoue que tu n'as pas lorgné sur un acteur au moins une fois dans ta vie, la coupe Anthony.

    Kristen prend l'air gêné, ce qu'elle fait à merveille alors que nous savons tous que ce n'est pas vrai.

    – D'accord, d'accord. Mais au moins, soyez discrets, histoire qu'on puisse suivre l'histoire !

    Je hoche la tête. À l'écran, Peter Parker vient d'entrer dans une zone interdite, remplie d'araignées. Mon corps réagit aussitôt : je frissonne à la vue de toutes ces petites bêtes.

    Il y a deux choses dont j'ai une peur bleue sur cette terre, uniquement deux. L'une d'entre elles, c'est les araignées.

    Cette phobie remonte à l'époque où, alors âgée de trois ou quatre ans, une camarade de classe s'amusait à me raconter des histoires d'araignées géantes que sa mère aurait écrasées dans sa chambre. J'étais naïve, je l'ai crue, et je m'en mordrai les doigts jusqu'à la fin de ma vie. Aujourd'hui, si je peux gérer les petites araignées communes, à partir du moment où elles dépassent la taille de mon ongle, je panique et me mets en mode ''danger extrême''.

    – Non mais il est vraiment con lui !, je peste contre la télé. Moi s'il pleut des araignées sur ma tête, je me roule en boule au sol, je pleure et j'attends de mourir. Qu'est-ce qui lui a pris de rentrer là-dedans ? Des araignées bordel !

    Je frissonne à l'idée qu'une de ces petites bestioles répugnantes se cachent quelque part chez moi.

    Heureusement pour moi, j'habite dans le jardin de chez mes parents, dans le studio qu'ils louaient quand j'étais petite. Dans le cas où je ferais face à une araignée que je ne pourrais pas gérer moi-même, je n'ai qu'à traverser ledit jardin pour toquer à la porte de mes parents, ils viendront faire le reste. Oui, j'ai vingt-cinq ans, et alors ? Une phobie, ça ne se contrôle pas.

    – Bah déjà, pour commencer, intervient Jacob, je ne vais pas dans les endroits interdits.

    – D'accord, je concède. Il est juste débile, donc.

    Et de fait, le voilà qui vient de se faire piquer par l'une des araignées radioactives.

    – C'est le début de ton histoire, Peter Parker !, se moque Anthony. Plus qu'à enfiler tes collants et aller faire le singe dans la ville !

    C'est vrai qu'il y a mieux comme costume de super-héros, mais bon, c'est sûrement plus agréable qu'une armure de fer comme Iron Man. Enfin, pour le moment, Peter Parker n'a pas encore enfilé ses collants mythiques, il est plutôt en train de ridiculiser l'abruti de son lycée.

    – Attends... Il a arraché le panier, là ?

    Je pouffe. Non mais quel cliché ! Tout ça pour ridiculiser l'autre blond platine, là ! Toujours pareil !

    – Moi aussi, je peux le faire, fanfaronne Anthony en jouant des muscles qu'il n'a pas.

    – Toi ?, réagit aussitôt Lindsay. Tony, t'es un cure-dent qui aurait cramé au soleil, comment veux-tu...

    – C'est pas cool de se moquer, se plaint Anthony avec une fausse moue boudeuse.

    Comme si lui ne le faisait jamais ! On passe notre temps à se chambrer les uns les autres, c'est une des choses que j'adore dans notre amitié.

    Je lui tape doucement sur l'épaule, comme pour le réconforter.

    – T'inquiète pas, les cure-dents c'est pas mal tu sais.

    Il lève un sourcil, fait mine de pleurer et pose sa tête sur mon épaule.

    – Merci de me comprendre si bien, Iggy... C'est vrai que toi, en tant que représentante officielle des asperges, tu peux tout à fait savoir ce qu'on ressent.

    – On se ressemble tellement, marrions-nous !, je propose d'un ton faussement enjoué.

    Anthony pouffe.

    – Si tu étais un mec, peut-être !

    – Oups, raté alors.

    Nous rions tous les deux tandis que les autres tentent de se concentrer dans le film. En fait, si nous ne sommes pas au cinéma, ce n'est pas vraiment utile de vouloir regarder un dvd ensemble, parce qu'on n'est jamais à fond dedans. On passe notre temps à parler, à perdre le fil, à le reprendre...

    À l'écran, l'acteur fait face au réfrigérateur. Ce profil, ce nez qui dépasse et par-dessus tout, ces mèches brun clair ébouriffées...

    – Je le connais..., je murmure en me redressant.

    – Qui, l'acteur ?, demande Tony.

    Je hoche la tête.

    – Ouais normal, c'est Andrew Garfield.

    – Non mais je veux dire... Je le connais, en vrai. Je l'ai déjà rencontré.

    Je secoue la tête à présent tandis qu'un souvenir se fraie lentement un passage au creux de sa mémoire. Un inconnu avec un sweat à capuche, dans une boîte de nuit au décompte trop bruyant. Le souvenir est brumeux, pourtant j'en suis certaine : il s'agit du même gars.

    – Vous allez probablement pas me croire, mais... Je l'ai embrassé en boîte pour le passage à la nouvelle année.

    – Quoi ?, s'étonne Kristen.

    – Arrête, Iggy, tu déconnes !, renchérit Lindsay.

    Cette dernière repousse une mèche de cheveux raides derrière son épaule.

    – Je vous jure que c'est vrai.

    – Non, meuf, on l'aurait su si Andrew Garfield était en boîte, surtout au même moment que nous. Les paparazzis, les gens et tout...

     Je hausse les épaules. Peut-être que mes amis ne me croient pas, néanmoins je suis certaine de ce que j'avance : j'ai embrassé Andrew Garfield, l'acteur de Spiderman – enfin, l'un des trois – en boîte de nuit !

    – Mais je vous dis que...

    – Iggy, j'ai vu le gars que t'as embrassé au nouvel an, et crois-moi, il ne ressemblait pas à Andrew Garfield, avance Jacob. En plus, il avait une capuche justement, tu ne pourrais pas le reconnaître.

    Qu'est-ce que je disais ? Complètement paradoxal, ce gars !

    – Je peux te jurer que je sais ce que je dis, je me vexe. C'était lui, j'en mettrais ma main à couper.

    – Tu t'es peut-être trompée, Iggy, intervient Kristen de sa voix douce. Tu avais bu, il faisait sombre, peut-être que ton cerveau te joue des tours.

Je ne réponds pas ; je n'ai pas envie de passer la soirée à tenter de les convaincre que j'ai raison. Mais je suis totalement sûre de moi, à présent : j'ai embrassé Andrew Garfield au Senator Jones.

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