Epilogue bonus
Les flocons de neige tombèrent lentement du ciel, recouvrant la pelouse d'une épaisse couche immaculée. Des oiseaux vinrent se disputer les miettes que leur donnaient volontiers les résidents de cet endroit maudit. Seul Paul restait insensible à ces interactions sensées être distrayantes. Non, il préférait rester dans sa chambre attitrée, le regard perdu dans l'horizon. L'heure du dîner sonna, et comme à chaque fois, l'infirmière rondelette toqua à sa porte.
— Bonsoir, monsieur Paul. Ce soir, c'est steak-frites ! lança-t-elle, un grand sourire barrant ses grosses joues.
Le bouclé ne lui accorda pas un regard, préférant sa bulle de solitude à tout le reste. L'infirmière posa le plateau sur la table et la dirigea sous le nez de Paul. Elle tira une chaise près du lit et s'y assit.
— Je ne suis plus un enfant, partez Béatrice.
Son ton était glacial.
— Voyons, vous êtes là depuis plus de trois mois. Nous connaissons toutes vos stratégies pour nous faire fuir.
Béatrice le couva d'un regard maternel et ne se découragea pas. Elle prit une fourchette et piqua la plus petite frite de l'assiette. Paul la regarda la tremper dans la coupelle de ketchup et la diriger vers lui.
— Ouvrez votre bouche, monsieur Paul. Vous me dites ne plus être un enfant et pourtant, vous agissez comme tel.
D'un geste faible mais sec, Paul fit valser le couvert au sol. Des gouttes de sauce tomate vinrent tacher le linoléum beige. L'infirmière soupira avant de se mettre à nettoyer la bêtise de son patient.
— Je ne comprendrai sûrement jamais le désespoir qui vous tire ainsi vers le bas, reprit-elle. Vous vous obstinez à vous isoler, à ne plus manger. Vous restez dans votre lit toute la journée et refusez de voir vos proches. On m'a dit que vous étiez revenu d'un coma de neuf mois et pourtant, vous avez réussi à perdre davantage de poids et de force. Vous me faites beaucoup de peine, monsieur Paul. J'aimerai sincèrement vous aider.
Elle se releva une fois les tâches nettoyées. C'est alors qu'elle surprit deux yeux verts voilés de tristesse posés sur elle. C'était la première fois qu'il tournait la tête vers quelqu'un depuis son arrivée.
— Vous savez quel jour on est ?
— Mardi 5 janvier. C'est un jour important pour vous ?
Le cœur de Paul se serra. Il craignit de ne pas réussir à répondre.
— Demain, c'est l'anniversaire de l'homme de ma vie. Et vous voulez que je vous dise ? Je ne pourrais jamais le lui souhaiter.
Béatrice écarquilla les yeux et prit le jeune homme dans ses bras, qui sembla lui rendre son étreinte.
— Toutes mes condoléances... La perte d'un proche est la chose la plus dure à surmonter. Mais je crois en vous. Je suis persuadée qu'une étincelle brillait autrefois dans vos yeux. Cette étincelle n'est pas perdue, je le sais.
Paul se renfonça dans son matelas et balaya ses consolations de la main. Il se retourna de nouveau vers la fenêtre.
— Vous ne pourrez jamais comprendre. Maintenant, laissez-moi.
L'infirmière l'observa quelques instants, puis comprit qu'elle ne pourrait pas lui soutirer plus d'informations. Elle ramassa le plateau et ferma la porte derrière elle.
— Pétasse, lâcha enfin Paul.
Dégageant un pan de la couette, il observa la boîte de cachetons qu'il venait de dérober à cette idiote d'infirmière. Il y lut attentivement les composants. Du Voltarène, espérons que ça fera l'affaire. Il attendit sagement la tombée de la nuit, le silence des couloirs et surtout d'être prêt. Il savait que son choix était complètement con, mais il ne voyait pas d'autres solutions pour revoir une dernière fois ces yeux électriques. Il était un Peaky Blinders, et pourtant il avait failli à son devoir. Il les avait laissés, avait fui le champ de bataille. Il n'avait même pas pu leur faire des adieux dignes de ce nom. Et Tommy...
A 23 heures, il se leva difficilement de son lit et se dirigea vers la salle de bain. Il s'observa une dernière fois dans le miroir. Qu'il avait une sale gueule, avec des cernes plus longues que son avenir, des os plus apparents que ses qualités et les iris de ses yeux presque dénuées de couleur. Il remplit un verre d'eau puis alla ouvrir la porte-fenêtre qui donnait sur le jardin. Le verre dans une main, les cachets dans l'autre, il s'assit dans la neige. La fraîcheur de celle-ci le fit immédiatement trembler, mais il souriait. Un regard vers le ciel, et il savait déjà qu'il était attendu.
— J'arrive, Tom'.
— Jusqu'au bout tu seras le roi des emmerdeurs, hein ?
Paul grogna. Non mais qu'est-ce qu'elle venait faire ici ?
— Dégage, sorcière.
— Je te signale que je t'ai ramené ta casquette. J'ai décidément été trop gentille.
Le bouclé ne regarda même pas May. Il savait déjà la tête qu'elle avait : un air malicieux et les lèvres pincées.
— Tu te rends compte d'où tu es ? Dans un putain d'asile pour suicidaires.
— Tu y es aussi, je te signale.
— Oui mais moi, c'est pour sauver les gens. Pas pour me faire soigner.
May envoya de la poudre blanche sur la chemise de Paul. Elle ricana au regard noir qu'il lui lança.
— Si je suis ici, c'est de ta faute.
— Non, si tu es en vie, c'est grâce à moi. J'aurai pu te laisser crever à deux reprises. Et non, je suis venue te sauver à chaque fois. Tu vois comment tu me remercies ?
— Dégage de ma vie, May ! hurla-t-il. Je n'avais pas besoin de ta pitié de merde, okay ? Tu as joué avec mon destin, simplement pour ton petit plaisir. Tu ne sauves pas les gens, non. Tu les forces à prendre la voie que tu décides et ensuite tu les ramènes au point de départ. Tu te rends compte de ce que tu m'as fait ? J'avais une vie ici, j'allais m'en sortir. Mais non, tu as préféré m'envoyer un siècle plus tôt, me plonger dans une guerre de gang et me faire rencontrer le type le plus formidable au monde. Et après ? Tu es encore intervenue. Ben oui, j'étais heureux mais ça, c'était pas censé arriver.
— Tu allais mourir ! Je t'ai permis de vivre !
— Et à quel prix ?
Une nuée d'oiseaux s'envola au cri bestial de Paul, désormais debout.
— Regarde ta création ! beugla-t-il en se désignant. Un déchet qui n'a plus d'avenir. Un assisté qui désespère sa propre famille. Je me dégoûte moi-même.
May ne bougea pas, se mordant la joue.
— Ecoute... Je ne pensais pas te faire autant de mal. Pour moi, c'était une chance de te rattraper du passé et de remettre Tommy sur le droit chemin. Ce que tu as parfaitement réussi.
— Tu aurais dû choisir quelqu'un d'autre. Maintenant, laisse-moi mourir.
— Tu ne vas quand même pas faire ça ?
Paul ouvrit la boîte de médicaments, tout en défiant May du regard.
— Arrête, Paul, paniqua-t-elle. Ne me force pas à t'en empêcher.
D'un coup, il déversa le contenu dans sa bouche et remplit sa bouche d'eau. Il avala comme il le put.
— Comme si j'avais pas les couilles, hein ?
Puis il s'écroula à genoux la seconde d'après. Dans un râlement de frustration, May s'empressa d'attraper sa tête avant qu'elle ne touche la neige.
— T'es vraiment qu'un abruti. Ne t'avise pas de mourir une quatrième fois, c'est ta dernière chance.
Paul sentit son cœur lâcher au moment où une bourrasque lui fouetta le visage.
***
— Mon garçon !
L'odeur de cuir et de parfum haut de gamme parvint à Paul, qui ne put s'empêcher de respirer à pleins poumons. Barry se tenait là, devant lui. Des larmes lui montèrent aux yeux.
— Barry !
Les deux hommes se prirent dans les bras. Ça faisait tellement longtemps qu'ils ne s'étaient pas vus. Jetant un œil autour d'eux, Paul se rendit compte qu'il était dans la salle VIP de la boutique de son patron. Assis sur un canapé en cuir, le soleil tapait dans son dos. Il surprit alors des petits yeux noisette le fixant.
— Oh, Esmé. Dans mes bras toi aussi !
La gitane ne se fit pas attendre et sauta sur les deux hommes, faisant tanguer le canapé. Paul avait du mal à respirer. La joie de se savoir de retour comprimait son cœur de façon jubilatoire.
— On est quel jour ? s'empressa-t-il de demander.
Barry lui tendit le journal du matin où était affiché en lettres grasses : 6 janvier 1921. Alors Paul se mit sur ses deux pieds, attrapa une veste noire sur un portant de la salle et entreprit de sortir dans la rue. Mais Esmé le stoppa dans son élan.
— Paul, j'sais qu't'auras sans doute des difficultés à l'faire, mais t'dois r'mercier cette dame qui t'a ram'né à nous.
Elle désigna May, restée dans l'ombre du soleil. Elle avait la tête haute, mais fuyait les yeux du bouclé. Celui-ci réprima un grognement.
— Malgré tout ce que tu as pu faire de mal, May, sache que tu as pris la meilleure décision.
— Eh ! C'pas un « merci », ça, rétorqua Esmé.
— C'est tout comme.
Puis Paul franchit la porte de la boutique. L'odeur nauséabonde des égouts, le vacarme incessant des ouvriers dans les usines, tout de Birmingham lui avait manqué. Il aurait pu remercier finalement May de lui avoir rendu son apparence d'avant hôpital. Il avait retrouvé tout ses muscles et sa carrure fière. Cependant, cette sorcière méritait d'en baver un peu, elle aussi.
Le bouclé se rua aux bureaux de pari des Shelby. En ce jour de courses, il y avait un monde fou. Les hommes étaient déchaînés, essayant de parler plus fort que leurs voisins. Les mouvements de foule firent trébucher Paul à plusieurs reprises, mais rien ni personne ne l'empêcherait d'atteindre ce fameux bureau. Il fit un signe de la main à Arthur et John, qui n'en revinrent pas de le voir lui, ici, aujourd'hui. Mais des sourires remplacèrent vite leur surprise.
Paul arriva enfin devant la porte. « Thomas Shelby, Shelby Company » étaient inscrits en lettres lyriques. Les jambes du jeune homme étaient à la limite de se dérober sous lui. Il frappa deux fois contre le carreau, mais n'attendit pas la réponse. Il ouvrit la porte.
— Je n'ai pas dit d'entrer, maugréa Tommy.
Il était assis sur son fauteuil, le nez plongé dans les papiers. Il avait pris un sacré coup de vieux, étant presque dans le même état que Paul lorsqu'il était à l'hôpital.
— Il me semble qu'aujourd'hui est un jour spécial, répondit le bouclé en refermant la porte derrière lui.
Immédiatement, Tommy leva les yeux vers lui. Son regard s'illumina.
— Tu... Je...
Le leader des Peaky Blinders allait sourire, Paul n'attendait que ça. Pourtant, Tommy dégaina son arme tout en se postant sur ses deux pieds.
— Qui es-tu ?
— Allons, on va vraiment jouer à ça ?
— C'est toi, sorcière ? Tu m'as enlevé Paul, et maintenant tu veux malmener mes sentiments ?
Paul sourit, dévorant passionnément le Shelby des yeux. Il dégaina à son tour et tira dans la cheminée. Tommy ne cligna pas des yeux, mais il comprit.
— Il n'y a pas plus taré que toi sur cette Terre.
Jetant son arme au sol, il se précipita dans les bras du bouclé.
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