Chapitre 30
— Vous êtes sourd ou quoi ? Je vous ai déjà dit que je ne faisais plus partie de son cercle rapproché. J'ai disparu de sa vie !
Paul s'entendit beugler cette phrase encore une fois dans sa tête. Le vent balayait ses boucles brunes tandis qu'il rasait les murs. Il était sorti de ce bâtiment tel un fantôme. Après tout ce qu'il avait vécu, l'avenir ne comptait décidément lui laisser aucun répit. Luca Changretta avait ri en retour, suivi de son armée personnelle. C'est à ce moment-là que Paul avait réalisé que, quoi qu'il fasse, il serait toujours lié à Tommy, peu importe les efforts qu'il continuerait à déployer pour le fuir.
— Et vous pensez que ça change quelque chose ? avait lancé Luca. J'en ai rien à carrer qu'il vous ait brisé le cœur. Ce que je veux, moi, c'est lui arracher le sien de mes mains.
Le jeune homme se retint de frapper le mur qu'il longeait. Luca ne savait rien, il ne comprendrait jamais. Avec ses airs de faux-cul, cet italien à la noix se prenait pour le plus malin de tous. Il n'avait pas à le mêler à sa vengeance. Et Paul aurait eu un million de choses à lui répondre, si seulement il n'avait pas été répudié comme un malpropre avec une seule consigne : « Vous avez quatre jours pour réfléchir à notre offre. Si vous refusez, nous tuerons tous les Shelby avant de vous infliger le même sort. Si vous acceptez, nous vous exposerons la marche à suivre. Et ne tentez pas de les prévenir, vous êtes surveillé ».
Quelle frustration. Ce sentiment d'être pieds et poings liés le rongeait petit à petit. C'est en arrivant chez lui, se retrouvant seul et en quasi-sécurité, que Paul s'affala sur son canapé. S'il avait pu, il aurait fondu en larmes. Cette menace de la part des italiens ne lui facilitait pas la tâche, au contraire. Malgré lui, il était forcé de replonger dans des souvenirs précieux qu'il comptait ne jamais faire ressortir. Tommy était évidemment au centre de toutes ses pensées, et apparemment tout le monde était au courant, même des étrangers.
— Si seulement je n'avais pas mangé dans un fast-food, ce fameux soir... Rien de tout ça ne serait arrivé, murmura Paul, le regard braqué au plafond.
— Ça veut dire quoi, « fast-food » ?
Le jeune homme bondit sur ses deux pieds, l'air effaré. Que faisait Finn dans son appartement ? C'était lui, sans aucun doute, avec ses taches de rousseur et son sourire sournois.
— Comment tu es entré ? demanda Paul en se forçant de ne pas hurler.
— Ben, par la porte, répondit Finn.
Il était tout fier de pouvoir répondre à une question qu'on lui posait, contrairement à ce qu'il se passait à l'école. Il tapa le bout de ses souliers contre la porte qui donnait sur la cuisine, pour vérifier la résistance sûrement. Il s'arrêta rapidement cependant, s'attendant à ce que Paul le réprimande. Au contraire, le jeune homme venait de rabattre les rideaux et s'apprêtait à fermer à double tour la porte d'entrée.
— Tu ne voulais pas que je rentre et maintenant tu m'enfermes à l'intérieur ?
— Ne parle pas trop fort, je suis « surveillé ».
— Je sais.
Paul tourna la tête vers le petit dernier des Shelby. Celui-ci souriait à pleines dents, encore trop jeune pour se rendre compte des enjeux meurtriers qui planaient au-dessus de leur tête. Mais une lueur d'intelligence brilla dans ses yeux.
— C'est Tommy qui m'envoie. C'est même lui qui m'a montré le chemin pour venir.
— Il sait où j'habite ? s'empressa de répondre Paul, sans réfléchir. Hm... Je veux dire, et alors ?
Le garçon déambula dans l'appartement, jetant un œil à chaque pièce, Paul sur les talons.
— Il a dit qu'il ne pouvait pas venir en personne, sinon tu aurais des ennuis.
Paul leva les yeux au ciel. Après s'être royalement foutu de sa gueule, voilà que Tommy voulait le protéger. C'était le monde à l'envers.
— Dis-lui qu'il devrait plutôt se préoccuper de lui, je me débrouille très bien tout seul.
Finn se retourna vers lui, plantant son regard innocent dans le sien. Il ne souriait plus, ne faisait plus couiner ses semelles sur le parquet.
— Tu veux paraître plus stupide que tu ne l'es réellement. Il te donne rendez-vous dans quatre jours, là où Arthur t'a appris à tirer pour la première fois.
Paul se remémora le rendez-vous donné par Luca Changretta, lui aussi dans quatre jours. Il sut aussi que le lieu que lui imposait Tommy permettrait de se retrouver en toute discrétion. Et Paul aurait pu céder, il allait le faire même. Mais la prison, la violence des combats et le bruit des balles de revolver lui permirent de recouvrer la raison. La rage qui lui mordait le ventre ne voulait pas disparaître, pas encore.
— Dis-lui d'aller se faire foutre. Si je le croise, je n'hésiterai pas à tirer.
Finn leva un sourcil tout en penchant la tête sur le côté. Il n'avait pas l'air effrayé, plutôt intrigué. Il n'avait pas eu le loisir de beaucoup côtoyer Paul. Il retenait juste que ce dernier lui avait sauvé la vie, et que depuis ce jour, ses frères ne juraient que par lui. En particulier Tommy. Finn en était même devenu jaloux pendant un moment, priant chaque nuit de pouvoir échanger sa place avec Paul. Qui ne rêvait pas d'être respecté et même loué par ses grands frères ? Puis, il avait compris la complexité qui liait ce nouveau à Tommy, et il avait immédiatement regretté d'avoir voulu être Paul. Laissons les affaires des adultes aux adultes.
— Comme tu voudras, répondit simplement Finn.
Il tourna les talons, déverrouilla la porte d'entrée et se faufila au-dehors, dévalant immédiatement les escaliers. Il laissa Paul en plan, totalement déstabilisé. Ce dernier resta là quelques instants, puis décida d'arrêter de réfléchir et d'aller se coucher. Après tout, vu la nuit qu'il venait de passer, un peu de sommeil ne lui ferait pas de mal.
Comme il pouvait s'y attendre, il rêva de Tommy. C'était un mélange de ses souvenirs passés avec lui, de ses envies bien enfouies ainsi que de ses espoirs. D'un côté, il voulait que Tommy le laisse définitivement tranquille. La colère en lui ne s'apaisait pas et Paul craignait de se laisser emporter et d'en venir à tuer l'objet, ou plutôt la personne, de ses désirs. D'un autre côté, il voulait pouvoir tout reprendre avec Tommy, en effaçant le passage de la trahison et de la prison. Avant ce moment, Paul savait qu'ils auraient pu franchir un cap. Il s'était senti prêt, même s'il n'avait réalisé son amour qu'en prison.
Finalement, ses yeux s'ouvrirent. Même quand il ne voulait pas réfléchir, il réfléchissait quand même. Trop dur d'être un surdoué ! Paul ricana à cette pensée, puis décida de se lever. Les heures et jours qui suivirent ne furent pas passionnants. Il avait perdu sa prostituée favorite, alors il n'avait plus aucune raison de sortir. Sa voisine de pallier, sensible à ses charmes, lui faisait les courses tous les jours. Elle lui apportait même le journal. A chaque fois qu'il lui ouvrait la porte, Paul pensait rencontrer une nouvelle personne. Il faut dire qu'il ne la regardait pas vraiment. Il ne se rappelait même plus à quoi elle ressemblait. Ça lui passait au-dessus de la tête. En restant cloîtré chez lui, il vivait quelques jours de plus. Il n'avait plus peur de la mort, quoi que, mais il se plaisait à ne rien faire et à survivre.
Paul avait pensé à recontacter Barry. Mais il était surveillé et il ne voulait pas impliquer son hôte et premier ami, ni sa femme. Le téléphone était donc à bannir. S'il sortait, il serait forcément suivi aussi. Alors il repensa à l'offre de Luca Changretta. Ce dernier voulait tuer Tommy. Cela aurait pour conséquences de sauver le reste des Shelby, Esmé y compris. Elle qui allait accoucher, sa progéniture serait épargnée. Paul lui devait ça, mais en même temps, Tommy ne méritait peut-être pas une fin aussi définitive. Il pourrait se racheter, qui sait ?
D'un hochement de tête, Paul se força à revenir à la réalité. Tommy, se ranger et arrêter ses conneries ? C'était impensable. Il ne serait jamais rassasié. Paul aurait beau lui apporter tout l'or du monde, le leader des Peaky Blinders continuerait à massacrer ses rivaux jusqu'à obtenir la couronne de chef suprême. Plus son pouvoir augmentait, plus sa soif de conquérir se démultipliait. Il ne s'arrêterait jamais. Quelqu'un devait alors agir. Paul ferma les yeux tandis que son cœur se tordait de douleur. Oui, quelqu'un devait arrêter Tommy avant qu'il ne brûle tout ce qu'il y avait de bon sur cette planète. C'était égoïste, mais Paul refusait de laisser ce rôle à quelqu'un d'autre que lui-même. Personne n'était assez digne pour ôter la vie à Tommy. Personne n'était assez méritant pour partager les derniers souffles de cet homme. Personne, sauf Paul.
C'est alors que quelqu'un toqua à la porte d'entrée.
— Paul ? C'est votre voisine !
Encore elle... D'un pas las, le jeune homme ouvrit la porte. Elle était là, sur le pas de la porte, le regard pétillant et une boîte entre les mains. Aujourd'hui, elle avait revêtu une robe légère couleur orange délavée. Ça ne lui allait pas du tout.
— Je vous apporte votre courrier ! Quelqu'un vous a envoyé un présent.
Paul prit la boîte sans un regard pour sa voisine. Il pivota sur lui-même et mit une main sur la poignée de la porte.
— Je suis curieuse de savoir ce que...
La porte se referma sur elle. Elle faisait déjà assez sa fouine comme ça, Paul n'allait pas en plus lui montrer ses caleçons ! N'attendant pas une seconde de plus, il glissa sa main dans la boîte et ses doigts se heurtèrent à... du papier ? Juste ça ? Il s'empressa de lire les mots écrits dessus :
« Puisque tu refuses de lire mes lettres, je t'envoie un moyen de locomotion. Tu pourras venir me retrouver comme ça. PS : vérifie l'arrière-cour de ton immeuble, c'est la Sunbeam 1919 ».
Ça en devenait essoufflant. Evidemment que ce mot provenait de Tommy. Ces lettres écrasées contre les lignes, signe d'une écriture hâtive, ne pouvaient appartenir qu'à lui. Paul jeta un œil au feu mourant dans la cheminée. En y regardant bien, on pouvait encore apercevoir les cendres des lettres que Paul n'avait jamais ouvertes. Il haussa les épaules, tant pis si Tommy avait compris que quoi qu'il envoie, le jeune homme ne lirait pas. Cette fois-ci pourtant, il avait gagné.
Paul s'approcha de sa fenêtre et balaya du regard la cour arrière. Une voiture flambant neuve était garée là, couleur café. Ah ça oui, elle était magnifique. De cette distance, Paul reconnut le modèle de voiture que Tommy adorait conduire. En relisant le papier qu'il tenait toujours dans la main, il murmura « Sunbeam ». Effectivement, il suffisait de repeindre cette voiture en noir, et on aurait dit celle de Tommy. Plus il la regardait, plus il avait envie d'aller la voir. Sans attendre plus longtemps, il sauta dans ses chaussures et dévala les escaliers. Une fois dans la cour, sa nouvelle propriété était encore là. Elle brillait de mille feux, signe qu'elle avait dû être bien chouchoutée. Paul en fit le tour, l'inspecta sous toutes les coutures bien qu'il ne soit pas expert en automobile, puis glissa enfin derrière le volant. Ses doigts glissant le long du volant en bois, Paul s'imaginait déjà la conduire à toute allure sur les routes de campagne. Même si ça venait de Tommy, un cadeau ne se refusait pas, si ?
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