Chapitre 2, partie 1


                Paul se réveilla en grelotant. Quelle idée d'être resté en chemise en plein hiver. Avant de faire quoi que ce soit, il déverrouilla son téléphone et se rendit compte qu'il avait reçu énormément de « j'aime » sur ses publications, de nombreux commentaires également, dont plusieurs demandes d'achat. Paul se réfugia sur la banquette arrière pour répondre aux potentiels acheteurs. Ce n'était qu'une vingtaine de minutes plus tard, en essayant de redémarrer sa voiture, qu'il se rendit compte que la batterie était à plat, faute à la radio restée allumée toute la nuit. Contrarié, le grand brun posa sa tête un instant contre le volant. Puis il enfila un gros manteau de fourrure qui traînait dans son coffre et entreprit de trouver un garage. La route était déserte, pas une voiture ne passa. Même les oiseaux ne chantaient pas. Paul ne se rappelait pas la dernière fois qu'il s'était retrouvé seul, littéralement.

     Une trentaine de minutes plus tard, il tomba sur une petite maison décorée de nains de jardins qui foutaient la trouille. Il alla frapper à la porte sans hésiter. Pas de réponse. Il essaya encore et encore jusqu'à ce qu'une vieille dame en peignoir vienne lui ouvrir.

— Bonjour, monsieur... ? dit-elle d'une voix chevrotante.

— Oui, j'ai un problème avec ma voiture, j'ai besoin d'aide, lança Paul sans la regarder.

     Celle-ci fronça les sourcils mais appela quand même son mari. Un petit homme au nez rouge fit son apparition et accepta la requête de Paul. Il monta dans son fourgon avec le jeune homme et ils retrouvèrent la voiture. Il sortit ses câbles pour les brancher à la batterie du véhicule déchargé et le moteur rugit de nouveau quelques secondes plus tard. Le petit homme se tourna vers Paul, apparemment fier d'avoir pu aider un jeune. Il attendait quelque chose en retour, une parole ou même une poignée de main. Il fut vite déçu. Paul s'empressa de reprendre le volant et laissa en plan celui qui venait tout juste de l'aider. Il n'avait aucun remord, aucune envie d'être reconnaissant puisqu'il estimait s'être rabaissé à demander de l'aide. Il était bien content d'avoir filé en vitesse pour reprendre son excursion là où il l'avait laissée. Bien qu'il ne sache toujours pas où aller, Paul n'avait pas peur. Avoir peur, c'était pour les fillettes selon lui. Il avait passé l'âge de se cacher sous la couette lorsque le tonnerre déchirait le ciel.

     Mais le réservoir de sa voiture n'était pas infini, et bientôt un voyant orange s'alluma sur son tableau de bord. Paul grogna et s'arrêta à la prochaine station-service qu'il croisa. Lorsqu'il fit le plein, il consulta les réseaux sociaux sur son téléphone, surtout pour savoir s'il avait réussi à convenir d'un prix avec les potentiels acheteurs. Pour la plupart, ils avaient déjà viré l'argent sur le compte de Paul. Celui-ci remplit jusqu'au maximum le réservoir de sa voiture puis se dirigea dans le magasin le plus proche pour acheter des enveloppes et des timbres : il devait expédier ses dessins dès maintenant sinon il savait qu'il allait oublier. L'avantage était qu'il fut occupé pendant deux, trois heures, puisqu'il traîna dans les boutiques alentours.

     Et bientôt, la nuit refit surface. Paul s'arrêta de nouveau dans un fast-food et décida, cette fois, de rentrer manger à l'intérieur. Il commanda son menu, faisant rougir la serveuse par ses sourires. Il s'assit à une table et commença son repas tout en regardant des vidéos sur son téléphone, qui avait d'ailleurs beaucoup plus de batterie que d'habitude. Peu de temps après, il était déjà sorti. Alors qu'il traversait le parking pour rejoindre sa voiture, il fut aveuglé par une vive lumière. Quelques secondes après, il entendit des cris autour de lui. Il s'immobilisa pour tenter de comprendre ce qu'il se passait. Un frisson parcourut tout son corps, des pieds jusqu'aux cervicales. Si quelqu'un criait, était-il en danger lui aussi ou pouvait-il continuer son chemin tranquillement ? Non pas qu'il voulait aider qui que ce soit, simplement savoir s'il pouvait s'éclipser discrètement. Mais ce fut trop tard. Ses jambes se firent faucher et son torse bascula en avant. Sa joue heurta du verre qui se brisa. Ses bras s'écrasèrent contre une masse métallique et froide. Puis son corps roula sur le toit de la voiture qui venait de le percuter.

     Paul reprit connaissance alors qu'il gisait sur le sol froid. Il haleta, tentant de bouger ses doigts, en vain. Ses boucles noires tombaient sur ses yeux, il ne distinguait rien, pas même les étoiles qui le surplombaient. Puis, il aperçut un visage. Une personne venait de se pencher sur lui.

— Tu es encore vivant ?

     Elle regarda furtivement autour d'elle .Le jeune homme cracha du sang tout en gémissant. Lui qui ne ressentait d'habitude pas la douleur, il n'arrivait plus à respirer. Il voulait juste que ça s'arrête. Le visage au-dessus de lui était flou. La personne posa sa main sur le front déjà gelé de Paul. Ce dernier apprécia la chaleur qui s'en dégagea, mais le répit ne fut que de courte durée. Ses yeux se révulsèrent. Son corps commençait déjà à convulser.

— Tiens le coup, je n'en ai plus pour longtemps, ajouta-t-elle tout en farfouillant de sa main libre dans un gros sac de laine.

     Paul essayait de rester conscient, priant intérieurement qu'elle l'achève rapidement. Chaque partie de son corps lui faisait ressentir les multiples traumatismes de l'accident. Impossible de prendre une grande respiration. Même le vent lui faisait mal. Même son manteau l'écrasait contre le sol. Mais soudain, toute douleur s'envola. C'était comme si son corps se décollait du sol et une sensation de chaleur l'enveloppa. Il se surprit à sourire alors qu'il s'élevait au-dessus des bâtiments. Il se rapprochait enfin des étoiles. Il repensa à la publicité de Kinder, dans laquelle les personnes s'asseyaient confortablement dans des fauteuils de nuage. Il s'imagina à leur place, c'est vrai que c'était confortable ! Et très vite, il fut aspiré vers le sol. Il eut l'impression de traverser un écran invisible, comme s'il avait plongé dans la mer. L'eau s'infiltra par tous les orifices de Paul, lui donnant l'impression de glisser, qu'importe ce qu'il touchait. Il se fit balancer de tous les côtés, avant de connaître le calme complet dans les ténèbres.


***


— Paul ? ... Paul ! appela une voix avec un accent terriblement agaçant.

     L'intéressé grogna et se retourna dans les draps qui le maintenaient au chaud. Une main se posa sur son épaule et quelqu'un vint le secouer.

— Réveille-toi, bon sang ! C'est ton premier jour dans la boutique, il faut que tu montres que tu es le meilleur, comme tu l'avais promis.

     La porte claqua ensuite. Paul se redressa difficilement, il avait fait des rêves très étranges la nuit passée et son esprit était encore embrumé. Il s'étira longuement tout en baillant puis se leva enfin. En ouvrant enfin les yeux, il se rendit compte qu'il ne savait pas où il était. Autour de lui, une petite table de chevet, une vieille armoire et un lit miteux sur lequel il était assis emplissaient la pièce. L'ensemble n'avait rien de moderne, comme si ces meubles étaient centenaires.

— Mais je suis où, moi ? se demanda-t-il, une moue dégoutée au visage.

     Une forte odeur lui parvint et il réprima une envie de vomir. Il remarqua alors une chaise rongée par les termites dans le coin de la pièce, des vêtements posés dessus et à côté, par terre, un journal. Il s'approcha et lu sur le papier la date : 7 janvier 1919. « C'est quoi ce délire ? » se demanda-t-il. Les journaux étaient déjà de moins en moins utilisés depuis l'apparition d'Internet, si en plus ils se trompaient de siècles... Puis quelqu'un tambourina à la porte.

— Paul, dépêche-toi de descendre, sinon je ne t'embauche plus.

     Encore cette voix affreuse. C'était comme si la personne s'amusait à parler uniquement en yaourt, évitant à tout prix de bien prononcer les « R ». L'intéressé arqua un sourcil. Dernièrement, il n'avait cherché aucun emploi. Et il n'aurait jamais accepté d'être hébergé dans cet endroit miteux. Pourtant, la curiosité l'emporta. Il concéda à s'habiller uniquement à la vue des vêtements posés sur la chaise. Ils avaient l'air d'être de qualité, choisis avec soin : un costume trois pièces gris foncé, une chemise blanche et des chaussures en cuir marron. Puis il passa sa main dans ses cheveux bouclés, pour tenter de les dompter un minimum, et descendit les escaliers qui se trouvaient en face de la pièce où il était. Il se retrouva dans une petite cuisine qui faisait aussi office de salon. Un canapé vert délavé campait le milieu de la pièce, face à une cheminée très décorée. L'endroit était poussiéreux, sombre. Affichant une mine dégoutée, Paul voulait s'enfuir au plus vite de ce qu'il considérait comme un squat clandestin.

— Avale un truc avant qu'on parte, dit la même personne qui avait frappé à la porte.

     Paul dévisagea l'homme qui se tenait face à lui. Grand, mais pas assez pour le dépasser, il avait une fine moustache grise. Il revêtait un costume bleu rayé ainsi qu'un manteau marron foncé par-dessus. Son visage était sec, mais son regard inspirait la confiance. Paul le respecta immédiatement, bien que ce ne soit pas son habitude. Il s'exécuta alors, attrapant une tranche de pain qui traînait sur la table et suivit son hôte dehors.

     Paul se força à sourire. Il avait déjà vu ce fameux film, dans lequel l'acteur Jim Carrey jouait un homme dont sa vie entière était une télé-réalité, sans qu'il n'en sache rien : « The Truman Show ». Toute cette histoire de nouvel emploi et de maison miteuse était forcément une caméra cachée. Au dehors, Paul reconnut la même odeur, un mélange de déjections, de boue et de fumée. Des particules de poussière, de charbon et de sciure emplissaient les rues. Rien ne semblait riche tout autour de lui et les bâtiments étaient sales et communs. La rue était remplie de personnes qui marchaient vite, de vieillards qui faisaient la manche ou encore de femmes qui se promenaient avec leurs enfants. Leurs vêtements étaient d'une autre époque. Parfaitement conservés, ils semblaient plus réels que jamais. Contrairement à ce que Paul anticipait, personne ne souriait. Quelle idée saugrenue que de se déguiser et faire une énorme blague à quelqu'un comme Paul si personne ne s'amusait de la situation ? Le jeune homme chercha du coin de l'œil où pouvaient se cacher les caméras, tout en restant discret. Elles devaient être très bien dissimulées. Etrangement, elles étaient même trop bien dissimulées.

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