Chapitre 17
Hommage à Helen McCrory, qui campait le rôle de Polly Gray. Elle est malheureusement décédée cette semaine. C'était une grande dame, son jeu d'acteur était tout simplement époustouflant.
Une délicate caresse sur son front vint le réveiller. Paul ouvrit difficilement les yeux, une migraine lui monta immédiatement au crâne. « Foutue drogue » jura-t-il intérieurement. Il se rendit compte qu'Esmé le couvait d'un regard maternel.
- Bah alors, c'quoi cette tête ? dit-elle tout en lui tendant une tasse fumante. Ç'devrait t'aider.
Paul se redressa tant bien que mal. Ce canapé n'était pas si confortable que ça, tout compte fait. Il se frotta les yeux tout en bâillant et n'avait qu'une envie : retrouver son lit pour faire une deuxième nuit. Alors qu'Esmé lui frotta les cheveux telle une frangine, la voix de Tommy retentit dans la salle qui servait à accueillir les paris.
- Paul ? Tu es réveillé ?
Le jeune homme se leva et le rejoignit sans attendre, suivi de près par la gitane. Tommy observait la rue à travers les rideaux épais.
- Prend ça, dit-il en lançant au jeune homme un fusil, visiblement chargé.
Paul confia sa tasse à Esmé avant de le rejoindre. En jetant un coup d'œil à travers la fenêtre, il se rendit compte que des hommes armés encerclaient le bâtiment.
- Esmé on parlera plus tard, maintenant sors par l'arrière. Dépêche-toi.
Elle maugréa mais obéit assez sagement au Shelby, contrairement à d'habitude. Paul, lui, n'était pas du tout serein. Les hommes n'étaient certainement pas italiens, mais ils ne ressemblaient pas exactement aux policiers de la ville.
- C'est qui ces mecs ?
- Je ne sais pas.
Le ton froid de Tommy ne présageait rien de bon. Lui d'habitude si détendu, son regard était inquiet.
- Mais Tommy, 'faudra qu'tu parles avec Arthur, 'est pas très bien en c'moment, lança la gitane qui n'était toujours pas partie.
- Esmé dégage ! s'emporta Tommy.
L'atmosphère devenait de plus en plus pesante. Les hommes dans la rue s'approchaient de plus en plus. Ils avaient tous l'air déterminé, ils semblaient même jubiler. La gitane fit enfin demi-tour et disparut du champ de vision de Paul, qui commençait à sentir que quelque chose allait mal tourner. C'est en entendant les cris stridents d'Esmé que ses craintes se concrétisèrent. Une seconde plus tard, les hommes de la rue se retrouvèrent tous dans la pièce. Esmé réapparut, attrapée par d'autres hommes.
- Lâchez-moi ! hurla-t-elle en se débattant de toutes ses forces.
- Scottland Yard ! scanda plus fort un homme au chapeau melon.
D'un mouvement qui fut vite stoppé net, Paul tenta en vain de libérer Esmé, qui hurlait toujours. Il insulta chaque homme qui la touchait, ne supportant pas les mains qui s'emparaient de ses bras. Mais ils étaient beaucoup trop nombreux.
- Arrêtez ! lança Tommy qui avait déjà posé son arme et levé les mains en l'air.
- C'est quoi ce bordel ? gronda le jeune homme, qui se fit trop vite maîtrisé à son goût.
Plusieurs d'entre eux s'emparèrent de Tommy et l'emmenaient déjà. Il jeta un regard à Paul tant qu'il le put encore.
- Dis à Polly que c'est à cause des russes.
Le jeune homme, agenouillé de force, acquiesça à contre-cœur.
- Peaky Blinders de mon cul, murmura un homme qui semblait être le dirigeant de l'opération.
Plusieurs heures passèrent après que Tommy ait été emmené. Paul et Esmé avaient été libérés assez rapidement et s'étaient réfugiés dans le manoir du leader des Peaky Blinders, bientôt rejoints par Polly et les deux frères. Paul ne tenait pas en place, faisant des allers-retours incessants.
- Tu veux bien t'asseoir cinq secondes s'il-te-plaît ? Tu me donnes le tournis, maugréa Polly qui se tenait la tête d'une main.
- Pourquoi il n'est toujours pas revenu...
Il ne réalisait toujours pas ce qui leur était arrivé, lui qui se pensait indestructible. Et s'il arrivait quelque chose à Tommy ? Il savait qu'il perdrait instantanément le contrôle.
- Ils vont finir par le relâcher, sois patient.
- Comment peux-tu être si détendue ?
- Je le connais depuis bien plus longtemps que toi. Il a beau se mettre dans la merde, il s'en sort toujours.
Malgré ces mots, il ne se calmait pas, ni ne se faisait à l'idée que Tommy pouvait aussi bien être en prison que mort. Les secondes ne s'écoulaient pas assez vite, l'horloge semblait le narguer à ralentir le cours du temps. Il n'avait jamais été aussi pressé de revoir le visage de quelqu'un. Un bruit de moteur se fit alors entendre.
- Le voilà, informa John, le regard braqué sur l'allée centrale.
Paul le rejoignit à côté de la fenêtre et s'autorisa enfin à respirer en apercevant la silhouette de celui qu'il avait attendu toute la journée. Tommy fixait le sol en marchant vers l'entrée, sa casquette bien enfoncée sur son crâne. Paul ne se rua pas vers lui, contenant ses émotions autant qu'il le pouvait. Mais alors qu'il s'attendait à le voir débarquer dans le salon, l'homme se rua à l'étage, direction la chambre de son fils. Paul lança un regard à l'assemblée, qui lui fit signe d'aller voir ce qu'il se passait. Sans attendre, il rejoignit Tommy dans la chambre de Charles.
- Tout va bien ? lança-t-il en découvrant le leader des Peaky Blinders essoufflé.
Il tenait un bout de papier dans sa main et son regard terrorisé enveloppait son enfant, paisiblement endormi dans son lit. Il tendit le mot à Paul, la main tremblante.
- Il a menacé de me l'enlever.
Il était clairement secoué, n'arrivant toujours pas à reprendre son souffle. Seul un homme pouvait le terroriser à ce point : Père Hugues. Paul lut les quelques mots sur la carte de visite d'un service de pompes funèbres, qu'il tenait dans sa main : « R.I.P. Charles ». Son sang ne fit qu'un tour, il sortit immédiatement son arme pour vérifier si le chargeur était plein.
- Dis-moi où je peux trouver cet enculé, je vais lui mettre une balle entre les deux yeux.
Tommy s'approcha du jeune homme, baissant son arme d'une main faible. Mais Paul n'était pas prêt de décolérer.
- Donne-moi l'ordre, Tommy. Donne-moi ce putain d'ordre.
Son ton était dur, il savait qu'il ne devrait pas parler comme ça au leader des Peaky Blinders. Mais le voir aussi bouleversé était insupportable. Tommy fit un pas de plus, puis posa délicatement sa tête contre l'épaule de Paul. Sa carapace se fissurait, il avait besoin de quelques instants pour se reprendre en main. La peur qu'il ressentait pour la vie de son fils le faisait rechuter. Il avait déjà ressenti ça à la mort de sa femme, elle qui illuminait chaque moment de sa vie. Les ténèbres l'avaient enveloppé dès le moment où elle avait cessé de respirer, dans ses bras.
Paul ne bougea pas un instant, restant droit pour montrer à Tommy qu'il le soutenait, qu'il serait son appui dans les moments les plus durs. Il guetta sa respiration, qui revint petit à petit à la normale. Le jeune homme n'eut pas la notion du temps. Il ne savait pas combien de temps ils restèrent ainsi mais ça lui était égal. Tommy était là, Charles était en vie. C'était tout ce qui lui importait dans l'immédiat.
- Je le protégerai. Je protégerai ton fils.
Tommy leva enfin la tête et plongea ses yeux dans ceux de Paul. Le cœur de ce dernier dégringola dans sa poitrine, n'encaissant pas cette vague de sentiments que l'homme lui partageait. Il puisa dans ses forces pour tenir ce regard, profitant de cet instant intime qu'il souhaitait interminable. D'un geste doux, Tommy porta une main au visage du jeune homme et dégagea une mèche de cheveux qui cachait partiellement ses yeux.
- Je ne te voyais pas entièrement, murmura-t-il.
C'était comme si leur âme se liaient, qu'elles s'accrochaient à l'autre comme si leur vie en dépendait. Et Paul en était intimement convaincu, tous les deux étaient liés pour l'avenir. Ils étaient liés et s'il arrivait quoi que ce soit à l'un, l'autre le ressentirait immédiatement. Puis soudainement, Tommy se redressa, remit son masque d'homme imperturbable qui cachait toutes ses incertitudes, toutes ses peurs et sortit de la pièce. Paul attendit de le savoir en bas des escaliers avant de s'appuyer lourdement contre l'armoire. La tête dirigée vers le sol, il déglutit difficilement tout en se forçant à reprendre un rythme cardiaque acceptable.
- Putain Tommy, je vais pas supporter d'aimer une autre personne à ce point, se dit-il tout bas.
Mais comme le leader des Peaky Blinders l'avait fait quelques instants plutôt, Paul se reprit en main. Il respira un bon coup, secoua la tête et se sentit prêt à retrouver les Shelby comme si rien ne s'était passé. Une fois dans le salon, il retrouva John et Arthur qui affichaient un visage dépité.
- Tommy t'attend dans son bureau, lâcha Arthur sans le regarder.
Paul ne comprit pas ce changement d'attitude, il n'avait rien fait de mal jusque-là.
- Je croyais qu'on était une famille, cracha John, le regard fixé vers la cheminée. Nous, tous ensemble.
- Laisse tomber, John, lui répondit son frère, une main sur l'épaule.
Paul continua son chemin, un peu hésitant. Dans le bureau il trouva Tommy et Polly. Tous les deux parlaient des italiens, du père Hugues et du cambriolage. D'un geste, Tommy invita le jeune homme à les rejoindre après avoir fermé la porte. La discussion dura plusieurs minutes, ce qui ennuya Paul. Il se perdit rapidement dans la contemplation des arbres qui se mouvaient au bon vouloir du vent. Il se concentra de nouveau au ton sec de Tommy.
- Les italiens doivent payer. Ensuite je le tuerai.
- Qui ? Père Hugues ? Mais tu es inconscient !
- Je sais qu'il est capable de mettre ses menaces à exécution, Polly. Je ne le laisserai pas faire.
Elle semblait comprendre les pensées de Tommy, mais son regard trahissait son inquiétude. Elle assistait une fois de plus, impuissante, à sa rechute. Il se renfermait sur lui-même, ne laissant personne l'épauler dans sa douleur. Et il laissait la haine prendre le dessus.
- Fais attention à toi, et à tes frères. C'est tout ce que je te demande.
- Paul, va dire à John et Arthur que c'est leur tour, ajouta Tommy pour conclure la discussion.
Quelques minutes plus tard, Paul raccompagna Polly à sa voiture. Elle le récompensa d'un sourire résigné.
- Je mesure ton attachement à notre famille, mais je te mets en garde. Quand Tommy est comme ça, il se brûle les ailes ainsi que les nôtres.
- Ça tombe bien, je ne suis pas un ange.
Elle sourit à cette remarque, qui la réconforta curieusement. Cet homme tombé de nulle part lui inspirait confiance. Elle espérait profondément que ses intentions étaient sincères et qu'il ne les trahirait jamais. Démarrant le moteur, elle posa une dernière fois ses yeux sur Paul, qui lui sourit jusqu'à ce qu'elle soit partie. Puis il retourna dans le salon pour attendre sagement que la réunion des trois frères se finisse.
- Tu as vu Paul avant nous !
La voix de John traversait le mur, tout comme la rancœur transparaissait dans sa voix. Paul tendit l'oreille, sans pour autant capter les mots qui s'échangèrent juste ensuite. C'est alors que John s'emporta davantage de l'autre côté du mur.
- « John fais ci, John fais ça. Tue ta putain d'institutrice, John » !
Quelqu'un venait de frapper du bois, le bureau sans doute, du plat de la main. Paul était prêt à intervenir, même s'il savait pertinemment que les frères ne s'entre-tueraient pas. Il restait juste en alerte, au cas où. Un autre silence, ou du moins une conversation qu'il ne pouvait pas entendre. Il se maudit de ne pas avoir une ouïe surdéveloppée.
- Maintenant, fais ce qu'il y a sur la liste et va te faire foutre !
Paul reconnut la voix de Tommy. Tranchante, impénétrable, sans pitié. Il ne se démontait pas le moins du monde devant son frère. Il dirigeait l'entreprise familiale, c'était lui le chef. John ouvrit brusquement la porte du bureau et sortit, les mains croisées dans le dos. Il regarda droit devant lui en quittant le manoir, sans un mot pour Paul. Arthur suivit quelques secondes après. Il jeta un regard navré au jeune homme, mais partit aussitôt après. Tommy, lui, resta jusque tard dans la nuit dans son bureau, tandis que Paul ne savait pas quoi faire. Il détestait désormais la position dans laquelle il se trouvait. Il avait pensé qu'il serait un appui pour les Shelby, pour renforcer leur rang et renforcer leurs liens. Il n'avait jamais voulu avoir les faveurs de l'un et attirer les jalousies des autres. Ce n'était pas comme ça que les choses devaient se passer.
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